Chapitre 16 - Plonger ensemble

J'ai adoré ces trois jours de pêche avec mon père. Ça faisait si longtemps qu'on n'avait pas fait ça. J'ai eu l'impression de revenir des années en arrière. Être loin de tout m'a fait du bien. Parfois, c'est important de se couper du monde. On devrait tous éteindre nos téléphones pour se concentrer sur l'instant présent et prendre le temps de réfléchir. Enfin c'est ce que je pensais avant de découvrir ce matin un message de Grant envoyé il y a trois jours.

Mon cœur a failli s'arrêter en réalisant qu'il m'avait écrit. J'ai sauté de joie, puis j'ai eu envie de disparaitre quand j'ai compris qu'il s'était pris un vent monumental. Qu'est-ce qu'il doit penser ? Ce n'est pas mon genre de passer un excellent moment avec un homme et de la jouer silence radio. J'ai toujours eu la décence d'expliquer pourquoi je préférai en rester là. Mais dans le cas de Grant, j'aimerais pouvoir renouveler l'expérience. Notre sortie à l'expo photos était incroyable et vu son message, lui aussi a passé un agréable moment. C'est écrit noir sur blanc. Je m'en veux donc encore plus de l'avoir laissé sans nouvelle aussi longtemps.

Bien décidée à m'expliquer en face à face, je me suis précipitée à la friperie. C'est Joy qui m'a accueillie et qui m'a prévenue qu'il était au café situé au coin de la rue.

Voilà comment je me suis retrouvée à me tenir là, devant lui, frappée par l'intensité qui se dégage de ses iris verts. Son charisme me happe. Il m'en fait perdre mon latin. Et mes moyens.

— Qu'est-ce que tu fais là ? m'interroge-t-il en s'avançant vers moi.

Sa question n'a rien d'agressive. Au contraire, son ton est doux, presque comme un murmure. Je me détends un peu et articule quelques mots :

— Ta tante m'a dit que je te trouverai ici.

— Je vois. On est en réunion familiale là.

Je ravale ma salive, la gorge nouée par la gêne. Joy n'avait pas précisé ça. Je me sens bête d'avoir débarqué au beau milieu d'un moment pareil. Je ne sais plus où me mettre.

— Mais j'imagine que tu as une bonne raison d'être ici, renchérit-il.

Il croise ses bras sur son torse, ce qui tend le tissu de sa chemise sur ses muscles. Mes yeux s'attardent sur sa tenue qui le met si bien en valeur. Le pantalon en lin blanc qu'il porte épouse lui aussi à la perfection son corps sculpté. C'est moi où il est encore plus beau que d'habitude ?

— Je voulais te parler.

— Ah oui ? Pour me dire quoi ?

Bonne question... j'ai comme un petit trou de mémoire.

Je jette un bref coup d'œil à l'homme qui m'a ouvert la porte. Il passe plusieurs fois sa main sur sa barbe fournie, comme s'il évaluait la situation. Il semble tout aussi mal à l'aise que je peux l'être.

— Annie et moi avons de la paperasse à remplir, intervient-il finalement. Je t'en prie Ainsley, entre. Le café est fermé aujourd'hui, alors vous avez tout le temps de papoter.

Je passe le pas de la porte et il referme à double tour derrière moi. Je ne suis plus qu'à un mètre de Grant. Même à cette distance raisonnable, je me sens attirée par son aura. L'attraction qu'il génère autour de lui me fait penser à celle d'un trou noir. Elle amène à lui quiconque s'en approche.

— Merci, Ricardo, lui répond Grant.

La femme encore assise autour d'une table se lève pour me saluer d'un geste de la main. Je crois qu'il s'agit de la mère de Grant. Les traits de leur visage sont similaires. Nous n'avons pas le temps d'échanger le moindre mot, Ricardo passe une main dans son dos pour l'inviter à monter à l'étage par le vieil escalier qui se tient au fond de la pièce, derrière le comptoir. Je me retrouve donc seule en compagnie de Grant.

Par où commencer...

— De quoi tu voulais me parler, Ainsley ?

La façon qu'il a de s'attarder sur mon prénom fait exploser des papillons dans mon ventre. Je suis ramenée à notre sortie et aux délicieux souvenirs qu'elle a gravé dans la mémoire de mon cœur. Revoir Grant me rend heureuse. Et à en juger par le sourire en coin qui étire ses lèvres charnues, je crois qu'il ressent la même chose. À moins que ce ne soit mon imagination ?

— Je tenais à m'excuser d'avoir disparu de la circulation pendant trois jours.

— Tu ne me dois rien.

— Si. J'estime que c'est la moindre des choses dans n'importe quelle relation sociale. Surtout quand on apprécie l'autre personne.

— Je dois donc comprendre que tu m'aimes bien ?

Je sens mes joues chauffer, mais je ne lâche pas son regard.

— Il semblerait.

Il avance d'un pas, réduisant l'espace qu'il y a entre nous. Il est si proche que l'odeur de son parfum boisé prend le dessus sur celle du café qui flotte dans l'air.

— J'ai un truc à te dire aussi.

— Ah oui ?

Grant se penche en avant. Son visage n'est plus qu'à quelques centimètres du mien. Ma respiration se bloque. Je suis pendue à ses lèvres.

— J'aimerais que tu me confirmes une chose.

— Laquelle ?

— On s'est déjà rencontré. Pas vrai ?

J'ouvre grand les yeux, intriguée par sa remarque. Alors il s'en souvient ? Mon cœur saute de joie dans ma poitrine.

— Oui, on s'est croisé plusieurs fois.

— C'était toi à l'enterrement de mon père avec tes histoires de bouddhisme.

Je hoche la tête.

— Pourquoi tu n'as rien dit ?

— Parce que c'était normal que tu ne te rappelles pas de moi. Je ne suis pas du genre à marquer les gens.

Les traits de son visage se durcissent. Il fronce les sourcils. Son souffle chaud se mélange au mien au rythme de nos respirations haletantes. Son nez frôle ma joue dans une caresse qui me laisse pantoise. Mes lèvres s'entrouvrent par automatisme. Grant se rapproche de mon oreille pour me murmurer :

— Ah oui ? Alors explique-moi pourquoi ça fait trois jours que je ne pense qu'à toi ?

Mes paupières papillonnent. Je perds pied. Ce n'est pas réel. Ça ne peut pas l'être.

Mes jambes ont du mal à me tenir debout. J'attends que Grant s'écarte, qu'il accepte de me redonner un peu d'air, mais au lieu de ça, il dépose un baiser humide sur ma tempe. Cette fois s'en est trop pour ce que je suis capable de supporter. C'est moi qui recule, mal-à-l'aise de cette soudaine proximité.

— C'est que tu dois vraiment t'ennuyer, plaisanté-je.

— Ne te dénigre pas, Ainsley. Jamais.

Son ton est dur, franc. Ses paroles s'impriment en moi au fer rouge. Elles y laissent une marque indélébile si brûlante, que j'en ai presque mal. Mais c'est une douleur agréable.

Je suis folle.

— Je tacherais d'y penser.

Mon humour ne prend pas. Il garde son sérieux.

— T'es libre aujourd'hui ?

Sa question me surprend. Je mets de longues secondes avant de lui répondre :

— Oui.

— Est-ce que t'as le mal de mer ?

— Pas à ma connaissance.

— Parfait.

Sans me donner plus d'explication, il entrelace nos doigts et nous rejoignons ma voiture. Je lui confie les clés tandis qu'il me fait promettre de garder les yeux fermés jusqu'à notre arrivée à destination. J'obéis, impatiente de découvrir ce qu'il prépare. Le trajet me paraît interminable. J'ai beau essayer de lui soutirer des informations, il ne lâche rien. Vu sa question un peu plus tôt, je me doute qu'on va se retrouver sur l'eau. Est-ce qu'on va prendre la mer ? Je crois que Grant a son permis bateau.

Quand la voiture s'immobilise et qu'il m'autorise à ouvrir les yeux, mes suppositions se confirment. Nous sommes dans une marina qui doit compter une trentaine de places. Grant m'invite à le suivre sur un des trois pontons principaux jusqu'à un petit bateau de plaisance. Son blanc immaculé est éblouissant avec le soleil qui tape dessus. Je plisse les yeux et mets ma main au niveau de mes sourcils pour faire de l'ombre.

Aveuglée, je me prends les pieds dans ce qui semble être une corde, et manque de m'étaler de tout mon long. Par chance, Grant me retient. Je me retrouve collée à son torse. Je m'empresse de reculer avant de perdre une nouvelle fois la raison.

— Pardon, marmonné-je à la va-vite.

— Y'a pas de mal. J'aime bien quand tu me tombes dans les bras.

Il m'aide à monter à bord et je pars m'installer sur le banc situé juste devant la console de pilotage. Je n'y connais rien en navigation, je laisse donc Grant gérer notre départ. À le regarder s'activer, il est clair qu'il sait ce qu'il fait. Chaque geste est maîtrisé, tout s'enchaîne avec fluidité et sans accroc malgré la proximité des autres bateaux. Il nous dirige sans difficulté vers le large où la ligne d'horizon paraît sans limite.

Face à nous se dresse l'immensité du large. La vue est superbe. Les différentes nuances de bleu qui teintent l'eau sont dignes des cartes postales que l'on peut trouver dans les boutiques de souvenirs. C'est un sublime dégradé qui se marie à la perfection avec le ciel.

— Tu aimes ? me crie-t-il derrière moi.

Je me tourne pour lui répondre.

— Oui, c'est magnifique.

Et je ne parle pas uniquement de l'océan.

Avec sa chemise épousant à la perfection ses muscles, ses cheveux ébouriffés par le vent, sa peau bronzée qui fait ressortir le vert de ses yeux, et son pantalon en lin très décontracté, Grant est à tomber. Il semble si naturel en cet instant, loin des images qu'il a pu poster sur Instagram.

Après l'enterrement de son père, je ne l'ai jamais revu. Et puis lorsqu'il est devenu connu, j'avoue l'avoir épié sur les réseaux sociaux. Il postait souvent des photos. J'ai longtemps regardé celle où on le voit en chemise à carreaux, de dos, les mains dans les poches de son jean ceinturé par une épaisse ceinture et chapeau de cow-boy vissé sur la tête. Un style qui ne lui ressemblait pas du tout. La légende disait qu'il se trouvait à New York, dans un bar à cocktail luxueux. Ça aussi, ce n'était pas son genre. On aurait dit un homme d'affaires texan inaccessible. Rien à voir avec le Grand que j'ai actuellement sous les yeux. C'est celui-ci qui m'a plu par le passé et qui continue à faire chavirer mon cœur.

Grant coupe le moteur. Le clapotis de l'eau contre la coque se mélange aux cris des mouettes. L'océan est calme aujourd'hui, le bateau est donc assez stable. Il contourne la console pour venir se poster devant moi, sa main tendue dans ma direction.

— Tu viens piquer une tête ?

— Je n'ai pas mon maillot.

— Moi non plus, rétorque-t-il en haussant les épaules.

Je repense aux sous-vêtements que j'ai enfilés ce matin. Ils sont presque neufs et la dentelle est travaillée. Ils sont très beaux, rien à redire là-dessus. Ça ne me dérangerait pas du tout que Grant puisse les contempler. Le problème, c'est qu'ils laissent voir beaucoup trop de peau. Il y a des choses dont je ne suis pas encore prête à parler.

— Vas-y, toi, je préfère rester au sec.

— J'irai seulement si toi aussi. T'as peur du large ?

— Pas du tout.

— Alors c'est quoi le problème ? Et ne parle pas de maillot de bain.

Crotte, lui aussi est capable de lire en moi. C'est dingue d'être si facile à cerner par les gens.

— Je ne veux pas que tu vois mes cicatrices.

— J'en ai aussi.

— Je sais, mais moi, je préfère les garder cacher. Ne me force pas, s'il te plait.

A mon plus grand étonnement, il se lève et commence à déboutonner sa chemise. Le tissu glisse le long de ses muscles sur lesquels mes yeux dérivent. Il finit par me le tendre sans que je ne saisisse le sens de son geste.

— Mets ça si tu veux. Comme ça, t'es pas en sous-vêtements et tu ne mouilles pas ta jolie robe.

Parce qu'il aime comment je suis habillée ?

Mon regard jongle entre lui et son vêtement. Je ne peux pas envelopper ma peau dans quelque chose qui lui appartient. Son odeur m'étoufferait de plaisir.

— Non, je vais te l'abîmer.

— Ainsley, c'est qu'une chemise. J'en ai rien à faire.

Voyant que je ne suis pas emballée par l'idée, il s'accroupit juste devant mes genoux. Dans cette position, torse nu, j'ai soudainement très chaud.

— En revanche, j'ai vraiment envie que tu viennes avec moi.

Il pose ses avant-bras sur mes cuisses et se penche, un sourire taquin sur les lèvres.

— Et puis ruiner mes chemises, c'est ta spécialité.

J'ouvre grand la bouche, outrée qu'il refasse mention du jour où je lui ai vomi dessus, et pousse ses épaules. Il se laisse tomber en arrière, mort de rire. Je lève les yeux au ciel et file me changer dans la cabine intérieure, derrière le poste de pilotage.

J'observe Grant se délester de ses dernières affaires par la vitre en verre fumé. En boxer, il plonge dans un saut maîtrisé, élégant. J'ai envie de le rejoindre, mais avant, je prends quelques instants pour savourer le doux tissu de sa chemise sur ma peau. J'ai du mal à croire que je porte un de ses vêtements.

— Tu viens ? s'impatiente-t-il.

J'inspire une dernière fois son odeur, et rejoins l'avant du bateau. Contrairement à Grant, le plongeon n'est pas ma spécialité. Je me jette à l'eau en faisant une bombe. La fraîcheur de l'océan me happe. Le contraste avec la chaleur extérieure est saisissant. Mais enveloppée dans le vêtement de Grant, je n'ai pas froid. C'est si bon de nager à nouveau, ça m'a manqué. Il a bien fait d'insister. J'aurais sans doute regretté de ne pas l'avoir suivi.

J'agite méthodiquement mes bras et mes jambes pour faire du sur place. Je balaie du regard l'horizon, à la recherche de Grant. Il finit par me rejoindre en quelques coups de brasse. Il passe ses mains sur son visage et les glisse jusque dans ses cheveux pour essuyer un peu l'eau qui lui coule dans les yeux. J'attends qu'il termine son geste pour l'éclabousser.

— Hey ! se lamente-t-il. Tu vas voir, toi !

Je ne lui ai envoyé qu'une petite tappe d'eau. Lui, c'est un tsunami qu'il fait s'abattre sur moi. De l'eau salée entre dans ma bouche et passe par le mauvais trou. Je bois la tasse. Grant rit alors que je m'étrangle. Quel salop !

Je profite de son inattention pour lui bondir dessus. Mes mains sur ses épaules le font couler. Quand il remonte à la surface, je suis déjà éloignée d'un bon mètre pour éviter toute nouvelle représaille. C'est à son tour de s'étouffer.

1 partout.

— Je propose une trêve, déclare-t-il après avoir repris ses esprits.

— J'accepte.

Nous respectons notreaccord tout le reste de l'après-midi. Grant me donne même deux ou trois astucespour améliorer ma nage. Nous discutons de banalités comme si nous étions amisde longue date. Passer du temps avec lui est devenue ma nouvelle activitéfavorite. Et j'ai l'impression que c'est réciproque.

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