Chapitre 25 - Paillettes et faux semblants
Ne pas paniquer. Ne surtout pas paniquer...
On inspire et on expire calmement. Tout va bien se passer, c'est moi-même qui l'ai assuré à Grant. Je dois être la première à croire en mes paroles si je veux qu'elles aient un fond de vérité.
Ma main droite posée sur le cœur, je me concentre sur ma respiration pour l'apaiser. Ses battements sont trop forts, trop rapides. Ils résonnent jusque dans mes tempes et m'oppressent.
Ne pas paniquer, on a dit.
Plus je me répète ces quelques mots, pire c'est. Je suis pourtant douée pour gérer mon stress d'habitude. Il n'a jamais pris le dessus, mais ce soir, j'ai l'impression qu'il va gagner. Ce constat me met dans tous mes états. Comment suis-je censée épauler Grant pendant le gala si la pression m'écrase ? Je veux qu'il puisse compter sur moi autant que je compte sur lui.
Une paume chaude vient se poser sur le dos de ma main gauche. La douceur qui émane de ce contact m'est familière. Elle chatouille mon ventre. Des frissons de plaisir galopent le long de ma peau. Grant est là, à côté de moi, et il n'est pas prêt à me lâcher.
Son sourire est éclatant. Mes neurones fondent face à son élégant smoking qui épouse parfaitement sa carrure sportive. Je me mets à imaginer des choses. Comme par exemple mes doigts sur les boutons de sa chemise blanche. Un à un, je les fais sauter et... stop, restons concentrés !
— T'es superbe, me complimente-t-il.
Ses paroles font rougir mes joues.
Je porte avec fierté la robe trouvée la veille avec Avianna. Quand mes yeux se sont posés sur ce tissu bleu nuit, ça a été l'évidence. C'était elle et aucune autre. Les motifs astrologiques brodés au fil doré sur le tulle des manches bouffantes, du bustier et de la longue jupe évasée m'ont conquise. Lili a vu juste, elle était faite pour moi. Elle me correspond si bien.
— C'est la première fois que je te vois avec les cheveux attachés. Je trouve ça très sexy quand tu as ton cou dégagé.
Sous le regard fasciné de Grant, je me sens désirable. Ça valait le coup de passer autant de temps avec la coiffeuse et maquilleuse d'Avianna.
— Merci, toi aussi tu es très beau, répliqué-je en riant.
Il porte le même smoking qu'hier, pour le shooting photo, mais avec un nœud à rayures dorées en plus. Avec cette petite touche de lumière, sa tenue est parfaitement assortie à la mienne.
— Je sais que c'est stressant ce genre d'événement, même pour moi qui devrais en avoir l'habitude. Tu peux encore changer d'avis, tu sais. Et même pendant la soirée, si tu veux partir, on s'en ira.
Suis-je stressée ? Oui, qui ne le serait pas ?
Ai-je envie de m'enfuir en courant ? Non, certainement pas.
Assister à cette soirée au bras de Grant c'est comme plonger dans le grand bain pour la première fois. Il y a de l'appréhension. J'ai les mains moites et la boule au ventre. Mais je suis également excitée à l'idée de franchir ce cap. Je sais qu'être avec Grant va amener son lot d'inconvénients. Quand on passe à la lumière, on finit souvent par se brûler. Pourtant, en cet instant, je ne voudrais être nulle part ailleurs que dans cette limousine.
— La seule chose qui m'importe, c'est d'être avec toi.
Son pouce caresse le dos de ma main.
— Moi aussi.
Il dépose un baiser sur chacun de mes doigts. Je l'observe avec attention. Non, je le contemple.
La limousine ralentit, comme le temps autour de nous. Les secondes cessent d'avancer. L'univers nous accorde une parenthèse hors du monde avant de nous propulser dans son effervescence. Grant se penche vers moi. Il m'embrasse dans un baiser rempli de légèreté, de douceur, d'amour. Je chéris cet instant. Le grave dans ma mémoire.
Notre petite bulle éclate lorsque nos portières s'ouvrent à l'unisson. Grant se recule et caresse mon visage.
— Tu es prête ?
Je hoche la tête, déterminée à me jeter dans le grand bain avec lui.
Nous sortons chacun de notre côté de la voiture. Je suis happée par tout le bruit qui nous entoure. Nous étions tellement au calme à l'intérieur, dans notre cocon. J'ai l'impression de me prendre en pleine figure le son des klaxons, des sirènes de véhicules d'urgence et le vacarme des curieux amassés devant le musée. Je me revois dans l'amphithéâtre de la fac avant que le professeur n'arrive. Je détestais arriver trop tôt car c'était toujours un bazar monstre.
Grant me rejoint et pose sa main au creux de mes reins. Il me lance un clin d'œil en me collant contre lui. Sa chaleur me rassure. Notre proximité m'électrise. Il y a quelque chose d'excitant à être si proche devant tous ces gens. Je n'ai jamais été possessive, mais là, tout de suite, j'ai envie de lui sauter au cou sous les yeux scotchés des femmes qui le reluquent.
Depuis quand j'ai ce besoin de marquer mon territoire ?
Tous ces regards braqués sur nous sont intimidants. Ce doit être pour ça que j'ai des pulsions étranges. Je n'ai pas les idées très claires.
J'ai beau savoir que les gens observent Grant, j'ai la sensation d'être le centre de l'attention. Ce qui n'est pas dans mes habitudes. Je suis plutôt du genre à me mettre dans un coin et ne rien dire. Ça ne fait pas pour autant de moi une personne farouche. Je n'ai jamais mordu, ni même grogné. J'ai simplement du mal à aller vers les autres, contrairement à Grant. C'est sans doute pour ça qu'il me fascinait adolescente. Son aisance au milieu des autres me rendait un peu jalouse. Si j'avais été comme lui, aurais-je eu la chance d'avoir une amitié aussi belle que celle qu'il possède avec Jamyson ?
Nous avançons vers l'entrée principale, blottis l'un contre l'autre. Le brouhaha extérieur se calme lorsque nous entrons dans l'immense hall du musée. Le haut plafond est décoré d'une multitude de petites leds qui renvoient une lumière chaude et intimiste. L'ambiance se veut feutrée. C'est assez déroutant de voir tous ces chapeaux de cow-boy sur la tête des invités alors qu'ils sont en tenues de soirée.
Plusieurs inconnus viennent nous saluer. Je laisse Grant parler et me contente de sourire poliment tout en l'observant. C'est la première fois que je le vois interagir dans cet environnement. Je sens bien qu'il n'est pas à l'aise. Les traits de son visage sont tirés, il est aussi droit qu'un pic et il fait en sorte de ne pas s'éterniser dans les discussions. Lorsque les questions deviennent trop personnelles, il les esquive. En revanche, il reste d'un calme olympien malgré les petites piques ici et là sur sa fausse carrière.
Le Grant fougueux que les médias dépeignent n'existe pas. Ou plus. Il prend sur soi. Je suis admirative de son self-control. Moi-même, j'ai du mal à rester de marbre face à tout ce qu'il se prend. Certains n'ont pas leur langue dans leur poche. C'est bien dommage.
Quand nous nous retrouvons enfin seuls, je tire sur son bras pour qu'il se penche et que j'atteigne son oreille.
— Si jamais tu as besoin, je maîtrise plutôt bien le coup de genou entre les jambes, lui murmuré-je.
Grant éclate de rire. Je le préfère comme ça, plus détendu.
— Je le note, ma belle rebelle.
— J'aime ce surnom. Il sonne bien.
— Je suis pe...
— Ah, mais le voilà !
Nous nous tournons à l'unisson, intrigués par cette voix qui résonne dans tout le hall. L'homme en question à son avant-bras dans le plâtre et se dirige vers nous. Sa tête me dit quelque chose, mais je ne me souviens pas de son nom. Je crois qu'il anime une émission sur la musique country. Ce qui est certain, c'est que Grant le connait et ça ne lui fait pas plaisir de le voir.
— Va falloir que tu me signes mon plâtre.
Sa plaisanterie ne fait pas rire mon copain. Il serre la mâchoire comme pour se contenir de dire les mots qui lui brûlent les lèvres.
— Quoi ? Ne me dis pas que tu as perdu ton humour. On a connu des hauts et des bas tous les deux, ce petit incident n'est rien de grave.
Il pointe du doigt son poignet. Son sourire goguenard ne me plait pas du tout.
— Qu'est-ce que tu veux, Dwayne ? l'interroge Grant d'un ton froid.
— Ne sois pas sur la défensive. C'est moi la victime, je te rappelle. D'ailleurs, j'attends toujours tes excuses.
— Comme si t'en avais besoin.
— Non, mais c'est la moindre des choses quand on blesse quelqu'un. C'est la politesse.
C'est Grant qui lui a cassé le poignet ?
Mais oui, cette histoire me revient enfin ! C'était il y a plus d'un mois, dans l'émission de Dwayne. L'animateur n'arrêtait pas de lui lancer des piques jusqu'à ce que Grant craque. Il voulait quitter le plateau, mais Dwayne l'a retenu. En essayant de se dégager, il l'a poussé. Sa fracture n'est qu'un malheureux accident qui ne serait jamais arrivé s'il n'avait pas été aussi mesquin durant son interview. C'est pour cette raison que je n'aime pas son émission, je le trouve désagréable avec ses invités.
— J'ai pas le temps pour tes conneries.
— Attends, tu ne vas pas partir comme un malpropre sans m'avoir présenté ta charmante amie ?
— Elle parle pas aux cons.
— Si elle est avec toi, c'est pourtant qu'elle aime ça.
Je vois les poings de Grant se serrer. J'avoue que lui claquer mon genou entre les jambes à ce Dwayne me démange, mais ce serait me rabaisser à ses gamineries. Il est hors de question que Grant ou moi ne perdions notre fierté. C'est à mon tour d'être la plus diplomate possible. J'ai vu comment il faisait, je devrais donc en être capable aussi.
— Je m'appelle Ainsley.
Dwayne semble satisfait par mon intervention. Il s'avance pour se mettre entre nous et forme une barrière avec son corps entre Grant et moi. Dans la manœuvre, son épaule bouscule discrètement mon cavalier. Que cherche-t-il à faire ? Est-ce un moyen d'intimidation ?
— Je suis Dwayne Benton et j'anime l'émission numéro un en ce qui concerne la musique country. Vous m'avez sans doute déjà vu à la télévision. Et vous, qu'est-ce que vous faites ? Vu votre silhouette fluette, je parierai sur du mannequinat.
La lueur dans son regard me met mal à l'aise. Il s'avance encore d'un pas. Son torse est presque collé au mien. Je vois déjà lever la main en direction de son épaule pour le tirer loin de moi. S'il fait ça, tout risque de très vite déraper. Je refuse que ça lui retombe dessus et que la soirée de Jamyson soit entachée. Si je sors avec Grant, je risque de croiser beaucoup de personnes comme Dwayne. J'ai connu pire dans la vie que la bêtise humaine, ça devrait aller.
— Non, pas du tout. Mon travail est bien plus palpitant que le vôtre.
Ma réponse le prend au dépourvu. Son sourire satisfait se fane durant une brève seconde. Une pointe d'irritation traverse son regard avant qu'il ne retrouve son masque narquois.
— Une petite impétueuse, constate-t-il en riant. Canning est pourtant du genre à en prendre des plus dociles d'habitude.
— Ça suffit ! proteste Grant derrière lui.
Je m'empresse de répliquer avant qu'il n'intervienne.
— J'ai du mal à être agréable quand la personne en face de moi ne l'est pas.
Grant se retient d'agir. Sa main reste suspendue avant qu'il ne la ramène le long de son corps. Dwayne sourit comme s'il avait gagné un combat. Je tressaille. Pourquoi a-t-il cet air de vainqueur ? Il se penche pour me chuchoter à l'oreille :
— Je suis le plus sympa de tous ceux que vous rencontrerez ce soir, ma chère. Donc si ce milieu ne vous convient pas, je vous conseille de rentrer chez vous avec votre robe démodée et votre affreuse perruque.
Il l'a vu ?
Je me raidis. Impossible de bouger ou de dire quoi que ce soit. Comment a-t-il pu s'en rendre compte alors qu'elle est faite en cheveux naturels ? Personne ne m'a jamais fait de remarque depuis que je la porte. Mais si lui est capable de la deviner, est-ce que Grant aussi ?
— Je vous souhaite une belle soirée, Ainsley. Cependant, je ne vous dis pas à bientôt car nous ne nous reverrons sans doute pas. Grant n'a jamais su garder une femme.
Dwayne pique. Je dirais même qu'il mord très fort. Il a un don pour trouver le point faible des gens et d'y enfoncer un pieu. Il le sait. Il prend d'ailleurs un malin plaisir à en jouer.
— OK, cette fois c'est bon ! peste Grant.
Il le bouscule pour lui passer devant. Sa carrure imposante m'empêche de voir Dwayne s'éloigner. Je me sens soudain enveloppée d'une aura protectrice.
— N'écoute pas tout ce que ce connard peut dire.
En réalité, je me fiche des piques qu'il peut bien lancer. Ça n'a pas d'importance. En revanche, sa remarque sur ma perruque me rendrait presque paranoïaque. J'ai la sensation que tout le monde la voit maintenant, même Grant. Tous ces regards qui se posent sur nous à notre passage, l'ont-ils remarquée ?
J'essaie de réajuster quelques mèches. Mes doigts tremblent. J'ai peur que Grant commence à me poser des questions. Je ne suis pas encore prête à lui parler de ça. Si jamais il est amené à connaître toute la vérité, je vais le dégoûter, c'est certain. J'ai déjà du mal à comprendre comment il peut être attiré par mon corps aussi épais qu'une brindille.
— Ça va aller ?
S'il pose la question, c'est que je dois tirer une tête de trois mètres de long. Il faut que je me reprenne. Je lui sers mon plus beau sourire.
— Oui, tu n'as pas à t'en faire.
Il garde les sourcils froncés, inquiet. Je ne le dupe pas.
— J'ai entendu un morceau de votre discussion et je dois dire que ta répartie était géniale. Tu m'as impressionné.
— Merci.
— Mais j'ai bien vu qu'il t'a dit un truc qui a tout fait vriller. T'es devenue pâle.
Je mords ma lèvre inférieure en repensant aux paroles de Dwayne.
— Rien de grave, seulement une petite méchanceté sur ma robe.
— Ce type est un abruti qui a jamais eu les yeux en face des trous.
Il saisit mes doigts tremblants pour les nouer aux siens. Mon cœur s'adoucit, mais j'ai toujours cette désagréable sensation que tout le monde a vu ma perruque. C'est bête, des tas de personnes utilisent des rajouts ou autres. Ça ne devrait pas me complexer. Pourtant, je n'arrive pas à me défaire de cette gêne.
— Moi, je l'adore ta robe.
Je le remercie d'un sourire timide, les joues en feu. Ce soir plus que n'importe quel autre, Grant me regarde avec un désir qui me consume. Je brûle dès qu'il pose les yeux sur moi, me touche, me parle. Et je me dis que même s'il a repéré la perruque, ça ne semble pas le déranger.
— Même si je te préférerais sans.
Je frappe gentiment son torse pour qu'il cesse de dire des choses aussi troublantes.
— Arrête, ce n'est pas le moment ni le lieu, ris-je.
— Parce que sinon t'aurais trouvé ça excitant ?
— J'ai déjà envie de te sauter au cou, ne t'en fais pas pour ça.
Mon aveu semble le satisfaire. Il dépose un baiser sur ma tempe.
— Je vais devoir rejoindre Jamy pour son discours, mais je note tout ce que tu viens de me dire. J'aimerais passer le reste de la soirée qu'avec toi, sans tous ces gens.
— Difficile d'être seul quand on assiste à un gala.
— Mais rien n'est impossible.
Il me laisse avec ces quelques mots déroutants. Il recule, ses yeux ancrés dans les miens, puis m'adresse un clin d'œil avant de disparaître au milieu de la foule. Je réalise que sans lui à mes côtés, je me sens vide. Il me manque quelque chose. Ou plutôt quelqu'un.
J'inspire profondément pour me donner du courage. Je dois tenir seule jusqu'à ce que Grant revienne. Il va me falloir un verre.
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