Chapitre 12: J'te l'rend en nature, chérie ?
Charlie avait continué de marcher en regardant autour d'elle lorsqu'elle s'aperçut soudain que la femme qui était sensé la guider n'était plus avec elle. Avec un juron, elle se retourna en panique pour s'attendre à la savoir loin, s'échappant de son joug.
Pourtant, Léah était quelques mètres derrière, tapotait un monceau de terre du bout de son mocassin. Charlie grogna:
- Est-ce qu'on peut se dépêcher ? Je n'ai pas le temps de faire du jardinage. Jade est certainement en train de se faire...
- Tu es idiote, dit posément Léah en relevant ses yeux gris agressifs. Et inexpérimentée. Jade porte des sandales. La conseillère a les pieds nus.
Sur ces paroles, elle pointa un ongle court vers la terre, où des empreintes de pas étaient restées. Charlie écarquilla les yeux, surprise et impressionnée. C'était celles des deux fugitives, qui menaient à un autre chemin.
Sans rien ajouter, Léah sauta sur le couvercle d'une poubelle pour atteindre un toit lestement, tout en ayant les poignets liés. Charlie poussa un cri:
- Reviens ici ! Tu ne peux pas partir sans moi !
- Monte, greluche. Je connais quelqu'un qui saura où elles sont allées.
La policière regarda d'un oeil critique la poubelle puis le toit, qui semblait très glissant. Elle qui avait de grosses bottes poussa un soupir éprouvé. Avec un gémissement d'effort et quelques glissades, elle monta sur la poubelle, et sauta sur le toit. Ses pieds glissèrent et elle bascula vers l'arrière avec un cri.
Léah lui attrapa le bassin pour l'attirer vers l'avant. Charlie reprit son équilibre, confuse et un peu embarrassée. Les joues rouges, elle demanda:
- T-tu fais ça tout les jours ? C'est interdit par la loi de monter sur les toits, non ?
Pour toute réponse, les yeux gris de Léah se détournèrent et elle lui fit un doigt d'honneur. Vexée, Charlie s'écarta d'elle et elles reprirent leur route sur les toits. Parfois, Charlie glissait mais elle regardait les mouvements agiles de la rose devant elle, et prenait le coup de main.
Léah sauta lestement par terre et Charlie s'écrasa à ses côtés. Ca n'a aucun sens, elle est bien plus lourde que moi, son dos est en charpie, et j'ai eu une formation au combat et aux arts martiaux ! pesta Charlie en lui lançant un regard noir.
Mais déjà, Léah repartait, et la brune n'eut comme dernière solution que de lui attraper le poignet et de se laisser lamentablement tirer.
- Toi, héla la rose.
Un garçon qui vendait des fleurs sur un rond-point releva la tête à l'appel de Léah. Il était jeune, pas plus de quinze ans, ses cheveux bouclés encadrant un visage sale et effronté. En voyant la rose s'approcher, ses yeux s'écarquillèrent de surprise, puis d'une lueur de défi.
- Léah ? T'es pas censée être morte ou en taule ? demanda-t-il en croisant les bras.
- Tu crois vraiment que des menottes vont m'arrêter ? répliqua Léah avec un sourire en coin, levant ses poignets liés comme preuve du contraire. Mais on n'est pas là pour parler de ma carrière criminelle. T'as vu deux femmes passer récemment ? Une brune avec une cape, qui contraindrait une rousse. Jade.
Le garçon plissa les yeux, méfiant, puis son regard glissa sur Charlie.
- Et c'est qui ? Ta meuf ?
- Elle ? Une fan. Léah haussa les épaules avec désinvolture. Maintenant, réponds. J'ai pas toute la journée, Tommy.
Le dénommé Tommy hésita, observant Charlie avec insistance. Celle-ci fronça les sourcils, mal à l'aise sous son regard scrutateur, mais resta silencieuse, dans une posture imposante. Finalement, le garçon pointa du doigt une ruelle à moitié dissimulée derrière un échafaudage rouillé.
- Elles sont passées par là, y'a pas plus de dix minutes. La rousse m'a fait des signaux de détresse. Elles avaient l'air pressées.
- Merci, gamin, lâcha Léah en lui ébouriffant les cheveux d'un geste brusque.
Tommy grogna, mais ne recula pas. Il tendit simplement la main, paume ouverte, l'expression tendue. Sa jambe de bois fit résonner le petit stand qu'il tenait.
- Et ma part ? T'as oublié comment ça marche ? Les infos, ça coûte.
Léah fit un bruit agacé avec sa langue, fouillant dans ses poches d'un air dramatique.
- Et bah j'ai rien, l'ami. Tu feras sans cette fois.
Les yeux vairons du garçon brillèrent, menaçants, alors que sa main ne se baissait pas et qu'il fronçait les sourcils.
- Tu ne f'ras pas la loi chez moi, Léah. Donne moi l'argent, sans quoi j'appelle le grand Tommy !
Léah se tourna vers Charlie et lui offrit un grand sourire. Celle-ci, dans ses pensées, sursauta en sentant des mains s'enrouler autour de son cou, charmeuses, et les hanches de la rose s'entrechoquer aux siennes:
- Tu le payes et j'te l'rend en nature, chérie ?
Charlie la repoussa violemment, d'un air dégoûté, en regardant le garçon qui se curait le nez:
- Je n'ai pas d'argent et je ne donnerais rien à un vaurien de la Basse-ville !
Elle se tourna vers Léah, un rictus haineux sur les lèvres:
- Je ferais mieux de te vendre aux forces de l'ordre parce que je perd mon temps. Vous êtes tous les mêmes, ceux d'en Bas. Tu ne me sers à rien, juste à perdre du temps avec tes magouilles !
Tobby lança sa crotte de nez en direction de la policière et regarda les stands derrière lui. Léah s'apprêtait à répliquer quelque chose de brûlant, armant ses poings pour les envoyer dans la tête de la brune, mais il dit soudain:
- J'allais pas l'appeler, mais faut dire qu'on aime pas trop les policiers ici... TOBBY !
Une claque froissa la joue de Charlie. Léah l'empoigna par le col et rugit:
- Là, tu nous as mis dans la merde ! Putain, ils sont tous idiots dans les forces de l'ordre ou t'as hérité du pire ?! Ta mère aurait vraiment dû t'avaler !
Charlie bafouilla quelques chose, sonnée par la force de la voix et de la claque de la rose. Elle se laissa entrainer dans les stands du marché sur le rond-point par ses deux mains menottées, alors que "le grand Tobby" semblait remarquer leur présence.
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Rory souffla un bon coup dès qu'il fut enfin seul. Cette femme l'impressionnait et lui faisait peur. Il n'aimait pas cela. Les yeux bleus glacier de la femme l'avaient sondé et semblaient extorquer chaque information de sa tête rousse. Il avait préféré lui dire la vérité.
C'était les dernières paroles de Léah à leur intention qui l'avait choqué. Elle ne voulait pas qu'ils l'approchent. Elle savait qu'elle était déjà condamnée, repérée par l'agent de police qui était avec elle, et souhaitait sûrement protéger son groupe en l'écartant d'elle.
Rory avait été déçu, blessé de cette solitude forcée. Il avait trouvé la nacelle la plus proche des trois restantes et était allé chercher celle qui lui avait semblé le plus à même de sauver sa propre soeur. Ainsi, si la policière tuait Léah, il pourrait au moins sauver sa soeur.
Le roux regarda la pièce autour de lui, et fouilla dans les meubles. Il tomba sur toute sorte d'objets. Des petites fioles vertes, des livres annotés de botanique, quelques photos. Il les regarda. C'était Isolys, certainement, petite. Elle était dans les bras d'un homme musclé dont le sourire faisait ressortir le teint pâle et la mine sérieuse de sa fille.
Le père d'Isolys avait une insigne rouge au torse et un habit des forces de l'ordre. Rory le regarda rayonner et prendre la place sur la photo, alors que sa fille semblait ressortir d'un film tragique, ses yeux sondant la caméra.
Puis il fronça les sourcils en remarquant une petite carte écrite à la main au fond du tiroir. Il s'assit sur le sol pour la lire.
"Chère Ambre Solnar.
J'espère que vos vacances se sont bien passées. Pour ma part, je suis rentré à Noxus. J'ai présenté ma candidature pour être conseiller auprès de la grande reine Eterna afin de représenter l'instance étrangère et les relations internationales. J'espère pouvoir ainsi passer plus de temps à Eternalis. Je serais dans votre cité en juillet.
Seriez vous disponible afin de nous voir ? Si ce message est inconvenant, je vous prie de ne pas y répondre. Nous nous verrons bientôt au conseil, si vous ne consentez pas à la chose, faites comme si vous n'aviez rien reçu.
Bien à vous,
Alexeï Moronov."
- Si je vous ai laissé dans ma maison le temps que je décide quoi faire, ce n'est certainement pas pour que vous voliez mes affaires, lança une voix glaciale derrière lui.
Rory sursauta violemment, pris sur le fait. Dans la panique, il fourra précipitamment la lettre dans sa poche, puis tenta de ramasser les objets qu'il avait éparpillés sur le sol. Isolys se tenait dans l'embrasure de la porte, immobile et froide, ses yeux scrutant méticuleusement chaque détail de la scène.
- J'suis désolé, balbutia-t-il, tentant de garder un semblant de calme. Je cherchais... une brosse à chaussures.
- Je vous en fournirai des neuves. Les vôtres sont défraîchies.
Sa voix était coupante, presque mécanique. Elle referma lentement la porte derrière elle, ses talons claquant doucement contre le sol. Elle croisa les bras, observant Rory avec un mélange d'agacement et de curiosité, tandis qu'il s'agenouillait pour ranger à la hâte une dague et plusieurs flacons.
- Quel est ce liquide ? demanda-t-il en plissant légèrement le nez. Il sent extrêmement fort.
- Vous feriez mieux de ne pas trop vous en approcher. C'est létal.
Il se redressa maladroitement, se balançant d'un pied à l'autre, ses gestes trahissant son insécurité. Le regard perçant d'Isolys lui pesait, mais il trouvait dans son attitude une forme de discipline presque rassurante.
- Je consens à vous aider, finit-elle par dire d'un ton mesuré, mais j'ai besoin d'un service en retour.
Rory haussa un sourcil, surpris, puis son visage s'illumina légèrement, comme si un poids venait de s'alléger.
- Dites-moi tout ! s'exclama-t-il, un soupir de soulagement accompagnant ses mots.
Isolys esquissa un sourire mince, plus calculateur que bienveillant, et fit quelques pas vers lui, s'arrêtant à une distance mesurée.
- Ce soir, expliqua-t-elle, un conseiller influent, Lorendil, organise sa fête annuelle. Une réception extravagante, où se rassemblent les puissants de la Ville d'en Haut. J'ai besoin d'y assister, mais... disons que Lorendil et moi ne sommes pas en bons termes.
Rory fronça légèrement les sourcils, perplexe.
- Et en quoi cela me concerne ? demanda-t-il.
- C'est simple, poursuivit Isolys d'un ton neutre. Si je me présente seule, il ne me lâchera pas. Ses questions seront incessantes, et je n'ai aucune envie de parler de mes opinions politiques.
Elle marqua une pause, sondant son interlocuteur du regard avant de lâcher :
- Je veux que vous m'accompagniez. Vous jouerez le rôle de mon compagnon.
Rory cligna des yeux, éberlué par la requête.
- Votre... compagnon ? Vous voulez dire... faire semblant d'être en couple ?
- Exactement, confirma-t-elle, son ton légèrement impatient. Quel âge avez-vous ?
- Vingt-trois ans, répondit Rory du tac au tac.
- J'en ai trente-trois. Cela devrait aller, dit-elle d'un air détaché. Vous viendrez avec moi et prétendrez être en relation avec moi. Ainsi, Lorendil s'intéressera davantage à vous qu'à moi. Cela détournera également l'attention des journalistes concernant ma relation avec Ambre Solnar.
Rory plissa les yeux, méfiant.
- Vous me demandez de mentir, observa-t-il.
- Évidemment, répliqua Isolys, ses traits se durcissant légèrement. Vous inventerez une vie, une identité. Peu importe ce que vous choisirez, mais pas de fausse note.
Elle fit une pause avant d'ajouter d'un ton tranchant :
- Et une chose encore : pas de contact physique. Je déteste ça.
Rory détourna les yeux, l'esprit troublé.
- Il y a un problème, dit-il après un instant. Je n'ai aucun endroit où loger, et mes vêtements ne sont clairement pas faits pour... ce genre de réception.
- Je m'en occuperai, répondit Isolys d'un ton net. Il y a une chambre d'amis à l'étage. Vous y dormirez. Mais écoutez-moi bien : vous n'entrerez dans aucune autre pièce, vous ne toucherez à rien, et vous ne volerez rien. Si vous enfreignez ces règles, je vous ferai arrêter.
Elle s'avança de nouveau, son regard perçant ancré dans celui de Rory.
- Et tout ce que vous entendrez ou verrez ici reste ici. Est-ce clair ?
Rory serra les poings, son visage se durcissant légèrement.
- J'accepte, finit-il par dire. Mais qu'allez-vous faire pour moi ? Ma sœur a été enlevée par votre... par Ambre. Je veux des garanties qu'elle ne sera pas tuée.
Isolys hocha lentement la tête, comme si elle avait anticipé la question.
- Pour l'instant, rien, admit-elle sans détour. Ambre ne doit pas être traquée. Si elle se sent acculée, elle deviendra encore plus dangereuse, et il y aura davantage de morts.
Rory ouvrit la bouche pour protester, mais elle leva une main pour le faire taire.
- Cependant, dès qu'elle se montrera, je m'engage à prioriser votre sœur lors des recherches.
Le jeune homme plissa les yeux, la colère et l'inquiétude mêlées dans son regard.
- En espérant qu'elle ne se fera pas tuer par vos forces de l'ordre... murmura-t-il, le ton chargé de reproches.
- Je souhaite que cela n'arrive pas, répondit-elle, sa voix soudain plus douce, presque imperceptiblement.
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