Chapitre 2: Mollards sapphiques

Isolys et Ambre se retrouvent après le conseil. Isolys propose à Ambre de la voir pour son anniversaire, mais celle-ci ne vient pas. Elle se rend donc au bordel de la Basse-Ville, pensant la trouver là-bas.

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Charlie s'était réveillée du mauvais pied ce matin. Ce n'était pas inhabituel, mais aujourd'hui, elle avait l'impression que ce serait pire que les autres fois. En soupirant, elle avait essayé de discipliner ses cheveux bruns devant le miroir de la salle de bain. La mèche argentée dans sa frange rideau semblait la narguer, capturant la lumière comme une cicatrice qu'on ne pouvait cacher.

- Ça va être une mauvaise journée, murmura-t-elle à son reflet, résignée.

Elle se contenta d'une toilette de chat, se passant rapidement de l'eau froide sur le visage pour chasser les derniers relents de sommeil. Puis, après avoir vérifié son reflet une dernière fois, elle enfila trois anneaux noirs à son oreille droite, la seule percée. Cela lui suffisait pour se sentir vaguement elle-même. Enfin prête — ou du moins prétendant l'être —, elle quitta la salle de bain.

À peine avait-elle franchi le seuil qu'elle se retrouva nez à nez avec Solange. La grande femme la surpassait d'une bonne demi-tête et la regardait avec ce sourire espiègle qu'elle arborait chaque fois qu'elle sentait une occasion de se moquer.

- Charlie ! Tu me fonçais droit dessus, rigola-t-elle en croisant les bras.

La brune sursauta légèrement, encore à moitié dans les brumes du sommeil.

- S'lut, Solange, grogna-t-elle en levant les yeux au ciel.

Elle contourna son amie d'un pas brusque, mais cela ne fit qu'alimenter les moqueries de cette dernière.

- On dirait une loutre mal famée ce matin, tu le sais ?

Charlie ne répondit pas, préférant ignorer le commentaire. Elle entra dans la cuisine, où l'odeur rassurante du café fraîchement moulu lui redonna un semblant de patience. Alors qu'elle versait du café noir dans une tasse ébréchée qu'elle refusait de remplacer, elle lança à sa colocataire d'un ton sec :

- Moque-toi de moi autant que tu veux. En attendant, t'es toujours étudiante.

Solange, qui venait de la rejoindre, éclata de rire tout en ajustant les manches de son pyjama.

- Parce que toi, ton métier te plaît ? Policière ?

Charlie se retourna, outrée.

- Bien sûr que ça me plaît ! C'est le boulot de mes rêves.

Solange haussa un sourcil, clairement sceptique.

- Sincèrement ? Aller chercher des noises aux habitants d'En Bas, c'est ton rêve ? Quel genre de masochiste es-tu, Charlie ?

Elle pouffa de rire en attachant ses longs cheveux noirs en un chignon rapide. Charlie, elle, grogna en réponse.

- Ce n'est pas que ça. Je ne fais presque jamais de patrouilles là-bas. Je déteste cet endroit. C'est lugubre, mal famé, sale...

- Comme les gens qui y habitent, conclut Solange avec une désinvolture qui fit soupirer Charlie.

Les deux femmes s'assirent finalement autour de la petite table de la cuisine, chacune une tasse de café à la main. Solange tendit soudain la main vers la frange de Charlie, qui eut un mouvement de recul.

- Tu fais quoi, là ? s'exclama-t-elle en fronçant les sourcils.

- Je regarde ta teinture, répondit Solange, un sourire amusé aux lèvres.

- Ce n'est pas une teinture. C'est naturel.

- Pourquoi t'as une mèche blanche, alors ?

Charlie soupira, exaspérée.

- J'en sais rien. Ça fait un an qu'on cohabite et tu n'as toujours pas remarqué mes cheveux ? Je le prends mal, Solange.

Solange éclata de rire, haussant les épaules.

- Oh, ça va. Tu sais bien que mes études de droit me bouffent tout mon temps de cerveau disponible. Je ne me rappelle même pas de ta couleur préférée, alors tes cheveux...

- Mes études aussi me prenaient beaucoup de temps, mais je n'ai jamais oublié ton anniversaire, moi, lança Charlie en tripotant les anneaux à son oreille, visiblement irritée.

Solange leva les mains en signe de reddition.

- D'accord, d'accord, cessons de nous chamailler, conclut-elle en se redressant.

Elle posa ses mains à plat sur la table, son ton devenant un peu plus sérieux.

- Ton transmetteur a bipé cette nuit. Des conseillers t'ont appelée.

- Quoi ? Pourquoi tu ne m'as pas réveillée ? s'exclama Charlie en relevant la tête, ses sourcils se fronçant immédiatement.

- Parce que tu dormais comme un bébé dans ta chambre, répondit Solange en haussant les épaules. C'était Isolys Elle a laissé un message.

Charlie se leva précipitamment, attrapant l'appareil qui clignotait doucement sur le comptoir.

- Si elle m'a appelée, c'est que c'est important, grogna-t-elle en enfilant une paire de chaussettes.

- Calme-toi ! Ça ne semblait pas urgent.

- "Semblait" ?! Je ne peux pas prendre ce genre de risque, répliqua Charlie en attrapant sa veste rouge aux armoiries de la Haute Ville.

Solange roula des yeux, croisant les bras d'un air agacé.

- Tu vas vraiment partir comme ça, là, maintenant ? Mec, c'est pas cool ! J'avais préparé un super petit déj'.

Charlie lui lança un regard contrit, hésitant un instant sur le pas de la porte.

- Désolée.

Solange soupira, puis se dirigea vers une petite étagère et en sortit un paquet enveloppé dans un papier argenté.

- Tiens, c'est l'anniversaire d'une des conseillères aujourd'hui. Donne-lui ça, elle te filera peut-être une promotion.

Charlie attrapa le paquet, un sourire reconnaissant aux lèvres.

- Merci, Solange. Tu gères.

Solange haussa les épaules, un sourire en coin.

- Ouais, ouais. Dis-lui que c'est de ma part, histoire qu'elle sache qui est la vraie star, lança-t-elle en retournant à sa tasse de café.

Charlie rit légèrement, avant de disparaître dans le couloir. Le bip du transmetteur résonnait encore dans sa tête. Si Isolys l'avait appelée, il y avait forcément une raison. Et Charlie n'aimait pas les surprises. Elle irait s'excuser auprès de la conseillère de ne pas être arrivée plus tôt.

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Isolys regarda autour d'elle en humant les parfums du bordel. Les femmes passaient, avec leurs courbes rondes, la chaleur ambiante faisant courir sur leurs peaux un peu de sueur. Des personnes bien habillées les suivaient, portant un masque sur leurs visages. La blonde aussi portait toujours le sien, et garda ses mains contre elle, jointes. 

- Excusez-moi, bonjour ?

Elle tourna la tête, pensant qu'on s'adressait à elle. Ce ne fut pas le cas. C'était une femme à la peau chocolatée, dont le visage était découvert. Elle avait de grands yeux de biche aux pupilles égarées, et portait un chignon soutenu par une broche en or.

Isolys fronça les sourcils derrière son masque de la même matière. Cette femme n'était pas une courtisane, et semblait égarée. Elle s'approcha, balançant ses hanches dans sa robe blanche tressée, et posa sa main sur l'épaule de la femme. Celle-ci sursauta et se retourna, sa grande robe bleue s'affolant sur ses longues jambes.

- Bonjour, vous travaillez ici ?

- N-non, bafouilla la femme, visiblement impressionnée par le masque et la voix froide de la blonde. Pas du tout.

- Vous venez de la Haute-Ville, ça se voit. Mettez ce masque.

La blonde se pencha gracieusement au dessus d'une courtisane, lui offrant momentanément une vue qui la fit rougir, pour s'emparer d'un, blanc et sans artifice.

- Pourquoi ? Tout le monde n'est pas masqué, ici, dit timidement la femme en le posant sur son visage, courbant l'échine pour remercier la conseillère du geste.

- Ce sont uniquement les courtisanes et les gens travaillant ici qui ne se masquent pas. Nous gardons l'anonymat, vous voyez. Ce genre d'endroits... Vaut mieux les fréquenter anonymement.

- Oh... souffla la femme, qui se mordit la lèvre et sembla catastrophée.

Isolys suivit distraitement le mouvement des yeux, avant de pencher son menton élégant vers elle et souffler:

- Vous avez parlé à quelqu'un ici, sans votre masque ? Vous a-t-on reconnue ?

- Je crois, oui. Je ne comprenais pas pourquoi tout le monde me regardait bizarrement... Oh, je suis vraiment confuse. 

- Vous n'êtes pas sensée être là, constata Isolys en pinçant ses lèvres pâles. 

- Je... Qu'insinuez-vous ? demanda la femme, une certaine tension dans sa voix. 

- Vous avez une bague à l'annulaire. Vous n'êtes pas habituée à l'endroit... Et vous vous cachez de quelque chose. 

- Tout le monde cache quelque chose, finit par dire la femme en dardant ses beaux yeux sur la silhouette athlétique de la femme habillée en blanc, en face d'elle.

- Quel est votre nom ?

- Vous aviez dit vous même qu'il fallait être anonyme, ici.

- J'ai vu votre visage, murmura Isolys en se penchant vers elle, visiblement un peu agacée. Je sais que vous avez une petite cicatrice dans le sourcil, en forme de croissant de lune, et deux grains de beautés parallèles sous les deux yeux. Je sais bien plus de choses sur vous que votre nom avec cela.

La femme fit un pas en arrière, rougit un peu et hocha la tête, tirant nerveusement sur l'alliance à son annulaire. Les yeux bleus de la conseillère la transperçaient, sans la mettre mal à l'aise.

- Je m'appelle Gaïa. 

- Bienvenue au bordel de la Basse Ville... Gaïa. 

- Que faites vous ici ? demanda la jeune femme à la voix ingénue, se rapprochant de l'imposante stature de la conseillère, qui ne bougea pas d'un poil.

Un sourire fleurit sous le masque d'Isolys. Elle trouvait attachant l'attitude candide et innocente de la jeune femme, qui ne devait pas avoir plus de trente ans. Ses cheveux étaient d'un noir encre, contrastant avec les siens, presque blancs de tant de blondeur. 

- Je suis venue pour chercher quelqu'un. 

- Vous avez l'air d'être habituée aux lieux, pourtant.

- J'ai un poste à haute responsabilité. Je viens parfois me rafraichir les idées dans de tels endroits. Mais ce n'est pas quelque chose dont on parle, Gaïa. 

Ce nom sonnait agréablement dans la bouche d'Isolys. Cela la faisait sourire, alors que l'interpelée frissonnait à cette appelation.

- Et vous ? Quel est votre nom ? demanda la jeune femme à la peau foncée, regardant son interlocutrice sous tout les angles, ses beaux yeux s'éclairant d'une lueur admirative alors qu'elle fixait ses lèvres qui bougeaient.

- Navrée. Je ne peux pas vous le dévoiler. De plus, j'étais venue pour un but précis...

Les yeux de Gaïa s'écarquillèrent dans une moue adorable. Elle posa une main sur sa bouche, catastrophée:

- Pardon, vous êtes occupée ! Je ne voulais surtout pas vous déranger, bon courage pour retrouver la personne que vous cherchez.

- Merci, mademoiselle.

Elles partagèrent un sourire, jusqu'à ce qu'un raclement de gorge retentisse. Une officière de police les dévisageait avec un air neutre. Elle portait la tenue réglementaire de la ville d'en Haut, un haut rouge et une arme à la main. Ses cheveux étaient coupés irrégulièrement, des mèches argentées brillant devant ses yeux bleus. 

- Adieu, alors.

Isolys fit volte face en offrant un dernier regard à la femme, pour suivre la policière qui sortit du bordel. L'atmosphère tamisée, les rires et les gorges des femmes disparurent pour laisser place au froid et à la puanteur de la Basse Ville. Lorsqu'elles atteignirent la grande plateforme, les deux femmes se regardèrent.

Charlie fronça les sourcils en regardant une silhouette encapuchonnée sortir d'une ruelle, marchant droit sur la conseillère. Son pouls s'accéléra, elle serra nerveusement le taser qu'elle portait contre elle. Ce fut lorsqu'elle vit la main de la jeune femme plonger dans la poche de la robe d'Isolys qu'elle bondit pour la renverser:

- Hé, petite voleuse !

Un éclair plus tard, elle levait sa main qui tenait l'arme. Le taser s'éléctrifia avec un petit claquement, toucha la peau de l'inconnue de la Basse-Ville qui avait mis sa main dans la poche d'Isolys.

Le choc fut si violent que la voleuse tomba en arrière au sol. Le souffle court, Charlie leva à nouveau son arme. La femme à capuche tenait une bourse appartenant à la conseillère dans sa main, et son corps fut parcouru d'un spasme électrifié. La douleur devait être intense, mais Charlie n'avait qu'une chose en tête: lui faire lâcher et l'arrêter.

Elle s'apprêtait à abaisser son arme à nouveau et à lui faire subir une nouvelle décharge lorsqu'une autre ombre surgit, agile, et tira d'un coup sec la voleuse vers elle, l'éloignant de la policière. Charlie eut un sursaut, et remarqua que la femme qui venait d'apparaitre avait des cheveux roses, et lança un regard méchant aux deux habitantes de la Haute-Ville.

- Rend lui ! grogna la rose, en s'interposant entre la matraque et la voleuse.

La femme à capuche, tremblante, lança la bourse qui atterrit aux pieds de Isolys, qui n'avait pas encore réagi. La conseillère paraissait choquée, et portait une main à son coeur. Elle se plaça derrière Charlie, dans un geste de protection. 

Charlie regarda la femme aux cheveux roses. Elle avait un visage fermé et colérique, un anneau à son nez qui semblait abimé. Elle portait un blouson de cuir mais on pouvait voir sa musculature développée. Contrairement à la policière qui la regardait d'un air ébahi, elle était en mouvement.

Elle donna sa main à la voleuse, la releva:

- Ca va ? Rien de cassé ? Allez, viens. 

Charlie regarda les deux femmes se relever en fronçant les sourcils, surprise par la voix douce et grave de la femme:

- Hé, attendez ! dit elle d'une voix qui lui paraissait aigue et bien féminine par rapport à celle de l'inconnue.

Comme un sursaut, la femme aux cheveux roses la contempla des pieds à la tête, puis regarda la matraque. La fureur déforma ses traits, et elle lui cracha dessus. Isolys détourna le regard, restant droite et digne. Sans un mot, les deux femmes s'enfuirent alors que Charlie laissait un juron s'échapper de ses lèvres.

- Cette petite conne m'a cradé ma botte !

Il y eut un silence, alors que la conseillère regardait la nacelle arriver lentement, balancée au-dessus du vide. La policière s'était baissée pour essuyer le mollard sur sa chaussure, puis se releva en soupirant. Isolys lui déclara simplement:

- Ambre Solnar n'était pas ici.

- Elle est au laboratoire, conseillère. Elle demande à vous voir, je suis venue vous chercher car vous n'étiez pas joignable.

- Vous avez bien fait. Voilà une navette. Vous savez pourquoi elles ne viennent que tout les quart d'heures, alors que les moyens de transports sont les points forts de la Haute Ville ?

- Parce que les habitants de la Basse Ville ne se rendent pas en haut ? proposa Charlie, un peu nerveuse d'être en présence de la plus éminente de toutes les conseillères.

- Parce qu'il n'y a que quatre points de passage entre le Haut et le Bas, expliqua tranquillement la blonde aux allures royales. Quatre chaines qui retiennent cet endroit de tomber. Quatre points où la Haute ville envoie de l'argent et des vivres à la Basse Ville.

- Oh ! Je ne savais pas. Ils doivent vraiment tout à la Haute-Ville.

- Croyez-moi, ils n'en sont pas reconnaissants pour autant.

- Ces voleurs... gronda Charlie en entrant dans le véhicule. Je m'occuperais de leur arrestation, madame, soyez rassurée...

- Ne mettez pas tout le monde dans le même panier... Charlie, c'est ça ? Vous semblez jeune et inexpérimentée. Tout n'est pas noir ou blanc, ce ne sont pas deux voleurs qui doivent vous donner des idées raciales.

- B-bien sûr ! s'exclama la jeune femme, balbutiant. Ce n'est pas ce que je voulais dire, conseillère Isolys.

- Montez dans la nacelle, j'arrive.

Charlie regarda d'un oeil inquiet la grande blonde à la silhouette svelte s'approcher du garde qui se trouvait sur la nacelle. Elle se pencha sur lui et lui murmura de ses lèvres fines:

- Attrapez moi ces deux femmes et mettez les en garde à vue. Faites ce que vous voulez, mais surtout, ne les tuez pas.

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