28 septembre (Réécrit)


Réécrit

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« Tout bonheur que la main n'atteint pas n'est qu'un rêve. »

Joséphin Soulary

28 septembre 2017

          Fatima avait pris l'habitude de rester avec moi pendant les poses et le déjeuner. Sa compagnie n'était pas particulièrement agréable, mais elle ne me dérangeait plus. Elle avait l'air de s'en accommoder, contrairement à son amie masculine, Raphaëlle. Antoine essayait sans cesse de draguer la jeune algérienne, mais elle le rembarrait toujours. J'avouais que leurs échanges me faisaient parfois sourire, Fatima semblait immuniser contre les charmants yeux verts de mon ami.

          Les cours n'étaient pas si difficiles que ce que l'on nous avait raconté, les professeurs nous prenaient presque tous pour des attardés ; le plus déplorable étant sans doute qu'ils n'avaient pas tort. Sans être exceptionnel, le lycée avait un côté répétitif agréable. La monotonie de mes journées ne se voyait troubler que lorsque mes yeux se posaient sur une chevelure brune trop longue, ou encore lorsque Mélanie se trouvait être près de moi.

          Je quittai mon dernier cours de la semaine en pensant au lendemain. J'avais passé les deux derniers vendredis au parc, de nuit, et je devais bien avouer que cela me plaisait. Papa passait tous ses week-ends chez ma grand-mère, près de Paris ; il partait tôt le samedi, et maman travaillait toute la journée. J'étais donc libre de veiller jusqu'au matin si je le voulais. Mais la fatigue ne tarderait pas à se faire ressentir, je m'étais déjà assoupi lors de mon précédent cours.


          J'avais depuis longtemps fini mes devoirs, j'allais donc prendre une douche dès que le repas fut fini. Je m'apprêtai à monter lorsque papa m'interpella :

          — Adam, on aimerait te parler un peu, osa-t-il doucereusement.

          Je regardai mon père d'un œil suspicieux. Avaient-ils découvert que je fumais ? Ma mère s'installa à côté de mon paternel, et je m'assis en face d'eux.

          — On a remarqué que depuis la rentrée tu es, elle marqua un temps de pause, plus distant. Tu ne nous parles jamais du lycée, tu t'es fait des amis là-bas, au moins ? demanda ma mère, une lueur d'espoir dans le regard.

          — Il y a une fille qui me suit, répondis-je simplement.

          Maman lança un regard clair à papa, qui se décida à prendre la parole :

          — Tu sais, si tu as quelque chose dont tu veux parler, on est là. Que ce soit l'école, les copines, les copains, le sexe...

          — Sérieux, on a déjà eu cette discussion je ne sais pas combien de fois. Je ne suis pas très émotif, c'est tout, vous n'avez pas à vous en faire, argumentai-je pour en finir au plus vite.

          Mes parents acquiescèrent légèrement et je me levai en soupirant. Plus tard dans la soirée, mon père était venu me voir. Il m'avait expliqué que maman était stressée car il ne trouvait pas de boulot. Nous avions de l'argent de côté, et le poste de chef de produit publicitaires de ma mère nous assurait une certaine marge financière. Je n'avais pas à m'inquiéter de ces affaires d'adultes.

          Après qu'il fut parti, je repensai à cette lettre que j'avais trouvée dans le salon en rentrant du lycée quelques jours plus tôt : elle nous demandait environ mille deux cents euros de soins médicaux non remboursables. Pour les trois mois à venir. Les images de ma mère à l'hôpital revenaient sans cesse devant mes yeux, mélangées au regard troublant d'une Agathe passée.

          J'arrivai au parc aux alentours d'une heure du matin. Le ciel était dégagé et il n'y avait qu'un minuscule croissant de lune s'échappant du tableau sombre de la nuit. Je m'appuyai contre le saule pleureur que j'avais repérer les semaines passées, sortis mon paquet de cigarettes et reproduisis mon rituel nocturne. Je relevai la tête après quelques bouffées et restai sans voix.

          J'observai le ciel, la cigarette entre les doigts, sans oser bouger. Les milliers de lucioles qui s'offraient à moi m'éblouissaient. Je n'avais pas pris le temps d'observer la nuit depuis longtemps, mais une semaine plus tôt, j'avais redécouvert l'immensité qu'elle m'offrait.

          Les étoiles brillaient presque autant dans le ciel que dans mes yeux lorsque je contemplais Agathe. Je me levai, avançai tout en regardant le néant illuminé. J'aimais la sensation que je ressentais. Un léger vent glissait sur mes joues, éparpillant l'odeur de fumée entre les arbres. J'écrasai ma cigarette dans l'herbe et soupirai doucement.

          Je baissai les yeux et observai le paysage qui m'entourait alors. Je n'avais pas remarqué que j'avançais toujours, et je ne reconnaissais pas vraiment l'endroit où j'avais atterri.

          Le parc était plutôt grand : une dense forêt s'étendait sur tout le nord-ouest. Les quelques hectares restants se composaient d'une aire de jeux et de collines qui surplombaient la ville à l'est, et les champs au sud. J'étais donc au sud. Il n'y avait aucune lumière humaine, je n'entendais même pas l'habituel boucan du centre-ville.

          J'inspirai longuement, mes yeux se posaient çà et là sur les champs, les étoiles, le néant. J'étais obscur dans la nuit solitaire. Quelques oiseaux s'envolèrent, faisant résonner l'écho de leurs ailes. Seul le bruit de ma respiration perçait le silence, souffle chaud dans l'atmosphère glaciale.

          Depuis longtemps, j'avais l'esprit lasse. Il n'était pas lasse de pensées, mais de penser. Ni intérêt, ni passion, ni curiosité : j'étais vide. Pourtant à cet instant, alors que le silence qui m'entourait n'était plus, je me demandai enfin à qui appartient cette voix ? Une image s'immisçait sans arrêt dans mon esprit, mais je ne pouvais y croire.

          J'avais déjà fait le tour de l'aire de jeux et des collines lorsque je m'enfonçai dans la forêt. Il était vraiment tard, je devais me dépêcher avant qu'un gardien ou je ne savais qui ne débarque.

          La mélodie que je percevais jusque-là semblait s'être éloignée, puis rapprochée, tandis que je bougeais. Mes pas sur l'herbe ne faisaient aucun bruit, et le vent qui s'était levé portait l'écho de la musique qui voguait à travers les arbres. Je marchai de plus en plus vite, de plus en plus loin, suivant le son de sa voix.

           Je n'utilisai pas mon téléphone pour m'éclairer, je distinguai déjà la forme des épineux. Je serrai fermement la lanière gauche de mon sac en apercevant la lisière du bois s'approcher, et avec elle la voix si douce qui s'éveillait. Je ralentis, et les notes me parvinrent alors clairement. Je m'arrêtai et calmai ma respiration, ne pouvant croire à ce qui se déroulait.

          C'était Agathe, je ne pouvais avoir aucun doute, mais que devais-je faire ? La peur et l'excitation me paralysaient, si je faisais un pas de plus, elle s'envolerait sans doute, comme elle l'avait déjà fait.

           Elle était là, je ne la voyais pas encore mais sa voix bien réelle me suffisait à en être sûr. L'occasion de la revoir se présentait à moi avec si peu de sens que s'en était provocant. Pourtant, je ne pus que fermer les yeux, et succomber lentement à la chaleur qui se répandait en moi. Les mots dansaient autour, ils me réconfortaient, m'apaisaient, me transportaient comme seule Agathe pouvait le faire.

          Je repensai soudain à sa fuite et mon cœur implosa lentement sans que je ne l'en empêche. Mes jambes me démangeaient, l'envie de courir après Agathe me prit et tout mon corps s'embrasa d'une flamme que je ne connaissais pas. Un sentiment nouveau, un sentiment de vivre se forma au creux de mon ventre, comme pour mieux se déverser dans mes membres.

          Alors j'ouvris les yeux, et la voix qui résonnait toujours me guida à travers les arbres et les étoiles. Aucune des étoiles qui brillaient dans le ciel noir n'aurait pu rivaliser avec le feu d'artifice qui se jouait en moi.

          La seule chose qui aurait pu m'atteindre aurait été le silence. Et ce fut avec cette pensée qu'il s'imposa de lui-même, tel un enfant sadique se jouant de mes émotions. Mais ce n'était pas lui qui se jouait de moi : c'était Agathe.

         Bien vite, mon cœur et ma respiration saccadée furent les seuls bruits environnant. Le chant qui me portait vers un avenir incertain et palpitant s'était dissipé, et malgré les cris que je me mis à pousser, je finis ma nuit seul. Agathe n'apparut pas de derrière un arbre, ni de derrière moi, puisqu'Agathe ne vint jamais.

         Elle était partie, à nouveau ; et avec elle venait de s'évaporer le seul espoir de penser.

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