23. Expédition nocturne

Avertissement ! Le chapitre qui suit comporte des scènes franchement violentes, susceptibles de déranger des lecteurs trop sensibles. Voici une liste de trigger warnings, à titre informatif.

· Meurtre

· Infanticide

· Consommation de drogues

Bonne lecture à vous !

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Clio m'avait interdit de sortir, même une fois la nuit tombée. Les renseignements qu'elle avait obtenus lui indiquaient clairement que les hommes de l'Inquisiteur passaient la ville au peigne fin dans l'espoir de débusquer la petite sorcière qui s'était infiltrée. Non seulement, Clio craignait que mes poursuivants ne me mettent rapidement la main dessus, mais elle redoutait que sous la torture, je ne livre l'emplacement de notre cachette. Car c'était ainsi que bon nombre de Macrâles avaient été dénoncées et arrêtées à leur tour. Rares, en effet, étaient celles qui parvenaient à garder le silence une fois entre les mains de leurs tortionnaires, devenus experts dans l'art d'arracher des renseignements.

Il me fallut donc me résoudre à vivre comme une recluse pendant un temps qui me sembla infini, sans voir la lumière du soleil.

« Le temps que les choses se tassent. Ne t'en fais pas, ça ne saurait tarder !» m'avait assuré Clio.

Mes journées se déroulaient dans une désolante solitude. Pendant que le soleil brillait, les Macrâles vaquaient à leurs occupations, comme si de rien n'était. Ce n'est qu'une fois le soir venu qu'elles arrivaient une à une, selon un horaire bien précis convenu entre elles, auquel elles ne dérogeaient jamais. Il était hors de question qu'elles arrivent toutes en même temps, ce qui n'aurait pas manqué d'éveiller les soupçons d'éventuels observateurs.

Chaque soir, les leçons étaient dispensées par Clio en personne, sans que je ne me lasse de l'écouter et de l'admirer en même temps. Comment était-il possible qu'une si jeune fille possède un tel savoir ? C'était un mystère mais la supériorité manifeste de son esprit, indiscutablement, faisait autorité sur toutes les Macrâles qui buvaient ses paroles.

Une seule d'entre elles faisait exception à la règle. C'était Sarah, naturellement. A la moindre occasion, cette dernière n'hésitait pas à remettre en cause les paroles de Clio, ce qui, invariablement, se soldait par une brillante démonstration de la supériorité de celle-ci sur sa rivale. Je soupçonnai tout de suite la jalousie d'être à l'origine de cette animosité à peine voilée. Sarah était une jeune femme de presque vingt ans alors que Clio n'était même pas encore tout à fait sortie de l'enfance. Subir ainsi la domination d'une gamine devait lui paraître insupportable. Pourtant, si Sarah se montrait souvent désagréable envers Clio, il semblait qu'elle venait pourtant chaque soir de son plein gré. Une question me rongeait cependant. La querelle entre deux Macrâles n'allait-elle pas inévitablement déboucher sur la trahison et la dénonciation ? Pourtant, le serment qu'avait prêté chaque Macrâle sur le crâne de l'idole de pierre, les liait, à la vie à la mort, en dépit de toutes leurs divergences. Divergences bien plus profondes qu'elles n'y paraissaient au premier abord, comme j'allais bientôt le constater...

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Alors que je passais une journée supplémentaire à me morfondre en attendant la tombée de la nuit et l'arrivée des Macrâles, je commençai à soupçonner Clio de me tenir prisonnière. Combien de temps cela allait-il encore durer ? Clio avait beau me répéter que j'aurai bientôt le droit de sortir, j'éprouvais de plus en plus de difficultés à la croire.

Nous étions proches de Noël, lorsqu'un beau jour, en plein cœur de l'après-midi, j'entendis la porte de la cave s'ouvrir. Ce n'était pas l'heure pour les Macrâles d'arriver. Qui avait osé rompre son serment de prudence ? Je vis Sarah, talonnée par Mère Brasseur, descendre les marches d'un pas décidé.

-Tu es seule ? demanda Sarah, sans plus de cérémonie.

Je lui rétorquai qu'il suffisait qu'elle regarde autour d'elle pour s'en rendre compte.

-Il se passe des choses, là-haut. Des choses graves...

-Quel genre de choses ?

Ma question avait fusé avec la célérité d'un météore.

-La maladie. Le choléra. On ne compte plus les morts, les fosses communes au cimetière de Robermont sont déjà pleines.

En dépit de cette effroyable nouvelle, Sarah souriait. Or je détestais quand elle affichait cet air carnassier. Elle préparait un mauvais coup.

-C'est plutôt une bonne chose pour nous toutes. Il faudrait plutôt s'en réjouir.

Je ne voyais vraiment pas ce qu'une épidémie mortelle de choléra pouvait avoir d'une « bonne chose ». Jadis, ma mère avait soigné une famille atteinte par ce mal. Mais elle n'avait rien pu faire pour sauver ces malheureux. Cet échec lui était resté longtemps en travers de la gorge.

-Si l'Inquisiteur venait à en crever, on ne pleurerait pas.

-Ne compte pas là-dessus. Il est bien protégé dans son palais. Et puis, la méchanceté ça conserve, il parait. Pangelpique serait le dernier debout.

-Allons, un peu d'optimisme, Mère Brasseur, soupira Sarah, levant les yeux au plafond. Il n'est pas interdit de rêver un petit peu, non plus. Enfin, bref. Trêves de bavardages. Nous sommes venues parce qu'on a un truc à te proposer.

Un « truc » ? Je me méfiais des idées de Sarah. J'attendis cependant qu'elle m'expose son projet. J'étais prête à accepter n'importe quelle idée saugrenue pourvu qu'elle me permette de sortir de cette cave sordide.

-C'est tellement le bordel qu'ils ont autre à faire que chasser la Macrâle. On est un peu plus tranquille, ces temps-ci. Tu vas pouvoir sortir d'ici.

Je jubilai intérieurement. Enfin ! L'heure de la délivrance était arrivée !

-Clio ne sera pas d'accord, mais tant pis. Elle voudrait te laisser pourrir ici jusqu'à ce que tu attrapes du poil au menton comme Mère Brasseur. Tu ne veux pas finir dans cette cave, façon Julie et Mélissa, hein?Quelle salope ! Clio a ordonné que les Macrâles ne bougent plus de chez elles avant la fin de l'épidémie. Question de sécurité, qu'elle dit ! Tu parles ! Mais il y a une Sœur qui a besoin de nous. Il faut qu'on agisse aujourd'hui, ou bien il sera trop tard.

Sarah ne m'avait toujours pas dit ce qu'elle avait derrière la tête ni la façon dont nous pourrions aider la Sœur en détresse.

-Sœur Carmen attend un bébé. Mais les choses ne se présentent pas bien. Elle va avoir besoin de Mère Brasseur et moi pour mettre bas dans les meilleures conditions possibles.

J'avais assisté ma mère à plusieurs reprises alors qu'elle aidait à la mise au monde de nouveaux-nés. Je n'avais pas peur de la tâche qui nous attendait. Je donnai donc mon accord à Sarah sans hésiter. Cette dernière se contenta de ricaner en agitant le doigt.

-Tatatata ! Toi tu resteras pour faire le guet, tout simplement. Il ne faudrait pas que quelqu'un nous surprenne en pleine action.

Je ne pus masquer ma déception. Mais ce que me proposait Sarah valait mieux que de rester plus longtemps seule, cloîtrée ici.

-On reviendra te chercher à la tombée de la nuit. Tiens-toi prête à partir.

Ce conseil ne tomba pas dans l'oreille d'une sourde. J'étais impatiente de retrouver l'air libre...

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Les deux Macrâles tinrent parole. Lorsqu'elles revinrent, Sarah portait un havresac en bandoulière, dans lequel tintaient plusieurs récipients de verre. Des potions destinées à Sœur Carmen afin d'apaiser les douleurs de l'enfantement. Quant à Mère Brasseur, elle portait un grand sac à dos rempli de différents ustensiles médicaux.

-Allons-y. Nous avons une trotte jusqu'à la maison de Sœur Carmen. Si seulement nous ne devions pas traîner cette vieille tortue de Mère Brasseur, nous serions certaines d'être rentrées à l'aube.

-Mes jambes sont encore bien plus solides que celles de beaucoup de jeunettes comme toi, croassa la vieille, vexée.

Cette situation nous fit rire toutes trois. Une fois que nous fûmes sorties, j'aspirai avec bonheur une grande goulée d'air frais. Un fin manteau de neige recouvrait les rues de Liège, balayées par un vent du nord glacial. Une nuit froide et sans lune à ne pas mettre un loup dehors. La ville paraissait déserte, mais sans compter sur la présence d'un nombre anormalement important de rats qui grouillaient partout, surtout à proximité des piles de cadavres, entassées là en attente d'une sépulture. La ville n'avait jamais autant ressemblé à une vaste fosse-commune.

Nous quittâmes la ville en empruntant le faubourg d'Amercoeur avant d'entamer la route qui remontait vers la maison de Sœur Carmen. Je fus surprise de constater que Mère Brasseur n'avait pas menti. En dépit d'une sévère boiterie et de son grand âge, jamais elle ne ralentit son rythme, déterminée à venir en aide au plus vite à une Sœur dans le besoin.

La demeure de Sœur Carmen ne payait pas de mine. Située juste en face du cimetière de Robermont, elle n'était munie que d'une simple porte de bois vermoulue que Sarah déverrouilla à l'aide d'une clé de fer. L'intérieur semblait pourtant propre et bien entretenu. Je fus soulagée de constater que le logis était bien chauffé grâce au feu de bois qui ronflait dans la cheminée. Tout à coup, on entendit un cri à l'étage. Nous montâmes l'escalier quatre à quatre pour trouver Sœur Carmen, étendue sur son lit, ses draps tachés de sang.

-Il faut agir, en vitesse, s'exclama Mère Brasseur en ouvrant son sac. Sarah, prépare les sédatifs !

Sœur Carmen, les jambes écartées, se tordait de douleur, se vidant progressivement de son sang. Si rien n'était fait pour stopper l'hémorragie, elle ne tarderait pas à mourir, avec son nouveau-né.

-Morgane, qu'est-ce que tu fous encore ici ? grogna Sarah. Tu es là pour surveiller les environs, je te rappelle, pas pour jouer les inspectrices des travaux finis. Allez, dégage et laisse-nous travailler!

Je voulus lui rétorquer que je m'y connaissais sans doute bien mieux qu'elle, mais je m'en abstins. J'avais compris qu'elle ne transigerait pas. De mauvaise grâce, je redescendis me poster dehors, scrutant la nuit du mieux que je le pouvais. Les cris de Sœur Carmen, ne diminuant pas d'intensité, bien au contraire, je m'éloignai lentement de la maison, à la recherche d'un silence apaisant.

Mis à part un chien errant, rien ne bougeait. Dans l'autre côté de la route, le mur de briques du cimetière serpentait dans l'obscurité. Je sentis la peur me nouer le ventre et l'envie de courir me réfugier dans la maison. C'est alors qu'un bruit de sabots se fit entendre. Un cavalier approchait, monté sur un gigantesque étalon. Instinctivement, je me plaquai contre un mur. L'homme s'arrêta devant la grille close du cimetière et mit pied à terre. Malgré l'obscurité qui régnait, je ne pouvais pas me tromper. Sa stature colossale ne laissait place à aucun doute : ce visiteur nocturne n'était autre que Saturnin. Cognant les barreaux de fer à l'aide de la garde de son épée, il attendit quelques minutes. Puis, la lumière d'une lanterne apparut de l'autre côté du portail. J'entendis les deux hommes échanger quelques mots avant que la porte ne s'ouvre et que Saturnin n'emboîte le pas au portier.

L'idée de m'aventurer seule dans les allées de la nécropole, à cette heure de la nuit, était une idée inconcevable pour moi. Ma crainte de l'obscurité était encore bien trop forte. Pourtant, un doute se mit à me titiller. Que venait faire ici Saturnin, seul et en pleine nuit ? Ma curiosité gagnait du terrain sur ma peur. Elle finit d'ailleurs rapidement par l'emporter. Je m'élançai furtivement dans les pas des deux hommes. La lueur d'une lanterne sourde s'avéra suffisante pour que je puisse les suivre à distance sans risque de trébucher ou de m'égarer.

Enfin, au bout de plusieurs minutes, ils s'arrêtèrent à proximité d'une petite tombe isolée. Je m'adossai à un arbre afin d'observer la scène qui se déroulait. Saturnin s'était agenouillé et soliloquait, à voix basse devant la sépulture.

-Pardon, Jasper, l'entendis-je soupirer au bord des larmes.

Découvrir ainsi l'humanité de cette brute féroce me jeta dans un profond trouble. Ce n'était pas ce que j'étais en droit d'imaginer du guerrier qui avait attaqué Spa, le bras armé de l'Inquisiteur, le bourreau des Macrâles. Soudain, le contact d'une main froide me ramena à la réalité. Surprise, je réprimai un cri de frayeur en croisant le visage furibond de Sarah.

-Tu ne vaux vraiment pas un clou comme guetteuse, tu sais ? Putain, quelle conne tu es ! On aurait pu se faire chopper au moins dix fois sur le temps que tu te baladais ici. Heureusement que j'ai repéré ton petit manège à travers la fenêtre. Et estime-toi heureuse que le croque-mort n'ait pas eu la bonne idée de lâcher son clebs. On dit qu'il aime tout spécialement croquer les oies blanches, en plus. Bon, il ne faut pas qu'on traîne ici. Mère Brasseur se débrouille pour faire sortir le chiard de Sœur Carmen. Elle devrait s'en tirer. La partie est presque gagnée!

A mon tour, je désignai à Sarah la silhouette de Saturnin, toujours occupé à se recueillir.

-Oui, c'est Saturnin, et alors ? C'est aussi un être humain après tout! Il a bien le droit de venir rendre visite à un proche. Il fait juste ça discrètement, histoire d'être tranquille.

-Qui est-ce ?

-Qu'est-ce que j'en sais, moi ? Je ne me mêle pas de la vie de Saturnin. Chacun sa merde, hein ! Tout ce que je sais, c'est que la vie de Saturnin est loin d'être un roman glorieux. Il a aussi connu sa part de drames. Vas-y ! Demande-lui, si ça te chante !

Soudain, des bruits d'aboiements déchirèrent le silence.

-Merde ! Le clebs ! jura Sarah

L'homme à la lanterne qui accompagnait Saturnin se retourna.

-Eh ! Qu'est-ce que vous faites là vous deux !

-Cours !

Nous nous mîmes à courir, redoutant de sentir à chaque instant les mâchoires du molosse se refermer sur nos mollets. Après une course effrénée, nous sortîmes enfin du cimetière, saines et sauves.

-Toi, je te retiens, haleta Sarah. Dernière fois que je compte sur toi et que je prends la peine de venir à ton secours.

Je ne répondis rien toujours perturbée par ce que j'avais découvert.

Les hurlements de Sœur Carmen s'étaient tus. Dans la chambre, je découvris la jeune femme qui semblait dormir paisiblement. Mère Brasseur, les mains dégoutantes de sang, tenait dans ses mains une forme enveloppée dans des linges. Je poussai un soupir de soulagement lorsque l'enfant remua et se mit à hurler.

-Vous entendez, Sœur Carmen ? Il va bien !

La jeune mère ouvrit les yeux, un pâle sourire sur son joli visage. Seule Sarah ne semblait pas se réjouir de cette nouvelle.

-Il ? siffla-t-elle comme un serpent venimeux.

Arrachant le bébé des mains de Mère Brasseur, elle l'examina attentivement.

-Un mâle ! Quelle horreur ! Vous connaissez notre loi, n'est-ce pas, Sœur Carmen ?

L'horreur déforma le visage de la jeune mère. Mère Brasseur demeura impassible. Moi, je ne saisis que trop tard ce qui allait se passer. Le bébé se raidit en recevant le poignard en plein cœur. Un sang noir et épais jaillit, éclaboussant le visage de Sarah, qui se mit à rire comme une démente. Sœur Carmen hurla sa douleur, ce qui fit rire Sarah de plus belle.

-Pas de mâle parmi les Macrâles, Sœur Carmen, telle est notre loi ! Si vous faites encore un enfant, à l'avenir, assurez-vous de concevoir une fille ! Si vous aviez pris les potions que je vous ai données, vous auriez actuellement dans vos bras une parfaite petite fille. Vous êtes seule coupable de votre malheur !

La malheureuse pleurait et hurlait de toutes ses forces, trop faible pour se lever.

-Mère Brasseur, faites le nécessaire. Ses vagissements vont finir par attirer l'attention de quelqu'un.

La vieille femme s'approcha de Sœur Carmen, un oreiller à la main. Sœur Carmen eut beau se débattre de toutes ses forces, elle ne put rien faire pour empêcher Mère Brasseur d'étouffer définitivement ses cris.

J'étais mortifiée, incapable de vraiment réaliser ce qui venait de se passer dans cette pièce. Le bébé de Sœur Carmen gisait, sans vie, baignant dans son sang, sur le parquet. Alors que je croyais que l'horreur avait déjà atteint son paroxysme, elle ne faisait en réalité que commencer.

Sarah se pencha sur le corps déjà raide de l'enfant avant de lui ouvrir méthodiquement la poitrine et d'en retirer le petit cœur encore chaud et palpitant.

-Communions maintenant, mes Sœurs. Communions !

Elle déboutonna sa robe jusqu'à se retrouver entièrement nue. Mère Brasseur l'imita. Je compris alors que j'étais entourée de deux folles furieuses et que j'avais plutôt intérêt à faire de même si je tenais à rester en vie. Je tentai de me couvrir comme je pouvais afin d'échapper au regard perçant de Sarah qui me dévorait.

-Clio croit dur comme fer qu'on pourra triompher de Pangelpique et de toute sa clique avec des rires et des chansons. Elle réprouve toute action violente. Elle se trompe ! Nous sommes plusieurs à penser qu'il faut les frapper aussi durement que possible. Il faut venger nos Sœurs envoyées au bûcher. C'est-ce que tu désires aussi, Morgane, non ? Je l'ai tout de suite senti, la première fois que je t'ai vue. Tu me plais, Morgane. Rejoins-nous ! Sois notre alliée !

Je sentis Sarah se glisser derrière moi et serrer sa peau contre la mienne. Elle était chaude et moite. Je pouvais sentir les battements rapides de son cœur cogner sourdement dans sa poitrine décharnée. Mal à l'aise, je me défis de son étreinte d'un geste brusque.

-Il existe des forces cachées qui sont prêtes à répondre à notre appel, pourvu que nous sachions comment entrer en contact avec elles, annonça Mère Brasseur, en s'entaillant profondément la paume de la main.

Grâce à son sang qui coulait à flots, la vieille femme traça rapidement un pentagramme sur le plancher.

-Entre dans le cercle, Morgane et communie avec nous !

Sans trop savoir ce qui allait se passer, je pénétrai dans le pentagramme en compagnie des deux Macrâles.

-Nous allons tenter d'entrer en communication avec une entité de l'Inframonde afin de la convaincre de nous venir en aide. Nous avons déjà une offrande de choix à lui présenter.

Sarah leva au-dessus de sa tête le cœur inerte du bébé de Sœur Carmen. Mère Brasseur sortit d'une de ses poches un petit sachet duquel elle tira trois champignons séchés. Elle en mâcha un, avant de nous tendre les deux autres. Je l'acceptai avec hésitation, peu désireuse de découvrir les paradis artificiels. Mais il était trop tard pour me défiler, à présent. La menace du couteau de Sarah demeurait bien trop réelle.

Mes pieds avaient quitté le sol. Je flottais dans une espèce de brouillard cotonneux.

-Entités d'En-Bas ! Je vous en conjure ! Répondez à mon appel ! Je suis votre loyale servante et je vous apporte un présent qui vous plaira. Nous avons besoin de votre aide ! Nous sommes menacées par les serviteurs de Yahvé et nous avons désespérément besoin de vous ! Azazel, Alocer, Belzébuth, répondez-moi !

J'étais encore bien assez lucide pour comprendre que personne ne répondrait jamais à cette prière impie. Cependant, cette macabre mise en scène illustrait la folie et la détermination de Sarah. Rien ne l'arrêterait jamais dans son combat. Aucun tabou, aucune limite ne freinerait sa haine contre l'Inquisiteur.

Puis les choses se firent plus floues.

J'étais de retour au cimetière. Saturnin me tournait le dos, agenouillé devant la tombe. Lorsqu'il se retourna, je vis la face décharnée d'un squelette aux orbites rougeoyantes dont le ricanement me vrillait les temps.

-Je t'attends, grinça la voix désincarnée.

Je hurlai, faisant demi-tour, ventre à terre.

Le sol se déroba sous mes pas.

Je chutai jusqu'à atterrir dans un espace où régnait une obscurité totale. Mon angoisse me reprit de plus belle. Deux larges yeux bridés, rougeoyant comme des braises, brûlant d'une malfaisance sans fond apparurent au-dessus de moi. Un rire retentit, puissant, démoniaque.

-Je t'attends, répéta la même voix, toujours aussi sinistre.

Une fois de plus, la terre s'effondra sous mon poids.

Je heurtai le sol avec une violence qui me coupa le souffle.

J'étais allongée, les bras en croix, au centre du pentagramme. Le visage anxieux de Mère Brasseur était penché sur moi.

-Elle revient à elle! Elle va bien !

Sarah marmonna quelque chose d'incompréhensible.

-On ferait mieux de partir d'ici, dit Mère Brasseur, dans un filet de voix, intimidée.

Etais-je encore en train de délirer ? Probablement, car je crois distinguer une ombre sur le mur qui se tortillait pour changer de forme. Soudain, un coup de vent s'engouffra dans la pièce, faisant claquer la porte. Un sentiment de peur autant que de dégoût me serra la poitrine. Quelque chose n'allait pas. Un danger nous menaçait. Je secouai la tête, espérant chasser de mon esprit ces visions cauchemardesques, avant de cracher le goût âcre du champignon hallucinogène que j'avais avalé. Le parquet grinça et je vis distinctement les cheveux de Sarah se dresser sur sa tête.

-Vous avez raison Mère Brasseur. On se casse d'ici, en vitesse !

Elles m'aidèrent à me remettre debout et à me traîner jusqu'à la sortie. La tête me tournait mais j'eus cependant le temps de noter un détail curieux. Il n'y avait plus trace du cœur du bébé dans la pièce.

J'espérais que Sarah l'ait simplement placé dans sa poche...

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Voici donc une soirée qui s'achève dans l'horreur la plus absolue. Il semblerait que les Macrâles soient loin d'êtres toutes des héroïnes au coeur pur...

Ce chapitre permet également de mettre davantage en lumière le personnage de Saturnin, plus humain que Morgane ne le pensait jusque-là...

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