16 août (Réécrit)

Les chapitres seront très courts, c'est pourquoi je posterai assez souvent. Merci de lire, passez un bon moment !

Réécrit

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« On n'est jamais si heureux ni si malheureux qu'on s'imagine »

La Rochefoucauld

16 août 2017

Le mois d'août était sans doute le plus long de l'année. Antoine et Philippe étaient partis respectivement à Nice et Venise. Chaque année, je me retrouvais seul à travailler avec ma tante dans son magasin de vêtements. Bénévolement, bien sûr.

J'attendais avec impatience le retour en classe. Les années précédentes, je me trouvais toujours avec mes amis, grâce à la mère de Phil qui trônait au poste de directrice ; mais l'entrée au lycée nous mettait dans une position incertaine. Les gars n'avaient aucun problème à se socialiser, moi en revanche, je n'adressais la parole qu'à trois personnes au collège : Antoine, Phil et l'infirmière.

  Encore dix-huit jours.

Le matin, je ne déjeunais pas. Je retrouvais tous les jours Anne-Sophie dans sa boutique à sept heure et demie pétantes : je ne supportais pas les retards, l'heure était faite pour être respectée. Mes journées étaient réglées à la minute près, pourtant cela ne les empêchait pas d'être d'un ennui profond.

Ce matin-là ne dérogeait pas à la règle. Je passai la porte arrière de l'échoppe à l'heure, et y retrouvai ma tante endormie sur la caisse. Elle arrivait toujours une heure avant moi, pour arranger les comptoirs et tout préparer ; et tous les matins je l'observais ronfler dans le petit magasin.

— Anne-Sophie, prononçai-je, déjà agacé.

Un ange passa.

— Anne-Sophie ! m'exclamai-je à nouveau.

Le deuxième vent que je me pris me fit soupirer, je me résignai alors à utiliser la seule chose capable de la réveiller.

Anne-Sophie renifla quelques secondes avant que ses paupières ne s'ouvrent brusquement et qu'elle se jette sur le billet avec violence.

Tous les matins ou presque, je devais sacrifier cinq euros pour qu'elle daigne se réveiller. Je commençais même à penser qu'elle simulait son sommeil pour me voler quelques billets.

— Je suis heureuse que tu me connaisses si bien, darling.

— Tu crois que mes parents vont te laisser me prendre mon argent de poche si je leur dit ? menaçai-je sans grande conviction.

— D'après toi Adam, qui croiront-ils entre un petit adolescent en crise et une respectable adulte telle que moi ? ricana ma tante en rangeant le billet dans sa poche.

Je plissai les yeux et secouai la tête. Cette femme était incorrigible.

Le magasin était déjà peaufiné telle qu'Anne-Sophie le voulait. La caisse sur laquelle elle dormait jusque-là donnait une vue sur les rayons ainsi que l'entrée. Ma tante ouvrir la porte de l'échoppe et remonta le rideau de fer qui nous séparait de la rue. Notre petite ville commençait à peine à s'éveiller, mais quelques salariés se trouvaient déjà à rouler sur les routes étroites et recouvertes de pavés.

— Tu veux bien aller dans la réserve nourrir Le Chat, tu serais un amour de petit garçon, piailla ma tante en revenant vers la caisse.

Elle me pinça les côtes et je grimaçai, tant pour son geste que pour sa demande.

J'avançai jusqu'au fond du magasin, du côté des vêtements pour femmes enceintes, et empruntai la porte réservée au personnel. Personnel se composant de ma tante, et de moi lorsque j'en avais le temps.

J'appuyai sur l'interrupteur à ma droite et attrapai le bocal à moitié vide sur l'étagère d'à côté. J'avançai avec prudence, mes yeux inspectaient scrupuleusement la pièce remplie de cartons que je devais éviter.

Mon cœur battait à tout rompre et j'étais sûr qu'Anne-Sophie savait quel effet Le Chat provoquait sur moi.

Une fois tout au fond de la réserve, je m'abaissai au possible, faisant craquer mes articulations au passage, et posai le bocal à terre. J'observai la cage avec une mine dégoûtée, et me demandai pourquoi j'en étais encore réduit à ça.

— Tu te dépêches un peu ? Il doit mourir de faim ! s'exclama théâtralement Anne-Sophie depuis l'entrée.

— Pourquoi tu ne le nourris pas toi-même alors ? m'énervai-je en lui lançant un regard mauvais à distance.

J'entendis ma tante ricaner de loin. Je soupirai de résignation et ouvrai finalement le pot en verre. J'attrapai une poignée de mouche tout en mimant un haut-le-cœur. Je balançai vite-fait les insectes inertes dans la cage et essuyai rapidement ma main sur mon jean. Le Chat ne tarda pas à arriver et à entourer ses proies déjà vaincues dans un épais tombeau de toile.

Je fermai précipitamment le bocal et détalai loin de cette horreur, butant contre quelques cartons pleins de vêtements au passage. Je posai le pot, éteignis la lumière et fermai la porte en priant, comme à chaque fois, pour ne plus avoir à recommencer cela.

— Bah tu vois, se moqua ma tante, il ne t'a rien fait.

Anne-Sophie m'observait, le sourire mutin, alors que je reprenais ma respiration, plaqué contre la porte. Cette femme était un véritable démon.

— Comment peux-tu t'occuper d'une araignée géante ? questionnai-je, toujours abasourdi.

— Bah, commença-t-elle en haussant les épaules, je ne peux pas avoir de gosses, alors je me rabats sur ce que je trouve.

— Mais ce truc est juste ignoble, tu n'aurais pas pu choisir un chien, comme tout le monde ?

Elle me regarda en grimaçant.

— Les chiens, je ne les aime que dans les hot dogs, et puis ce n'est pas parce qu'il est poilu et moche que Le Chat n'a pas besoin d'amour ! C'est vrai, regarde toi, darling. Si les gens s'arrêtaient à l'apparence, toi et moi, nous serions foutus, acheva-t-elle en défroissant une jupe exposée sur un mannequin trop pâle.

Je coupai court à la conversation après qu'elle m'ait comparé à l'ignominie qu'elle protégeait. En dehors de cela, j'avais l'habitude qu'elle me rabaisse tant physiquement que moralement. Elle n'avait aucun scrupule, et par-dessus tout, aucune honte, aucune faiblesse. Alors oui, c'était un démon.

La journée passait toujours avec une lenteur exagérée. Nous allions chaque jour déjeuner au parc près du magasin, de midi à quatorze heures.

Dans l'échoppe, je restais simplement sur une chaise, à observer passivement les clients. Ce jour-là, une soixantaine de personnes environ avaient arpenté les rayons colorés : je passais le plus clair de mon temps à les juger, ou écouter leurs conversations. Cela me rappelait le temps passé avec Agathe.

Je secouai la tête et fermai mes yeux très fort pour ne plus y penser. Agathe était partie depuis longtemps, et son absence ne m'affectait plus. Je ne ressentais plus rien pensant elle ; plus rien sinon les pincements que mon cœur subissait alors que sa cadence ne cessait d'accélérer.

Agathe faisait partie de mon passé, et comme me l'avait répété Anne-Sophie lorsque j'étais au plus bas : avancer sans elle était la seule chose que je puisse faire.

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