3 octobre
« Le cœur n'a pas de rides. »
Marquise de Sévigné
3 octobre 2017
Je m'installais près de la porte dès que j'en avais l'occasion. Je sortais généralement en premier des cours, mais Fatima arrivait toujours à me rattraper.
L'heure de français se déroula comme d'habitude : chiante et terriblement longue. Le prof se lançait toujours dans des cours magistraux sans intérêt, malgré la passion que l'on pouvait voir dans ses yeux. Les notes que nous prenions n'avaient aucun sens, il nous parlait de Zola ou Corneille, avant d'inévitablement dériver sur Aristote. Il vouait un culte à cet homme.
J'avais cessé d'écouter depuis longtemps, mon stylo entre mes doigts traçait de petits cercles sur ma feuille. Cela faisait quatre jours que je pensais à sa voix. Je ne l'avais plus entendue depuis qu'elle était partie, et ç'avait été un choc de la retrouver cette nuit-là. Cette nuit-là... l'hypothèse d'un songe m'avait évidemment traversée l'esprit, mais je n'avais plus pensé à elle depuis des années. À vrai dire, même si je n'en était pas fier, j'avais oublié le son de sa voix. Je ne m'étais pas rendu compte à l'époque du trésor qu'il représentait, si j'avais su, j'aurais profité de chaque moment passé à l'écouter parler. Alors non, je n'avais pu inventer ce moment. On n'inventait pas une fille comme elle.
Je sortis de la classe dès que la cloche sonna, entendant à peine les devoirs que nous donnait le professeur. J'étais bientôt mêlé à la foule de lycéens se dirigeant vers le hall. Je passais la récré à faire réviser Philippe, il avait un contrôle de maths. Fatima me demanda de lui donner un bout de mon cookie, j'acceptai pour qu'elle me fiche la paix.
Vers midi, Mélanie s'assit à notre table, comme elle le faisait depuis quelques semaines maintenant. Elle était en face de moi, et s'appliqua à m'ignorer tout le repas. J'étais content qu'elle m'évite, j'aurais eu du mal à ne pas la frapper si elle m'avait fait des crises.
- Hé Philippe, je ne sais pas si tu es au courant, mais Louis m'a demandé d'être sa copine.
Je ne cillai pas. Je savais que Mélanie disait cela bien fort pour que je l'entende, mais je m'en foutai. Je continuai à manger ma salade sans lui prêter attention.
- Vu comment tu le dragues aussi...
Phil se prit un coup de coude dans les côtes mais continua de rire. Mélanie aimait les garçons, cela n'était plus à prouver. Et c'était réciproque. Elle jouait toujours avec ses longs cheveux châtains, battait des paupières et souriait timidement. Tout le monde tombait dans le panneau.
- Ca ne te dérange pas si j'accepte Adam..., m'immisça sournoisement Mélanie.
Elle toucha ma main droite en me lançant un regard innocent. Je dégageai sa paume et la regardai, dégouté. Elle m'observa, mimant l'incompréhension, puis prit un air triste.
- Je rêve ou t'es en train de lui demander la permission ? entendis-je tout à coup.
C'était Raphaëlle, une grande blonde de notre classe qui s'était exclamée. C'était elle l'amie de Fatima qui, parfois, restait avec nous.
- Meuf, si tu veux sortir avec un mec, fais-le et fous nous la paix, finit-elle en ajoutant un ou deux jurons.
Sa vulgarité et sa franchise lui enlevait toute féminité : elle crachait, jurait et frappait sans vergogne.
Je ne répondis rien et lançai un regard à Raphaëlle. Elle n'aimait pas grand monde, et surtout pas Mélanie. Cette dernière sourit, et se mit même à rire légèrement.
- Je n'ai pas l'intention de sortir avec lui de toute façon, affirma l'adolescente.
Elle se leva et partit en laissant son plateau à demi entamé sur notre table.
En sortant du lycée, j'allai voir Anne-Sophie comme à l'accoutumé. Son magasin était vide, il n'y avait que la radio qui brisait le silence. Ma tante était sur son téléphone lorsque j'entrai dans l'échoppe. Elle ne releva même pas la tête quand je m'assis sur une des chaises du magasin.
- Tu es en retard darling, me fit-elle remarquer.
- Ma prof principale voulait me parler.
Ce n'était pas totalement faux. Elle m'avait interpellé à la fin des cours pour me faire la morale sur mon attitude en classe, mais cela avait duré une dizaine de minutes tout au plus. À vrai dire je m'étais attardé parc. Je passais tous les jours par là pour rentrer, mais depuis cette nuit-là... Chaque fois que j'avais du temps libre, j'allais là-bas. Je ne savais pas ce que j'espérais : la revoir ? Ou à l'inverse, me convaincre qu'elle ne reviendrait pas ? Cette histoire m'obsédait et j'en avais marre.
- C'est pas parce que ton père est un idiot que c'est mon cas. Qu'est-ce qu'il t'arrive ?
- Pourquoi faut-il toujours que tu nous insultes ? demandai-je en occultant sa question.
Anne-Sophie haussa les épaules et tapa un message sur son portable. Je soufflai et m'installai plus confortablement sur le siège.
- J'accepte de te le dire si tu ne m'obliges plus à nourrir Le Chat.
Anne-Sophie accepta et éteignit son téléphone. L'attention qu'elle me portait et son regard me mirent mal à l'aise, mais j'avais besoin d'en parler. Et ce n'était sans doute pas avec Antoine ou Philippe que j'allais me sentir mieux.
Je lui parlais de me balades nocturnes, de mon manque d'intérêt pour quoi que ce soit, de Fatima et Mélanie, même. J'omis volontairement le fait que je fumais : peut-être que mes balades au parc ne la choquaient pas plus que cela, mais si elle avait appris que je me détruisais la santé, j'aurais pris très cher.
Alors que j'avançai dans mon récit, vint le moment où je dus lui parler d'elle.
- Tu penses que c'est Agathe, comprit ma tante sans que je n'ai besoin de la mentionner.
Anne-Sophie me connaissait décidemment plus que bien.
- J'en suis sûre, mais je n'ai aucune preuve.
Ma tante soupira et s'étendit sur le comptoir en enfonçant sa tête dans ses bras. Il y eut un long silence et je commençai à m'agacer de ce manque de réaction.
- Et donc ? Tu m'as dit de te parler, c'est fait. Tu vas me laisser comme ça ? m'emportai-je en donnant un coup de pied dans son comptoir.
Le silence perdura encore quelques instants ; je me levai et ramassai mon sac sur le sol. Je tenais déjà là poignet de la porte lorsqu'Anne-Sophie se mit à parler :
- Je pensais que tu l'avais oubliée, à vrai dire.
J'arrêtai tout mouvement.
- Je n'avais pas pensé à elle depuis longtemps, admit ma tante, le regard vague. Qu'est-ce que tu feras si elle est vraiment revenue ?
Je me retournai et croisai le regard sérieux d'Anne-Sophie.
- Je la tuerai pour être partie, déclamai-je avant de quitter le magasin.
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