Chapitre 20 - Faire sa demande
Ça va faire deux jours que l'article sur ma soi-disant relation avec une femme mariée est sorti et les gens sont déjà passés à autre chose. Ils se sont nourris de d'autres ragots, ce qui est une bonne chose. Mais moi, je ne parviens pas à oublier. Ce connard de paparazzi a terni la journée idyllique que nous avons passée. Et pour couronner le tout, il a fallu qu'il sorte un torchon. J'ai essayé de contenir ma colère face à Ainsley, je n'ai rien cassé dans la chambre. Pourtant, ce n'est pas l'envie qui me manquait. J'aurais pu tout retourner après avoir lu les quelques paragraphes de l'article. On ne s'attaque pas à mon entourage. Il doit rester en dehors de tout ça. Si les gens veulent des ragots, ce doit être sur moi et moi seul.
Résultat, je suis d'humeur grognon, ce qui n'a pas échappé à ma mère et ma tante. Elles sont au courant de ce qui s'est passé. Leur indignation est à la hauteur de la mienne, mais ça ne change pas grand-chose. Face à ce genre d'évènement, nous sommes impuissants. Le conseil avisé de tante Joy : « on les emmerde ». Ça vaut ce que ça vaut, mais j'ai décidé de le suivre.
— Comment va Ainsley ? s'enquière ma mère en buvant une gorgée de son café.
Nous sommes installés sur la terrasse à l'arrière de la maison, au bord de la piscine.
— J'ai bien vu que ça l'a fait flipper d'avoir été épié. C'est pour ça que j'ai joué franc jeu avec elle. Ce genre de choses va se reproduire alors je préfère qu'elle sache dans quoi elle s'embarque si elle veut qu'on continue à se voir.
— Ils vont finir par te laisser tranquille maintenant que tu n'es plus dans le milieu de la célébrité, non ?
— Sans doute, c'est juste que ça va prendre du temps. Et j'ai pas envie d'attendre pour vivre pleinement ma vie.
— Je ne suis pas souvent d'accord avec les conseils de ta tante, mais sur ce coup, elle a raison. Tu as assez fait semblant. Si ton désir est de fréquenter Ainsley, alors vas-y. Mais n'oublie pas que ce n'est pas son milieu. Soit certain de ce que tu veux avant de l'embarquer dans tout ça.
Il est clair qu'Ainsley m'attire. Déjà sur la plage, à notre rencontre, je la trouvais belle. Mais c'était une beauté lambda, l'une de celles qui attire le regard sans forcément qu'on y prête plus attention. Est venu s'ajouter ensuite sa personnalité, et c'est là que tout a dérapé. Elle a embelli cette apparence. Ce n'était plus une femme ordinairement belle, non, c'était Ainsley. Je n'ai même pas de mot pour la définir autrement que par son prénom. Parce qu'un terme peut être imputé à d'autres alors qu'elle, elle est unique.
Mais qu'est-ce qui m'arrive ? On dirait les paroles d'une des chansons à l'eau de rose de Jamy !
J'aime être avec elle. Ça faisait longtemps que je n'ai pas été à l'aise avec quelqu'un d'autre que Jamyson ou ma famille. Pour la première fois depuis des lustres, je me suis senti bien dans ma peau. Sous son regard, j'ai la sensation d'être la meilleure version de moi-même. Ce que je ressens pour elle est spécial. C'est puissant. Exaltant.
— J'ai trop souvent blessé ceux que j'aime. Avec Ainsley, je ne compte pas reproduire ces erreurs.
— Tu as un cœur en or, mon Grant. Il faut juste que tu le laisses s'exprimer à nouveau.
Elle pose sa tasse fumante sur la table en verre et saisit mes mains dans les siennes.
— Cette lueur de joie qui anime tes yeux depuis quelques jours me rend tellement heureuse. Je veux que tu la gardes.
— Elle est là grâce à toi et tante Joy.
— Et Ainsley.
Nous rions en chœur.
— C'est vrai.
Je marque une pause puis ajoute :
— J'ai prévu de lui faire ma demande.
Ma mère arque un sourcil, intriguée par mon annonce. Je savais que mon dernier mot allait accaparer toute son attention.
— Je compte lui proposer d'aller à Nashville avec moi.
Sa bouche s'ouvre en grand pour laisser passer un « ah » qui veut tout et rien dire. Elle reprend une gorgée de son café. Cette fois, c'est moi qui suis intrigué par sa réaction. On dirait qu'elle n'est pas emballée.
— Tu trouves que c'est une mauvaise idée ?
— Tu as passé l'âge pour que je te dise quoi faire.
— Mais ton avis a toujours de l'importance.
Elle soupire, ce qui ne présage rien de bon.
— Pour être franche, tu devrais t'y rendre seul. L'évènement de Jamyson est censé vous permettre de tourner définitivement la page de cette période de mensonges. Impliquer Ainsley là-dedans ne serait pas bon.
— C'est ce que je pensais au début.
— Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?
— Jouer la comédie pour Jamy, ça fait partie de moi que je le veuille ou non. Je veux être transparent avec elle et pour ça, il faut aussi qu'elle découvre ce pan de ma vie. Je vous en ai toujours tenu à l'écart tante Joy et toi, pour au final ne quasi plus vous parler. J'ai dit que je ne referai pas les mêmes erreurs.
J'ai mis du temps avant de me décider. J'ai pesé le pour et le contre. Je me suis dit que c'était peut-être trop tôt, qu'elle allait avoir trop de pression alors qu'on commence à peine quelque chose. Mais j'ai envie d'être entier. D'autant plus qu'Ainsley aimerait vivre des choses qui sortent du quotidien. Elle me l'a elle-même avoué. C'est ce qui m'a fait changer d'avis.
— Ça me parait cohérant.
Ses paroles ne sont pas en accord avec son attitude. Sa moue dubitative ne trompe pas, il y a un truc qui la chiffonne.
— Je vois bien que tu n'es toujours pas convaincue.
— Non, ce n'est pas ça. J'ai simplement peur que ça fasse beaucoup pour Ainsley alors que vous débutez votre relation.
— Selon toi, c'est précipité.
— Un peu.
Dans le fond, elle a sans doute raison. Mais j'ai trop longtemps vécu dans la retenue. Mon côté méfiant a pris le dessus sur tout alors qu'avant la célébrité, j'étais du genre à faire confiance facilement. J'étais ouvert, avenant. C'est cette personnalité qui a marqué Ainsley et j'aimerais la retrouver. Ou au moins en partie. Être plus insouciant. C'est fatiguant de voir le mal partout.
— Il se passera ce qui se passera. Si ça foire, tu pourras me dire que tu m'avais prévenu.
— Je préfèrerai avoir tort.
Moi aussi.
Nous terminons notre collation au moment où tante Joy sort de la salle de bain. Sa tenue nous en met plein la vue. Si je trouvais ma mère rayonnante dans sa robe de cocktail vert olive, celle rose poudrée de ma tante la rend encore plus lumineuse que d'habitude. Les sequins au niveau des hanches vont attirer l'œil de tous les invités. Ce soir, il y a une soirée spéciale à la friperie. Elles ont invité les clientes les plus fidèles pour un petit apéro suivi d'une vente privé. Ainsley y sera.
— T'es sûr de ne pas vouloir venir ? m'interroge tante Joy en enfilant ses boucles d'oreilles.
— Il vaut mieux qu'on m'associe le moins possible à votre boutique sinon vous risquez d'avoir juste des curieux, et pas des clients. On fêtera ensemble votre réussite quand vous rentrerez. Je mettrai le champagne au frais.
— La prochaine fois on fera une soirée déguisée comme ça, tu pourras être présent, suggère ma mère.
— Ah mais oui, bonne idée, on va tous venir avec un casque d'astronaute en verre fumé. Ce sera sympa.
Le sarcasme de ma tante me fait lever les yeux au ciel. Notre relation s'améliore de jour en jour, mais elle ne manque pas une occasion pour me taquiner. Ce qui a changé, c'est qu'elle le fait avec le sourire.
J'aimerais participer à ce genre d'évènement, ce n'est pas l'envie qui m'en manque, mais j'ai peur qu'elles se retrouvent envahie par des gens qui n'en ont rien à faire de leur commerce. Quand je vais les aider, il n'y a pas encore de client ou alors je reste dans la réserve. J'évite de m'exposer.
— On devrait y aller, Annie, ou on va être en retard à notre propre fête.
Elles viennent déposer un baiser sur ma joue chacune leur tour, puis disparaissent. Contrairement à elles, ma soirée s'annonce moins fun. En ce moment, c'est la pré-saison des matchs de NFL. Je compte donc passer les prochaines heures devant la tété avec une pizza.
Avant de faire la larve sur le canapé, j'enchaine quelques longueurs dans la piscine. Je préfère de loin nager en mer. Le son des vagues et la brise marine ajoutent un charme indéniable à la natation. L'eau chlorée me rappelle tous ces moments que j'ai passé dans les bassins des nombreux hôtels que j'ai fréquentés. On m'interdisait de sortir, sous peine de créer une cohue. Les gens enviaient mes voyages alors qu'en réalité, je n'ai rien vu du monde. Je me suis promis de retourner dans chacune de ces destinations, mais en prenant le temps de les découvrir cette fois. Ça me tenterait bien d'avoir un bateau sur lequel je pourrai parcourir le monde.
Je garde mes rêves dans un coin de ma tête et allume la télé après être sorti de la douche. Je lance le four, m'ouvre une bière, et me détend dans le sofa. C'est assez simple comme soirée, et pourtant, je l'apprécie. Elle a un petit goût de normalité qui me fait du bien. Oui, j'aurais aussi aimé faire la fête avec mes proches. Disons que c'est une alternative qui me convient.
Mon repas est chaud une poignée de minutes avant le début du match. Le timing est parfait. J'installe tout sur la table basse. Rien ne vaut une bonne peppéroni. J'en prends une bouchée quand la sonnette retentie. Je vérifie sur mon téléphone si ma mère ou ma tante m'a envoyé un message, mais rien. De toute façon, elles ont les clés alors pourquoi elles sonneraient ?
J'avance jusqu'à la porte d'un pas prudent. Je jette un coup d'œil dans le judas. Le morceau de pizza que j'ai encore dans la bouche manque de rester coincé dans ma gorge. Je m'étouffe à moitié. Ma vue me joue des tours, j'ai dû mal regarder.
Après avoir calmé ma toux, j'inspecte à nouveau la personne qui se tient sur le pas de la porte. Il n'y a aucun doute, c'est bien Ainsley. Mon cœur se met à battre plus vite. La nervosité rend ma main fébrile. Je ferme et ouvre le poing plusieurs fois avant de la laisser entrer.
— Salut.
Ma voix n'est qu'un murmure. Je suis happé par sa tenue. Elle porte un pantalon rouge souple et large qui souligne ses longues jambes. Au niveau de ses hanches, trois paires de boutons dorés marquent sa fine taille. Quant à son haut blanc fleuri, il est très échancré.
J'ai comme un air de déjà-vu. Ce moment me rappelle celui où elle a débarqué au café de Ricardo. Elle m'avait aussi coupé le souffle alors que ses vêtements étaient plus sobres. Au final, c'est ce même jour où nous nous sommes embrassés. Là, dans cette tenue, seuls chez moi, que va-t-il se passer ?
Mec, rappelle-toi que t'es en vieux survêt. Niveau sexy attitude on est à 0 de ton côté.
— T'es pas à la fête ?
— J'y ai passé les trente premières minutes avec en fond sonore ta tante qui n'arrêtait pas de me répéter que tu étais tout seul à la maison.
Je m'écarte pour la laisser entrer et referme la porte derrière elle.
— T'as donc eu pitié.
— Non, de la compassion, rectifie-t-elle d'un grand sourire. Tu devrais être là-bas à célébrer cet évènement avec elles.
— Ma présence pourrait leur causer du tort. Quand j'ai commencé à être célèbre, j'ai voulu aider un vieil ami du lycée qui ouvrait son bar à New York. Je me suis rendu à l'inauguration en lui faisant une super promo de lancement. Il y a eu beaucoup trop de monde. Les gens ont cassé de la déco, se sont même donnés des coups, c'était la folie. Au final, personne n'a consommé et les frais pour réhabiliter la salle étaient astronomiques. J'ai payé, il m'a remercié et nous ne nous sommes plus jamais parlé.
Ce n'est pas mon seul exemple. J'ai encore une liste longue comme le bras de lieux que j'ai fréquenté et où j'ai semé le trouble. Il est hors de question de porter préjudice à l'affaire familiale.
— Je ne peux que les aider dans l'ombre. Sachant qu'un jour, il y a bien quelqu'un qui fera le lien avec moi.
Ainsley s'avance. Ses lèvres rencontrent les miens dans un baiser que je n'attendais pas. Je la trouve plus grande que d'habitude. Peut-être parce qu'elle porte une jolie paire d'escarpins noirs.
— Tu peux mettre ta playlist Spotify ?
Je ne comprends pas pourquoi elle me demande ça, mais je m'exécute. C'est la chanson The scientist de Coldplay qui résonne dans le salon. Quand je me retourne en direction d'Ainsley, elle tient son téléphone face à elle et me fait signe de la rejoindre. Je me place à côté d'elle tandis qu'elle augmente le son. Sur l'écran, les visages enjoués de ma mère et de ma tante s'affichent.
— Coucou, mon Grant, lance ma mère. Ainsley a eu la bonne idée de faire un appel vidéo pour que tu sois un peu avec nous.
En fond sonore, j'entends la même chanson passer que celle dans le salon.
— On s'est mis dans un petit coin pendant que les clients sont au buffet préparé par Ricardo, m'explique-t-elle.
— Ton beau-père accapare toute l'attention, c'est parfait, ajoute tante Joy.
Ma mère lui tape gentiment l'épaule. Les voir aussi joyeuses me réchauffe le cœur. Je suis heureux d'assister à ça. J'ai la sensation d'être un peu là, avec elles.
— Je suis vraiment fier de vous.
— Attends, je rêve où il y a bien un cœur avec des sentiments qui bats sous ce torse ?
L'ironie de tante Joy fait rire Ainsley. Je lui jette un coup d'œil faussement outré. Elle hausse les épaules en guise de réponse.
— Bien entendu, même Ainsley a su le trouver.
— OK, si vous vous y mettez à deux, c'est le moment de raccrocher.
— Ne soit pas rabat-joie. Ta mère et moi, on est ravie de te revoir aussi...
— Solaire, complète cette dernière. On t'aime fort, mon Grant.
— Je vous aime aussi. Passez une belle soirée. Vous la mérité.
— Un peu qu'on la mérite, déclare tante Joy.
Nous rions en chœur avant de raccrocher. Ainsley récupère son téléphone pour le ranger dans son sac. J'attends qu'il soit en sécurité avant de saisir son poignet. Je l'attire contre moi dans un semblant de valse. La chanson de Coldplay est presque terminée.
— Merci pour cet appel, ça m'a fait du bien de participer un bref instant à leur fête.
— De rien.
Un sourire étire ses lèvres fines recouvertes d'un léger voile de gloss. Ça les rend impossible à lâcher du regard. Je sens que c'est le moment de lui poser la question.
— Ainsley, est-ce que tu accepterais de m'accompagner à Nashville ?
Elle se fige, et moi aussi. Le temps ralentit. J'ai l'impression qu'elle met des siècles avant de hocher la tête. C'est si lent que je ne suis même pas certain de la voir acquiescer.
— Oui.
Mon cœur bondit. Comment un si petit mot peut-il être une si grande source de joie ?
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