Chapitre 10: Prise d'otage

Charlie ne savait pas si c'était la chance ou la malchance qui l'avait menée à se retrouver protégée par un bouclier humain. Toujours est-il que son corps fut soudainement projeté au sol, écrasé sous une masse de muscles, et elle heurta violemment la terre alors qu'une explosion déchirait l'air. La douleur sourde dans ses tympans était la seule marque immédiate de l'impact, mais son instinct lui cria qu'elle avait échappé au pire.

Le choc ne l'immobilisa pas longtemps. Malgré la différence de carrure évidente avec la femme qui venait, involontairement ou non, de lui sauver la vie, Charlie se retrouva bientôt au-dessus d'elle, le souffle encore court. Leurs corps reposaient dans la poussière et les débris, mais l'urgence de la situation lui permit de surmonter son vertige. Léah, cependant, restait immobile, son dos large soulevant et abaissant difficilement la chemise brûlée et en lambeaux qu'elle portait.

Charlie profita de ce bref moment de vulnérabilité pour attraper ses poignets, cherchant à la maîtriser. Ce contact sembla ramener Léah à la réalité. Ses yeux gris-bleu s'écarquillèrent, une lueur de rage pure traversant son regard.

- Me touche pas ! rugit-elle soudainement.

D'un geste vif et précis, Léah libéra l'un de ses bras et envoya un coup de poing directement sur l'arcade sourcilière de Charlie. Cette dernière recula légèrement, poussant un cri de douleur tout en portant une main à son visage, surprise par la brutalité de l'attaque.

Autour d'elles, c'était le chaos : des débris tombaient encore, des cris résonnaient, et l'air empestait la suie et la poussière. Pourtant, leur monde à elles semblait s'être réduit à cet affrontement viscéral et immédiat. Désarmer l'autre était devenu leur unique objectif.

Léah, malgré son dos brûlé, profita de l'ouverture pour repousser Charlie d'un mouvement du bassin, la faisant rouler sur le côté. Une toux rauque lui échappa, et elle cracha du sang, ses muscles tendus par la douleur. Son souffle était laborieux, elle cherchait de l'air. La policière, elle, ne perdit pas de temps et se releva rapidement. Allumant son taser d'un geste précis, elle sortit des menottes de son sac à dos et les posa au sol, prête à agir.

- Au nom de la loi, je vous arrête pour terroris-

Léah n'attendit pas qu'elle termine. Elle attrapa la cheville de Charlie d'un geste fluide et la fit basculer sur le sol une fois de plus. La policière réagit instinctivement, brandissant son taser pour se défendre. Léah, ignorant le danger, se jeta sur elle.

Une décharge électrique éclata, immobilisant la femme au moment où elle touchait Charlie. Léah se raidit, un cri rauque s'échappant de ses lèvres. Ses muscles semblèrent se pétrifier, et pendant une brève seconde, elle resta figée, les yeux grands ouverts.

Charlie écarquilla les yeux, choquée par l'intensité de la décharge. Sa main trembla en éloignant instinctivement le taser de la poitrine de son adversaire, là où elle l'avait touchée. Essoufflée, elle jeta l'arme au loin, ses poumons luttant contre l'air chargé de poussière qui saturait ses narines.

Malgré la douleur visible de Léah, Charlie ne comptait pas lui laisser le temps de reprendre ses forces. Elle frappa d'un coup de genou précis la mâchoire de la femme. Le choc envoya Léah en arrière, dans un nuage de poussière, son corps retombant lourdement.

- Reste à terre  ! ordonna Charlie, la voix empreinte d'une autorité vacillante.

Profitant de cet instant, elle se jeta sur Léah, bloquant son bassin entre ses cuisses pour l'empêcher de bouger. Avec une détermination implacable, elle agrippa les poignets de la femme et les attacha solidement avec les menottes qu'elle avait préparées.

- NON ! hurla Léah, se débattant avec une force désespérée. Ses doigts griffaient l'air, cherchant à atteindre Charlie, mais sa position entravait ses mouvements.

Charlie, sans relâcher sa prise, plaqua les poignets liés de Léah contre la gorge de cette dernière, limitant ses possibilités de mouvement.

- Touche pas à Jade  ! Espèce de sale chienne  ! vociféra Léah, ses yeux flamboyant de rage.

- Tu as envoyé cet explosif sur la nacelle  ! Je t'ai vue  ! cracha Charlie, son souffle court.

- Et alors ?! hurla Léah, sa voix rauque résonnant dans l'air oppressant. 

Elle se débattit furieusement, son corps tout entier tremblant sous l'effort. Mais Charlie était implacable : ses mains fermes maintenaient son adversaire au sol, tandis que son propre corps verrouillait chaque tentative de fuite.

- Je veux savoir si la plateforme est tombée ! rugit Léah, ses mots éclatant dans un mélange de colère et de panique. Je veux savoir s'ils ont crevé !

Les mains de Léah se retournèrent brutalement, tordant les poignets de Charlie avec une force imprévisible. La policière poussa un cri de douleur, lâchant prise sous l'impact. Libérée, Léah n'hésita pas une seconde avant de planter ses mains sur le cou de Charlie. Ses doigts se resserrèrent comme des serres implacables, coupant l'air à sa victime.

Charlie, les yeux écarquillés, lutta désespérément, ses mains griffant le visage et les bras de Léah dans une tentative vaine de se libérer. La peur se peignait sur ses traits tandis que son souffle devenait rare. La pression autour de sa gorge était implacable, et son corps se convulsait légèrement alors que l'asphyxie prenait le dessus.

- Tu... Elle est... blessée ... balbutia-t-elle dans un dernier effort, sa voix étranglée, ses mots déformés par l'angoisse.

Cette phrase percuta Léah comme un éclair. Ses yeux s'écarquillèrent, sa poigne se relâcha. Dans un geste brutal, elle repoussa Charlie en arrière, la laissant s'écrouler au sol.

La brune toussa violemment, inspirant de grandes bouffées d'air, le corps tremblant sous l'effet de l'adrénaline et du manque d'oxygène. Elle sanglotait presque, une peur viscérale gravée dans ses pupilles. Pendant ce temps, Léah se releva d'un bond, ignorant les tremblements de ses mains menottées.

- Jade ?! appela-t-elle d'une voix brisée, ses mots se répercutant dans le silence lourd des décombres. Jade, réponds-moi  ! Tout va bien  ? Jade  ?!

Un silence angoissant répondit à son cri. Léah, paniquée, tournait sur elle-même, fouillant les ruines du regard, comme si elle espérait voir apparaître la silhouette familière de Jade.

Puis, une voix tranquille et glaciale s'éleva derrière elles, tranchant l'air comme un couteau :

- Elle s'appelle Jade  ?

Léah se figea. Elle se retourna lentement, ses yeux s'élargissant d'horreur. Deux silhouettes émergeaient lentement du brouillard épais des gravats.

Devant elles se tenait une femme enveloppée dans une cape poussiéreuse, ses pieds nus foulant les débris. Ses cheveux bleus luisaient faiblement dans la lumière diffuse, et un sourire détaché étirait ses lèvres. D'un bras, elle maintenait fermement Jade contre elle, serrant son cou dans une prise suffocante. De l'autre, elle pointait le taser de la policière directement sur la tempe de la jeune fille.

La respiration de Jade était erratique, brisée par des sanglots étouffés. Elle tremblait de tout son corps, ses yeux baignés de larmes.

- Jade  ! hurla Léah, son visage déformé par une rage incontrôlable.

Elle s'élança en avant, mais Ambre Solnar recula d'un pas fluide, approchant dangereusement l'arme de la tempe de Jade.

- Pas un pas de plus, murmura Ambre, son ton presque doux, mais terriblement menaçant.

Charlie, qui avait réussi à se relever, leva une main pour tenter de calmer la situation :

- Que personne ne bouge ! Ambre Solnar, relâchez-la immédiatement .

Ambre tourna la tête vers Charlie, un sourire amusé aux lèvres :

- Pourquoi ? Elle n'est pas bien, dans mes bras ?

Jade suffoquait sous l'étreinte d'Ambre, sentant son souffle chaud contre sa nuque. Sa voix tremblante s'éleva dans un murmure à peine audible :

- S'il vous plaît... Léah, à l'aide...

Le rire d'Ambre résonna, clair et amusé, au milieu des ruines. Léah, consumée par une rage incontrôlable, repoussa violemment Charlie hors de son chemin, ses menottes cliquetant alors qu'elle avançait d'un pas agressif vers Ambre :

- J'sais pas qui t'es, mais viens te battre, espèce de salope !

Ambre éclata de rire une fois de plus, hochant la tête avec un air ravi:

- Oh, non. Très peu pour moi. Surtout pas avec les singes d'en Bas.

Ses yeux pétillaient d'un mélange d'arrogance et de malice.

- D'ailleurs, ajouta-t-elle en jouant négligemment avec le taser, j'ai l'impression que m'a chérie s'est trouvé mieux, donc moi aussi je me trouve quelqu'un d'autre. Jade, c'est un joli prénom.

Elle haussa les épaules d'un air désinvolte, comme si elle venait de commenter un détail insignifiant.

- Donc  je vais vous laisser vous battre entre vous. Bisous ?

D'un geste théâtral, Ambre fit un coucou de la main, son sourire élargi par un plaisir presque enfantin. Léah eut un regard horrifié, incapable de prévoir le prochain mouvement de l'ex-conseillère.

Jade, elle, suffoquait encore, murmurant désespérément :

- Léah !

Mais Ambre, avec un rire nerveux, enfonça le taser contre la tempe de Jade. Un hurlement perça l'air, déchirant le silence lourd des ruines. La jeune fille convulsa sous l'impact, son corps tremblant violemment avant de s'effondrer, inerte, sur le sol. Léah hurla :

- JADE  !

Son cri résonna avec une telle intensité qu'il sembla faire trembler l'air autour d'elles. Elle se précipita en avant, animée par une fureur désespérée, mais Charlie réagit plus vite. Avec un mouvement ferme, la policière l'attrapa par les épaules et la projeta au sol, la plaquant à plat ventre. Léah se débattait furieusement, rugissant comme un animal blessé, mais Charlie maintenait sa prise, son genou fermement appuyé dans son dos.

Ambre, toujours calme, pencha légèrement la tête pour observer la scène. Un sourire amusé étira ses lèvres, et elle adressa un clin d'œil à Charlie :

- Sage fille.

Son ton suintait d'une fausse douceur, teintée d'ironie.

- Tu es au service de ma chère et tendre, hein. Quelle charmante docilité. Je dois dire qu'elle a un talent pour dompter les gens... Aux doigts et à l'œil, pas vrai ? Oh, je sais, c'est la jalousie qui parle. Mais, dis-moi, jeune comme tu es, peut-être que tu lui plais aussi, hein ?

Les mots d'Ambre étaient des aiguilles, s'insinuant dans l'esprit de Charlie malgré elle. La policière tenta de ne pas y prêter attention, serrant les dents pour ne pas perdre sa concentration et laisser partir la rose.

Léah, elle, continuait de se débattre violemment, vomissant des insultes et des menaces :

- Espèce de lâche  ! Reviens ici  ! Reviens  !

Ambre haussa les épaules, un sourire toujours accroché à son visage. Elle jeta un dernier regard sur Léah, puis, dans un mouvement fluide et assuré, elle disparut dans le chaos des décombres, s'évaporant comme une ombre insaisissable, mettant la rousse sur son dos.

Ce n'est qu'au son des voix qui se rapprochaient que Charlie réalisa qu'Ambre s'était éclipsée. Ses oreilles captèrent des appels lointains, des cris d'angoisse provenant des survivants émergeant des ruines. Elle secoua la tête pour se concentrer de nouveau, et parvint à menotter les deux mains de la femme autour de ses deux poignets, solidement.

Attrapant le menton de Léah d'une main ferme, elle força la femme à la regarder :

- Arrête de te débattre ! lança-t-elle d'une voix sèche et autoritaire. Des gens sont sûrement en train de mourir sous les décombres ! Relève toi et aide moi à déblayer tout ça. Si tu t'enfuis, je te tue. Si tu résistes, je te tue. Si tu fais quoi que ce soit, je te tue ! Dépêche toi.

Les mots claquèrent, résonnant avec une gravité qui força Léah à se figer. Sa rage semblait vaciller, remplacée par une lueur de doute et de douleur. Elle serra les dents, son regard oscillant entre Charlie et les ruines où Ambre avait disparu.

- Maintenant !

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Le dernier souvenir qu'Isolys avait de l'hôpital central d'Eternalis était le moment où elle avait fait ses tests de fécondité. Désormais, ce souvenir était rangé dans les tréfonds de sa mémoire (autrement appelé déni). Elle s'était réveillé avec une immense douleur, comme d'un cauchemar.

L'explosion qui avait survenu avait été sur le moment tellement traumatique qu'Isolys ne se rappelait de rien, à part de son entrée sur la plateforme dans la cabine de métal. Elle était désormais en robe blanche élégante, dans un lit d'hôpital.

Il n'y avait personne dans la petite pièce où elle était. Elle sentait des douleurs sur ses jambes, son dos et ses épaules, et se rendit compte que c'était des brûlures. Pourtant, les médecins avaient fait un travail remarquable pendant qu'elle était inconsciente et Isolys prit le temps de regarder sa peau pour constater les dégâts, qui ne paraissaient pas trop graves.

Elle ne sut s'il se passa dix minutes ou une heure dans ce silence blanc, très blanc. Trop blanc. Mais soudain, une voix la ramena sur terre. 

La silhouette de Gaïa Lorendil devant la porte vitrée. Certainement, la femme à la peau chocolatée ne l'avait pas vue. Adossée au mur en face de la porte, elle semblait serrer un paquet de feuilles contre elle, et sanglotait. Le coeur d'Isolys s'emballa. Elle passa une main sur sa robe, la plissant, et dans ses cheveux lâchés et lisses, avant de se lever.

Le cœur d'Isolys s'emballa. Elle se redressa lentement, passant une main tremblante dans ses cheveux dorés et lisses, comme pour reprendre contenance. Les draps glissèrent de ses jambes lorsqu'elle tenta de se lever. Pieds nus sur le carrelage froid, elle chancela, vacillant sous l'effet de la douleur, avant d'atteindre la porte d'un pas hésitant. Elle l'ouvrit maladroitement, son épaule s'appuyant contre le cadre.

Gaïa sursauta, relevant la tête avec un mouvement brusque. Ses yeux gonflés de larmes croisèrent ceux d'Isolys. Un instant suspendu, où leurs regards se rencontrèrent, où des émotions diffuses circulèrent entre elles.

- Tout va bien ? murmura Isolys, sa voix rauque, presque un souffle.

Elle perdit pied, ses jambes cédant sous son poids. Gaïa réagit instinctivement, se précipitant pour la soutenir. Ses mains fermes et chaudes se posèrent sur les hanches d'Isolys, l'aidant à se stabiliser. Le contact, bien que purement pratique, fit naître un frisson inattendu chez la blonde.

- Vous ne devriez pas être debout ! s'exclama Gaïa, sa voix empreinte d'une inquiétude sincère. Vous êtes encore trop faible !

- Je... Je vous ai entendu pleurer, répondit Isolys, ses joues pâles se colorant légèrement alors que Gaïa la raccompagnait vers le lit.

Assise à nouveau, Isolys prit une grande inspiration, tentant de calmer son esprit troublé. Son regard, pourtant, s'attarda un instant sur Gaïa, debout face à elle, avec sa robe ajustée et son allure élégante malgré les traces de détresse sur son visage. Les cils de la conseillère étaient collés par les larmes, et ses lèvres mordillées semblaient gonflées. Isolys détourna le regard, gênée par l'intensité de ses propres pensées.

- Je... Je devais passer un examen ici, balbutia Gaïa, ses doigts jouant nerveusement avec les feuilles qu'elle tenait. Et puis... cet attentat tragique... Sa voix se brisa légèrement.

- Attentat ? répéta Isolys, incrédule. Que s'est-il passé ?

Gaïa inspira profondément, ses yeux s'embuant à nouveau.

- Il y a eu une explosion sur l'une des plateformes reliant la Basse à la Haute. Vous étiez dans la nacelle. C'est un miracle que vous soyez encore en vie.

Les mots frappèrent Isolys comme un coup de poing. Ses mains se crispèrent sur les draps.

- Les autres ? demanda-t-elle, la voix tremblante. Il y avait... une enfant avec moi. Maddie. Est-ce qu'elle... Est-ce qu'elle s'en est sortie ?

Gaïa baissa les yeux, incapable de soutenir le regard suppliant d'Isolys.

- Je suis navrée... dit Gaïa dont les yeux s'embuèrent à nouveau de larmes. Il n'y a que la conseillère Sylvia qui a survécu.

La tête que fit Isolys fit fondre en larmes la femme du conseiller qui enfouit son joli visage en coeur dans ses mains. La jeune femme sanglota en tombant à genoux, comme si elle portait le poids d'un affreux secret... Celui d'avoir su que cela allait arriver et de n'avoir rien pu dire. Isolys cligna des yeux plusieurs fois, encore confuse de son réveil.

- Pourquoi donc pleures-tu... Tu ne connais pas Maddie, murmura la blonde, pinçant ses lèvres.

Son coeur aurait pu se briser une millième fois ce jour-là. Elle avait passé ses derniers jours dans la rancoeur, la colère et la tristesse. Ne pas pouvoir avoir d'enfants, ne pas pouvoir être reine, avoir mal dosé le médicament de Ambre, et désormais, le fait d'avoir voulu renvoyer une enfant chez elle l'avait amené à sa mort ? Maddie était innocente, si pure et trop jeune pour mourir.

Seulement, la peine d'Isolys ne se traduisait pas en larmes, elle posa simplement ses mains sur les épaules de celle qui portait toute sa tristesse, abasourdie:

- Pourquoi es-tu triste ?

- Parce que des gens sont morts ! Et vous semblez... Terrassée, renifla Gaïa en relevant son beau visage vers la blonde.

Isolys la regarda longuement, ses yeux s'éveillant d'une lueur éteinte et elle murmura:

- Je ne connaissais pas Maddie.

- Ça vous rend triste pourtant. Je comprend, vous savez. Moi je me sens triste pour cet attentat, et pourtant je ne connais aucune des victimes.

Et la compassion qui émanait de ces mots émerveillait la blonde. Ce visage plein de candeur de cette femme agenouillée devant elle, qui ne cherchait rien en elle, qui partageait simplement une douleur pure dans une stupide robe d'hôpital. Isolys, qui n'avait jamais laissé les larmes couler sur son visage de sainte de marbre, Isolys qui avait toujours été la plus impitoyable des conseillères et la plus secrète.

- Je suis vraiment désolée pour votre perte, j'espère que vous n'êtes pas trop dévastée, soupira Gaïa en retenant de nouveaux sanglots.

Isolys l'était, dévastée. Complètement dévastée par cette femme qui venait s'apitoyer sur son sort d'une façon extraordinaire. Sur son visage devait se lire sa surprise. Elle en était aphone, avait perdu ses moyens.

Gaïa était si belle.

Elle sentait son coeur battre jusque dans la pointe de ses doigts posés sur ses épaules. La jeune femme regarda la conseillère, puis ses lèvres. Isolys venait de se mordiller doucement la lèvre inférieure.

Et soudain ce geste captait toute l'énergie de la pièce.

Isolys se pencha sur son visage, ses yeux dans les siens, et Gaïa posa ses mains sur son visage. Leurs souffles se croisèrent, celui d'Isolys était presque inexistant, comme celui d'une morte, alors que Gaïa respirait la vie. Leurs lèvres étaient si proches...

- N-non... Mademoiselle Isolys.

La blonde se redressa, quittant les épaules de Gaïa qui la repoussa doucement. Elle papillonna des yeux, et dans son regard se lut une douce blessure du rejet. La femme du conseiller se mordit la lèvre, ayant envie de pleurer pour cette douleur qu'elle ne voulait voir dans aucun regard.

- Je ne peux pas.

Isolys ne sut quoi répondre, suspendue aux mots de Gaïa, courant après chacune de ses larmes, de ses expressions faciales délicieuses, de tout ce qu'elle était.

- Je suis enceinte.

Il y eut un long silence, alors qu'Isolys se figeait, abasourdie.

- C'est pour ça que j'étais ici en robe d'hôpital. Je... Je suis enceinte.

Mais le visage de la jeune femme perdit de ses couleurs en annonçant pour la deuxième fois la nouvelle. La blonde vit de nouvelles larmes apparaitre à ses yeux et leurs coeurs se déchirèrent ensembles sur un même beau visage torturé.

Immédiatement, sans réfléchir, Isolys prit son visage en coupe, ne voulant pas rater une miette de cet étrange et beau spectacle. Gaïa sanglota, et la blonde murmura:

- C'est formidable d'être enceinte.

- O-oui, sûrement. Je... Je suis très heureuse.

- Non, tu ne l'es pas. Tu...

Isolys blêmit.

- Il t'a violé. 

- Quoi ? Non.

- Il t'a forcé.

- Pas du tout !

- Je sais qu'il est violent, peut-être qu'il...

- Il n'est pas "violent" !

Le visage d'Isolys traduisit soudain un mépris puissant, celui qui l'étreignait et l'étouffait lors de sa dispute avec Ambre Solnar. Mais contrairement à la brune aux mèches bleues, Gaïa hoqueta, son visage traduisant sa peur. La colère de la blonde semblait grossir et se décupler, prenant de la place dans ses yeux bleus terribles, si terribles de haine.

Gaïa se releva et agrippa le visage de la blonde avant de l'embrasser à pleine bouche, comme jamais elle n'avait embrassé d'homme ou de femme.

Et les lèvres d'Isolys avaient le gout de fraise des bois, celles qu'elle cueillait dans son jardin lorsqu'elle était enfant. Elles étaient dociles, amoureuses des siennes. Jamais Gaïa ne sentit son coeur s'emballer comme il le faisait, un cheval de manège qui tournait en tout sens, se cabrait, ne s'arrêtait pas. 

Les mains d'Isolys la touchèrent comme si le corps de Gaïa lui avait toujours appartenu. Elle les posa sur les côtes de la brune, caressa son dos alors que leurs langues se trouvaient timidement, que ni l'une ni l'autre ne voulait couper ce baiser.

Gaïa se releva, renifla et essuya ses joues. Elle bafouilla:

- Je ne devrais sûrement pas...

La femme aux yeux rougis et au teint mate se pinça les lèvres et murmura:

- Je devrais y aller, dame Isolys. J'ai des examens à faire...

- Attendez ! dit la blonde.

Jamais elle n'aurait cru retenir une femme, sentir son coeur battre si fort de la laisser s'échapper comme cela, de la prendre par le poignet pour la faire rester un peu plus longtemps, l'étreindre un peu plus du bout des doigts:

- Si vous souhaitez vous en débarrasser... Je serais là.

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