Chapitre 17 - Rapprochement ?
Sur le chemin du retour à la base, nous restons silencieux. Chris conduit les yeux rivés sur la route, mais il semble tout de même un peu ailleurs, comme s'il était en mode automatique. Nous ne nous sommes quasiment pas adressés un mot depuis notre étreinte du début de matinée. Après plusieurs longues minutes, Chris s'est simplement levé, a rangé nos affaires et m'a indiqué qu'il était temps de partir. Je n'ai rien ajouté et me suis contentée de hocher la tête et de le suivre.
Nous sommes coincés dans les embouteillages matinaux de la capitale. J'ai le front collé contre la vitre et je regarde les autres voitures à travers la buée qui s'est formée sur la fenêtre au contact de ma respiration. La plupart ont le même regard vide, les pensées occupées à préparer la journée de travail qui les attend. Quelques-uns s'obstinent à s'énerver en appuyant énergiquement sur le klaxon dans l'espoir futile que cela change quelque chose à la circulation.
Tandis que j'observe nos voisins dans leur véhicule, je peux sentir que l'attention de Chris s'est reportée sur moi. Je tourne la tête pour lui faire face et croise ses yeux gris remplis de tristesse. Je m'y plonge au point de me noyer dans ce regard. Je peux sentir ses yeux me sonder, comme s'il lisait en moi, comme si nous n'avions plus besoin de parole pour comprendre l'autre. Quelque chose a changé entre nous, il est différent et moi aussi.
Les voitures sont toujours immobiles, nous sommes tellement absorbés l'un par l'autre que nous n'entendons même plus le bruit des klaxons ni le son de la radio qui diffuse une vieille chanson. Sans nous en rendre compte, nos mains se sont rapprochées. Nos doigts se croisent et je peux sentir la chaleur de sa peau contre ma paume. Un léger frisson parcourt mon bras, partant du poignet jusqu'au-dessus de mon coude. Cela n'a pas échappé à Chris et celui-ci me sourit. Mais ce n'est pas le sourire taquin et narquois qu'il me lance habituellement. Cette fois-ci, il est beaucoup plus doux, presque lourd de sous-entendus.
Je réponds à son sourire et fixe ses lèvres alors qu'il se penche vers moi. Surprise, je me fige. Je sens mon cœur battre à tout rompre dans ma poitrine. Ma gorge est sèche, j'ai tellement envie qu'il m'embrasse et je peux sentir que lui aussi. Pourtant, je le sens hésiter, comme s'il se demandait si c'était vraiment une bonne idée.
Chris n'arrête cependant pas son geste. Son front touche le mien, nos nez se frôlent et il dépose un baiser au coin de mes lèvres. Là, juste au-dessus de ma bouche. Je ferme les yeux et m'imprègne de sa chaleur, de son odeur.
Un peu déçue, je fixe Chris tandis qu'il se redresse et se concentre à nouveau sur la route. Les voitures devant nous ont commencé à avancer. Nos mains restent scellées l'une à l'autre. Je repose ma tête sur le siège et ferme les yeux me focalisant sur son pouce qui caresse le dos de ma main. Je peux sentir qu'il me jette des regards de temps à autre. Sereine, je continue de profiter de cet instant de tendresse volée pendant le reste de notre trajet.
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Nous arrivons à la base en fin de matinée. Tous nos compagnons semblent nous attendre avec la plus grande impatience. Ella accourt vers nous, elle semble être en ébullition.
— Chris ! Alors ? Comment ça s'est passé ? Vous avez pu tout enregistrer.
— Oui, c'est bon, nous avons tout.
— Bien, allons tous là-haut pour écouter les enregistrements et faire le point sur votre mission... ça va ? Tu as l'air malade...
Je suis surprise. Ella a dit cette phrase sur un ton tellement doux et inquiet qui ne lui est pas familier. Elle doit réellement tenir à Chris, si elle apprend ce qui est arrivé, je sais que je vais passer un mauvais moment. Mon intuition se confirme quand je la vois me lancer un regard inquisiteur.
— Oui, ça va, montons ! Je vais vous expliquer tout ça, il y a eu quelques... complications.
Je grimace. Chris va sans doute leur raconter les événements d'hier soir. C'est logique, mais j'espérais qu'il n'en fasse rien. Tous nous regardent avides d'en savoir plus et prennent le chemin du bureau à l'étage. Carole aide Simon, qui a encore du mal à se déplacer avec ses béquilles, à monter les escaliers. Je m'avance à leur suite quand une main m'arrête dans mon élan, il s'agit de Chris.
— Lola ! Attends, s'il te plaît.
— Qu'y a-t-il ?
— Je suis désolé... Mais je vais devoir leur parler de ton agression et de ce qui en a découlé. Ce n'était pas un épisode anodin et j'ai tué quelqu'un. Ils ont le droit de savoir. Je... tu n'es pas en colère ?
— Non. Je secoue la tête. Bien sûr que non, je comprends. C'est moi qui suis désolée, Chris, si je n'étais pas sortie prendre l'air, tout ça ne serait pas arrivé.
— Ne sois pas désolée, Lola. Ce n'est pas de ta faute.
Chris pose une main sur ma joue et la caresse doucement. Je me perds à nouveau dans son regard et les papillons dans mon ventre se font ressentir. Ce n'est pas possible ! J'ai l'impression d'être redevenue une ado de 14 ans chamboulée par les hormones.
Chris passe devant moi et je me retourne vers le bureau. Je vois qu'Ella me regarde les sourcils froncés et que Lucas me fait un grand sourire plein de sous-entendus. Je lève les yeux au ciel. Avec ces deux-là, on se croirait dans l'une de ces séries américaines. Je peux presque entendre le rire du public ajouté au montage.
La première partie de la réunion se passe sans encombre. Chris et moi racontons ce que nous avons entendu tout en passant les parties de l'enregistrement les plus intéressantes. Chacun est concentré et nous écoute avec attention. Arrive ensuite le moment que je redoute le plus.
— Bon, avant d'avoir vos avis sur la situation, il nous reste une dernière chose à vous dire. Il se racle la gorge nerveusement avant de continuer. Hier soir, il y a eu un petit incident...
Je peux sentir à quel point Chris est mal à l'aise, et cela me culpabilise. Après tout, si je n'avais pas été si imprudente, tout ceci ne se serait pas passé. Les souvenirs de ce matin et de la vulnérabilité de Chris restent gravés dans ma mémoire. Je sens la nausée arriver, et pourtant, je m'impose d'assumer mes actes. J'inspire profondément, saisis fermement la main de Chris sous la table et prends la parole.
— Hier soir, après toute cette journée, j'avais besoin de prendre l'air. Je suis donc allée me promener dans la rue, et c'est là que j'ai entendu des agents d'Hygeïa discuter entre eux. Je sais maintenant que j'ai été totalement imprudente, mais sur le coup ma curiosité a pris le dessus et je les ai suivis pour en savoir plus. Malheureusement, ils m'ont repéré et l'un deux a essayé de me tuer...
En disant cela, j'enlève le foulard que j'avais noué autour de mon cou et laisse voir les marques violacées qui s'y trouvent encore. Du coin de l'œil, je vois Lucas écarquiller les yeux et se lever d'un coup, mais Max lui met la main sur l'épaule lui indiquant d'attendre la fin de mon récit.
— J'ai eu beaucoup de chance, Chris est intervenu et a réussi à me sauver. Sans lui, je serais probablement morte. Mais à cause de moi... il a dû abattre un homme. J'ai conscience que mon acte a été irréfléchi et impulsif, et que cela n'a pas eu pour unique conséquence de me mettre en danger, mais que j'ai exposé tout le groupe en faisant ça... J'en suis désolée.
J'ai fixé Ella, droit dans les yeux, pendant tout mon monologue. Bien entendu, c'est sa réaction qui m'inquiète le plus. Ses yeux sont froids, comme la glace et son visage figé à l'instar des poupées de cire. Cela ne la rend que plus impressionnante. Je déglutis difficilement en m'attendant à ce que sa colère s'abatte sur moi.
Les secondes s'écoulent silencieusement et lentement. L'atmosphère est pesante, et mes mains deviennent moites de stress. La prise de Chris sur l'une de mes mains s'est pourtant resserrée dans l'intention de m'apporter son soutien. Au bout d'un moment, une voix calme, mais ferme s'élève au fond de la pièce. Je ne m'attendais pas du tout à ce que cette personne prenne la parole, et je pense que cela va faire d'autant plus mal.
— Mais qu'est-ce qu'il t'a pris ? Est-ce que tu te rends compte de ta stupidité ? Tout ça pour quoi, de la curiosité ? Regarde l'état de ton cou Lola ! C'est un miracle que tu sois encore en vie ! Et Chris ? Tu as pensé à lui ? Au traumatisme que cela implique d'ôter la vie de quelqu'un ? Je te rappelle également que nous avons un enfant parmi nous. Que se passera-t-il si à cause de nos erreurs, elle est à nouveau en danger ? C'est à nous, à toi, de te comporter comme une adulte responsable pour que l'on puisse se protéger les uns les autres. Ne recommence pas Lola, ne nous remets plus en danger, et ne te remets plus en danger aussi stupidement !
Carole n'a pas élevé la voix, elle est toujours aussi calme que d'habitude. Je peux sentir son ton protecteur autant envers le groupe qu'envers moi. Ce n'est pas la colère qui l'a animé en cet instant, mais bien la peur de perdre l'un d'entre nous. Pourtant, ses paroles m'ont fait l'effet d'une gifle. Je sais qu'elle a raison, j'ai été stupide, beaucoup trop stupide. Je baisse les yeux honteusement et fixe le sol. Mes cheveux tombent devant mon regard et des larmes brûlantes me brouillent la vue. Chris a lâché ma main et celle-ci pend piteusement le long de mon corps. Je n'ose même plus lever la tête pour affronter le regard de mes amis. Comme à son habitude, Chris prend ma défense.
— Carole, ne sois pas si dure avec Lola. La nuit dernière a été difficile pour elle aussi, et elle a amplement compris son erreur. D'ailleurs, nous avons également notre part de responsabilité dans ce qu'il s'est passé. Depuis qu'elle est arrivée, nous avons caché la vérité à Lola. Ella, il est grand temps qu'elle lise les documents que nous avons pu récupérer auprès du Dr Laurence.
Je m'attends à une réponse hostile et catégorique de la part d'Ella, mais elle hoche simplement de la tête.
— Hmm... Tu as peut-être raison Chris... Je ne pense pas qu'il faille continuer cette réunion pour le moment. Vous devriez profiter de cette journée pour vous reposer tous les deux. Lola, je te montrerai les dossiers demain. Et, quand tout le monde sera au même niveau d'information, nous pourrons reprendre la réunion.
Chacun se lève et quitte la pièce. Je n'ose pas bouger et peux sentir leurs regards sur moi. Une main amicale se pose sur mon bras, je sais que c'est Lucas. Je me sens un peu mieux, tous n'ont pas l'air de me blâmer pour mon erreur. Une fois tout le monde sorti, il ne reste plus qu'Ella et moi dans le bureau. Je me lève en titubant, j'essaye toujours d'éviter son regard. Mais quand je m'apprête à rejoindre la porte pour sortir, sa voix m'arrête.
— Lola ?
Je lève la tête et croise son regard. Je suis pétrifiée sur place, elle ressemble à méduse sans les serpents sur la tête.
— Oui ? dis-je timidement.
Elle s'approche de moi et me toise de toute sa hauteur. Un poids tombe dans mon estomac, je ne sais pas qui je crains le plus entre Hygeïa et elle. Heureusement qu'ils ne sont pas dans le même camp, car ils seraient des ennemis imbattables.
— Je pense que maintenant, tu as compris l'importance et la dangerosité de toute cette situation. Je ne t'en tiendrai pas rigueur cette fois-ci, je pense que Chris a raison. Mais une fois que tu auras toutes les cartes en main, je ne tolérerai plus aucune erreur. Chris n'est pas le seul à être capable de tuer. Moi aussi j'ai déjà eu à le faire. Est-ce que c'est clair ?
Oui Ella, pense-je intérieurement, clair comme de l'eau de roche.
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Je sors de la pièce encore secouée par la réunion qui vient de se dérouler. Est-ce que les paroles d'Ella étaient des menaces en l'air, ou est-elle vraiment capable de m'éliminer si elle me considère comme une menace pour le reste du groupe ?
Je marche, les yeux rivés sur le sol, quand je percute quelqu'un : c'est Lucas.
— Hé Lola ! Comment te sens-tu après tout ça ?
Je ne réponds pas, trop abasourdie par l'enchaînement des événements.
— Ne t'inquiète pas, on a tous fait des erreurs. Il faut que tu laisses un peu le temps aux autres de digérer les informations. Ça ira vite mieux, j'en suis sûr !
Il me sourit, mais n'a pas l'air très convaincu par ses propos. Je lui rends maladroitement son sourire, tout en évitant son regard. Il me propose d'aller déjeuner avec les autres, mais je n'en ai pas le courage. De plus, je me sens toujours nauséeuse et j'ai envie de me retrouver un peu seule.
Je prends donc la direction de ma chambre dans l'intention d'y passer le reste de la journée, quand deux mains m'attrapent et m'attirent dans l'une des chambres.
— Lola ! Je... merci d'avoir pris la parole tout à l'heure, me dit Chris.
Je peux sentir son souffle chaud à mon oreille tandis qu'il murmure ces mots. Chris m'enlace par-derrière et enfouit sa tête dans mon cou. Je m'appuie contre son torse, ferme les yeux et enroule mes bras autour des siens. Nous restons comme cela pendant quelques minutes. Mon cœur va tellement vite que je peux l'entendre battre dans mes oreilles.
Au bout d'un moment, je me retourne lentement pour faire face à Chris. Nos fronts sont collés l'un contre l'autre et nous nous regardons droit dans les yeux. Ma respiration s'accélère et je décide de franchir le pas. Je me mets sur la pointe des pieds et avance vers lui pour l'embrasser. Mais Chris détourne la tête au dernier moment. Nous relâchons notre étreinte et je recule, terriblement embarrassée.
Qu'est-ce qu'il m'a pris. J'ai peut-être mal interprété les signes. Je sais que je suis plutôt timide et pas du genre à faire le premier pas. Cependant, son comportement me paraissait plutôt explicite. Je sens une vague de frustration monter en moi et avant que je m'en rende compte les mots s'échappent de ma bouche.
— Arrête de jouer avec moi, Chris ! Qu'est-ce que tu attends de moi ? D'abord ce matin dans la voiture, et là maintenant ! Décide-toi !
— Non, ce... ce n'est pas ce que tu crois.
— C'est Ella, c'est ça ?
Un rictus qu'on pourrait prendre pour du mépris lui échappe.
— Non, non certainement pas !
— Alors c'est quoi ? Tu ne peux pas continuer à t'approcher et t'éloigner de moi comme bon te semble.
Chris s'avance vers moi et balaye doucement mes joues comme pour effacer les larmes qui menacent à nouveau de couler.
— Ce n'est pas ça. Nous t'avons caché trop de choses pendant ces dernières semaines et je n'ai aucune envie de commencer une relation avec toi en sachant que je te mens.
— Comment ça ?
Je commence à être sérieusement inquiète. De quoi parle-t-il ? Chris s'éloigne à nouveau et s'adosse au mur face à moi les bras croisés et les yeux fermés.
— Les documents que nous avons volés au Dr Laurence parlent d'une expérience qu'a effectuée l'ancien PDG d'Hygeïa, le professeur Aymeric Lupin...
En entendant ce nom, j'ai un haut-le-cœur. Quoi !?
— Mais..., mais il s'agit de mon père ? Non, ce n'est pas possible ! Cela doit être un homonyme.
Chris ouvre les yeux et me fixe. Je n'ai jamais vu autant de douleur et d'appréhension dans son regard.
— Je suis désolé, Lola... Il s'agit bien de ton père. Le "patient clé", c'est toi.
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Alors ? Vous aviez deviné ? Je suis sûre que oui, pour la plupart d'entre vous. Dans tous les cas, j'espère que cette révélation ne vous aura pas déçu.
J'espère que ce chapitre un peu niais entre Lola et Chris vous aura plu. Ils prennent leur temps il faut dire... À votre avis, Lola va en vouloir à Chris de lui avoir caché la vérité ?
La suite, dimanche prochain ;)
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