Chapitre 6: Remède mortel

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Le regard d'Isolys s'était figé, glacé dans une fascination morbide. La scène qu'elle venait de voir se répétait en boucle dans son esprit : Luthien, cet homme au sourire froid et calculateur, agrippant la main frêle de sa femme avec une brutalité maîtrisée. Les prunelles bleues d'Isolys ne cillèrent pas, absorbées par ses pensées.

Lorsque Luthien et Gaïa disparurent enfin dans une ruelle, Isolys cligna des yeux.
Il fallait qu'elle sache.

Sans plus attendre, elle se rua à l'intérieur de la salle du conseil, le claquement de ses talons résonnant dans les couloirs vides. L'urgence dans ses gestes laissait transparaître une détermination presque démente. Une fois arrivée devant la console de la base de données, elle commença à taper frénétiquement.

"Gaïa Lorendil."

Les lettres apparurent sur l'écran holographique, projetées devant elle comme une vérité imminente. Elle appuya sur la touche de validation, et des informations commencèrent à défiler sous ses yeux. Des noms, des dates, des lieux... Et enfin, des images.

Le cœur d'Isolys battait à tout rompre, son souffle devenant irrégulier à mesure qu'elle parcourait les photographies. Au début, rien de notable : des portraits officiels, des photos de réceptions, où Gaïa souriait doucement, ses bras élégamment couverts de tissus luxueux. Mais ce n'était pas ce qu'elle cherchait.

Alors, la vérité commença à se dévoiler.
Les premières blessures.

Des clichés volés, des images où Gaïa portait des pansements discrets sur la joue ou le front. D'autres où des bleus apparaissaient furtivement sur ses bras ou ses poignets. Ces images étaient rares, éparses parmi les archives, comme des fragments d'un puzzle que personne n'avait eu le courage de reconstituer. Mais pour Isolys, elles suffisaient.

Son souffle se coupa, et elle recula d'un pas. Sa main tremblait lorsqu'elle effaça rapidement l'historique de ses recherches, un réflexe dicté par son instinct de prudence. Mais son esprit, lui, était en ébullition.

La rage monta en elle comme une tempête. Ses yeux, d'ordinaire si clairs, se voilèrent d'une lueur sombre, dangereuse. Sa mâchoire se contracta, et sa poitrine se souleva sous le poids de l'émotion qui l'étreignait. Elle tourna brusquement sur ses talons, quittant la console pour se diriger vers les immenses portes blanches de la salle du conseil.

Le bruit de ses talons résonna à nouveau sur le marbre glacé lorsqu'elle pénétra dans la pièce silencieuse. L'atmosphère, d'ordinaire si solennelle, se chargeait de lourds nuages, alimentés par l'aura d'Isolys. Elle se dirigea d'un pas rapide vers la place d'Ambre Solnar, ses mouvements précis et déterminés.

Arrivée devant le siège, elle ouvrit un tiroir situé sous la table en C. Elle y trouva ce qu'elle cherchait : des petites bouteilles, aux reflets rouges et verts. Elle les prit délicatement, ses doigts se refermant sur elles comme sur des armes.

- J'arrive, mon amour, murmura-t-elle, sa voix teintée d'un mélange de douceur et de promesse funeste.

Sans hésiter, elle quitta la pièce, se dirigeant droit vers le laboratoire. 

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Lorsqu'on avait dit à Charlie qu'elle deviendrait policière, elle s'était imaginé beaucoup de choses. Cependant, cette situation dépassait son entendement. Des courses de voitures pour rattraper un affreux Habitant du Bas chapardeur, des combats épiques ou des vengeances en justicière, oui ! Pas... L'arrestation d'une conseillère qui avait toujours été réputée pour sa gentillesse et son inventivité.

Charlie avait dû la placer sur une chaise dont les lanières s'attachaient autour des poignets et des chevilles de la conseillère. La ficeler ainsi avait été difficile. Ambre Solnar avait continué de protester et de crier, d'insulter Charlie et ses collègues de tout les noms. 

Il y avait dans ses pupilles une lueur folle qui dérangea profondément Charlie, la mit si mal à l'aise qu'elle laissa ses collègues s'en charger et s'éloigna pour prendre l'air.

Elle perçut l'arrivée d'Isolys comme une bénédiction. La conseillère était toujours aussi belle, dans son vêtement entièrement blanc, et ses cheveux blonds relevés en queue de cheval. Les yeux de Charlie s'éclairèrent:

- Bonjour ! Nous l'avons placée dans son laboratoire, comme vous l'aviez demandé... J'ai l'impression qu'elle a arrêté de protester.

- Très bien, Charlie. Je suis contente de toi.

La policière se leva, remettant sa veste rouge à l'insigne d'Eternalis. Elle rougit lorsqu'elle entendit la conseillère dire ces derniers mots.

- Peux tu dire à tes collègues de sortir de la pièce ? J'aimerais m'entretenir seule avec elle.

Charlie eut l'air surprise, mais obtempéra. Les quatre gardiens de la paix se retrouvèrent alors devant la porte qu'Isolys claqua derrière elle. La brune souffla sur la mèche argentée de ses cheveux, un peu confuse:

- Vous... Pourquoi on ne l'amène pas au poste ? Je me demande si c'est très réglementaire de faire ça.

- Laisse les, intervint une femme plus agée, un rictus amusé déformant son visage fermé. Ca ne m'étonne pas, ce genre de choses, surtout elles deux...

Charlie leva un sourcil, curieuse:

- Elles deux ?

- T'as pas entendu parler de leur relation secrète ? Ces deux-là se voyaient depuis un moment. Ce genre de choses arrivent... Il y en a toujours une des deux qui tourne mal. Dommage que ça soit elle.

Les autres acquiescèrent d'un air fatigué en s'éloignant de la pièce désormais fermée. Charlie fronça les sourcils et prit un air réservé, restant planté là. Les autres gardes devaient sûrement considérer leur travail comme terminé... Mais elle ne pouvait pas en rester là. Quelque chose la mettait mal à l'aise dans cette histoire, et il était hors de question de laisser deux personnes seules dans un établissement public... Qu'elles soient en couple ou pas. 

Elle remarqua alors qu'il y avait un espace dans l'entrebâillement, ce qui lui permettait d'entrevoir les deux femmes. Elle se pencha, et y mit l'oeil.

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Léah sortit de l'emplacement des tentes en discutant avec Rory. Le jeune homme faisait tourner un gadjet dans sa main qui projetait des étincelles à chaque impulsion, ce que la rose regardait avec attention, tout en marchant à ses côtés.

- Tu voudrais quoi pour tes vingt-quatre ans, toi ? demandait le roux en se penchant sur elle, un sourire sur ses lèvres couvertes d'anneaux.

- Je ne sais pas, réfléchit la jeune femme aux yeux gris, tentant de lui prendre l'objet des mains.

Il lui donna le gadjet qui l'intéressait tant, et se pencha sur elle:

- Laisse moi réfléchir. L'année dernière, tu as eu un tatouage. L'année d'avant, un réveille-matin créé par Nolan... 

- J'adorerais que Nolan me construise quelque chose d'autre, avoua la rose avec un grand sourire. Ce p'tit gars est vraiment un prodige. Tu te rends compte, il avait huit ans quand il a construit sa première machine à remonter le temps.

- Elle ne marchait pas, fit remarquer le roux en sautant par dessus une poubelle renversée au sol, où des rats venaient grouiller à l'intérieur des sacs.

- Certes. 

- Moi je pense que j'aimerais bien me faire les "snake bites", supposa-t-il avec un bon accent anglais. 

Elle se tourna vers lui avec un air un peu surpris, lui demandant ce que c'était. S'ensuivit une longue explication de la part du roux qui pointait ses joues en les creusant du bout de son index. 

Leur conversation fut soudain coupée lorsque les yeux de Léah s'écarquillèrent. Comme une biche qui écoute le son des chasseurs, elle se tourna, regardant les bâtiments miteux autour d'eux.

- Quoi ? Tu as entendu quelque chose ?

- Une patrouille. On devrait pas rester là.

Un cri retentit, et les yeux marrons de Rory se figèrent. Ni une ni deux, il attrapa la main de Léah et se précipita vers l'emplacement des grandes tentes où ses compagnons se trouvaient encore. 

- Dépêche toi !

Ils s'étaient éloignés de l'endroit, et montèrent d'un bond sur des couvercles de poubelle pour atteindre un toit. Celui-ci grinça sous le poids des deux jeunes, mais ceux-ci ne restèrent pas assez longtemps pour le faire écrouler. Ils sautèrent et se rattrapèrent à un grillage. Les doigts de Léah s'écorchèrent et elle grogna de douleur, mais escalada pour atterrir en une roulade maitrisée de l'autre côté. Après quelques ruelles, elle retrouva les épaisses bâches.

Rory souleva le tissus et entra, demandant d'une voix forte:

- Est-ce que tout va bien ?

Léah n'eut pas le temps de rentrer qu'elle l'entendit crier de surprise et de douleur. Une brigade de soldats étaient là. Leurs habits étaient rouges, salis de boue, et ils portaient des masques qui leur permettaient de respirer plus facilement. De ce fait, seul leurs yeux dépassaient de leurs cagoules, et les tasers luisaient dangereusement.

Ils avaient été surpris par Rory, et l'un d'eux l'avait touché du bout de son arme. Rory frotta son bras en serrant les dents, presque assommé par la décharge. Léah serra les dents et se présenta aux forces de l'ordre, grognant:

- Vous voulez quoi ?

- Nouveau décret, grogna l'un des policiers avec un air froid. Tout les jeunes à partir de 12 ans sont sensés aller travailler. 

- Quel est votre emploi ? demanda agressivement le soldat qui avait tasé Rory par accident.

- On est videurs au bordel de la Basse-Ville. Elle et moi. Vous voulez voir nos cartes ? dit le roux en reculant, impressionné par l'arme qu'il brandissait. 

- Non, c'est bon, marmonna l'homme qui semblait se désintéresser de lui.

- Léah !

Jade entra dans la tente avec la même énergie que son frère, quelques minutes avant. Ses cheveux étaient décoiffés et son visage trahissait sa panique apparente. Elle ne prit pas le temps de reprendre son souffle, lançant d'une voix terrifiée:

- Ils ont pris Maddie ! 

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Le coeur d'Isolys ratta un battement en voyant le visage terrifié d'Ambre, assise au fond du siège. Elle se pencha sur elle et dit d'un ton terriblement sincère:

- Je suis désolé, mon coeur.

- Je... Je ne pensais pas que ne pas prendre mes médicaments pendant une semaine me rendrait comme ça, murmura la brune de sa voix brisée d'avoir crié. 

- Ca faisait longtemps que tu ne m'avais pas menacé de mort... J'ai peut-être surréagi. J'ai eu peur que tu tires, cette fois. Ce n'est pas contre toi.

Isolys trouva les lèvres d'Ambre, et des larmes salées se mêlèrent au baiser. La main tendre et froide de la blonde écarta les mèches de cheveux qui obscurcissaient les joues de son aimée, pour l'embrasser plus entièrement. 

Puis elle se releva, et tira une seringue de son dos. Les deux femmes furent parcourues d'un frisson presque commun, et les yeux rouges d'Ambre regardèrent autour d'elle, frénétiquement.

- Je ne voulais pas te faire de mal, babe, dit elle d'une voix étrange.

- Moi non plus je ne veux pas te faire de mal, répondit tendrement Isolys, dont les yeux se durcissaient soudainement.

Elle mit une pichenette dans la seringue qui contenait un étrange liquide vert, qui se refléta dans les yeux de Ambre qui se mit à pleurer. Elle tourna la tête dans tout les sens, se tortilla dans le siège, abîmant ses poignets avec les lanières.

- Je suis tellement désolée... Je ne voulais pas, 'Lys... 

Mais cette dernière restait de marbre face à ses prières, et malgré les larmes qui roulaient sur ses joues, elle enfonça l'aiguille dans la veine de son poignet. Ambre hurla ses pleurs, fermant les yeux sous la sensation désagréable.

Puis, Isolys versa méthodiquement le liquide à travers ses veines, et les yeux de la jeune femme s'écarquillèrent, ses pupilles s'étendant pour ne faire de ses yeux que deux points noirs désespérés. Mais malgré ce spectacle douloureux à regarder à ressentir, la conseillère restait de marbre.

La première seringue fut vidée, puis elle sortit de sa besace une fiole au contenu ambré. Les yeux de la brune s'écarquillèrent, et elle se débattit avec plus de véhémence encore:

- Non ! Non, pas celle-là... Pas une autre !

- Tais... Toi ! cria Isolys, dont les nerfs commençaient à être mis à rude épreuve.

Ambre sentit une baffe venir lui remettre les idées en place. Décoiffée par la claque, elle pantela un moment, la douleur l'abrutissant, et sentit qu'on lui injectait d'autres produits encore. Elle hurla de douleur, des flashs de lumière l'aveuglant. Des fioles vides tombaient sur le sol.

- ARRÊTE ! Si tu... Si tu en met trop, on ne pourra plus revenir en arrière, sanglota Ambre.

Isolys lui prit le menton avec violence et le releva vers elle. Ambre, terrifiée, croisa le regard plein de haine de la blonde qui lui cracha d'un air brusque à l'oreille:

- Et le jour où tu as tué mon père, tu as pensé au retour en arrière ?

- Je suis désolée... Tellement désolée... dit Ambre en tordant son cou dans tout les sens, voulant échapper au regard vengeur de la femme qui se relevait et remplissait à nouveau une seringue. Arrête, Isolys !

Mais la blonde ne s'arrêtait pas, et bientôt, les cris de douleur d'Ambre se réduisirent en un murmure, elle perdit connaissance, un sourire douloureux au lèvres. Isolys se releva, pantelante, et ramassa les fioles par terre.

- Tu as tout vu... N'est-ce pas ?

Charlie écarquilla les yeux derrière la porte lorsqu'elle croisa le regard bleu mortel de la conseillère. Elle étouffa un cri avec la main qu'elle posa sur sa bouche et recula précipitamment de la porte, comme brûlée.

- Entre, je ne vais pas te manger.

La policière tremblait lorsqu'elle se présenta à Isolys, nerveuse. La blonde la contempla, les manches de sa robe étaient tachées de sang alors que de nombreuses blessures sur la gorge d'Ambre étaient apparues, suintantes. Charlie déglutit en voyant ce triste spectacle, on aurait dit un pantin désarticulé et son fabriquant.

- Ca fait plusieurs années qu'Ambre est malade.

Isolys se pencha sur l'évier, et remplit une gourde blanche avec l'eau du robinet, tout en nettoyant les fioles vides. 

- Mais ça ne fait qu'empirer. J'espère que cette dose sera suffisante pour l'aider. Pourrais-tu l'arranger ? Je veux qu'elle soie présentable si la reine lui rend visite. 

Charlie hocha la tête, comprenant que l'honneur d'Ambre Solnar était en jeu. Elle recoiffa la jeune femme, passant ses doigts légers sur ses traits tirés et son visage pâle. Puis, elle sortit un mouchoir pour essuyer le sang sur son cou, sur ses poignets. 

Pendant ce temps, Isolys ajoutait aux gourdes remplies d'eau l'étrange contenu d'une fiole aux couleurs violettes. Lorsqu'elle eut finit, elle fit disparaitre les deux récipients dans sa besace et se tourna vers Charlie:

- Je vais aller prévenir la reine de ce regrettable incident. Conduisez la à l'endroit où elle devrait être en ce moment même. Félicitations, Charlie. Tu es gradée.

Et à quel prix, cela, Charlie n'en avait pas encore conscience...

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