Chapitre 18 - Le dossier du patient clé
Je regarde Chris sans expression. Qu'est-ce qu'il vient de dire ? Je suis le patient clé ? Mon père serait le directeur d'Hygeia et aurait pratiqué des expériences sur moi. C'est invraisemblable ! Chris me fixe avec appréhension. Ses yeux me sondent, cherchant la moindre trace d'émotion en moi.
— Lola, dis quelque chose s'il te plaît.
— Ce n'est pas possible Chris... Si mon père avait travaillé pour eux, je l'aurais su. Ma mère ne l'aurait certainement pas laissé faire des expériences sur sa propre fille ! Il doit y avoir un malentendu, je ne suis pas la personne que vous croyez.
Chris grimace. Je peux voir son expression changer subtilement. Qu'est-ce que ses yeux reflètent ? De la compassion ? De la peur ? Je n'arrive pas à interpréter son regard. Après une pause assez longue, il s'approche de moi et me répond.
— Je suis désolé Lola, mais nous ne nous sommes pas trompés... Il s'agit bien de toi. Tu le verras quand tu consulteras les dossiers.
En disant cela, il tente de me prendre à nouveau dans ses bras, mais je me dégage de son étreinte avec colère. Comment ? Comment a-t-il pu me cacher cela aussi longtemps !? Je lui faisais confiance, je leur faisais confiance à tous, mais aucun d'eux n'a daigné m'informer sur la situation. Je ris intérieurement : au final, seule Ella avait un comportement approprié avec moi. C'est bien ironique.
Je fusille une dernière fois Chris du regard et quitte la pièce, le laissant derrière moi les bras ballants, une expression de douleur aiguë imprégnée sur son visage.
Je me rue dans le bureau, montant les marches quatre à quatre, totalement hermétique aux regards que me lancent certains de mes compagnons présents dans la salle commune.
Une fois arrivée à l'étage, j'ouvre la porte à la volée et me précipite sur Ella assise à la table. Ses yeux se lèvent vers moi dès qu'elle m'aperçoit et je peux lire la stupeur sur son visage alors que je l'attrape par le col de sa veste et la plaque contre sa chaise.
— Tu le savais... le patient "clé" ! Tu savais que c'était moi, et c'est pour ça que tu me traites comme un chien depuis que je suis ici !
Ma voix tremble de colère, je n'ai jamais été dans une rage pareille, jamais je ne m'aurais cru capable d'agir ainsi. Je plante mes yeux dans les siens et continue d'une voix beaucoup trop calme.
— Montre. Moi. Ces. Foutus. Documents.
Je détache chaque mot, chaque syllabe. Sans prévenir, Ella se redresse d'un coup et me repousse. Ma tête heurte le mur, sans me faire vraiment mal, mais je suis assez secouée pour savoir que si elle décide de m'agresser, je ne pourrais pas avoir le dessus sur elle. Sans un mot, le regard rempli de haine et de dédain, Ella quitte la pièce me laissant là haletante, seule avec un flot de pensées qui déferle dans mon cerveau.
Que se passe-t-il ? Que vais-je découvrir dans ces documents ? Pourquoi mes soit disants "amis" ne m'ont pas dit la vérité dès le départ ? Suis-je dangereuse ? C'est même sans doute pour cela qu'Ella ne m'a jamais fait confiance, cela parait logique. Mais les pensées qui me tourmentent le plus sont liées à ma famille. Si mon père était vraiment celui que Chris prétend, cela veut dire que toute ma famille, toute ma vie a été basée sur un mensonge. Qu'il nous a trahis, ma mère, ma sœur et moi. Nous a-t-il déjà aimées ? Ou, n'étions nous que les sujets d'une autre expérience sordide qu'il aurait orchestré.
Je ne peux pas y croire, une rage folle monte dans ma poitrine à m'en faire mal. Je n'arrive pas à étouffer le cri de rage et de douleur qui cherchait à s'échapper depuis plusieurs minutes déjà. Sans me rendre compte de mes actions, je saisis la tasse à moitié pleine de café qu'Ella a laissé sur le bureau et la jette à travers la pièce. Au même moment, la blonde entre dans le bureau et jette la mallette du Dr Laurence sur la table.
— Ce n'est pas la peine de tout détruire ici ! Il faut que tu apprennes à gérer tes émotions.
Je la fusille du regard et je pense avoir été assez impressionnante, car pour la première fois depuis que je la connais, Ella a un mouvement de recul comme si elle cherchait à se protéger. Cependant, elle se reprend vite et son masque de dédain réapparaît sur son visage.
— Les documents sont là. Ne les abîme pas, nous en avons encore besoin.
Sur ces mots, elle quitte la pièce en fermant la porte derrière elle. Je me précipite sur la table et saisis la mallette qui se trouve devant moi. Je m'installe sur le canapé à l'autre bout de la pièce et prends le temps de me détendre avant de commencer à lire. Je ferme les yeux et inspire calmement par le nez. J'essaye de penser à quelque chose de positif. Je fronce les sourcils quand des souvenirs de famille apparaissent devant mes yeux. Tous ces souvenirs heureux, tous ces bons moments, uniquement basés sur des mensonges. Chris.... Non, ce n'est pas le moment de penser à lui ! Lui aussi m'a déçu et pour le moment je suis beaucoup trop en colère pour lui trouver des excuses.
Je finis par trouver. Claire et moi, assises par terre au milieu de mon petit studio d'étudiante en train de siroter un chocolat chaud. Je venais d'emménager dans ce logement et nous choisissions de la décoration pour mon nouveau chez-moi. C'était une froide nuit d'hiver et nous pouvions voir les flocons tomber de l'autre côté de la fenêtre. Le bâtiment était une ancienne maison divisée en plusieurs appartements et j'avais la chance d'avoir une cheminée dans le mien. Si je me concentre, je peux encore sentir la chaleur des flammes qui réchauffent l'atmosphère et entendre le bois crépiter dans le foyer. Les feux de cheminée ont toujours eu un effet apaisant sur moi ; dans le froid piquant de l'hiver cette source de chaleur éphémère est réconfortante.
Ma respiration est redevenue normale et la rage semble s'être rendormie pour l'instant. J'attends encore quelques autres cycles de respiration avant de rouvrir les yeux et de faire face à la réalité. J'étale les documents devant moi. Il y a des rapports d'expériences, une pochette contenant des photos, et une autre avec mon nom écrit dessus "Lola Lupin - Patient "clé". Bien entendu, c'est celui-ci que j'ouvre en premier.
J'y trouve des informations générales sur moi, comme ma date de naissance, mon groupe sanguin, ma taille, mon poids, mes courbes de croissance, etc... Tout ce qu'un dossier médical normal pourrait contenir. Je prends ensuite la pochette contenant des photos. Ma gorge se serre quand je découvre des photos de famille. Ma mère enceinte, mes parents et moi à la maternité juste après ma naissance et quelques photos de moi au fil des ans. Chris disait donc vrai. Jusqu'au dernier moment, j'ai souhaité que tout cela ne soit qu'un mensonge ou une blague de mauvais goût.
Je finis par les rapports d'expériences. Il faut dire que pour le reste, il n'y avait rien que je ne connaisse déjà. J'ouvre la première pochette et lis le premier document.
Nom des sujets : Elsa LUPIN / Inconnu
Référent : Pr Aymeric LUPIN - PDG Hygeia
Date : 28 SEPTEMBRE 1996
Compte-rendu : Fin du premier trimestre de grossesse de Mme E. LUPIN. Le développement du fœtus ne présente aucune anomalie. Le patient "clé" semble viable. Début du traitement expérimental prévu pour le 15 octobre 1996.
S'en suit une liste de données médicales propres aux informations et tests effectués pour chaque début de grossesse.
Date : 15 octobre 1996
Compte-rendu : Début du traitement expérimental. Les pilules V92 et V18 sont ingérées par Mme E. LUPIN trois fois par jour au moment des repas. Le fœtus ne présente toujours aucune anomalie et la génitrice du sujet ne présente que des symptômes propres à la grossesse.
Des pilules ? Je me rappelle que mes parents m'avaient dit que ma mère devait effectivement prendre un traitement parce qu'elle se sentait très fatiguée quand elle était enceinte. Mais d'après les dires de mon père, il s'agissait principalement de vitamines. Il aurait donc fait prendre à ma mère ces médicaments en lui cachant leur véritable nature ! Je sens la colère monter à nouveau en moi, mais tente de la dompter au moins le temps de finir de lire la totalité des documents.
Date : 15 novembre 1996
Compte-rendu : Début de l'expérimentation M+1 le fœtus continue de se développer normalement. Aucun effet secondaire n'est pour le moment remarqué chez le fœtus ou sa génitrice.
Les comptes-rendus continuent comme cela jusqu'à la date de ma naissance. Il semblerait qu'il ne se soit rien passé de particulier. Mon père a donc réussi à faire ingérer ces fichues pilules à ma mère pendant toute sa grossesse sans jamais éveiller les soupçons. Un grognement m'échappe tandis que j'ouvre une nouvelle pochette.
Nom du sujet : Lola LUPIN / Sujet n°1
Référents : Pr Aymeric LUPIN - PDG Hygeia / Dr Thomas LAURENCE
Date : 03 avril 1997
Naissance du sujet n°1 - Taille 49 cm poids 2.9 kg - Fin de la phase expérimentale du traitement. Début de la phase d'action prévue le 01 mai 2002.
Date : 01 mai 2002
Début de la phase d'action de l'expérience. Injection du virus au sujet n°1 par le Pr A. LUPIN. Réaction du sujet n°1 : Aucune / Effet secondaire : Aucun / Symptômes déclarés : Aucun
Les dates se suivent et les rapports restent les mêmes à chaque fois. Mon père m'a injecté des dizaines de virus et je ne suis apparemment jamais tombée malade. Leur expérience semblait être un succès ! C'est vrai que petite, je ne tombais pas malade, quand il y avait des épidémies de grippe ou de gasto en classe, je passais toujours au travers. J'ai toujours cru que j'avais un bon système immunitaire, ou que j'étais plus prudente que les autres camarades. Jamais, jamais je n'aurais pensé avoir été le fruit d'une expérimentation et ce, même avant ma naissance.
J'ai la nausée ! Dire que j'ai pleuré, des heures, des semaines et même des mois avant de faire le deuil de cet homme ! Cet homme qui prétendait être mon père, cet homme qui pourtant paraissait si aimant, si attentionné. Les souvenirs me reviennent en mémoire. Mon père me poussant sur une balançoire, me lisant une histoire pour m'endormir ou m'apprenant à faire du vélo. Je n'arrive pas à y croire, je ne le veux pas. Je ne le peux pas ! Il reste un dernier dossier concernant le patient "clé" à ouvrir. Les mains tremblantes, je prends le dernier document.
Date : 19 décembre 2005
Conclusion : Les résultats concernant les expérimentations sur le sujet n°1 sont concluants. L'expérimentation peut être portée à plus grande échelle sur des patients plus âgés. Le sujet n°1 sera maintenant nommé "patient clé". Début de la phase trois le 01 février 2006.
Ma respiration se coupe sous le choc. La phase trois ? Je pensais que cette expérience faisait déjà partie de cette "phase trois". Mais non, ce n'en était que les prémices. Tous ces tests, toutes ces souffrances, toutes ces morts sont dus au fait que les essais sur moi ont fonctionné ! Tout s'éclaire ! Je comprends maintenant pourquoi Ella me déteste, pourquoi les autres ont mis du temps à me faire confiance et pourquoi ils étaient si en colère contre moi à chaque faux pas. Tout cela, c'est de ma faute ! La culpabilité est beaucoup trop grosse. Je lâche les documents, saisis ma tête et me mets en boule sur le canapé. Je suis incapable de dire si je crie ou si je pleure. Je n'entends qu'un bourdonnement sourd à mes oreilles. Je ne sais pas combien de temps, je reste là, prostrée sur le canapé alors que mon cerveau tente de comprendre la signification de tout cela.
Soudain, j'ai chaud et je sens quelque chose contre mon dos. Je mets quelques secondes à réaliser qu'il s'agit de Chris qui a enroulé ses bras autour de moi. Il me berce doucement pour essayer de me calmer et pose de léger baisés dans mes cheveux. Je n'ai pas la force de le repousser. Je ne sais même plus si je suis toujours en colère contre lui ou non. Je reste juste là, dans ses bras à pleurer, ou à crier.
Je pense que cela fait plusieurs heures que nous sommes là avant que je ne parvienne à me calmer. Quand je n'ai plus de sanglot, quand ma voix ne peut enfin plus produire aucun son, je me redresse doucement et essaie de me dégager de son étreinte pour lui faire face. Chris prend ma tête dans ses mains et caresse doucement mon visage. Il se penche vers moi pour m'embrasser sur le front. Alors que tente de me redresser, je fais tomber la mallette par terre. Je vois Chris écarquiller les yeux et je suis son regard.
La mallette gît sur le sol, et j'aperçois qu'un compartiment caché s'est ouvert. Un dossier en dépasse. J'interroge Chris du regard qui secoue la tête pour m'indiquer qu'il ne connaissait pas non plus l'existence d'un tel document. Je prends la pochette et mon estomac se tord quand je lis le titre inscrit dessus.
"Projet Bêta - Claire LUPIN"
Tremblante, j'ouvre la pochette.
Mme E. LUPIN présentant encore des traces du traitement expérimental dans son sang lors de sa deuxième grossesse, il est possible que le "projet Bêta" puisse être doté des même capacité que le patient "clé".
L'extraction du patient "clé" et prévu pour le 17 août 2022. Si le projet Bêta présente des aptitudes similaires au patient "clé", celui-ci devrait les développer en fonction de sa réaction au traitement amnésique appliqué à chaque proche du patient "clé"
Je me fige, la peur au ventre. Je sais que ma sœur avait des doutes, et c'est pour cela qu'elle a dû être hospitalisée ! Est-ce que cela aurait-il un lien ? Dans tous les cas, Hygeïa ne doit surtout pas l'apprendre, sinon ils en auront après elle ! Chris, qui a lu par-dessus mon épaule, prend la parole.
— Ne t'inquiète pas Lola, ça ne veut rien dire. De plus, le fait que tu aies coupé les ponts avec elle lui permet de t'oublier donc techniquement, elle ne devrait pas être en danger.
Je pâlis, ce qui n'échappe pas à Chris.
— Attends, tu as bien coupé les ponts avec elle comme je te l'avais demandé n'est ce pas ?
J'ouvre la bouche pour répondre, mais mon téléphone se met à sonner au même moment. Je le sors de la poche de mon jean en tremblant et vois le nom de Claire s'afficher sur l'écran.
— Merde ! C'est pas vrai ! Chris s'exclame paniqué.
Je décroche le téléphone et le colle à mon oreille avec appréhension alors que j'entends la voix de Claire m'appeler à l'autre bout du combiné.
— Lola, Lola dis moi que c'est toi ! Je me rappelle de tout ça y est ! Je sais que c'est toi ma sœur et pas l'autre fille sur les photos ! Réponds-moi s'il te plaît !! Dis-moi que je ne suis pas folle !
— Claire, je...
Mais ma phrase est interrompue par des coups frappés contre la porte de l'endroit où Claire se trouve.
— Lola ! Il y a des gens qui tentent de s'introduire chez nous !!
— Claire, calme toi ! Cache-toi, j'arrive ! Il ne faut surtout pas qu'ils t'attrapent !
Je sais déjà qui sont les gens qui tentent de rentrer par effraction chez Claire et Maman. Chris me jette un regard noir, mais ce n'est pas le moment de se disputer, ma sœur et en danger. Soudain, j'entends un cri assourdissant à l'autre bout de la ligne et Claire se met à crier. Des bruits de lutte nous parviennent et je me mets à hurler.
— CLAIRE !!! Non, CLAIRE !
La communication est coupée et maintenant, je n'entends plus que le long bip de la tonalité. Sans m'en rendre compte, je prends la direction de la sortie du bureau. Chris tente de m'intercepter, mais je le repousse violemment. Je dévale les escaliers quatre à quatre, je sais où les clés de la voiture sont rangées. Une fois celles-ci en main, je me précipite dehors vers la voiture qui est garée sur le côté de la base. Quelques-uns de mes amis commencent à arriver, mais ils n'ont pas le temps de me suivre que je suis déjà dans la voiture.
Je vois Chris sortir du bâtiment au moment où j'allume le moteur. Il crie mon nom, mais je suis sourde à tout ce qu'il se passe autour de moi. Je démarre la voiture dans un crissement de pneu et me dirige vers la sortie du port pour regagner l'autoroute. Dans mon rétroviseur, je peux voir Chris courir vainement derrière la voiture. Je ne le quitte pas des yeux, jusqu'à ce qu'il devienne un petit point à l'horizon.
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Enfin la découverte des dossiers du Dr Laurence ! Qu'en avez-vous pensé ?
Que va-t-il arriver à Claire ?
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