Merde ! Cible perdue de vue ! Où est-elle passée ? Il ne lui a suffi que de quelques secondes pour disparaître. Pourtant je l'ai quittée des yeux moins d'une demi-minute. Juste le temps de recadrer les gars et de leur rappeler les consignes habituelles, c'est-à-dire les mettre en garde contre les excès d'alcool et leur interdire toute consommation de substances illicites. Vite, il faut que je récupère un visuel ! J'abandonne les élèves au bord de la piste de danse et je fais demi-tour avec l'intention de me lancer à la poursuite de mon objectif, mais mon pote Victor m'arrête :
— Hey Kawa, qu'est-ce que tu fous ?
— Je ressors cinq minutes.
— Déconne pas, tu ne vas pas me planter là ?
— Je n'en ai pas pour longtemps, juste un truc à vérifier.
— Un truc à vérifier ? Non, mais tu te fous de moi ? Je croyais qu'on devait passer une soirée sympa entre potes ?
Je grimace en me rappelant que je l'ai poussé à se porter volontaire avec moi pour assister au bal. Si Slim, Feelgood et deux autres équipages de notre escadron ne se sont pas fait prier pour venir chasser les minettes, Vicks a été plus difficile à convaincre. J'ai dû insister et lui assurer qu'on allait passer une soirée sympa entre amis. Je voulais lui changer les idées et lui remettre le pied à l'étrier, en quelque sorte. Depuis que sa copine l'a plaqué pour un officier de l'état-major, il a du mal à se remettre en course avec les nanas.
— T'inquiètes, Vicks ! Je ne te lâche pas, je reviens dans quelques minutes.
C'est le moment que choisit Slim pour taper sur l'épaule de Victor en se marrant :
— Je parie qu'il a déjà repéré une poulette. Dis donc, t'es rapide Kawa, on vient juste d'arriver !
— Sérieux ? Tu es déjà en chasse ? T'es à fond, toi ! se moque Feelgood.
— Mais non ! Il m'a semblé voir une tête que je connais. Je veux juste vérifier, c'est tout.
Sans leur laisser le temps de me questionner davantage, je me faufile entre les fêtards qui arrivent et je sors de la Centrale. Je marche rapidement en tournant la tête de droite à gauche pour balayer l'espace autour de moi, mais aucune robe rouge à l'horizon.
Merde, merde et merde ! Il faut que je la retrouve ! Bordel ! Une robe de cette couleur, ça ne doit pas être trop compliqué à repérer quand même ! Surtout aussi longue ! Les trois quarts des minettes ici portent des robes courtes. D'ailleurs c'est un bon moyen de repérer les filles « méga open » pour ne pas dire autre chose. Entre chasseurs, nous avons l'habitude de nous fier aux vêtements des nanas pour savoir si elles seront faciles à emballer ou pas. La profondeur du décolleté et la longueur de la jupe, en particulier, sont de bons indicateurs pour déterminer leur degré d'accessibilité.
Quand on croise une fille avec une jupe « ras la touffe », on sait très bien que ça veut dire « je suis une proie facile, venez me prendre dans vos filets » ou plus pragmatique... contre un mur dans un petit coin sombre. C'est le genre de gonzesse avec qui on peut passer un moment agréable sans trop se prendre la tête en techniques d'approche.
Dès que la jupe arrive à mi-cuisse, là, elles sont plus difficiles à cerner. On peut tomber sur des nanas qui n'ont pas froid aux yeux, mais aussi des filles qui essaient d'être sexy tout en étant un peu coincées ou qui ont des goûts plus difficiles en matière de mecs et là, les précautions s'imposent dans la prise de contact.
Les filles portant des robes au niveau du genou sont généralement déjà en couple et ne cherchent pas l'aventure ou alors ce sont des nanas qui veulent une vraie relation sur le long terme. Autrement dit, des filles qui n'ont aucun intérêt pour moi, à part pour discuter comme je pourrais le faire avec ma sœur.
La jupe longue jusqu'aux chevilles, c'est autre chose ! Elles peuvent être déjà « en main » ou célibataires. Bien souvent, ça dénote une certaine classe chez la nana donc un niveau d'exigence plus poussé en matière de prise de contact. En général, cela va de pair avec un niveau culturel ou social nettement plus élevé que les « ras la touffe ». Autrement dit, il vaut mieux discuter musique classique et jazz que de rap. C'est le genre de fille un peu plus farouche qu'il ne faut pas espérer déshabiller une heure après avoir fait connaissance.
Bien sûr, ce ne sont que des tendances générales, il y a toujours des exceptions. Si la robe est en dentelle transparente et qu'on voit tout ou presque ou si elle parle comme une poissonnière du Vieux-Port, qu'elle ne dit que des conneries ou se montre très vulgaire dès qu'elle ouvre la bouche, exit la classe ! On sait à qui on a affaire, plus besoin de s'embarrasser de précautions dans la phase d'approche ! De la même manière, on peut tomber sur une fille très difficile d'accès alors qu'elle porte une robe « ras la touffe », mais c'est quand même assez rare. Ceci dit, plus je prends de l'âge, plus je prends conscience que notre classification vestimentaire n'est pas toujours exacte et repose sur quelques préjugés tenaces, quelques idées reçues transmises par la génération précédente. Il faudrait peut-être qu'on revoie un peu notre grille...
Me voilà donc à la recherche de ma robe longue rouge. Je me dirige vers la cour et scanne tous les groupes présents sans déceler la moindre tache écarlate dans le paysage. J'entreprends alors de faire le tour des salles qui accueillent les autres genres musicaux. Je commence par l'ambiance jazz. Je l'imagine aisément écouter ce genre de musique, mais elle n'y est pas. Visiblement, elle n'a pas encore succombé à la beauté du piano et du saxophone. C'est peut-être une bonne chose, car je pourrai l'y entraîner une fois que je l'aurai retrouvée.
Je me dirige alors vers la K've, mais, comme je le craignais, je me fais refouler à l'entrée. Il faut être accompagné par un Gadz'Arts pour pouvoir y pénétrer et bien évidemment, je n'en ai pas sous la main. Si je ne trouve pas ma fille mystère dans les autres salles, je me débrouillerai pour y entrer avec un pote de l'ENSAM.
Ensuite vient le tour de la salle Disco et là c'est la galère ! Il y a un peuple fou et avec les lumières stroboscopiques, il est difficile de distinguer précisément les personnes qui se trémoussent sur la piste. Je passe en revue les filles agglutinées contre les murs, mais toujours aucune trace de la brunette à la robe sang. Renonçant à essayer de distinguer quoi que ce soit dans la masse grouillante qui danse sur YMCA des Village People, je quitte la salle pour poursuivre ma recherche. Il ne reste guère d'options. Si elle n'est pas dans la K've ni la salle Disco, elle ne peut que se trouver soit au Karaoké — bien que je ne l'imagine pas du tout pousser la chansonnette — soit au Chill-Out en train de papoter en goûtant les champagnes proposés. Là, par contre, je n'ai aucun mal à l'imaginer en train de déguster un peu de ce vin pétillant synonyme de classe et de luxe. Je me la représente attablée avec ses copines, une bouteille de champagne dans un seau à glace au centre de la table haute. Elle est assise sur un tabouret de bar, les jambes croisées sur le côté, sa robe fendue laissant apparaître une cuisse fuselée tandis qu'elle porte une flûte à champagne à ses lèvres pour en avaler délicatement une gorgée et... Bordel ! Si je continue à fantasmer comme ça, je vais me retrouver avec une trique d'enfer avant même d'engager la conversation avec elle ! Nathan mon gars, tu as intérêt à te calmer sinon ça ne va pas le faire !
Grosse déception quand j'arrive au Chill-Out. Le petit chaperon rouge n'y est pas ! Le loup qui sommeille en moi est dépité. Mais merde ! Où peut-elle se planquer ? Elle ne s'est pas barrée quand même ! Le bal commence à peine ! Il ne reste plus qu'une seule possibilité... le musée, où est exposé le patrimoine des Gadz'Arts et de leurs traditions depuis deux siècles. Les jeunes ne sont pas légion à y faire un petit tour. En général, le lieu est plutôt fréquenté par les Archis ou les membres des familles des Gadz'Arts qui viennent découvrir l'univers dans lequel leur rejeton vient d'être immergé. Je m'apprête à y entrer quand mon regard accroche une rousse qui en sort en riant. Je la reconnais, pour l'avoir vue en compagnie de la nana à la robe rouge qui m'obsède. Je n'ai qu'à porter mon regard deux mètres derrière elle pour voir apparaître l'objet de ma recherche. Et là, je flashe de nouveau. Je veux cette fille ! Il me la faut !
À moitié dissimulé derrière une décoration en carton-plâtre, je suis des yeux ma cible. Elle est accompagnée de quatre autres filles et, pour l'instant, elles sont seules. Pas de mecs dans leur sillage. C'est tout bon pour moi ! Avant de lancer une offensive, il faut toujours effectuer un repérage pour observer l'ennemi et reconnaître le terrain. Je détaille ses copines ; deux d'entre elles portent des tenues à mi-cuisse, la troisième une jupe froufroutante au niveau du genou et la dernière, une robe presque aussi longue que l'objet de mon désir. Point positif, elles ne sont pas à ranger dans la catégorie « ras la touffe » donc, à priori, pas vulgaires et ce ne sont pas des gamines — entre vingt-cinq et trente ans, je pense — donc elles doivent avoir de l'expérience niveau sexe. Point négatif, elles ne font pas partie de la catégorie « ras la touffe » et sont de vraies femmes donc elles vont être plus exigeantes ; établir le contact va me demander quelques efforts. Et vu la longueur de la robe de ma proie, elle va être plus difficile à embarquer que ses copines court vêtues.
Je suis le petit groupe à distance raisonnable et, à ma grande surprise, je les vois pénétrer dans l'espace karaoké. Je n'aurais jamais imaginé que le chaperon rouge serait du genre à brailler dans un micro ! À peine arrivées dans la salle, les filles vont s'adosser contre un mur tout en discutant pendant que la blonde à la robe courte et moulante va chercher des boissons. Je m'approche discrètement pour tenter d'écouter leur conversation et récupérer quelques infos sur ma cible. Toujours évaluer les forces et les faiblesses de l'adversaire avant de lancer l'offensive. Je suis à moins de trois mètres d'elle quand la blonde revient et distribue les consos et là le choc ! Le petit chaperon rouge se saisit d'une bouteille de Despérados et porte le goulot à ses lèvres. Ben merde alors ! Ça ne cadre pas du tout avec la robe longue super classe ! Exit mes fantasmes de buveuse de champagne. Elle n'est peut-être pas comme je me l'imagine, finalement !
Quelques secondes me sont nécessaires pour me remettre de ma surprise puis je me lance dans une tentative pour analyser la situation. Tout à l'heure, elle a renvoyé le gamin dans ses buts avec perte et fracas, elle a donc du répondant et ne se laisse pas tripoter par le premier venu. Robe longue, pas de maquillage tapageur — elle est loin de ressembler à un pot de peinture ambulant, comme on en croise un peu trop à mon goût — donc d'après son apparence toute gentille, toute mignonnette, elle devrait, en théorie, être du type classe et un brin réservée. Le fait qu'elle se soit intéressée au musée me conforte dans cette idée. Mais d'un autre côté, elle a osé envoyer paître le gosse ; j'en déduis qu'elle est plus farouche que timide. Par contre, la voir boire sa bière au goulot me déstabilise, ça ne cadre pas avec son apparence classe et qu'elle puisse s'intéresser au karaoké me laisse sur le cul. Peut-être se contente-telle de suivre ses copines ? D'ailleurs, lorsque trois d'entre elles vont pousser la chansonnette, sur Alexandrie Alexandra de Cloclo, je remarque qu'elle reste en retrait avec l'autre fille à la robe longue. J'en étais sûr ! Le chaperon rouge n'est pas du genre à se ridiculiser en prenant le micro.
Je déchante bien vite lorsque le trio, une fois la chanson terminée, commence à chahuter gentiment ma cible et sa copine. Au bout de quelques minutes, ma brunette et sa compagne d'infortune se retrouvent propulsées sur le podium, poussées par les trois autres. Ma première impression se confirme : elle est timide, pour preuve, son visage devient aussi rouge que sa robe. Cependant, une fois la bande-son lancée, elle se métamorphose. Les yeux rivés sur les paroles qui défilent, elle commence à chanter et je reste scotché. Contrairement à mes prévisions, elle ne chante pas comme une casserole. Au contraire elle a une très belle voix qu'elle sait moduler à la perfection. Ce n'est pas tant sa voix qui me sidère, mais la chanson qu'elle a choisie. Je n'aurais jamais imaginé qu'une fille comme elle aime Kiss ! Et l'entendre chanter I was made for loving you Baby me fait un sacré effet. Je n'ai qu'une envie : la rejoindre sur l'estrade et l'embarquer sur mon épaule à la fin de la chanson. Qu'elle chante ces paroles ne peut être qu'un signe du destin ! C'est elle qui réchauffera mon lit cette nuit, et pas une autre, ou je ne m'appelle plusNathaniel !
********** Notes bas de page**********
Archis : ce sont les anciens Gadz'Arts
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