Chapitre 12 : Regarde-moi

- Enfin tu décroches ! Tu pourrais te presser un peu.

- Je suis au travaille maman, je ne suis pas disponible tout le temps.

- Ça c'est juste quand ça t'arranges espèce d'ingrate !

Élodie se contenta de lever les yeux au ciel. Au moins comme ça, sa mère ne pouvait pas le voir. Elle devenait le culot en personne pour appliquer ses tords à sa fille. Ce n'était pas nouveau cependant.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? reprit Élodie devant le silence outrée.

- Ton père à fait une rechute. Il est de retour à l'hôpital. Je suis en voyage d'affaires, je ne rentre pas avant la semaine prochaine. A toi de t'occuper de lui.

Le téléphone se raccrocha sans qu'Élodie ne puisse faire quoi que ce soit. Son esprit était embrumé par la nouvelle, et le seul mot qui sortait de ce flou général était "encore". Ce n'était plus la surprise qui dominait quand elle apprenait une rechute de son paternel. C'était plus une résignation douloureuse.

Son père était devenu un ivrogne dangereux pour lui-même depuis le divorce de son ex femme. Il allait bien pendant une période donnée jusqu'à ce qu'il ne tombe dans l'alcool lorsque le souvenir de son ancien amour revenait le hanter. Et c'était toujours la même chose. Il buvait jusqu'à s'épuiser le foie et finissait à l'hôpital.

Élodie se demandait parfois ce que sa mère faisait encore avec le zombie qu'était devenu son père. La réponse elle l'a savait au fond ; sa mère avait toujours été folle amoureuse de son paternel et ce, depuis leurs rencontre à l'université. Sa génitrice l'avait très mal vécu quand son béguin était sorti avec une autre femme qu'elle et encore aujourd'hui elle ne cessait d'enfoncer son père avec cette histoire. Elle lui répétait en boucle que son ex femme n'était qu'une vipère et qu'elle était bien mieux. Qu'il avait gâché sa vie avec elle. Pourtant, Élodie était sûr qu'il continuait à la gâcher en étant avec sa mère.

La relation de ses parents était complètement malsaine. Son père était plus mort que vivant et sa mère complètement folle. Son complexe d'infériorité envers l'ex femme de son amour l'avait rendue complètement détraquée. Et son mal-être elle l'envoyait à la tête de son mari et de sa fille depuis toujours.

Élodie soupira. Elle rangea son téléphone et alla reprendre son service interrompue. Le sourire qui ornait habituellement ses lèvres devint fade ce soir là.

Son programme du lendemain matin était déjà défini semble-t-il.

Thibault n'arrivait pas à dormir, mais c'était prévisible. Il ferma les yeux et se frotta les tempes pour atténuer son mal de tête. Ça ne servirait à rien d'essayer de forcer plus, le brun se leva de son lit. Il ne savait pas vraiment qu'elle heure il était mais la Lune était à son paroxysme dans le ciel sombre.

Le jeune homme parti dans la cuisine pour se servir un verre d'eau. A force de remuer dans son lit, il avait eu chaud. Il actiona le robinet pour remplir un meug et le porta à ses lèvres. Thibault sentait l'eau froide glisser dans son corps et ça le calma.

- "Pourquoi tu ne dors pas ?"

Le brun se retourna en sursaut vers le coin de la cuisine où se dessinait une ombre. Il n'arrivait pas à discerner nettement ses contours mais il avait bien reconnu à qui appartenait cette voix. C'était Yamine. Son ton était calme, comme à l'accoutumé mais ça renforçait le malaise qui se formait chez Thibault.

- "Tu as peur de dormir ? Tu redoutes de faire des cauchemars ? Tu me fui, avoue le. Ça fait quoi de fuir quelqu'un qui n'existe même pas sinon pour toi ?"

Le brun n'écoutait pas vraiment. Un bruissement en continue attirait déjà toute son attention. Il voyait une ombre de nouveau qui grossissait à vue d'oeil sur les murs de la cuisine. Ses yeux onyx n'arrivaient pas à quitter cette tâche noir d'où sortait différents attributs humains qui remuaient au sol et sur les murs.

Des yeux qui le fixaient. Des mains qui essayaient de l'attraper. Des bouches qui le critiquaient. Toutes ces choses insupportables pour lui qui sortait de ce ramassis noirâtre.

Soudain, l'ombre se jeta sur lui et Thibault cria. Il sentait les mains grimper sur son corps, sur sa peau. Il avait l'impression de disparaître sous elles, de se noyer, de ne plus exister. Les bouches qui le dégradaient se rapprochaient de ses oreilles pour lui murmurer ses tords en boucle.

Le jeune homme avait l'horrible sensation de ne plus être là, d'être caché comme s'il n'existait plus. Et c'était la pire des sensations, le brun le savait depuis longtemps déjà.

Sous la panique qui lui tordait les boyaux, il ouvrit les tiroirs de la cuisine et y attrapa un couteau. Thibault ne voyait plus sa peau sous l'ombre noire visqueuse. Sans réfléchir à deux fois, il planta la lame dans les tas grouillonant de mains, d'yeux et de bouches. Ces derniers tombaient au sol à chaque coupures, baigné petit à petit dans une mare de sang. Le brun trancha ses bras, ses jambes. Les attributs humains tombaient mais d'autres apparaissaient toujours derrière pour revenir sur lui.

Un sanglot étouffé de terreur s'échappa de ses lèvres tremblantes. Son corps tremblait mais Thibault ne le sentait même plus. Son esprit était focalisé sur l'ombre partout, absolument partout autour de lui.

Un énième coup de couteau toucha sa peau mais percuta aussi un autre objet sur le plan de travail. Ce dernier tomba au sol et le bruit résonna dans l'appartement. Le brun regarda au sol les éclats de verre de son meug qui gisait entre les mains et le sang.

- "Thibault ! Thibault, calme toi !"

Les larmes brouillaient déjà la vision du brun quand son oncle arriva. Il sentait le couteau dans sa main disparaître alors que son dos était pressé contre un buste derrière lui. C'était chaud et réconfortant, juste assez pour qu'il remarque sa respiration muette. Thibault ferma les yeux et pris une grande inspiration tremblante avant de les rouvrir. Les insectes autour de lui avaient disparu tout comme Yamine. Il ne restait plus que le sang et le verre brisé à ses pieds.

Le brun comprit alors que le liquide pourpre par terre était son sang. Différentes sensations de brûlures s'élevèrent alors sur son corps. Ses yeux onyx en suivirent quelques-unes avant de comprendre qu'elles étaient toutes dûes à des coupures. Ses mains tremblantes montèrent pour s'accrocher aux avants bras de son oncle autour de son buste. Il devait s'encrer un maximum pour ne pas refaire une crise.

- "Tu peux t'assoir ? Je vais te soigner."

Thibault se laissa guider jusqu'au canapé où son oncle l'asseya. Il tira de sous le meuble une petite boîte de premiers secours remplis de bandes et de produits désinfectants. Les yeux onyx toujours baignés de larmes observèrent en silence les compresses devenir rouges en épongeant son sang. Son oncle avait malheureusement l'habitude de soigner les dégâts de ses crises. Il termina rapidement de bander les plaies maintenant propres avant de ranger le matériel.

- "Je suis désolé. murmura Thibault en se recroquevillant sur lui-même."

Les yeux de son oncle se posèrent avec douleur sur l'état de son filleul. Il avait bien compris que le brun se sentait mal d'avoir autant besoin de lui. Mais dans l'histoire, ce n'était certainement pas lui qui souffrait le plus.

- "Tout va bien Thibault, tout va bien, je t'assures."

Le jeune homme laissa de nouvelles larmes silencieuses glisser sur ses joues abîmées. Son oncle le réconforta doucement jusqu'à ce que sa crise se termine pour de bon. Thibault avala son traitement au petit matin. Ses yeux étaient épuisés et regardaient platement les gélules.

Il ne pouvait pas dire qu'elles servaient beaucoup.

Le brun quitta l'appartement pour rejoindre Denis au parc. Son ami de toujours avait fait le déplacement de leur ville natale jusqu'ici pour le voir. Sortir et se changer les idées avec lui ne pouvait qu'être salvateur.

Élodie était complètement ratatinée dans son lit. Sans savoir pourquoi, différents souvenirs l'avaient hantés toute la nuit durant. Malheureusement pour elle, ce n'était pas exactement les plus joyeux.

Les différentes épreuves de sa vie lui était retombés dessus comme un seau d'eau glacé. C'était froid et douloureux.

Le réveil fût compliqué. Si on pouvait seulement parler de réveil quand sa nuit avait peut-être duré deux heures à tout casser. Elle se leva en ignorant comme elle pouvait la douleur lancinante dans son corps. Sa nuit agitée avait tendu tous ses muscles pour les rendre aussi douloureux qu'après un marathon.

Son appartement était vide, silencieux. Depuis que Marc n'y vivait plus avec elle, Élodie le trouvait triste. Amélie, Yann et sa grand-mère étaient les seuls personnes capables de le rendre vivant. Peut-être Thibault aussi maintenant.

En parlant de lui, le visage d'Élodie s'assombrit. Elle s'inquiétait pour lui et espérait qu'il lui referait signe rapidement. La présence de l'autre lui manquait. C'était si calme et doux à chaque fois, ça la transportait à milles lieux de tout. Thibault avait le même pouvoir que la musique.

Et c'était le brun qu'elle aurait voulu aller voir ce matin, pas celui qu'elle avait appelé papa un jour.

Cet homme qui n'était plus qu'une épave mourante accro à l'alcool au point de se tuer à petit feu avec.

Élodie partis finalement pour lui rendre visite. Mais le cœur n'y était plus depuis longtemps.

Comment le pourrait-elle quand son père n'avait même pas été capable de la protéger du viol. Puis de la réconforter quand Marc qui l'avait réconcilié avec le sexe masculin était mort. Son paternel était aussi absent que sa mère. Lui au moins n'était pas méchant d'un autre côté, c'était déjà ça.

Thibault avait passé la meilleure heure de son quotidien depuis un moment. Retrouver Denis lui avait fait un bien fou. Le jeune homme asiatiques de deux ans son aîné avait toujours été là pour lui d'aussi longtemps qu'il s'en souvienne. C'était d'ailleurs chez lui que le brun s'enfuyait quand il ne pouvait pas encore partir chez son oncle.

Denis était sûrement la personne la plus importante pour lui. Suivi de prêt par son oncle et ses amis. Élodie aussi avait pris une place toute particulière dans son cœur. Mais son ami d'enfance restait privilégié forcément.

Thibault avait pu partager avec lui les récentes rencontres dans sa vie et son arrivée dans cette ville. Ils en avaient déjà parlé au téléphone mais c'était beaucoup plus agréable de se confier à un être humain qu'à un objet inanimé. Denis avait tout écouté en silence. Puis, il avait pris sa minute habituel pour trier toutes les informations avant de lui sourire.

- "Tu veux manger quelque chose ? Tu vas finir par redevenir tout petit si tu ne manges pas assez. proposa doucement Denis avec un clin d'oeil taquin.

- Regarde qui parle, on ne peut pas vraiment dire que tu es grand non plus. Pourtant tu manges, beaucoup. rétorqua Thibault sur le même ton joueur.

- Mais j'ai pas un kilos en trop, si tu savais comme je plaisais, un vrai d'Anjouan je t'assures, sourit-il avec suffisance."

Ce à quoi se contenta de rouler de yeux le brun. Ils s'échangèrent un petit regard de biais discret avant de rigoler de bon cœur ensemble. Ils ne se prenaient toujours pas au sérieux.

Après avoir calmé leurs rires, Thibault reprit finalement la parole.

- "Je suis pas sûr d'avoir très faim, je crois que je vais rentrer. Désolé.

- Aucun problème, assura Denis en se levant pour suivre son ami, si tu veux rentrer, on rentre."

Le brun lui sourit en signe de remerciement évident. Ils prirent ensemble le chemin vers l'appartement de l'oncle de Thibault. Denis dormirait chez eux le temps de son séjour, le propriétaire du lieu l'avait décidé sans laisser le choix à son filleul. Et le brun n'avait pu s'empêcher de sourire doucement devant l'attention que lui portait son oncle et Denis pour avoir acceptés. Et tout ça juste pour lui.

D'habitude ce genre d'attention l'aurait gêné mais actuellement il en avait honnêtement grandement besoin.

Il comptait bien profiter de Denis pour le temps qu'il restait là.

Au vu de l'état de Thibault, les deux hommes n'étaient pas partis bien loin. Ils rentrèrent donc rapidement en rigolant de tout et de rien. Le brun déverrouilla la porte de l'appartement en traitant gentiment Denis d'idiot pour avoir réussi à cramer des pâtes. Sa seule excuse étant que ce n'était pas grave tant qu'il ne faisait pas brûler du riz ; crime passible de la pire sentence selon lui. Sa maison ne représentait apparemment pas un problème si elle prenait feu.

Le rire de Thibault s'arrêta cependant brutalement lorsqu'il entendit plusieurs voix provenir du salon. Son oncle l'aurait prévenu s'il y avait des invités. Quoique, s'ils étaient arrivés sur un coup de tête son oncle n'aurait pas pu le prévenir. Le jeune homme avait évidemment oublié son téléphone encore une fois.

Thibault s'avança prudemment avec Denis jusqu'à la pièce principale. Son coeur loupa un battement lorsque les voix furent plus claires. Il les connaissait. Son corps commença à trembler et le dernier pas pour rejoindre le salon fût ponctué d'une douleur sourde dans tous ses muscles.

Ses yeux s'agrandirent et son visage reflétait le vide. Son expression était devenu indescriptible et son teint pâlit de manière inquiétante.

Les regards se tournèrent vers les deux jeunes hommes et le silence se fit.

- "Qu'est-ce que vous faites là ?"

La voix de Thibault résonna, aussi vide que son expression. Il était figé et fixait les quatre silhouettes dans le salon. Le regard désole de son oncle ne fut pas sauvegardé quand les yeux onyx étaient braqués sur les deux autres adultes présents.

- "Ce n'est pas comme ça qu'on accueille ses parents, insolent. gronda un homme en costard. N'as tu donc aucun respect pour tes parents ?

- A croire que c'est compliqué de prendre des nouvelles de sa famille, n'est-ce pas Thibault ? soupira une femme en robe rouge élégante."

Le jeune homme brun ne répondit rien. Ses oreilles sifflaient et son coeur battait à toute rompe dans sa poitrine. Il entendit la voix de son oncle et de Denis, sûrement pour le défendre mais il s'en fichait. Ce n'était un secret pour personne que ses parents le considérait comme un raté fini. Il ne s'était pas mis tout seul à la porte.

- "Incapable de répondre à une question, c'est navrant. Et encore moins aux lettres de ton petit frère, tu nous déçoit."

Le regard de Thibault quitta ses parents pour venir se poser sur un petit garçon. Il avait les mêmes cheveux bruns que lui, les mêmes yeux aussi, mais contrairement à lui il souriait. Vincent, son petit frère lui souriait de toutes ses dents de gamin dans la dizaine.

Et ça rendait Thibault malade. Parce que son regard était fixé sur l'oeil du petit garçon. Une paupière fermée et coupée par une longue cicatrice fine mais profonde. Vincent était borgne.

Il était borgne à cause de son grand frère. Parce que ce même grand frère avait eu une crise, sûrement la plus violente de sa vie et que son petit frère s'était trouvé là. C'était Thibault qui aurait dû être blessé, mais Vincent s'était interposé.

La sensation du sang gluant et chaud sur ses mains hantait encore le jeune homme tous les jours. De même que les cris de ses parents en le découvrant. Le même mot avait été répété en boucle ce jour là ;

"Monstre".

La bile monta dans la gorge de Thibault et de longs frissons traversèrent son corps. Il ferma les yeux et secoua la tête, essayant de chasser les images de son esprit. Mais rien n'y faisait et le mot monstre résonnait en boucle. Un cris de douleur lui échappa.

Le jeune homme sentit une main se poser sur son épaule. Mais la sensation le brûla, alors il la repoussa. Son esprit bourdonnait. Il se sentait trahi par son oncle. Il se sentait encore plus renié par ses parents. Et il se sentait pire que tout comme exemple pour son petit frère.

La pression devint écrasante. Thibault rouvrit les yeux seulement pour courir vers la sortie de l'immeuble. Il courait, aussi vite qu'il le pouvait. L'écho des paroles de Denis qui essayait de le rattraper s'effaçait de plus en plus. Tout ce qu'il entendait était les paroles de Yamine qui lui revenaient.

"Tu ne sais que fuir."

C'était incroyablement vrai. Et c'était incroyablement douloureux d'être résumé à ça.

Parce que Thibault ne fuyait pas, il s'isolait par traumatisme de blesser quelqu'un d'autre que lui.

Règle n°12 : Là où les larmes tombent, c'est un champ de roses qui pousse. Quand les mœurs retombent à la terre, la Nature se charge de les transformer en quelque chose de plus beau. Parce que la Nature répare pour donner une nouvelle vie à tout ; corps, sentiments, émotions. La vie est un cycle qui se répète. Tout revient un jour, il faut y être préparé.



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