Chapitre 6 : Et toi alors ?
Ça faisait plusieurs jours qu'Élodie avait réessayé de jouer de la flûte à bec. Honnêtement, elle était un peu déçue de ses prestations. Soit ses lèvres refusaient de même se poser sur l'embouchure, soit c'était son souffle qui se bloquait dans sa gorge. Elle n'avait réussis à ne sortir que quelques sons, plutôt médiocre vu son niveau d'avant.
Mais Élodie s'en était doutée. Elle pesait ses mots mais son rapport avec la flûte à bec était presque devenu viscérale. Ça lui prenait aux tripes de simplement retoucher cet instrument qui avait été son âme avant de devenir son diable.
Même à elle ça lui paraissait complètement saugrenue mais la réalité était là ; la flûte à bec représentait pour elle un traumatisme.
Ça avait été l'argument majeur de sa mère pour la virer de sa maison. Puis pour la dénigrer à chaque fois qu'elles se revoyaient. Ça avait été aussi l'objet de moments magiques avec Marc, mais s'était peut-être bien un problème aussi. Parce que maintenant Élodie associait la flûte à bec à son défunt amant. Honnêtement, ça la tourmentait.
C'était difficile de vouloir passer à autre chose lorsque son âme lui rappelait sans cesse cette personne. Élodie avait toujours eu besoin de sa flûte pour réussir à avancer dans la vie, comme une sorte d'encre pour rester droite. Mais quand sa thérapie devenait la plus grande amie de son chagrin, qu'était-elle censé faire ?
Élodie n'avait pas trouvé la réponse, elle avait fuie parce que c'était tout ce qu'elle pouvait faire à ce moment là. Mais fuir n'était jamais la solution, ça donnait juste plus de pouvoir à ce qu'on choisissait de ne pas voir. Et le temps amplifiait encore la chose. La jeune femme n'était pas surprise de constater ne plus pouvoir jouer malgré l'envie. Ça la frustrait mais Élodie savait qu'elle finirait pas y arriver à nouveau, il lui fallait juste un peu de temps encore.
En attendant, elle avait toujours le violon.
Élodie reposa doucement sa flûte a bec dans son étui pour attraper son téléphone. Thibault lui avait demandé précipitamment de venir jouer avec lui. Elle se doutait que le jeune homme avait eu un problème et comprenait l'appel au secours derrière. La jeune femme n'avait pu s'empêcher de lui poser une autre question.
- Tu veux pas aller te bourrer plutôt ?
7h56
- Non, pas envie de recroiser des gens que je connais.
7h57
Élodie comprit que son ami faisait référence au serveur avec qui il s'était frotté lors de leur rencontre. Elle n'avait jamais demandé le pourquoi du comment mais ça l'intriguait.
- Il t'avait fait quoi le serveur ?
7h59
- Longue histoire. C'est un sale type, ne t'approche pas de lui.
8h00
- Tu me dois une explication, je ne suis pas du genre à éviter une personne sans raison.
8h01
- Que je te dises qu'il est à éviter ne suffit pas ?
8h01
- Tu te frottes à une personne têtue ;) Tu veux que je te rejoignes directement chez toi ? Je suis libre à partir de 18h30.
8h03
- S'il te plaît...
8h03
Élodie éteint son téléphone, bailla un grand coup et sauta de son lit. Dix minutes plus tard, elle quittait son appartement. Sa journée était chargée ; elle avait cours toute la matinée et enchaînait sur son travail. Son service avait été modifié à cause d'un collègue absent et au lieu de travailler le soir ou le matin, son après-midi avait été réquisitionné. Heureusement la jeune femme n'avait rien de prévu à la place mais elle avait bien comprit que son patron n'en aurait eu rien à faire.
La perspective de voir Thibault le soir lui donna tout de même le sourire et elle réussis à survivre à sa journée. Peut-être que la fois où Mathias, un mec pénible de sa classe s'était fait remettre à sa place par le directeur avait aidé à la faire rire. Pour une fois qu'il se faisait prendre et fermait sa grande bouche, ça avait presque de quoi devenir une fête officiel.
Élodie soupira longuement en refermant son placard dans les vestiaires du café où elle travaillait. Le service de l'après-midi était beaucoup plus agréable que celui du soir, elle le remarquait bien. L'endroit où elle travaillait avait la particularité d'être un café tranquille le jour pour se transformer en bar festif dès dix-neuf heures. A cause de ses cours, la jeune femme ne pouvait pas vraiment profiter de l'ambiance du mignon café et devait supporter celui du bar où l'alcool coulait à flot.
Élodie préférait nettement être de l'autre côté du comptoir.
Son téléphone sonna et elle décrocha.
- Salut, ça a été le travail ?
- J'ai survécu il faut croire. Je viens de finir, je pars juste. Je serais chez toi dans vingt minutes je penses.
- Pas de soucis, je t'attends. Tu me diras quand tu seras arrivée pour que je vienne t'ouvrir.
- Oui maman, je te dirais maman, promis."
Un rire complice se fit entendre de l'autre côté de l'appel, en écho à celui à peine caché d'Élodie.
- Alors on fait ça. Fait attention sur le chemin.
- Je le ferais, à tout à l'heure.
L'appel se coupa au moment où la jeune femme quittait son lieu de travail. Elle traversa la petite ruelle dans laquelle se trouvait le café/bar pour atteindre la grande allé principale. Le ciel était déjà sombre et la Lune haute. Son manteau serrée contre elle, Élodie ne perdit pas de temps pour rejoindre le métro et se jeter sur un siège heureusement libre.
Normalement elle n'avait que trois stations à faire avant d'arriver près de chez Thibault. Élodie n'aimait pas prendre le métro le soir, ça craignait. Son quartier était heureusement très surveillé et elle n'avait jamais eu d'ennuis par là bas. Mais c'était la première fois que la jeune femme allait vers le Nord de la ville, fatalement, elle ne savait pas à quoi s'attendre.
Et comme si le mauvais sort avait tendus l'oreille à ses peurs, Élodie croisa le regard appuyé d'un homme. Ce dernier venait de monter au premier arrêt ; un monsieur d'âge mur en costard cravate. Il semblait venir de finir sa journée de travail, un air fatigué au visage qui s'évapora lorsque ses yeux noirs croisèrent ceux verts d'Élodie.
C'était malsain. Une flamme d'attention malfaisante venait de s'allumer dans le regard de cet homme.
La jeune femme n'avait jamais autant pesté mentalement contre les métros bondés. Les places manquaient et l'homme s'installa juste à côté d'elle, faisant mine de regarder sa montre. Il croisa ensuite les bras sur son torse et fixa droit devant lui. Élodie gardait un œil sur lui grâce au reflet dans les grandes vitres qu'elle fixait. Alors elle ne manqua évidemment pas les regards insistants de ce personnage sur ses jambes puis de plus en plus haut.
Élodie portait un pantalon large et un sweat gris ample. Rien qui ne laissait deviner ni ses formes ni sa stature exacte. Que cette précision ne serve pas à justifié que l'habit fait le viol, mais que le viol c'est avant tout un fou face à une victime.
- "Excusez moi madame, je voulais vous dire que vous êtes ravissante."
Élodie serra les dents et se retourna tout doucement pour faire face à l'homme.
- "C'est à moi que vous parlez ? demanda-t-elle de manière tout à fait étonnée. C'est gentil monsieur.
- Je ne dis que la vérité enfin. Que fait une si jolie femme seule ici ?
- Je rentre après le travail, comme tout le monde ici ou presque je penses.
- Vous êtes perspicace, sourit l'homme ce qui renforça la lueur malsaine dans son regard.
- C'est gentil monsieur, répéta simplement Élodie."
La jeune femme se retourna vers la vitre, regardant le paysage éclairée de la ville dans la nuit. Elle fixa l'écran de son smartphone et appuya sur le contact de Thibault. Elle ne sentait clairement pas l'homme à côté d'elle.
Le métro venait de redémarrer après s'être arrêté au deuxième arrêt. Sortant au prochain, Élodie se leva et prit soin de saluer l'entièreté du carré des places où elle était. Elle marcha jusqu'aux sas bondés aussi.
Un long frisson la prit lorsque deux minutes plus tard, elle vit l'homme se lever à son tour dans un reflet de vitre. Le métro s'arrêta à ce moment là et Élodie se précipita pour sortir en première. Elle monta les escaliers avec rapidement pour rejoindre l'air libre. Là, elle couru pratiquement vers les appartements de la rue de Thibault. La jeune femme laissa échapper un souffle tremblant lorsqu'elle entendit des bruits de pas précipitées derrière elle.
Élodie n'était pas encore assez idiote pour avoir un doute quant à l'identité de son poursuivant. Et pas assez non plus pour perdre une seule seconde en se retournant pour vérifier.
Elle appuya sur le contact de Thibault qu'elle avait préparé et l'appel se lança.
Les pas derrières elle s'accélerèrent et Élodie couru encore plus vite.
- "Je suis là, vient m'ouvrir vite s'il te plaît ! supplia Élodie à bout de souffle à la première seconde où Thibault avait décroché.
- J'arrive ! Garde l'appel."
La jeune femme n'était pas véritablement arrivée mais presque. Elle reconnaissait les rues et constata avec horreur quelles étaient complètement désertes. Il était trop tard, tous les magasins de cette rue commerçante étaient fermés depuis un moment.
Son poursuivant était toujours là et Élodie commençait sérieusement à fatiguer. Elle se jeta pratiquement dans la petite allée qui menait derrière le restaurant asiatique. Voyant de la lumière, la jeune femme se calma directement. C'était Thibault, elle le savait. Élodie ouvrit précipitamment la porte que son ami avait déverrouillé pour elle. La grande porte bleu se referma à clef derrière elle automatiquement et la jeune femme s'y adossa.
Il lui fallut de longues respirations pour essayer de calmer son cœur. Le stresse, l'adrénaline et la peur redescendaient doucement. Élodie savait comment apaiser son rythme cardiaque après un événement violent. Ce n'était pas non plus la première fois qu'elle avait à faire à des personnes mal attentionnées.
Thibaut apparu à ce moment là dans le hall de l'immeuble.
- "Ça va ? demanda-t-il précipitamment en jetant presque son téléphone pour vérifier l'état de son amie.
- Après un peu d'eau et de calme oui, rigola Élodie."
Le jeune homme ne semblait pas convaincu mais choisi avec sagesse de ne pas pousser. Il laissa à Élodie encore quelques instants pour se calmer avant de l'aider à montrer les escaliers jusqu'à son appartement.
- "Mon oncle est partit voir des amis à lui, il n'est pas là, expliqua Thibault en voyant le regard interrogateur de la jeune femme."
Élodie acquiesça, se laissant tomber dans le canapé sans aucun scrupule si le maître des lieux n'était pas là. Elle avait bien regardé avant mais ne l'avait vue nul part, ni entendu d'ailleurs.
Thibault disparu dans la cuisine deux minutes et revint avec une théière et deux verres.
- "Je penses qu'une infusion ne sera pas de trop, sourit-il doucement en tendant une petite boîte à Élodie."
La jeune femme pu choisir le parfum quelle désirait et le tendit à Thibault. Le brun se chargea dans le faire tremper dans l'eau bouillante et de lancer le minuteur.
Le calme régnait.
Assis l'un en face de l'autre, ils se détaillèrent rapidement du regard. Le silence régna quelques minutes sous l'intensité de l'échange visuel. Thibault cherchait apparemment à détecter tous les signes de mal-être chez son invitée. Et Élodie aussi d'ailleurs. Lorsqu'ils le remarquèrent, ils se contentèrent d'en rigoler, un peu gênér.
- "Je préfère observer que parler, mais j'ai tendance à le faire sans réfléchir maintenant. Je suis désolé, j'espère que je ne t'ai pas mise mal à l'aise, s'excusa Thibault."
Élodie secoua doucement la tête en lui assurant que ce n'était rien. Elle l'observa retirer le filtre de l'infusion et verser le liquide fumant dans les deux tasses. La jeune femme avait remarqué que son ami n'était pas toujours à l'aise dans les discussions et ça lui fit chaud au cœur de constater qu'il essayait. Thibault cherchait à l'aider comme il le pouvait pour ce qu'il venait de lui arriver, et c'était honnêtement adorable.
Élodie lui sourit chaudement en le remerciant. La tasse fumante entre ses mains aida à les réchauffer. L'air du dehors l'avait glacé sans qu'elle ne s'en aperçoive à cause de sa course. Thibault n'aurait pas pu avoir meilleur idée que de sortir les infusions pour ce soir.
- "Thibault, commença doucement Élodie après plusieurs gorgées. Je peux te poser une question ?
- Oui ? le brun prit garde à lui montrer quelle avait bien toute son attention.
- Qu'est-ce qui est arrivé à tes bras ?"
Élodie montra doucement les endroits mentionnés. Le jeune homme avait prit soin de mettre un gros sweat foncé qui couvrait jusqu'à ses pouces. Mais elle était au moins aussi observatrice que lui sous ces airs innocents. Le temps que Thibault tende la main pour lui donner son verre lui avait suffit pour remarquer les épaisses bandes médicales sur ses poignets.
Le brun paru surpris par la question. Il ne s'était visiblement pas attendu à ce qu'Élodie le remarque. Son sourire devint plus timide mais ne s'effaça pas.
- "Je me suis fait mal."
Il savait que sa réponse était plus qu'évacive. Mais il ne voulait pas en parler, et il se doutait qu'Élodie le comprendrait. Cette dernière hocha simplement la tête et pris une autre gorgée fumante.
- "Tu penses que tu peux me jouer un morceau ?
- Avec plaisir."
La soirée se passa sous le chant de la flûte à bec. Thibault était un virtuose, Élodie n'en doutait plus depuis longtemps. Son doigté était fluide et léger, comme celui d'un pianiste. Il jonglait entres les différentes crevasses comme si ce n'était qu'un jeu d'enfant. Son souffle était parfaitement maîtrisé et le son clair. Les mélodies sur lesquels il s'aventurait étaient difficiles mais il y arrivait toujours avec brio.
Thibault ressemblait à un funambule sur sa corde, perché au dessus d'un vide sans fond. Élodie se sentait prise dans cette abîme où elle n'arrivait pas à s'en sortir. Elle se trouvait incapable de rejouer de la flûte à bec. Pourtant, le brun était là, juste au dessus d'elle.
Élodie savait que c'était avec l'aide de Thibault qu'elle pourrait un jour réussir de nouveau à jouer. Il suffisait qu'elle arrive à remonter sur la corde aussi.
Thibault posa sa flûte vers vingt-trois heures. Le temps avait filé à toute vitesse et Élodie s'était complètement laissé charmée par sa musique. Elle se redressa un peu rigidement sur le canapé en fixant l'entrée d'un œil inquiet. Elle avait oublié le temps des mélodies le métro et cet homme. La panique menaça de revenir la voir et son souffle s'accéléra rien qu'en s'imaginant devoir ressortir.
Ce fut une tasse devenue tiède sur sa joue qui la fit revenir sur Terre. Thibault se tenait à côté d'elle, un meug collé contre le visage de son amie. Un petit sourire charmeur sans le vouloir décorait son visage.
- "Je te prépare un lit ?"
Les yeux d'Élodie s'allumèrent immédiatement à la proposition. Elle ne savait pas comment Thibault arrivait aussi bien à lire en elle mais c'était incroyable. Et ça tombait à point nommé.
- "S'il te plaît."
Thibault sourit.
- "Je te prépare ça tout de suite."
Élodie était venu en pensant réconforter le brun, mais peut-être que l'inverse était vrai aussi.
Règle n°6 : La notion de vérité est relatif et éphémère. L'être humain est le créateur de ce principe parfois restrictif qui considère un fait comme vrai et un autre comme faux. Mais la vérité n'est-elle pas le mensonge qui plaît le plus ? Dans ce cas-là, comment arbitrer avec justesse une situation donnée ? C'est tout l'art de savoir s'approprier le concept.
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