Chapitre 19 - Avoir une chance ?
Mais qu'est-ce que j'ai fait ?
Tout ce qui vient de se passer aujourd'hui est de la pure folie. Je dois être dans un monde parallèle, une sorte de réalité alternative comme le multivers des super-héros Marvel. C'est la seule explication logique qu'a su trouver mon cerveau pour assimiler les événements de cette journée. Mais par pitié, ne me pincez pas pour me réveiller ! Si je rêve, laissez-moi pousser mon imagination encore plus loin. Si je suis morte, laissez-moi dépérir jusque dans les tréfonds du Tartare. Parce que rien n'est plus beau sur Terre que la façon dont Grant me regarde actuellement, assis sur le canapé en face du mien. Ce savoureux mélange de tendresse, passion, envie.
J'ai encore du mal à croire que j'ai enfin eu le cran de l'embrasser. En le voyant partir, j'ai eu l'impression de voir se refermer ma seule et unique chance. Je n'ai pas voulu la laisser passer. Ça aurait été trop bête. J'ai donc pris mon courage à deux mains et mon cœur a littéralement explosé de bonheur quand il a fini par répondre à mon baiser. Il était empressé, possessif. Il a aspiré tout mon être jusqu'à m'en faire perdre la tête. J'ai eu envie de plus alors que je suis du genre à attendre le troisième rendez-vous avant d'embrasser l'autre. L'euphorie dans laquelle m'a mise Grant était nouvelle. J'ai eu du mal à la gérer. Encore plus quand il m'a fait comprendre qu'il ne voulait pas coucher avec moi. C'était comme se prendre un violent coup de massue. Notre bulle a violemment éclaté.
J'ai cru que mon corps fade ne l'intéressait pas. J'étais loin du compte. L'attraction qu'il y a entre nous est réciproque. Elle charge l'air d'électricité. Et plus nous nous contemplons sans dire un mot, plus l'intensité augmente. Il faut que je dise quelque chose avant de rompre l'accord que nous avons convenu il y a à peine quinze minutes.
— Parle-moi de ta dernière relation sérieuse.
Il hausse les sourcils, visiblement étonné par ma soudaine question. Qu'est-ce qui me prend de vouloir creuser dans sa vie amoureuse ? Ai-je vraiment envie de m'infliger ça ? Je risque d'y trouver des choses que j'aurais préféré ignorer. À moins que ce soit un moyen de me convaincre qu'un « nous » est possible. Qu'il y a une infime chance pour que cette attirance puisse devenir une histoire plus... durable ?
— Ça commence à dater, constate-t-il en passant sa main dans ses cheveux blonds. Elle s'appelait Sonia. On s'était rencontré à un match des Titans. Elle était dans la loge juste à côté de la mienne avec sa famille. C'était au début de la carrière de Jamy. On est sorti ensemble pendant dix mois.
— Pourquoi ça s'est terminé ?
Il marque un temps de pause. Un voile triste couvre ses yeux pendant de brèves secondes. Juste assez pour que je le remarque et que mon cœur se pince. Ce n'était pas une bonne idée d'aborder ce sujet.
— Mes messages avec elle ont été piratés et révélés au grand public. Il y avait rien de croustillant, on était pas du genre à s'envoyer des sextos, mais le harcèlement qu'elle a subi a eu raison de notre amour. Ça a été trop de pression pour elle.
Son histoire me ramène à notre mésaventure du jour, à la marina. J'ai paniqué quand Grant m'a prévenue qu'une personne nous prenait en photo. Une sensation étrange m'a serré l'estomac. J'avais l'impression d'être poussée sur une scène face à un public aux regards perçants, comme s'ils me voyaient nue. J'ai bien failli pleurer. Heureusement, Grant a su me rassurer. Je suis parvenue à contrôler cette anxiété avant qu'elle ne me dépasse. Mais comparé à cette Sonia, ce que j'ai vécu n'était rien. Je n'ose même pas imaginer l'état dans lequel elle devait être en voyant ses conversations privées soumises aux regards d'inconnus.
— Je ne l'ai jamais revu, ajoute-t-il. Et c'est mieux comme ça. Plus j'étais loin d'elle, mieux elle se portait.
— Il n'y a eu personne d'autre ensuite ?
— Rien de sérieux. Je me contente d'histoires sans lendemain. Ça me va très bien, au moins personne n'est blessé.
Cette information me fait mal plus que ça ne le devrait. À l'aimer en secret depuis des années, mon cœur a bien du mal à encaisser ses mots. Pour lui, ça ne représente pas grand-chose. Après tout, il connait mon existence depuis seulement quelques semaines. Ce qui n'est pas mon cas. Il y a un décalage entre nous. Tout ce temps à espérer, à rêver, à fantasmer, rend plus fort le positif comme le négatif. Je me retrouve bouleversée pour un rien quand il s'agit de lui. J'ai beau essayer de faire bonne figure, c'est un échec. Je sens quelque chose d'humide dévaler ma joue. Crotte !
Grant se penche et prend appuie sur la table basse entre nous. Il tend son bras jusqu'à ce que son pouce caresse ma peau. Il rattrape ma larme avant qu'elle ne tombe de ma mâchoire, puis se rassoit sur son canapé.
— Ainsley, il faut que tu saches que je finis toujours par blesser les gens que j'aime. J'ai beau faire de mon mieux, ça arrive à chaque fois. C'est pour cette raison que les relations sans attache me conviennent. C'est le seul moyen pour que personne ne souffre.
— C'est donc ce que tu me proposes ? demandé-je d'une petite voix.
— Non.
Sa réponse catégorique me fait sursauter. Je le regarde, incrédule.
— J'ai envie d'autre chose, complète-t-il. Et si tu es d'accord avec ça, tu dois aussi être consciente que des types comme tout à l'heure à la marina, il y en aura d'autres. Ou que ce qui s'est passé avec Sonia peut se répéter.
Grant m'annonce les faits avec beaucoup de sérieux. Je ne prends pas ses mots à la légère. D'un côté, je suis flattée que son intérêt pour moi soit assez fort pour désirer une relation plus investie qu'un coup d'un soir. D'un autre, je suis angoissée à l'idée de me retrouver exposée à la vue de tous comme l'a été son ex. Je ne sais pas quoi penser de tout ça. Le côté irréel de la situation ne m'aide pas à y voir plus clair. Je suis perdue par mes propres sentiments.
— Je sais qu'on est qu'au début de quelque chose, que c'est sans doute précipité de te parler de ça, mais je veux que ce soit bien clair pour toi dès maintenant. À l'époque, Sonia ignorait ce que ça impliquait, et moi aussi. J'ai pas envie de revivre ça.
Grant est en train de me proposer de sortir avec lui. Ça devrait être l'un des plus beaux instants de ma vie. Pourquoi je ne saute pas de joie ?
— T'es pas obligé de répondre un truc. Il est tard, on est fatigué et tu dois être encore chamboulée. On devrait dormir.
Il bascule pour s'allonger sur le dos, les doigts croisés sur son ventre. Il fixe le plafond, les yeux grands ouverts. Je me laisse tomber sur le côté et glisse mes mains sous l'un des oreillers du divan. Pour une fois, je n'ai rien à dire. J'aimerais lui répondre que je suis assez forte pour affronter ça, que mes sentiments pour lui sont aussi résistants qu'un gilet par balle, mais l'affirmer serait un mensonge. Je n'ai aucune idée de leur force et après tout ce que j'ai traversé cette année, je ne sais pas si j'arriverai à affronter un autre combat.
Grant me plait, ça je n'en ai aucun doute. Seulement, à quel point ?
— Tu sais, la première chose qui m'a plu chez toi, c'est ta facilité à aller vers les autres.
J'ignore pourquoi je lui avoue ça maintenant. Est-ce un moyen de le convaincre que mes épaules sont assez solides pour engager une histoire, ou est-ce moi que je tente de persuader ?
— Tu étais sympa et toujours prêt à donner un coup de main, peu importe la personne que tu avais en face de toi, ajouté-je, un sourire aux lèvres.
— Je ne suis plus comme avant, tu sais.
— On peut évoluer, mais dans le fond, on ne change jamais vraiment.
— Tu penses ?
— Notre nature profonde est ancrée en nous.
Il ferme les yeux avant de hocher la tête comme pour affirmer mes propos, même s'il ne semble pas complètement convaincu.
— Tu as continué à aider Jamyson durant toutes ces années, complété-je pour appuyer mes propos.
Grant reste à nouveau mutique. Sa respiration régulière et son calme me mettent la puce à l'oreille. Il doit s'être endormi. Je m'installe sur le dos dans un soupir et bâille. La lumière est encore allumée, mais je n'ai pas le courage d'aller l'éteindre.
— Tu crois que j'ai gâché ma vie en vivant celle d'un autre ?
Le son soudain de sa voix me fait retenir mon souffle. Il est un peu tard à mon goût pour répondre à une question aussi profonde. Elle mériterait réflexion, mais je sens qu'il a besoin d'être conforté dans son choix. À sa place, je n'aurais sans doute pas fait la même chose. Cependant, ça ne veut pas dire que je trouve sa décision stupide. Comparé à lui, je n'ai jamais connu une amitié comme celle qu'il possède avec Jamyson. Et c'est ça qui fait toute la différence. Personne n'est en mesure de réellement comprendre le lien qui les unis.
— Même si ce n'était pas ton rêve d'être chanteur, tu as suivi le chemin que tu voulais. C'est toi qui as pris la décision d'accompagner Jamyson. Maintenant, c'est encore à toi de décider où tu souhaites aller. Tu as toujours été le maître de ton existence.
Nous tournons la tête à l'unisson. Nos regards s'accrochent. Durant une brève seconde, j'ai l'impression de le voir se redresser, prêt à se lever pour rompre notre accord. L'espoir fait palpiter mon cœur. Il trouble ma vue. Mes paupières papillonnent avant de constater avec déception qu'il est toujours allongé dans son canapé à m'examiner avec grande attention.
Nous nous contemplons en silence. La fatigue commence à se faire sentir. Je sens mon corps devenir plus lourd. Je ne sais pas très bien ce qui se passe ensuite. Tout est flou. Je crois avoir entendu Grant me dire quelques mots, certainement un « bonne nuit », mais le sommeil m'a déjà à moitié emportée. Je sombre dans ce que l'on appelle en général le pays des rêves.
Sauf que pour moi, cette journée dans le monde réel a été plus enchanteresse que le meilleur de tous mes songes.
***
En me réveillant, la première chose que je constate est l'absence de Grant dans son canapé. J'émerge difficilement, l'esprit cotonneux. Je passe mes mains sur mon visage avant de me redresser. Tous les souvenirs de la journée d'hier m'envahissent. Je fais glisser mes doigts contre mes lèvres pour me remémorer la sensation de celles de Grant sur les miennes. J'ai longtemps imaginé la sensation que ça pouvait faire, et je peux affirmer que j'étais loin de la réalité. Tout mon corps s'est embrasé. Mes mains tremblaient et j'avais l'impression de vivre mon premier baiser.
— Salut, marmonne-t-il d'une voix rauque en descendant les escaliers.
Ses cheveux blonds sont encore humides, il devait être à la douche.
— Salut, réponds-je en baillant. Tu es déjà debout ? Il est quelle heure ?
— Presque onze.
— Si tard ? m'étonné-je. On ne doit pas rendre la chambre ?
— On a tout le temps qu'on veut. C'est l'un des avantages d'avoir de l'argent.
Notre conversation est arrêtée par quelqu'un qui vient toquer à notre porte. Contrairement à moi, Grant ne semble pas surpris.
— C'est le room service. J'ai commandé le petit dej et ils doivent aussi nous ramener nos vêtements propres, m'explique-t-il en voyant mon air étonné.
Il part ouvrir à l'employé qui entre dans la chambre pour disposer notre repas sur la table. Il y a un peu de tout : viennoiseries, confitures et fruits frais. Il y a également une cruche de jus d'orange maison, et du café. Il nous laisse le portique où sont pendus nos vêtements avant de s'éclipser.
Je m'assois autour de la table et prends une bouchée d'un muffin aux bleuets. Grant ne tarde pas à me rejoindre, téléphone portable à la main. Le nez sur son écran, l'expression de son visage a changé. Ses sourcils sont froncés et il garde ses lèvres pincées. Quelque chose l'énerve. Je me demande ce qui peut le mettre dans cet état.
— Il y a un problème ?
Il soupire et laisse tomber son téléphone sur la table.
— Les photos prises par le mec hier ont été postées.
Je me fige instantanément. Une vague de panique m'envahit. Elle ramène avec elle mes interrogations de la veille et surtout, notre discussion. Grant se penche pour attraper l'une de mes mains.
— Rassure-toi, on ne voit pas ton visage.
Un peu soulagée, mes épaules se relâchent. C'est une bonne nouvelle, non ? Alors pourquoi je sens ses doigts resserrer leur étreinte. Y a-t-il autre chose ? Ce n'est pas parce qu'on ne voit pas ma tête qu'il est impossible de découvrir qui je suis. Et s'ils avaient investigué dans ma vie privée ? Je ne veux pas que Grant découvre certaines choses à mon sujet de cette manière.
— Mais l'article est un ramassis de conneries, ajoute-t-il, irrité.
— Je peux le lire ?
— Non, t'as pas besoin de voir ça.
— Je le verrai forcément donc autant le découvrir en ta compagnie. S'il te plait.
À contre cœur, il finit par me tendre son téléphone qu'il déverrouille. L'écran s'allume directement sur la page de l'article d'un magazine people que je lis avec ma mère de temps en temps. Je fais défiler le texte. Chaque nouveau paragraphe me révolte un peu plus que le précédent. Selon leurs dires, Grant fréquenterait en cachette une femme mariée, celle qu'on voit de dos sur la photo avec lui dans la voiture. Sachant qu'il s'agit de moi, un rire jaune me prend.
J'ai toujours lu ce genre de magazine en prenant un certain recul. Ce n'est pas parce qu'on nous montre des choses soi-disant vraies qu'elles sont le reflet de la réalité. Personne ne peut les confirmer à part les intéressés. La vérité est brodée. Aujourd'hui, j'en ai la preuve flagrante.
— Qu'ils s'en prennent à moi, je peux l'accepter. Mais pas à mes proches, grogne-t-il.
Grant se lève si brutalement qu'il renverse sa chaise. Il se met à faire les cent pas en se frottant la nuque. Je me fiche bien de ce qu'ils peuvent dire dans leur article, ce qui me noue la gorge, c'est l'état dans lequel ça met Grant. Quand j'ai su qu'on nous prenait en photo hier, j'ai d'abord paniqué à l'idée qu'on puisse voir mon visage. Réaction un brin égoïste. Ce qui intéresse les gens, ce n'est pas moi, c'est lui.
Je quitte ma chaise pour enrouler mes bras autour de sa taille et pose ma tête contre son large dos. Il s'arrête.
— Je suis désolé de t'entraîner là-dedans, s'excuse-t-il en nouant ses doigts aux miens sur son ventre.
— Arrête, ce n'est pas ta faute.
— Tu comprends mieux pourquoi je t'ai mise en garde hier soir. J'aurais dû partir au fin fond de la jungle, seul, plutôt que de venir ici causer des problèmes.
Ses mots me donnent mal au ventre. J'ai l'impression de recevoir des coups tellement ils sont tristes, poignants. Il préfèrerait se sacrifier plutôt que de causer du tort aux autres. Ça, c'est exactement le Grant qui m'a plu quand on était ado. Un garçon dont le cœur est bien trop bon pour le monde ingrat dans lequel nous vivons.
Je me détache et le contourne pour me planter devant lui. Toujours en pyjama, je tire sur le col de son haut pour qu'il se penche en avant. Il n'a pas besoin de plus pour comprendre que je meurs d'envie de l'embrasser. Il fond sur mes lèvres pour me donner un baiser rempli d'empressement. Ses mains s'accrochent à mes hanches comme s'il cherchait à me retenir près de lui. Je ne compte pas m'enfuir, Grant.
Nous nous détachons à bout de souffle, les lèvres gonflées, le cœur rassasié, l'esprit déboussolé.
— Est-ce qu'on a une chance ?
Il pose son front contre le mien et ferme les yeux quelques secondes.
— J'en sais rien.
Il marque une pause avant d'ajouter :
— Mais on va s'en donner une, qu'est-ce que t'en penses ?
Je me penche et fais glisser mon nez le long du sien. Je descends jusqu'à atteindre ses lèvres charnues que je ne me lasse pas d'embrasser. J'y dépose un chaste baiser. Les mots me manquent alors je lui parle par les gestes.
— Je prends ça pour un oui, rit-il.
Nous savourons cet instant qui, une fois hors de cet hôtel, ne sera qu'un délicieux souvenir. Que se passera-t-il ensuite ? Ni lui, ni moi, n'avons une réponse. L'avenir est incertain.
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