9. Cauchemar ~ Nathaniel (version éditée)




Au milieu de la nuit, je me réveille en sursaut, le cerveau activé en mode vigilance. Je reconnais parfaitement les signes d'alerte que mon corps m'envoie. À première vue, je ne décèle aucun danger, aucun bruit suspect. Le léger ronflement qui monte du lit au-dessous du mien m'indique que Clémence dort profondément et qu'elle a un peu le nez bouché. Seuls le ronronnement du chauffage central ou du cumulus et le ventilateur du réfrigérateur viennent troubler le silence de l'appartement.

Alors que la tension de mon corps se relâche, un son insolite active de nouveau mes alarmes internes. Sur le qui-vive, les oreilles aux aguets, j'attends de voir s'il se renouvelle. Quelques secondes plus tard, je l'entends de nouveau. J'identifie un gémissement. Il semble un peu lointain tellement il est ténu, presque imperceptible. Si faible que je me demande si je ne l'ai pas imaginé. Je me concentre pour percevoir le moindre bruit et ma première impression se vérifie quand les geignements augmentent en intensité et se transforment en longues plaintes douloureuses. Rien à voir avec des manifestations de plaisir. Les voisins ne sont pas en train de prendre du bon temps !

Une décharge d'adrénaline me traverse le corps lorsque des sons étranglés semblables à de faibles sanglots se mêlent aux gémissements. Je me dresse aussitôt sur mon lit. Ces bruits semblent venir de notre appartement, de la pièce d'à côté plus précisément.

Merde ! Alexa !

Sans faire de bruit, je me laisse glisser au sol. Inutile d'emprunter l'échelle, ce n'est pas si haut que ça. Un bref coup d'œil à Clémence m'apprend qu'elle n'a rien entendu et qu'elle dort paisiblement. Je referme la porte du coin cabine derrière moi, traverse le petit couloir et entre dans la salle commune. Plus je me rapproche, plus les sanglots sont perceptibles. Je m'arrête devant la porte de la chambre occupée par Alexandra et tends l'oreille. Aucun doute possible, un bruissement de tissu révèle un sommeil agité. Avec précaution, je pousse la porte et pénètre dans la pièce.

La lueur diffusée par le radio-réveil, posé sur la table de nuit, troue l'obscurité et éclaire faiblement la chambre. Mon regard se porte aussitôt sur le lit qui ressemble davantage à un champ de bataille qu'à un lieu de détente. Les draps sont chiffonnés, un oreiller repose en équilibre entre le chevet et le bord du lit, tandis que le second gît à terre, une partie de la couette traîne sur la moquette et mon chaperon rouge a les jambes entortillées dans l'autre moitié. Elle s'agite par intermittence, marmonnant des bribes de phrases indistinctes, entrecoupées de sanglots et de geignements. Soudain, elle pousse un petit cri puis se retourne avec brusquerie dans le lit en émettant un sanglot étranglé, visiblement plongée en plein cauchemar. Je ne peux pas la laisser comme ça en attendant qu'elle se réveille toute seule !

N'y tenant plus, je m'assois sur le lit, l'appelle à voix basse pour tenter de la réveiller en douceur.

— Alexa ? Calme-toi ma belle. Réveille-toi.

Aucun effet. Je n'arrive pas à l'atteindre dans son cauchemar. Ne sachant que faire pour l'aider à sortir de son rêve, je suis mon instinct ; je m'allonge contre elle pour la prendre dans mes bras. Sa peau est glacée sous mes doigts. Après avoir rabattu sur nous la moitié de couette qui traînait au sol, j'entreprends de la réchauffer en la serrant contre moi. Le peau à peau est réputé très efficace pour transmettre de la chaleur. Bien que ma brunette porte une nuisette écarlate, le tissu en est si fin – probablement de la soie – qu'il ne constitue pas un obstacle à notre échange de chaleur corporelle. La bouche dans ses cheveux, je m'emploie à la tirer de son cauchemar :

— Tout va bien, mon ange. C'est juste un mauvais rêve.

Elle gigote un peu, se débat en geignant. J'essaie de ne pas trop l'entraver pour ne pas l'effrayer. Un léger sursaut agite son corps, puis elle se fige en même temps que ses gémissements cessent. Je sais qu'elle vient de se réveiller, mais qu'elle est encore complètement déboussolée par son cauchemar, alors j'attends. Je la laisse reprendre pied dans la réalité en l'étreignant doucement, une main sur sa taille et l'autre enfouie dans ses cheveux. De longues minutes lui sont nécessaires pour calmer les battements affolés de son palpitant. Petit à petit, je sens ses muscles se relâcher au fur et à mesure qu'elle émerge des ténèbres dans lesquelles son cauchemar l'a plongée. Son corps se détend dans mes bras et elle s'amollit contre moi. Son souffle dans mon cou devient plus calme, plus régulier.

— C'est terminé, mon ange.

— Na... Nathaniel ?

— Oui, c'est moi.

— Que... que fais-tu là ? demande-t-elle.

— Tu faisais un cauchemar. Je t'ai entendue gémir et te débattre.

— Je suis dé... solée.

— De quoi ?

— De t'avoir réveillé.

— Y a pas de problème.

Blottie contre moi, elle reste sans bouger pendant un long moment. Le silence n'est perturbé que par ses petits reniflements qui se font de plus en plus rares.

— Parle-moi. Dis-moi ce qu'il y a.

— Ce n'est rien.

— Non, Alexa, ce n'est pas rien. Si ça perturbe ton repos au point que tu pleures et cries dans ton sommeil, c'est important. Il faut que tu évacues ce qui te perturbe à ce point.

Après un long silence, Alexandra finit par avouer :

— Ce qui s'est passé avec Laurent... J'en fais des cauchemars.

— De quel genre ? Raconte-moi.

— Je rêve que... qu'il... abuse de mes petits.

Je ne sais que lui dire. Alors je la serre contre moi en silence pour la laisser raconter la suite sans l'interrompre.

— C'est étrange, je ne le vois pas réellement faire, mais je sais ce qu'il fait. Quand je veux intervenir pour l'en empêcher, je ne peux pas. Je suis attachée, incapable de bouger. Et il... il ricane. J'entends les enfants pleurer. Ils... ils ne me disent rien, mais leur regard est tellement accusateur.

Elle ravale un sanglot, déglutit avant de poursuivre avec difficulté :

— Et après les parents me jettent des pierres en hurlant que tout est... de ma faute. Que je suis com... complice.

— Alexa...

Je n'ai pas le temps de continuer que ma brunette s'effondre en larmes contre mon torse. Elle n'en a pas conscience, mais elle s'accroche à moi. Je perçois sa douleur et son désespoir, mais aussi ce sentiment atroce qui la ronge et dont elle n'arrive pas à se défaire. La culpabilité. Elle se sent coupable de ce qui s'est passé alors qu'elle est innocente de tout ce merdier.

— Écoute-moi, mon ange ! Vous ne savez même pas si ce mec est coupable ou innocent de ce dont on le soupçonne. Et même s'il était coupable, toi, tu n'y es pour rien !

— Tu ne comprends pas, Nathaniel ! J'ai accepté de monter un projet avec lui. Je lui ai confié mes enfants. Je suis responsable d'eux. Et de tout ce qui peut leur arriver.

— Non. En aucune manière, tu n'es responsable des actes des autres !

Je la repousse doucement en roulant sur le côté pour l'obliger à se mettre sur le dos. En appui sur un coude, je lui caresse les cheveux de ma main libre. Je ne sais pas si mon geste a pour but de l'apaiser ou de satisfaire le besoin de la toucher qui me taraude.

— Quoi qu'il se soit passé, ce n'est pas ta faute, Alexa. Tu ne dois pas te sentir coupable.

Malgré la pénombre ambiante, je peux distinguer ses traits sans difficulté, nimbés par la lueur bleutée du radio-réveil. Ses yeux paraissent immenses dans son visage et ils me tiennent sous leur emprise. Ses iris, brillants des larmes qu'elle tente encore de retenir, me fixent avec intensité. Avec quelque chose qui ressemble à de l'espoir. Elle me regarde comme si je pouvais la guérir de ses angoisses. Putain, j'aimerais tellement pouvoir le faire ! Mais je n'ai aucun contrôle sur le bourbier dans lequel elle est plongée avec son boulot, je ne peux pas effacer ce qui s'est passé. Je ne peux qu'essayer de la rassurer, l'aider à penser à autre chose. Je voudrais tellement chasser le désespoir qui marque son visage, les petites rides qui creusent son front, la crispation de sa bouche. Je voudrais la voir sourire à nouveau, entendre son rire comme ce matin sur le télésiège tandis qu'elle se moquait de moi. J'ai la sensation que quelque chose se tord dans mon ventre, ma gorge se serre inexplicablement.

Le besoin ressenti quelques heures plus tôt, lorsque nous discutions de Clémence, se fait de plus en plus fort et je peine à le combattre. Il me submerge lorsque je suis des yeux la course d'une nouvelle larme qui roule sur sa tempe avant de se perdre dans ses cheveux. Je ne peux plus résister. Lentement, j'approche mon visage du sien. De la bouche, je caresse ses paupières, ses joues humides des pleurs qu'elle a versés. Presque malgré moi, je la laisse dériver de son oreille à son menton. Mon nez effleure le sien tandis que j'hésite un court instant à poursuivre ma route. Son souffle chaud vient percuter mes lèvres, mon pouls s'emballe et je cède à mon envie. Lorsque je frôle sa bouche, ses paupières s'abaissent et elle laisse échapper un petit gémissement. Son corps se tend contre le mien, ses lèvres s'entrouvrent et sa respiration s'accélère. Autant de signes qui m'incitent à l'embrasser de manière plus franche. Ce que je fais avec empressement. Ma langue rencontre la sienne, la caresse avec lenteur tout d'abord, puis s'enhardit. Notre baiser a un goût de désespoir. Celui, salé, de ses larmes. Celui des émotions qui nous ont submergés durant toute cette soirée. Il devient plus profond, plus intense. Ses bras se verrouillent derrière ma nuque tandis qu'elle m'attire sur elle. Nos corps s'imbriquent l'un dans l'autre tout naturellement. La sensation de ses seins, à peine voilés par la soie, écrasés contre mon torse nu et de mon sexe pressé contre son entrejambe m'arrache un grognement de plaisir.

Est-ce ce bruit qui la ramène à la réalité ? À moins que ce ne soit la rigidité de mon érection ou le poids de mon corps sur le sien ? Toujours est-il que je la sens se raidir tout à coup.

Ses lèvres échappent aux miennes lorsqu'elle détourne la tête.

— Nathan, non. Je... tu...

Elle semble complètement désemparée, me repousse de ses mots, tout en me retenant de son corps. Je crois qu'elle n'a même pas conscience de s'agripper à moi.

— Alexa...

Elle m'interrompt en posant ses doigts sur ma bouche.

— Non. Ne dis rien. C'est... c'était une erreur, murmure-t-elle en poussant sur mon torse pour m'écarter d'elle.

— Je ne suis pas d'accord.

— Je t'en prie, Nathan... tu étais OK pour qu'on passe cette semaine simplement comme des amis.

— Si c'est ce que tu veux, mais je ne suis pas certain que ce soit le cas, Alexa. Tu en as envie autant que moi.

— C'est parce que je ne suis pas bien en ce moment. Je suis un peu perturbée et...

— Tu n'as pas besoin de te justifier, j'ai compris.

Dépité, je la libère complètement et m'adosse à la tête de lit.

— Ne te fâche pas, s'il te plaît ! me supplie-t-elle.

— Je ne suis pas fâché.

— C'est juste que... que je préfère que l'on continue de se comporter comme de bons amis.

Déçu, je ne peux que soupirer :

— Très bien.

Je lui ai promis de respecter sa volonté et je ne la forcerai pas. En revanche je ne peux pas rester à côté d'elle dans l'état où elle me met. Une douche froide – glacée même – serait le remède à mon problème, mais c'est totalement inenvisageable à cette heure de la nuit. Seule solution : retourner dans mon lit pour m'éloigner d'elle et ne plus être tenté.

— Bon, si tu vas mieux, je te laisse. Dors bien.

Après avoir déposé un chaste baiser sur son front, je me lève et quitte le lit. J'ai à peine le temps de faire deux pas qu'un cri retentit dans mon dos.

— Nathaniel !

Je marque un instant d'arrêt, le temps de me composer un visage impassible puis je me retourne pour l'interroger du regard. Que veut-elle ? Je n'ai pas besoin de me questionner longtemps, car elle tend la main vers moi en murmurant :

— Re... reste.

Perplexe, je la dévisage en silence. Elle me repousse puis elle me retient. Bordel, à quoi joue-t-elle ?

— Tu n'es pas obligé de partir.

— Que veux-tu que je fasse ?

— Pa.. parle-moi. On peut discuter comme des amis, non ?

Non, putain non ! Je ne vais pas y arriver ! Elle ne se rend pas compte de ce qu'elle me demande ! Mon silence semble l'angoisser, car elle retend la main vers moi en murmurant :

— S'il te plaît. Je ne vais pas arriver à dormir avant un moment.

Ses yeux rougis et humides me supplient et je ne peux que céder en soupirant. Tant pis pour ma santé mentale, je suis incapable de la laisser dans cet état. Vaincu, je reviens sur mes pas et me rallonge sur le lit. Elle rampe vers moi, puis se fige à une trentaine de centimètres. Assise sur ses talons, elle hésite, se mordille la lèvre. Comprenant ce dont elle a besoin, mais qu'elle n'ose pas me demander, je lève le bras et la laisse se blottir contre mon flanc avant de rabattre la couette sur nous et de l'enlacer.

À peine pose-t-elle sa main sur mon torse que ça s'agite de nouveau dans mon pantalon de pyjama.

Eh merde ! Tiens-toi tranquille, obsédé !

Je sens que je vais trouver le temps long jusqu'au matin. La tenir contre moi sans pouvoir la toucher comme j'en crève d'envie va être une véritable torture. Surtout avec mon obsédé de manche qui se met au garde-à-vous dès qu'elle est à proximité. Adieu sommeil, bonjour frustration ! J'ai intérêt à trouver une diversion et fissa ! Elle veut parler ? Très bien, on va parler, mais il y a intérêt à ce que la conversation soit suffisamment intéressante pour me faire oublier son corps collé au mien !

— Que veux-tu que je te dise ? De quoi veux-tu discuter ?

— De toi. Raconte-moi les moments forts de ta formation à l'École de l'air.


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