EPISODE 2 Chapitre 4: Tentative de meurtre
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Luthien Lorendil n'avait jamais été un homme simple, et cela tout le monde le savait. Dès l'enfance, il avait attiré les regards, non seulement par son apparence singulière, mais aussi par son attitude et son port altier. Ses oreilles légèrement pointues, vestiges d'une lignée ancienne, et ses longs cheveux bruns lisses évoquaient des légendes elfes oubliées. Il était un mélange de mystère et d'élégance, un homme que l'on remarquait, que l'on scrutait. Mais en cet instant, cette prestance naturelle semblait l'abandonner.
Sa voix grave, qui d'ordinaire captivait les foules, lui semblait aujourd'hui dérisoire face à l'hostilité palpable de la pièce. Il doutait qu'elle suffise à convaincre quiconque, surtout pas cette femme aux cheveux teints en rose qui le fixait avec un mépris glacé. Ses iris perçantes le réduisaient à néant.
Il essuya discrètement une goutte de sueur qui glissait le long de sa tempe. Pourquoi était-il venu ici, déjà ? Une question qu'il ne cessait de se poser depuis qu'il avait franchi les limites de la Ville du Bas.
Cette ville ne voulait pas de lui. Cela se lisait dans les regards, dans les silences lourds et les ricanements étouffés. Il détourna un instant les yeux vers sa femme, Gaïa. Sa peau chocolatée et ses cheveux noirs encadraient un visage plus serein, mais même elle semblait tendue, mal à l'aise. Contrairement à lui, elle paraissait mieux se fondre dans l'ambiance délabrée et chaotique de ce lieu. Pourtant, quelque chose dans son attitude lui échappait. Ses bijoux cliquetaient à ses oreilles tandis qu'il inclinait la tête, remarquant un détail intrigant : un masque dépassait de la poche de sa femme. Il fronça les sourcils. Gaïa, où es-tu donc allée fouiner ?
- Qu'il parle, lança la femme aux cheveux roses d'un ton tranchant, croisant les bras. Sa voix claqua comme un fouet, brisant le silence tendu.
Luthien se redressa, ajustant les manches brodées de sa chemise, mais malgré ses efforts pour paraître maître de lui, il ne pouvait ignorer la tension qui montait en lui.
- Bonjour. Je m'appelle Lorendil. Luthien Lorendil. Je suis l'un des six conseillers de la reine Eterna, chargé de gouverner Eternalis à ses côtés.
Il marqua une pause, guettant une réaction. La femme le jaugea, son regard parcourant son corps de haut en bas avec un dédain manifeste. Pas un mot ne sortit de ses lèvres serrées. Elle se tourna légèrement vers Gaïa, comme si elle attendait que cette dernière prenne la parole. Mais Gaïa restait figée, trop intimidée pour bouger ou parler. Léah, la femme aux cheveux roses, haussa un sourcil en remarquant à son tour le masque dans la poche de Gaïa.
Elle échangea un regard rapide avec ses compagnons. Jade, assise à sa droite, hocha légèrement la tête, tandis que Rory, à sa gauche, croisa les bras en affichant un air rebelle. Léah, debout au centre, rayonnait d'une autorité naturelle. Elle était le point d'ancrage de cette salle, la seule à s'adresser directement à Luthien.
- Je sais que ma visite peut paraître... déplacée ? Intéressée ? Étrange, peut-être, reprit Luthien, essayant de reprendre un peu de contenance. Après tout, vous pourriez penser que je n'ai rien fait pour vous.
- C'est le cas, répondit Léah sèchement, ses lèvres pincées dans une expression dure. Elle n'avait même pas pris la peine de masquer son mépris.
Luthien déglutit, son souffle devenant plus court. Il essaya de garder son calme, mais il sentait ses mots glisser comme du sable entre ses doigts.
- Ce n'est... pas le cas, osa-t-il corriger d'une voix plus hésitante. Mais je ne suis pas ici pour parler de cela. J'aimerais que cette entrevue reste confidentielle. Que personne ici ne parle de ma visite aux habitants de la Ville du Bas.
Léah plissa les yeux, son expression se durcissant encore.
- Pourquoi ? demanda-t-elle avec une froideur calculée, ses mots roulant dans l'air comme un défi.
L'atmosphère s'alourdit. Luthien sentait chaque regard peser sur lui. Ses parures luxueuses, si élégantes dans les salons d'Eternalis, paraissaient ici outrageusement déplacées, presque provocantes. Les bijoux qui tintaient à ses oreilles semblaient hurler sa différence, sa place d'étranger dans ce monde qu'il cherchait à apprivoiser. Mais ici, les silences parlaient plus fort que les mots, et chaque seconde passée à chercher ses mots le condamnait un peu plus.
L'atmosphère pesante de la pièce semblait palpable, comme si l'air lui-même se chargeait de l'intensité des regards, des tensions et des non-dits. Luthien Lorendil s'efforçait de garder une posture droite et digne, malgré la pression écrasante. Les visages autour de lui, marqués par la fatigue, la colère et la méfiance, étaient autant d'accusations silencieuses. Ses mots devaient porter, sinon il ne quitterait peut-être jamais cet endroit vivant.
Il leva les mains en signe d'apaisement, laissant un silence s'installer avant de reprendre, sa voix grave et mesurée dominant le chaos latent :
- Laissez-moi m'expliquer sans me couper, je vous en prie.
Il inspira profondément avant de continuer, son regard se fixant sur Léah, qui incarnait une figure d'autorité incontestée dans cette assemblée.
- Depuis des semaines, la reine Eterna est malade. Son état la contraint à l'inaction, laissant le conseil prendre toutes les décisions à sa place. Elle les accepte sans les remettre en question. Je sais que son règne, et particulièrement ses choix durant la guerre, n'ont pas été tendres avec vous...
À ces mots, Rory, un homme roux à la mine grave, éclata d'un rire amer. Il passa une main dans ses cheveux, le geste nerveux, avant de couper froidement :
- "Pas tendres" ? La limitation des vivres, le travail des enfants, la misère, les déportations... Ils n'étaient pas tendres, en effet.
- Un euphémisme de conseiller, toujours aussi déconnecté, gronda Jade, la femme assise à côté de Léah. Ses yeux brillaient d'une rage contenue, et son ton acéré tranchait l'air comme une lame.
Elle tendit soudain le bras pour saisir la main d'une jeune fille blonde qui jouait discrètement avec un engrenage rouillé dans un coin. La préadolescente releva la tête, ses yeux craintifs rencontrant ceux de Luthien.
- Ils l'ont frappée jusqu'à ce qu'elle perde connaissance, déclara Jade, sa voix tremblante d'émotion, parce qu'elle a osé dire à un policier qu'ils devraient arrêter de se battre.
Luthien détourna les yeux un instant, troublé, puis, dans un geste presque maladroit, il retira ses lunettes à monture dorée et se frotta l'arête du nez.
- Je... Je suis désolé d'apprendre cela, murmura-t-il sincèrement, avant de poser un regard plus doux sur la jeune fille. Quel est son nom ?
- Maddie, répondit Jade, sa voix toujours empreinte de colère. Elle a treize ans.
Léah, qui observait la scène, sembla hésiter un instant. La sincérité dans les yeux de Luthien fit fléchir sa posture rigide. Ses muscles se détendirent légèrement, et elle tapa doucement sur ses genoux pour signifier à la jeune fille qu'elle pouvait retourner jouer. Maddie s'éclipsa rapidement, tandis que Jade reprenait sa place près de Léah, posant une main apaisante sur son épaule.
Après un moment de silence, Léah hocha la tête en direction de Rory.
- Donnez une chaise à la femme. Je veux écouter ce qu'il a à dire.
Rory obtempéra à contrecœur, installant une chaise pour Gaïa, qui s'assit maladroitement, un peu rougissante. Luthien, toujours debout, observait la scène avec une expression dure mais calculatrice.
- Depuis que la reine ne surveille plus les décrets du conseil, celui-ci s'oriente dangereusement vers des politiques que je réprouve fermement, déclara-t-il d'un ton plus assuré. Ils veulent transformer la Ville du Bas en une gigantesque usine pour rattraper les folies économiques de la Ville Haute. Faire de vous des travailleurs ne leur suffit plus. Ils veulent des mineurs, puis des esclaves.
Ces mots frappèrent l'assemblée comme un coup de tonnerre. Léah fronça les sourcils, portant instinctivement sa main à sa bouche pour ronger ses ongles, un geste nerveux que Jade interrompit doucement en posant sa main sur la sienne.
- Le conseiller Belvoir et moi nous opposons à ces décisions, mais notre influence s'amenuise. Le reste du conseil ne nous écoute pas. Nous sommes sur une pente glissante, et je crains une dérive vers l'anarchie.
Léah échangea un regard inquiet avec Jade et Rory, mais avant qu'elle ne puisse poser une question, Luthien poursuivit.
- J'en ai discuté avec une membre influente du conseil : Ambre Solnar. Si rien n'est fait, ce sera elle qui vous mènera à l'échafaud. Elle souhaite passer une série de lois qui accorderont encore plus de droits aux forces de l'ordre dans la Ville du Bas.
- Ils en ont déjà trop, grogna une voix dans l'assemblée, déclenchant un murmure d'indignation générale.
Léah leva une main, et sa seule présence imposante suffit à ramener un semblant de calme.
- Les tasers étaient déjà un cauchemar, déclara-t-elle froidement. Vous voulez dire qu'ils cherchent à armer les policiers encore davantage ?
- Oui, confirma Luthien, croisant son regard. Des pistolets, des matraques... tout ce qu'ils peuvent utiliser. Ces armes seraient légitimées sous le prétexte d'autodéfense, même en cas d'abus manifeste.
Léah écarquilla les yeux, et Jade recula légèrement, visiblement troublée par cette révélation.
- Vous savez qu'il y aura des bavures, intervint Rory d'un ton grave.
- Bien sûr qu'ils le savent, répondit Luthien, son visage sombre. C'est précisément ce qu'ils veulent. Instaurer un climat de peur, diviser pour mieux régner. Ce n'est rien de moins qu'une dictature qui se met en place. Si nous laissons faire, ils feront de vous... des esclaves.
La pièce s'enflamma à nouveau, les murmures et grognements reprenant de plus belle. Léah se redressa brusquement, criant d'une voix ferme :
- Silence !
Un calme précaire retomba, et elle planta son regard dans celui de Luthien.
- Conseiller Lorendil, vous qui avez laissé ces lois abjectes pourrir nos vies jusqu'à maintenant, j'ai une question : pourquoi ? Pourquoi êtes-vous ici aujourd'hui ? Est-ce pour vous poser en sauveur, espérant qu'on vous acclame comme un messie descendu de votre tour d'ivoire ?
Luthien se redressa, le tintement de ses boucles d'oreilles résonnant légèrement dans le silence.
- Pas du tout, murmura-t-il d'une voix calme mais déterminée.
- Alors, quel est votre but en nous révélant cela ? insista Léah, ses yeux brillant de défi.
Luthien inspira profondément avant de lâcher :
- Je veux vous proposer un marché que vous ne pourrez refuser : de l'or. Beaucoup d'or. Si vous acceptez de faire sauter l'une des quatre passerelles reliant la Ville Haute au Bas, au moment où la loi sera votée.
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La main d'Ambre tremblait tellement qu'elle se demandait par quel miracle elle arrivait encore à tenir l'arme. Chaque mouvement de son poignet semblait alourdir le poids du pistolet azur qu'elle brandissait avec une détermination vacillante. Ses yeux s'emplissaient de larmes, brouillant sa vision, mais même à travers ce voile humide, elle ne pouvait se détacher du regard hypnotique d'Isolys. Ce dernier, froid et perçant, semblait fouiller son âme, exacerber chaque doute et chaque douleur enfouie.
- Es-tu réellement en train de me menacer ? demanda Isolys d'un ton calme, ses mots tranchant le silence comme une lame. Baisse cette arme, Ambre.
La blonde restait immobile, debout près de son bureau, une main posée sur le bord, comme pour ancrer son calme apparent dans une réalité tangible. Mais Ambre, elle, avançait, chaque pas résonnant sur le parquet, une menace muette. Son visage ravagé par la douleur émotionnelle était méconnaissable, les larmes sur ses joues s'étant évaporées sous l'effet de la chaleur ambiante et de la rage qui grondait en elle.
- Non, lâcha-t-elle enfin, sa voix tremblante d'une colère retenue. Deux ans de ma vie que j'ai gâchés dans tes bras. À n'écouter que toi. Tu t'es servie de moi.
Isolys recula légèrement, ses épaules se tendant. Une lueur d'incertitude passa dans ses yeux.
- Ambre, tu me fais peur. Pose ce pistolet.
Mais les mots glissèrent sur la brune comme une pluie sur un roc. Ses doigts se resserrèrent autour de l'arme, et la distance entre elles se réduisit encore. Un mètre à peine séparait désormais le canon tremblant de la tempe immaculée d'Isolys. Les traits d'Ambre se déformaient sous l'emprise de la rage, et chaque mot de la blonde, qui devenait de plus en plus nerveuse, semblait jeter de l'huile sur le feu.
- Non !
La voix d'Ambre claqua, brisant toute possibilité de conciliation. Isolys, malgré son apparente maîtrise, tourna la tête vers les gardes postés près de la porte.
- Ambre, s'il te plait...
- Je vais te tuer !
- Gardes, emparez-vous d'elle.
Tout se déroula en une fraction de seconde. Avant qu'Ambre ne puisse réagir, deux policiers surgirent et lui arrachèrent violemment le pistolet des mains. L'arme tomba au sol avec un bruit métallique strident, brisant le silence solennel de la pièce. Ambre fut plaquée contre le mur à sa gauche avec une brutalité qui lui coupa le souffle.
- Non ! s'exclama-t-elle, la panique gagnant sa voix, ses jambes cherchant à se dérober à l'étreinte de fer des gardes.
Isolys, elle, resta immobile. Son visage trahissait un calme glacial, presque cruel. Elle s'avança lentement, ses talons claquant légèrement sur le sol, avant de se pencher pour ramasser l'arme.
- Au nom de la loi, vous êtes en état d'arrestation pour tentative de meurtre, dit-elle d'une voix douce, presque apaisante, comme si elle récitait un passage bien connu d'une pièce de théâtre.
Déposant le pistolet sur la table de travail d'Ambre, elle observa la scène d'un œil distant. Les cris de protestation de la brune résonnaient dans la pièce, s'entrechoquant avec les ordres aboyés par les gardes. Le troisième garde s'approcha et saisit Ambre à la gorge pour tenter de la maîtriser, mais elle se débattait avec une énergie désespérée.
- Isolys ! Non ! cria-t-elle, sa voix empreinte d'une terreur et d'une rage mêlées.
Isolys leva un sourcil, comme exaspérée par ces éclats d'émotion.
- Arrête donc de crier. Je t'avais prévenue. Tu ne peux plus te permettre d'être imprudente et irréfléchie. Tes actions ont des conséquences et tu ne mettras pas tout sur le compte de la maladie.
Ambre, malgré les coups qu'elle recevait, continuait de lutter, ses cris se transformant en râles.
- Lâchez-moi ! hurla-t-elle, sa voix brisée.
Alors qu'elle parvenait à repousser un garde, un coup à la tempe la fit vaciller. Un autre coup, porté dans son ventre, la plia en deux. Elle tomba à genoux, haletante, son souffle coupé par la douleur qui irradiait dans tout son corps.
- Je... Je vais te buter, Isolys !
Isolys, qui jouait négligemment avec le pistolet d'Ambre, tourna enfin la tête vers elle. Un sourire amer étira ses lèvres, son ton empreint de tristesse:
- Et menaces contre un membre du conseil.
Le cri rageur d'Ambre éclata, déchirant l'air comme un coup de tonnerre.
- TA GUEULE !
Sa tentative de résistance fut rapidement écrasée. Un soldat, excédé, la roua de coups, ses poings et ses pieds s'abattant avec une régularité implacable. Chaque impact résonnait comme un gong funeste dans la pièce, les meubles semblant trembler sous l'intensité de la violence.
Ambre finit par s'effondrer contre le mur, son corps tremblant sous le poids de l'épuisement et de la douleur. Toujours debout, Isolys ne la quitta pas des yeux. Sa main, qui tenait le pistolet, ne trembla pas une seconde.
- Je t'avais pourtant prévenue, murmura-t-elle, presque pour elle-même. Tu ne fais que confirmer ce que je savais déjà... Tu es trop faible pour prétendre à un trône. Trop malade. Tu ne me laisses pas le choix, Ambre. Amenez la au laboratoire, je vais devoir lui mettre la dose maximale.
- Madame... Cela pourrait être dangereux, s'exclama l'officier près d'elle, qui semblait de plus en plus mal à l'aise.
- Vous savez qu'elle souffre de maladies mentales. C'est sans doute une de ses crises d'hystérie. Je ne vois qu'un moyen de lui faire reprendre ses esprits.
- La dose maximale... répéta l'homme, sa moustache tressautant de nervosité. Tout de même.
- J'essaie simplement de la préserver, officier, dit avec douceur Isolys, posant ses mains sur les épaulettes de l'homme habillé en rouge. Ce qu'elle vient de faire est très grave. J'irais lui parler lorsque vous lui aurez injecté cela. D'accord ?
- N'avez-vous pas peur qu'elle essaie de vous tuer à nouveau, conseillère ? murmura-t-il d'un air sincèrement inquiet. Ce n'est peut-être pas si sur que cela pour vous.
- J'ai confiance en elle. Je l'aime, vous savez. L'amour sera plus fort que sa maladie mentale.
Isolys offrit un sourire réconfortant à l'homme, et fit un léger signe du menton aux gardes qui menottèrent Ambre. Celle-ci cracha du sang au sol, et se laissa balloter, emportée par les militaires.
Isolys les suivit jusqu'au portail, où Ambre se débattait encore, sanglotant et criant contre tout ceux qui l'approchaient. Elle mordait, griffait les soldats qui semblaient impressionnés par la furie.
Devant le portail, Charlie attendait, se mettant au garde à vue en voyant ses supérieurs. Isolys lui offrit un faible sourire:
- Conduisez cette femme au laboratoire et surveillez-la, le temps que j'arrive, Charlie. J'ai confiance en vous. Vous serez gradée dès demain.
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