Chapitre 19 - L'enlèvement

Cela fait maintenant une heure que je suis sur la route. Il fait nuit noire et le brouillard a commencé à tomber. Je ne vois pas grand-chose devant moi, mais je m'obstine à garder une vitesse constante. Mon humeur actuelle correspond bien à la météo extérieure, j'avance dans la brume depuis le début. Mes amis m'ont menti, ou du moins, caché la vérité. Si j'avais eu toutes les informations en temps et en heure, j'aurais pu faire quelque chose pour aider Claire. Je pousse un cri de colère que je suis la seule à entendre.

Je n'arrive pas à me détendre, mon corps est comme sous hypnose, j'agis sans réfléchir et sans savoir ce que je fais.

Une demi-heure de plus à conduire.

Je sens que mes mains commencent à être engourdies à force de serrer aussi fort le volant. Ou peut-être est-ce dû au froid dans l'habitacle. Je me rends seulement compte, en voyant la buée sortir de ma bouche à chaque respiration, que j'ai oublié d'allumer le chauffage du véhicule.

Une fois réchauffée, j'attrape mon téléphone portable posé sur le siège passager. Avec un œil sur la route et l'autre rivé sur l'écran de mon smartphone, je tente d'appeler Claire. Évidemment, je tombe sur la messagerie. Mais cela ne me décourage pas et je compose à nouveau son numéro. Je répète l'opération cinq fois de plus avant de jeter mon portable sur le fauteuil d'à côté avec fureur ! En faisant ce geste, je fais une petite embardée sur la route au moment même où un autre véhicule me double en klaxonnant à plusieurs reprises. Je sursaute, et prends une grande inspiration : il faut que je me calme.

J'essaye de garder les idées claires. Ce n'est sûrement pas avec ce type de comportement que j'arriverai à quoi que ce soit. Résignée, je m'arrête sur un petit parking qui se trouve le long de la route. Malgré l'adrénaline, je peux sentir la fatigue me gagner. Ces derniers jours ont été éreintants et je ne pense pas m'être encore remise de mon agression de la veille.

Je descends du véhicule en soupirant et me dirige vers la station-service devant laquelle je me suis arrêtée. Fort heureusement, celle-ci est ouverte et j'aperçois une machine à café à l'intérieur du bâtiment. Le froid me pique la peau alors que j'avance sur le parking désert. Quelques minutes plus tard, je porte mon gobelet à mes lèvres ; la boisson chaude est la bienvenue et me réconforte un peu. Je ferme les yeux et essaye de penser à un plan. Je sais que Claire vit encore chez notre mère, je sais également que cette dernière travaille fréquemment de nuit et qu'elle n'a donc probablement pas encore remarqué et encore moins signalé la disparition de ma sœur. Il est 01h00 du matin et il me reste pas loin de deux heures de route. Maman ne sera probablement pas rentrée d'ici là, je vais donc pouvoir fouiller la maison, avec précaution bien sûr, avant son retour. Je préfère enquêter de mon côté avant que les autorités n'interviennent.

Cependant, je sais que seule, je n'y arriverai pas. Je repense à mes compagnons à la base et sens un poids dans ma poitrine. Que dois-je faire ? Je pense que retourner à notre refuge après mon enquête serait la plus sage décision, mais voudront-ils encore de moi ? Je ne sais même pas s'ils ont encore confiance en moi. Je sors mon téléphone portable de la poche arrière de mon jean et commence à écrire un message à Chris avant de me raviser. Je n'arrive pas à lui pardonner le fait qu'il ne m'ait pas tenu au courant de toute cette histoire plus tôt. Avec du recul, j'ai l'impression que Lucas a été le plus honnête avec moi depuis le départ. Je me décide donc à lui écrire un SMS.

Lola : Je vais chez ma sœur, voici l'adresse. Est-ce que tu peux me rejoindre là-bas ?

Le message est concis, et je ne m'attends pas forcément à recevoir une réponse de sa part ou à avoir des nouvelles de l'un de mes amis. Je regarde l'heure, il est temps de repartir si je veux avoir le temps d'inspecter la maison avant que ma mère ne rentre du travail. Je finis mon café d'une traite et jette le gobelet vide dans la poubelle. De retour à la voiture, j'entends mon portable sonner au moment où j'allume le moteur.

Lucas : Je suis déjà en chemin !

Étonnée, je souris légèrement et reprends la route, il n'y a pas de temps à perdre.

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Deux heures plus tard, je suis arrivée à destination. Je me gare à plusieurs rues de la maison pour ne pas me faire remarquer. Je n'ai que quelques centaines de mètres à parcourir. Le quartier est calme et seul le bruit de mes pas se fait entendre à travers la nuit. Tout le monde dort paisiblement et personne ne semble s'être aperçu de ce qu'il s'est passé dans l'une des maisons voisines.

Après cinq minutes de marche, je m'arrête devant la maison de mon enfance. Celle-ci n'a pas changé depuis que je suis petite. C'est une bâtisse blanche aux volets verts, semblable à toutes celles du quartier. La fenêtre de ma chambre se trouve au coin gauche du premier étage. De là, j'avais une vue imprenable sur les champs qui bordaient la maison. C'était pour cela que mes parents avaient choisi cette demeure au départ, le confort de la ville et la beauté de la campagne. Je me rappelle des dimanches après-midi, une main dans celle de mon père et l'autre dans celle de ma mère, nous partions tous les trois à travers champs faire de longues promenades. Claire n'était pas encore née et elle n'a malheureusement pas eu le loisir de profiter longtemps de ces balades au grand air.

En moins de quinze ans, de nouveaux lotissements se sont construits à côté de chez nous, j'ai dû dire adieu aux promenades et à la vue imprenable sur la nature qui jouxtait la ville. Les nouvelles maisons poussaient comme des champignons, les cris des oiseaux étaient remplacés par les rires des enfants. Un nouvel environnement s'ouvrait à moi alors que je grandissais, comme pour marquer la rupture entre l'enfance et l'adolescence, entre le réconfort du cocon familial et la réalité de la société. Seule, à essayer de se distinguer des autres, à essayer de ne pas finir noyée dans la masse. Comme cette maison.

Je pousse le portillon devant moi et il s'ouvre sans résistance. Comme d'habitude, personne n'a pris la peine de le fermer à clé. Je m'avance dans l'allée, tout est calme, on pourrait croire que les propriétaires de cette maison sont tranquillement en train de dormir dans leurs lits. Après quelques pas pourtant, je remarque que quelque chose cloche, la porte d'entrée ne semble pas fermée. Je m'approche un peu plus et la lumière automatique sous le porche de la maison illumine la courette où je me trouve. Je pousse un cri de stupeur, portant mes mains à ma bouche. La poignée de la porte gît à mes pieds, je lève les yeux avec appréhension pour me rendre compte que la porte d'entrée est entrouverte et que la partie où se trouvait la poignée est totalement défoncée.

J'avance avec précaution, je pense être seule, mais n'en suis pas sûre. Mon cœur bat tellement fort que ma poitrine semble être sur le point d'exploser et je ne peux entendre rien d'autre que le son des pulsations qui résonnent à mes oreilles. Mon souffle est court, chacune de mes expirations forme des volutes de buée irrégulières dans le froid de cette nuit d'automne. Arrivée devant la porte, je pose une main tremblante à l'endroit où devrait se trouver la poignée, mais ne bouge pas. Je ferme les yeux et tends l'oreille, essayant de capter le moindre son suspect qui pourrait provenir de l'intérieur de la bâtisse. Après quelques secondes, je pousse lentement la porte, celle-ci s'ouvre sans bruit et alors que j'entre dans le hall, la lumière du porche s'éteint derrière moi.

Je me retrouve dans le noir complet, ma main gauche se dirige instinctivement vers l'interrupteur qui se trouve près du porte manteau. J'arrête ma main en plein mouvement et sors mon téléphone portable à la place : j'ai peur de me faire repérer en allumant les lumières de la maison. La lumière blanche éclaire le hall d'entrée, la pièce est sans dessus-dessous. Les cadres photo qui se trouvaient sur la commode sur ma droite sont tous renversés et certains d'entre eux sont cassés sur le sol, des tiroirs sont ouverts et presque arrachés.

La lumière vacille tellement ma main tremble et je me rends compte que j'ai retenu mon souffle plusieurs secondes sous le coup du choc. J'essaye de me calmer et de retrouver une respiration régulière.

— Claire ?

Pas de réponse, je m'en doutais un peu. Il faut que je garde la tête froide et que je comprenne ce qu'il s'est exactement passé ici. Peut-être a-t-elle réussi à fuir ? Est-ce qu'il faut que je cherche les environs ? Ou peut-être que je dois directement aller au siège d'Hygeia ? Je perds du temps, et je ne sais pas ce qu'ils sont capables de lui faire. Tout est de ma faute ! J'aurais dû écouter Chris et couper les ponts avec ma sœur, j'ai été stupide ! Stupide et égoïste ! La vue du portable de Claire sur le sol devant moi, me sort de mes pensées noires. Je me précipite pour le ramasser. L'écran est en miettes et enfoncé comme si quelqu'un avait donné de grands coups de talons dedans. Sans conviction, j'essaye de l'allumer, rien ne se passe.

Je soupire et mon humeur tangue entre la colère et l'inquiétude. Je n'ai aucun doute sur ce qu'il s'est passé ici. J'espère qu'ils ne lui ont fait aucun mal ! Je ne leur pardonnerai pas. Le souffle court, je rentre dans la cuisine dont la porte, sur ma droite, est grande ouverte. J'avance lentement, tout semble normal. Soudain, un bruit de métal se fait entendre sur sol et je sens quelque chose sous mes tennis. Je baisse les yeux et éclaire de mon portable l'objet sur lequel j'ai marché.

Oh non, il s'agit d'un couteau... Je cherche des yeux l'essuie-tout qui se trouve habituellement sur le plan de travail de la cuisine et en prends un morceau avant de revenir chercher le couteau. Je n'ai aucune envie de laisser des traces derrière moi, vu l'état de la maison, il est certain que la police va venir enquêter ici dans quelques heures. Je soulève le couteau et le porte devant mes yeux pour l'observer avec attention. Non, non, non ! Il y a du sang sur la lame !

Ma main tremble et je lâche le couteau qui retombe dans un bruit sourd sur le carrelage de la cuisine. Je recule et mon dos heurte le mur derrière moi. Je sens mes forces m'abandonner, mes jambes n'arrivent plus à soutenir mon poids. Je glisse sur le sol, mes genoux collés contre ma poitrine. Encore une fois, un flot de pensées négatives m'atteint.

Que lui est-il arrivé ? Est-ce qu'elle a été blessée ? Est-ce grave ? Est-ce qu'elle va bien ? A-t-elle peur ? Et si ses blessures étaient importantes ? Si elle n'arrivait pas à s'en sortir ? Et si elle était déjà... Non, ne pense pas à ça ! J'essaye de me résonner. J'ouvre les yeux et observe à nouveau la scène autour de moi. Je me redresse et inspecte chaque recoin de la pièce à la lueur de mon téléphone. Il n'y a pas de sang ailleurs que sur le couteau et en fin de compte, il n'y a pas tant de sang que cela sur la lame. Je soupire de soulagement, la blessure ne doit pas être profonde. Et après tout, je ne sais même pas s'il s'agit de son sang. Je connais ma sœur, je sais très bien qu'elle n'est pas du genre à se laisser faire. Elle a sans doute essayé de se défendre et il peut très bien s'agir du sang de son agresseur.

Alors que je commence à me détendre un peu, j'entends la porte s'ouvrir et la lumière du couloir s'allume. Je retiens ma respiration, et cherche une cachette du regard. Trop tard, une tête apparaît dans l'encadrement de la porte de la cuisine.

— Lucas ! Merde ! Tu m'as fait une de ces peurs !

— Oh, désolé Lola, il se fige et montre le couteau d'un signe de tête, c'est quoi ça ?

— Je pense que ma sœur a essayé de se défendre contre ses agresseurs. Enfin, je l'espère, j'espère que ce sang n'est pas à elle.

Lucas s'approche de moi et me prend par les épaules :

— Ne t'inquiète pas Lola, on va retrouver ta sœur, les autres sont déjà en plein travail.

Comment ça ?

— Ils élaborent un plan pour aller récupérer ta sœur, on est désolé de ne pas avoir vu plus tôt qu'elle était le "projet Beta". Allez viens, rentrons chez nous, tout le monde t'attend. Tu es garée où ? J'ai dû venir en taxi étant donné qu'une certaine personne nous a "volé" l'unique véhicule que nous avons.

Lucas me fait un clin d'œil et me pousse doucement vers la sortie de la cuisine. Une vague de chaleur m'envahit. Les autres sont en train de chercher une solution pour retrouver Claire et ils m'attendent tous à la base. J'ai dépassé les bornes et pourtant, ils sont toujours là à me soutenir. Je ne peux pas empêcher un sourire de s'étendre sur mon visage.

J'ouvre la bouche pour parler quand des pas se font entendre dans l'entrée. Une voix que je reconnais tout de suite comme étant celle de ma mère s'élève. Elle semble effrayée et mal assurée :

— Qui... qui est là ?

Lucas et moi nous figeons sur place. Je tourne lentement la tête vers mon ami et croise son regard paniqué. Si jamais on se fait prendre, tout est foutu !

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Alors est-ce que la mère de Lola va les surprendre ou vont-ils s'échapper à temps ?

Le prochain chapitre aura sans doute quelques jours de retard, je laisse planer le suspens comme ça ;)

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