Chapitre 33 - Retour à la maison
Je me redresse, je me trouve au beau milieu d'un champ. Je me sens désorientée, tous ces sons, toutes ces couleurs. Depuis combien de temps n'ai-je pas humé l'air frais de la campagne. Je me protège les yeux de mes mains. J'avance et je m'allonge sur le sol. J'ai besoin de m'imprégner de mon environnement, de me réhabituer à la réalité. Au-dessus de moi, le ciel bleu. Un bleu clair, doux. À ma gauche quelques arbres et une étendue d'herbe. Jamais je n'aurais cru de ma vie, être autant émerveillée par la beauté du monde. Du vert, du bleu, du jaune. Même le gris du bitume que je peux apercevoir à quelques dizaines de mètres du champ me semble agréable.
Je ferme les yeux et respire profondément. L'air froid pénètre mes poumons, me faisant presque mal. Je caresse les brins d'herbe sous mes doigts, les sentant courir le long de mes paumes, chatouillant ma peau. La brise s'engouffre dans mes cheveux, les faisant gentiment virevolter autour de mon visage. Le vent enveloppe mon corps de son souffle frais et pour la première fois depuis longtemps, je sens les commissures de mes lèvres se soulever en un sourire. Je prends le temps d'apprécier ce moment de bien-être, de liberté, tout en sachant que je vais bientôt devoir revenir à la réalité. J'ai fui, mais mon épreuve n'est pas derrière moi. Bien au contraire, le plus dur reste sans doute à venir.
Mon cœur se serre quand je repense à Kathy. Il y a peu de chances pour qu'elle survire à ses blessures. Et si tel était le cas, je ne pense pas qu'Hygeia la laisse s'en sortir sans représailles.
Je me lève et j'observe mes environs. Au loin, je peux apercevoir les immeubles de la ville déformer l'horizon. Le fleuve qui traverse la capitale coule à quelques centaines de mètres de l'endroit où je me trouve. Si je veux rejoindre la base, je n'ai pas d'autre choix que de longer le cours d'eau. Les muscles endoloris, je me dirige vers le lit de la rivière qui me servira de fil d'Ariane.
Je marche des heures durant. Les bâtiments me semblent toujours aussi loin. J'avance, inlassablement, essayant de me focaliser sur mon objectif ; retrouver mes amis, ma sœur. Le hangar familier apparaît enfin dans mon champ de vision. Mon cœur s'emballe et mes jambes se mettent à bouger par elles-mêmes, comme commandées par une force extérieure. Je me mets à courir, espérant atteindre l'endroit où se cachent mes amis le plus vite possible. Deux ombres surgissent au loin, puis trois, puis quatre. Je le sais, ce sont eux. C'est à ce moment que mon corps meurtri décide de lâcher prise. Je m'effondre au sol, secouée de sanglots et quelques secondes plus tard, je sens deux bras m'enrouler et me serrer fort.
Je lève les yeux quand une autre personne me percute et m'enlace également. Il ne me faut pas longtemps pour me rendre compte que ce sont Claire et Chris qui sont avec moi. Nos larmes et nos rires se mêlent. Nous ne parlons pas, mais nos émotions le font pour nous. Chris me porte jusqu'à la base. J'entends mes amis me parler mais je n'ai pas la force de leur répondre. Avec délicatesse, il m'amène jusqu'à ma chambre et me dépose sur le lit. Sans m'en rendre compte, mes yeux se ferment et je m'endors déjà.
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Je passe des moments un peu flous, entre le songe et l'éveil. Je sais que Chris et Claire passent la plupart de leur temps à mon chevet. J'ai aussi cru apercevoir Lucas et la petite Juliette. Mais la plupart du temps, je ne reste pas éveillée assez longtemps pour avoir une réelle conversation. Ce n'est que deux jours plus tard, que je sors réellement de ma torpeur. Je me lève avec précaution, mes jambes sont encore tremblantes, mais assez fortes pour me soutenir.
Alors que j'arrive dans la salle commune, Juliette qui dessine assise à la grande table, lève les yeux sur moi. Dès qu'elle me voit, son visage se fend en un sourire radieux.
— Lola ! me crie-t-elle en se précipitant sur moi.
Je vacille un peu, mais parviens à garder l'équilibre. J'enroule doucement mes bras autour de la jeune fille.
— Bonjour Juliette, je suis contente de te revoir.
Alertée par le son de nos voix, Carole sort de la cuisine.
— Lola ! Tu es réveillée. Viens par ici, je vais te préparer un bon repas.
Le sourire aux lèvres, je suis Juliette et Carole dans la cuisine. La femme s'affaire aux fourneaux ; omelette, petits pains avec du beurre, fromage, jus de fruits... elle me prépare un repas de luxe. Alors que Carole apporte la nourriture sur la table, elle se tourne vers Juliette.
— Ma puce, peux-tu aller prévenir les autres que Lola est de nouveau sur pied ?
Je commence à manger, reconnaissante envers Carole et sa bonté. D'ailleurs, elle s'assoit à côté de moi et prend ma main dans la sienne. Son regard est doux et réconfortant, comme celui d'une mère aux petits soins de son enfant malade. Je ne peux pas m'empêcher de faire le parallèle avec ma propre génitrice. Je sens que c'est quelque chose d'inné chez Carole, elle prend soin des autres comme elle respire.
— Où sont les autres ? je lui demande, curieuse.
— Ils sont tous en réunion. J'ai préféré rester ici pour une fois. Après tout ce qu'il s'est passé, je préférais m'occuper de Juliette et puis, il fallait que l'un de nous reste disponible au cas où tu te réveillerais. Apparemment, c'était une bonne idée.
Je lui souris alors que j'entends des pas dévaler les escaliers dans la pièce d'à côté. La porte s'ouvre en grand et ma petite sœur se rue dans la cuisine criant mon nom. Les larmes aux yeux, je me lève pour la serrer dans mes bras.
— Je suis si contente de te revoir, je lui murmure.
— Moi aussi, Lola. J'ai eu tellement peur !
Je sens une présence près de moi, et quand je lève les yeux, je vois Chris. Ma sœur s'écarte lentement, pour le laisser s'approcher de moi. Nous nous fixons dans les yeux pendant un moment, sans un mot, comme si nous ne réalisions pas d'être enfin réuni. Chris fait un pas de plus et pose sa main sur ma joue. Je ferme les yeux au contact de sa peau, sentant sa chaleur se diffuser sur mon visage. Le brun pose son front sur le mien le temps de quelques instants. Puis, il se redresse la mine sérieuse.
— Ella demande si tu veux te joindre à nous ? Il y a eu du nouveau pendant ton absence.
— Attends, Chris ! Elle vient tout juste de se réveiller, Carole semble scandalisée par la requête d'Ella.
— Non. Chris à raison. J'ai aussi plein de choses à vous raconter. Il n'y a pas de temps à perdre.
Je me tourne vers Carole pour l'enlacer et la remercier et suis les deux autres à l'étage. Quand j'entre dans la pièce, Ella, Lucas et Simon se lèvent pour m'accueillir. Les deux hommes s'approchent et me prennent chaleureusement dans leur bras pour me souhaiter la bienvenue, et même Ella me fait un sourire ce qui, venant d'elle, est un acte d'une extrême bonté. Cependant, quelque chose m'inquiète. Il manque une personne au groupe. La boule au ventre, je demande :
— Où est Max ?
Les visages se ferment et les regards se baissent. Je m'attends à recevoir la pire des nouvelles le concernant. Ella soupire et prend la parole.
— Après ton enlèvement, nous nous sommes précipités pour essayer de venir en aide à Max. Malheureusement, il était trop tard. Il avait perdu beaucoup de sang. Pour le moment, Max est toujours à l'hôpital plongé dans un profond coma. Son pronostic vital est toujours engagé et les médecins ne savent pas s'il se réveillera un jour.
Je déglutis difficilement. La nouvelle est dure à encaisser. La culpabilité et la tristesse m'atteignent, mais j'essaie de ne pas me laisser envahir par mes émotions. Il semblerait que mon séjour au labo ait été bénéfique à ce sujet. J'essaye de garder la tête froide.
— Chris m'a dit que vous aviez pas mal de nouveautés à me dire ? J'ai juste une question avant de commencer. J'ai totalement perdu la notion du temps là-bas...
— Deux mois.
C'est Chris qui me répond d'une voix assez dure et vide d'émotion.
Je lève les yeux vers lui et me rends compte que sa voix est tout à l'opposé de ce qu'il doit réellement ressentir. Ses yeux sont brillants et son visage est déformé par la douleur. Claire étouffe un sanglot dans son coin et je vois Lucas immédiatement enrouler un bras autour de ses épaules et la rapprocher de lui. Perdue dans ma contemplation, Ella doit se racler la gorge pour me ramener à la réalité.
— Bien... Tout d'abord, je tenais à m'excuser de la part de tout le groupe. Nous avons essayé Lola, nous avons fait des tours de ronde, contacté notre source au sein du bâtiment, mais impossible de savoir où tu étais. Et avec Max en moins, foncer tête baissée à ton secours aurait été une mission suicide.
Je hoche la tête. Je comprends parfaitement la situation dans laquelle ils se trouvaient et je ne leur en veux pas. La blonde reprend.
— Cependant, nous avons élaboré un plan. Même si nous arrivons à les détruire, d'autres personnes prendront la place d'Elsa à la tête d'Hygeia et rien ne changera jamais. Le nouveau plan est de dénoncer leurs actes grâce à un transmetteur qui fera le relais entre ce qui sera filmé à l'intérieur du labo et les réseaux sociaux. Claire est la seule ici qui est encore vivante officiellement. Elle est juste portée disparue pour l'instant. On se servira donc de ses réseaux pour diffuser les informations. Et comme Claire est une future avocate très brillante, elle n'aura aucun mal à traîner Hygeia en justice.
— Oui ! J'ai déjà des contacts avec des cabinets d'avocats, je suis sûr qu'ils seront ravis de reprendre l'affaire. Claire semble tellement enthousiaste.
— Ce n'est pas fini, continue Ella, Claire est aussi la seule héritière de votre mère. C'est donc elle qui pourra reprendre la tête d'Hygeia pour en faire une entreprise plus éthique.
Je suis bouche bée. Le plan n'est pas mauvais, mais très risqué. Cependant, quelque chose me chiffonne.
— Attendez... Qui va aller filmer ce qu'il se passe au labo ?
— C'est moi, me répond Ella, j'ai encore des comptes à régler avec eux.
— Je dois aussi vous informer de quelque chose... Peu de temps avant que je m'échappe, Mam... je veux dire Elsa, m'a montré une salle. Une salle remplie de leurs archives et expériences. Si nous voulons réellement les empêcher de nuire, il faut faire disparaître cet endroit. Sinon, comme tu l'as dit, quelqu'un rebâtira une entreprise similaire ailleurs et reprendra les travaux où ils se sont arrêtés.
Ella sourit, elle semble satisfaite de la nouvelle que je viens de leur donner.
— J'avais déjà entendu parler d'un endroit pareil. Tu saurais m'indiquer où cette salle se trouve ?
Nous continuons à peaufiner le plan encore pendant plusieurs heures. J'essaye de me rappeler au mieux l'emplacement de la salle des archives, pour pouvoir l'expliquer à Ella. Lucas nous parle aussi de son équipement. C'est une caméra tellement petite, que personne ne devrait pouvoir la remarquer, même s'ils fouillent Ella. D'ailleurs, cette dernière semble plutôt déterminée. J'ai soulevé plusieurs fois le fait qu'elle allait sans doute y laisser la vie si elle retournait là-bas, mais la jeune femme est bien trop têtue. Elle ne démord pas de son plan.
Il est tard quand je reviens dans ma chambre. Je m'allonge dans mon lit et fixe le plafond. Soudain, je me sens seule. Seule et prisonnière. Les images de la chambre où j'ai été enfermée pendant deux mois remontent à ma mémoire. Je me lève et je me dirige vers la chambre de Chris. Sans même frapper à la porte, je l'ouvre. Le jeune homme, torse nu, est en train de se mettre en pyjama.
Quand il m'entend rentrer, il se retourne. Je ne peux pas détacher mes yeux de lui. Il m'a tellement manqué.
— Tu apprécies la vue ? me demande-t-il dans un rire.
— Plutôt.
Ma réponse le fait rougir et je souris. Je m'approche de lui et pose une main sur son épaule, faisant doucement courir mes doigts le long de son bras. Un frisson le parcourt et il me prend dans ses bras. Enfin, nous retrouvons notre intimité, nous imprégnant chacun de la présence de l'autre. Très vite, nos mains se mettent à explorer l'autre et nous finissons sur le lit à nous embrasser passionnément. Je savoure chaque instant de cette étreinte. J'ai rêvé tant de fois pouvoir l'avoir de nouveau auprès de moi, que ce moment me semble presque irréel. Il me regarde droit dans les yeux à l'affût de la moindre de mes réactions. Enfin, le corps engourdi et l'esprit rempli d'amour, nous nous endormons.
Le lendemain, je me réveille dans les bras de Chris. Je me retourne doucement vers lui et l'embrasse tendrement. Doucement, il se réveille et me sourit. Nous profitons encore de quelques instants à paresser dans le lit et finissons tout de même par nous lever.
Nous marchons main dans la main, dans le couloir qui mène à la salle commune, un sourire aux lèvres. Claire sort de sa chambre à cet instant et lève les yeux au ciel en nous voyant. C'est sa façon de me taquiner, mais je sais qu'elle est heureuse pour moi. Nous arrivons tous les trois dans la salle. Lucas se tient devant la table une boite en carton devant lui.
— Ça y est ! Les équipements sont arrivés.
D'un geste plein d'entrain, il ouvre la boite et là, je vois son visage se décomposer. Il court vers nous et je ne peux lire que la peur dans ses yeux.
— Mettez-vous au sol ! nous crie-t-il.
J'ai juste le temps de sentir Chris me tirer par le bras et me couvrir de son corps, avant que les murs ne se mettent à trembler autour de nous dans un bruit assourdissant. Le monde s'écroule.
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