Chapitre 22 - Le renouveau

— Je serai avec Jamy toute la journée pour le boulot, m'explique Grant. Je t'ai laissé les codes d'accès si jamais tu veux sortir. Et j'ai prévenu Claude, le vigile de l'immeuble, de ta présence. Tu peux donc entrer et sortir comme tu l'entends.

Je suis autant déçue de ne pas pouvoir passer du temps avec lui, que soulagée. Quand j'ai accepté de venir avec lui, j'ai pris cette décision sur un coup de tête. J'avais envie d'être à ses côtés, tout simplement. Mais quand il a fait mention du gala, j'ai paniqué. Peu à peu, j'ai réalisé dans quoi je m'embarquais. Je n'ai pas voulu passer une idiote en soufflant le chaud et le froid alors j'ai répondu que ça m'allait. En réalité, je ne sais pas. Peut-être me suis-je un peu emballée en prétendre pouvoir affronter le feu des projecteurs ?

J'ai besoin de faire le point, c'est donc très bien d'être seule aujourd'hui. Et puis je n'ai pas remis les pieds à Nashville depuis des lustres. C'est l'occasion de retrouver les coins que j'appréciais.

— Je devrais pas rentrer trop tard. On se voit ce soir ?

— Oui, ça me va.

— Super. Passe une bonne journée.

Il dépose un baiser sur le haut de ma tête et me lâche. Quelques secondes plus tard, j'entends les portes de l'ascenseur se refermer, signe qu'il vient de partir. Je regagne l'immense salon. Hier, je n'avais pas fait attention à la décoration. J'ai tout de suite été happée par les grandes baies vitrées qui donnent une vue imprenable sur la ville et qui rendent la pièce lumineuse, aérée. Pourtant, un je-ne-sais-quoi dans cet appartement me gêne. Je crois comprendre le sentiment de Grant quand il dit qu'il étouffe ici. C'est trop impersonnel. Il n'y a même pas une photo de famille ou de Jamyson et Grant. Et ce manque de couleur, combiné avec les lignes droites des meubles, rend l'environnement très froid.

J'attrape mon sac et enfile ma paire de chaussures. Nashville regorge de petites boutiques dans lesquelles je suis certaine de trouver des choses sympas pour égayer l'appartement de Grant. Ça lui fera une surprise quand il rentrera ce soir. Et puis, je me sens redevable. J'ai l'impression de vivre pleinement ma vie depuis que nous nous sommes croisés à la plage. Je ne me suis jamais sentie aussi vivante.

Dans le hall d'entrée au design aussi élégant et épuré que l'appartement de Grant, je passe devant le fameux vigile. Il me salue avant de se lever de son bureau pour m'ouvrir la porte. Son costume noir épouse à la perfection son imposante carrure. Malgré son sourire chaleureux, il a quelque chose d'intimidant.

— Merci, murmuré-je.

— C'est un plaisir, madame. Je vous souhaite une agréable journée.

Tout ce cérémonial est un peu gênant. Je ne traîne pas plus longtemps.

Ça fait des années que je n'ai pas été me balader dans Nashville. Petite, j'allais souvent pique-niquer avec mes parents le weekend, dans le parc qui entoure le Parthénon. On en profitait pour jouer au frisbee, prendre une glace chez le marchand ambulant et faire une sieste à l'ombre des grands chênes.

D'instinct, mes vieux souvenirs m'entraînent vers cet endroit. Sur le chemin, je traverse des rues animées par les livraisons des différents bars et restaurants aux façades recouvertes de briques rouges. Une délicieuse odeur de muffins m'attire dans un café que j'avais l'habitude de fréquenter avec mes parents. Mon estomac me rappelle que je n'ai rien mangé depuis hier midi. Je décide donc d'y prendre une collation.

Ma sieste en arrivant chez Grant s'est transformée en longue nuit. Je n'avais pas autant dormi depuis plusieurs mois. Ces derniers jours, je me sens plus fatiguée. Il faut dire que je bouge davantage. J'ai même essayé de reprendre la marche matinale que je faisais l'année dernière. J'y ai peut-être été trop fort ? Parfois, j'oublie qu'il y a peu, j'étais encore dans un lit d'hôpital à ne pas savoir si mon corps allait être le vainqueur de la bataille. Mais j'ai la sensation d'avoir perdu trop de temps pour me reposer. Cette relation naissante avec Grant est en quelque sorte une chance que je refuse de laisser passer. Il m'offre un second souffle. Un nouveau chapitre.

Je flâne dans les rayons d'une friperie, comme à mon habitude, quand la sonnerie de mon téléphone vient couvrir la musique d'ambiance.

— Salut, maman.

— Oh bon sang ! Dieu merci, tu es en vie !

Je suis obligée d'écarter mon oreille, elle crie beaucoup trop fort.

— On était mort d'inquiétude avec ton père. Où est-ce que tu es passée ? Il n'y a personne chez toi et tu n'as pas répondu à nos messages.

Crotte de crotte ! J'avais vu les notifications, mais je n'y ai pas répondu. Et puis, j'ai fini par oublier.

— Je vais bien. Je suis partie quelques jours.

— Partie ? Où ça ? Avec qui ?

— Maman, s'il te plait, arrête de me traiter comme un bébé avec tes questions digne du FBI.

— Je ne m'excuserai pas de m'inquiéter pour ma fille unique. J'ai...

Elle n'a pas le temps de terminer sa phrase. Quelqu'un semble lui avoir pris le téléphone des mains.

— Allo ? Ainsley chérie ?

— Salut, papa.

— On est désolé de te déranger.

J'entends à l'arrière ma mère protester.

— On a eu juste eu peur que t'aies fait un malaise toute seule dans ton appartement. Comme c'est déjà arrivé récemment, tu comprends qu'on se fasse du souci. Mais si tu vas bien, c'est tout ce qui compte. On n'a pas besoin d'en savoir plus.

Je laisse échapper un lourd soupir avant de répondre :

— C'est de ma faute, j'aurais pu vous dire que je partais quelques jours à Nashville.

— Je suis jaloux. Moi aussi j'aimerais bien y retourner. Tu te souviens de ce café où on allait manger des muffins ? On n'en a pas des aussi bons en Floride.

— Oui, je viens d'y aller. Ils sont toujours aussi délicieux.

— Arrête de me faire saliver ! peste-t-il en riant.

— Je t'en rapporterai.

— Ah, ça, c'est ma fille !

Je me mords la lèvre inférieure pour ne pas rire. Il a toujours été doué pour détendre l'atmosphère quand ma mère se montrait un peu trop rude. Même s'ils ne s'aimaient plus assez pour rester ensemble et former un couple, ils restent complémentaires. C'est peut-être pour ça qu'ils s'entendent bien aujourd'hui ?

— Allez, on te laisse profiter de ton petit voyage.

— Merci.

Il raccroche et je termine mon tour de la friperie. Lorsque je reviens à l'appartement, j'ai les pieds en coton. J'ai passé le reste de la journée a flâné dans les vieilles boutiques d'articles pour cow-boy où l'odeur du cuir a ravivé de bons souvenirs. Ça m'a rappelé les courses de barils que mes parents m'emmenaient voir. L'agilité de ses femmes sur leur monture a toujours su impressionner mes yeux de petite fille. Et puis, je suis contente, j'ai trouvé de quoi rendre un peu plus vivant le salon de Grant.

Après avoir installé mes achats dans la pièce, je m'enfonce un peu plus au fond du canapé, télécommande à la main. J'allume l'écran plat accroché au mur gris en béton ciré. Je zappe, le programme étant médiocre sur toutes les chaînes jusqu'à ce qu'un visage familier attire mon attention. C'est un talk-show axé sur la presse people. Autrement dit, une émission dans laquelle on n'apprend rien d'autre que des potins. Je l'aurais aussi zappé si le sujet en cours n'était pas sur Grant.

« Oui les filles, on va bien parler de Grant Canning parce que j'ai une chose très importante à vous dire sur lui. Vous n'allez pas en revenir ! Avant de tout vous dévoiler, regardons quelques photos du sex symbol le plus convoité. »

La présentatrice au tailleur rose impeccable fait mine de se ventiler avec sa main alors que des images de Grant torse nu s'affichent sur le grand écran derrière elle.

Moi, j'ai la chance d'avoir ce spectacle en vrai.

« Malgré les récentes révélations qui ont bousculé l'univers de la country, il y a une chose qu'on ne peut pas retirer à Grant : il est canon ! OK, il ne sait peut-être pas chanter ou composer des chansons romantiques, et alors ? Moi, je lui croquerais bien les abdos. »

S'ensuit un rire minaudé qui me fait lever les yeux au ciel. Sa façon de parler de Grant me donne envie de vomir et faire passer les femmes pour des minettes en chaleur m'afflige. Comment peut-on encore tenir de tels propos à notre époque ? Ça me coûte d'alimenter l'audience d'une chose pareille, mais je veux savoir ce qu'elle a à nous révéler.

« Mais revenons aux choses sérieuses ! L'heure est grave les filles ! Grant a été aperçu avant-hier, dans les rues de Nashville. Notre bad boy préféré est donc rentré à la maison après plusieurs semaines passées en Floride. On dit qu'il y a fait la fête pour décompresser après avoir appris que la maison de disques allait sûrement le mettre à la porte. Il a même été pris en photo avec une jeune femme beaucoup plus âgée que lui. »

Le fameux cliché de nous deux dans ma voiture s'affiche. C'est impressionnant de voir les histoires qu'on peut élaborer autour d'une simple image. On ne voit pas mon visage, il est donc impossible de connaître mon identité et pourtant, on s'amuse à m'inventer des vies. Dans le magazine de la dernière fois, j'étais une femme mariée. Ici, je suis devenue une sugar mamie.

Je serre les poings, agacée d'entendre des bêtises sur moi. Un mélange de frustration et de colère inonde mon estomac. Les gens disent n'importe quoi et je suis assise là, dans mon canapé, à ne rien pouvoir y faire. Comment Grant fait-il pour supporter ça ?

« On ne sait rien d'autre d'elle. C'est une parfaite inconnue et je peux vous dire qu'elle va le rester. On connait Grant, on sait toute que c'est un éternel célibataire. »

Son clin d'œil finit de m'achever. C'est trop. Je coupe tout avant que mon cerveau ne soit lobotomisé par ces bêtises.

Un lourd soupir abaisse ma poitrine alors que je ferme les yeux, la tête posée sur le dossier du canapé. Grant m'a prévenue que sortir avec lui allait entraîner des changements dans ma vie. Fréquenter une célébrité n'est pas quelque chose d'anodin. Ce n'est pas une histoire d'amour ordinaire. Elle n'appartient pas qu'à nous, peu importe les efforts que l'on met pour la garder privée. Une part de notre lien appartient inévitablement aux autres. C'est terrifiant comme situation. Rien n'est encore officiel et on s'approprie déjà le peu que nous possédons.

Suis-je à la hauteur pour affronter ça ? Ai-je les épaules assez solides pour supporter le regard des autres alors que je ne suis toujours pas à l'aise avec mon corps ? Et s'il apprenait ce que j'ai traversé par les médias ?

Grant aimerait que je l'accompagne au gala en l'honneur de la carrière musicale de Jamyson. Cela signifie que mon visage va être exposé, et donc mon identité. C'est la porte de Pandore qui va s'ouvrir. Suis-je prête à ça ? Je n'en ai aucune idée. Rien que d'y penser, j'en ai l'estomac nouée. En revanche, je suis certaine des sentiments que j'ai pour lui.

J'ai décidé de faire confiance à mon cœur et de le suivre. 

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