49. Le hurlement du loup-garou

Une sourde inquiétude me saisit, alors que le vent avait commencé à se renforcer, charriant avec lui une effroyable odeur de mort. Les brigands ainsi que les chevaliers de Saint-Lambert se regardèrent, inquiets. Je vis le véritable Robert le Mouillard, cheveux roux en bataille et visage ensanglanté, plisser le front. Lui aussi avait perçu le danger.

Les nuages noircissaient à vue d'œil, jusqu'à ce qu'une trombe, surgie de nulle part, descende des cieux, soufflant tout sur son passage.

La panique se généralisa rapidement, car personne n'avait jamais rien vu de tel.

-Tous aux bateaux ! Il faut partir d'ici ! entendis-je hurler le véritable Robert le Mouillard.

L'ouragan balaya la place, emportant tout sur son passage, soulevant comme de vulgaires fétus de paille les malchanceux se trouvant sur son chemin. Mathurin avait détalé sans demander son reste. Ou bien avait-il été emporté ?

« Fie-toi à moi, petit. Je sais où elle est allée. Je peux la sentir. Laisse-moi faire. Elle est en grand danger. »

La voix avait retenti dans ma tête. Celle d'un animal, une bête issue d'un autre âge. C'était la première fois que je l'entendais s'exprimer ainsi. Je n'avais pas le choix. Silencieusement, je lui fis comprendre que c'était d'accord, que je m'en remettais à elle. Alors, tout changea. Mon acuité visuelle s'accrut dans de telles proportions que j'y vis comme en plein jour. Mon ouïe percevait le moindre son, mon flair captait les odeurs les plus diverses.

Je poussai un grognement satisfait. Le Loup avait retrouvé la trace de Morgane...

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Au fond d'une ruelle malodorante au bout de laquelle un immeuble achevait de se consumer, j'aperçus enfin Morgane s'avancerà pas lents en direction de l'individu qui lui tendait les bras.

Je n'en crus pas mes yeux.

C'était Thomas.

-Viens, Morgane. Viens me prendre dans tes bras. J'ai si froid, tu sais. J'ai besoin de ta présence. Viens avec moi, et nous serons heureux. Je n'ai jamais eu l'occasion de te le dire mais...je t'aime !

J'entendis Morgane fondre en larmes en s'approchant de Thomas. Ou du moins, de ce qu'elle croyait être Thomas. Car, si la ressemblance était frappante, un détail ne trompait pas. Les yeux naguère d'un bleu profond de Thomas avaient été remplacés par un regard noir, injecté de sang. Je voulus crier pour avertir Morgane que tout ceci n'était qu'un piège, une cruelle tromperie, mais mes paroles furent emportées par le vent.

L'imposteur couina de douleur lorsque Morgane, au dernier moment, lui décocha un violent coup de pied à l'entrejambe. Il se plia en deux, jurant de manière horrible, brisant l'illusion qu'il avait créée, retrouvant sa véritable apparence.

-Vous vous êtes trompé, Adalbert. Thomas ne m'a jamais aimée. Enfin, pas de la façon dont vous l'imaginiez. Il était comme mon frère. Mais il ne me désirait pas. Vous n'êtes pas capable de comprendre ces choses-là. Vous n'avez jamais compris le sens de l'amitié. Ni celui de la fraternité. Vous avez laissé la jalousie vous empoisonner à petit feu et faire de vous le monstre d'égoïsme que vous êtes devenu. Vous vous êtes servi de votre propre malheur pour justifier vos actes les plus ignobles. Ce que vous a infligé William Mandrake n'était pas une excuse pour commettre tous ces crimes. Vous êtes un minable, Adalbert. Rien d'autre.

En dépit de son épuisement, Morgane avait assené ces mots avec un courage et une force de conviction étonnants. Adalbert se redressa, un rictus aux lèvres.

-Mille mercis, petite fée Morgane. Merci pour cette belle leçon de morale ! Je n'aurai jamais assez de mots pour t'exprimer ma gratitude de m'avoir si bien servi. Tu as raison, je n'ai jamais rien compris à l'amour fraternel. Comment peut-on aimer un frère aussi ingrat et injuste que le mien? Tu m'accuses d'être un monstre d'égoïsme, mais tu ne sais pas qui est réellement Saturnin, ni ce qu'il m'a fait. Dès le premier jour où je t'ai rencontrée, j'ai su que tu n'étais pas une enfant ordinaire. Je savais que tu pourrais être l'instrument de la déchéance de Saturnin. Les choses ne se sont pas passées exactement comme je l'avais prévu, je l'avoue, mais, en fin de compte, mon but est bel et bien atteint. Regarde ce qu'il reste de cette ville ! Un océan de cadavres et de ruines. Le Prince-Évêque qu'avait juré de protéger Saturnin est mort. Le grand, le beau, le vaillant chevalier, celui qui se rêvait en Lancelot n'est plus ! Il est réduit à l'état d'épave, il n'est plus qu'un chevalier déchu. Je n'en demandais pas plus. Encore merci pour ton aide précieuse, chère Morgane !

Adalbert dégaina une fois de plus son énorme pistolet.

-Sois ma femme, maintenant ! S'il y a une personne que j'ai sincèrement aimée dans ma vie, c'est toi, mon enfant. Accepte enfin d'être mienne ou bien prépare-toi à affronter ton destin !

Je l'entendis armer son outil de mort.

-En plus d'être un minable, vous êtes un lâche. Vous ne savez que vous en prendre aux enfants pour combler votre frustration. Car c'est bien vous qui avez tué votre neveu, n'est-ce pas, Jonathan ?

Adalbert sursauta.

- Je sais que c'est vous qui avez enlevé et assassiné Jasper, le fils de Saturnin. Vous étiez jaloux de la réussite et du bonheur de votre frère alors que vous, vous restiez un moins que rien, un magicien de pacotille, un minable montreur de foire, un chanteur raté. C'est pour ça que vous lui avez pris son fils. N'avez-vous pas honte de ce que vous avez fait, Adalbert? Avez-vous seulement un coeur?

Le géant étouffa un petit rire amusé.

-C'est ma foi vrai. C'est bien moi qui ai tué Jasper. Si je l'avais laissé grandir, il serait devenu aussi orgueilleux et dominateur que son père. Je ne pouvais pas laisser faire ça, tu comprends ?

Il arbora la moue typique des enfants tentant de justifier une bêtise.

-Meurtrier ! accusa soudain la voix de Saturnin, dans notre dos.

Le chevalier s'avançait dans la ruelle, l'arme au poing. Il n'avait rien perdu de tout ce qui venait de se dire. Adalbert baissa son arme, intimidé, subitement beaucoup moins sûr que lui.

-Mon cher petit frère. Quel plaisir de te...

Saturnin ne le laissa pas terminer sa phrase. Il saisit son frère à la gorge avec une telle force que son teint vira instantanément au violet.

-Dis-moi ce que tu as fait de Jasper ! Dis-le tout de suite, sinon...

-Allons, allons, Saturnin, tu ne vas quand même pas...

-Tuer mon aîné ? Et pourquoi pas ? Je t'avoue en avoir très envie...

-Un chevalier ne ferait pas...

Adalbert hoqueta, au bord de l'asphyxie.

-Pour la dernière fois, dis-moi ce que tu as fait de Jasper !

-Je lui ai offert pire que la mort, Saturnin ! Je l'ai condamné à la damnation éternelle. Une éternité d'une mort vivante dans un puits de souffrances. Je l'ai offert en sacrifice à la Malveillance. Jusqu'à la fin de l'éternité, il restera prisonnier dans les ténèbres. Voilà ! Tu connais la vérité, maintenant ! Tu es content ?

Saturnin blêmit mais ne relâcha pas sa prise pour autant. Les mâchoires crispées, il leva son épée. Je crus qu'il allait frapper, en finir pour de bon avec ce frère maudit. Il se contenta pourtant de le jeter au sol, comme une vulgaire poupée de chiffon.

-Tu avais raison, Jonathan. Je ne pourrais jamais tuer mon propre frère. Contrairement à toi, j'ai encore quelques principes moraux. Mais dis-moi encore une chose. Pourquoi as-tu fait ça ? Pourquoi avoir infligé ça à mon enfant ?

-Parce que Anna était à moi. Elle m'aimait et tu me l'as volée !

Adalbert pleurait désormais pitoyablement, comme un enfant en pleine crise de colère.

-Anna aurait pu t'aimer, rectifia Saturnin. Mais elle avait déjà senti le mal, la violence en toi. Elle a trouvé chez moi ce que tu n'as jamais pu lui donner. Tu es le seul fautif, Jonathan. Tu as été l'artisan de ton malheur, de ta propre solitude. Maintenant, je t'ordonne de quitter cette ville et de ne jamais y revenir, tu m'entends ? Si tu venais à recroiser ma route, je ne serais plus aussi indulgent que ce soir.

Saturnin tourna les talons, sans accorder plus d'attention à son misérable frère. Morgane l'imita, tout comme moi.

En définitive, voir Adalbert ainsi humilié n'était-il pas la meilleure des revanches que nous aurions pu souhaiter ?

« Tu es trop naïf, petit ! »

Le Loup eut à peine le temps de me lancer cet avertissement qu'une détonation retentit. Je n'eus que le temps de réaliser la terrible erreur que nous venions de commettre en tournant le dos à un être aussi lâche et perfide. Je sentis le sifflement d'une balle me frôler l'oreille tandis qu'Adalbert, hurlant, tentait de se défaire de Monsieur Jojo qui lui avait sauté au visage, lui enfonçant profondément ses ongles dans la peau. Anticipant ce qui allait suivre, le courageux petit singe s'était porté à notre secours, faisant dévier un tir qui aurait sans nul doute été mortel autrement.

Le temps se suspendit.

Mon compagnon simiesque fut jeté à terre.

Un second coup de feu résonna.

Monsieur Jojo tomba comme une pierre.

Il se remit pourtant debout, la poitrine transpercée, exécuta une dernière pirouette, décocha une ultime grimace de défi à son assassin, avant de s'effondrer, définitivement.

Je restai médusé, sous le choc, incapable d'admettre la perte de mon ami le plus fidèle.

Je sentis tout à coup un changement s'opérer au plus profond de mon être, venant de mes entrailles et remontant jusqu'à ma tête.

Mes dents s'allongèrent, transperçant mes gencives. Mes ongles devinrent des griffes aussi tranchantes que des couteaux, mes membres se couvrirent d'une fourrure noire et drue alors que ma taille augmentait démesurément. Mon visage se tordit, se déforma abominablement, ma bouche s'allongea pour se changer en une gueule garnie de redoutables crocs. Enfin, mes vêtements éclatèrent sous la formidable pression des muscles puissants du féroce prédateur en lequel je m'étais changé.

Un cri lugubre, terrifiant, à nul autre pareil, s'échappa dans mon poitrail fauve.

Celui d'une bête hurlant à la lune.

Le hurlement du loup-garou.

Je lus la panique dans les yeux d'Adalbert, confronté à la fureur de la véritable Bête de Berinzenne. Dans un réflexe de panique, il déchargea son arme, croyant qu'il pourrait ainsi m'échapper. Mais ses minables projectiles ne purent traverser ma nouvelle peau.

Je grognai de colère en me jetant sur lui, avide de le réduire en charpie.

Je ne sus pas ce qui se passa vraiment ensuite car je perdis le contrôle de mes pensées, laissant au loup-garou l'occasion de se déchaîner à loisir.

Jamais la vengeance n'eut aussi bon goût...

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