Chapitre 68 : Face à face

Derrière les yeux d'Uméïra

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Adrian, vit-il encore ? Est-ce qu'il respire toujours ? Marek va-t-il vraiment ramener Adrian au palais comme je l'ai prétendu aux filles ?

Ces questions n'arrêtent pas de me tourner en boucle dans l'esprit depuis que je me suis séparé des deux filles. À vrai dire, je ne sûre de rien quant au sort d'Adrian. Même s'il s'avère qu'il a déjà été exécuté, je retourne au palais pour venger la mort d'Adrian, et régler mes comptes avec Marek pour le massacre de ma famille.

Après tout, le plus important était fait : Faire en sorte qu'Heldra et Nikita soient en sécurité à Heldor. Quant à moi, il faut que Marek et moi on s'affronte comme deux dignes souverains ; lui d'Athéna, et moi d'Heldor. Hors de question de se cacher sous les jupes de sa mère comme il l'a fait ces dernières années quand elle me torturait. Et dans le combat que je suis en route pour mener, l'un de nous deux mourra. C'est clair.

Plus je pense à tout cela, plus j'ai la rage, plus j'ai peur. C'est paradoxal. Je le sais. Mais franchement, pour une fille qui n'avait jamais fait la guerre, n'ai-je pas raison d'avoir envie de me pisser dessus ?

*

Le palais n'est pas très loin. La végétation se fait de moins en moins dense. À bord de Mate depuis la veille, je caresse mon pur-sang avec une affection toute particulière, nostalgique. Avant que je ne sois séquestrée dans ce palais, on était tout le temps ensemble. Même quand je devais me rendre à Athéna pour le mariage, il ne cessait de s'ébrouer, et je me souviens comment moi et mamie Rhoda nous étions moquées du garde qui peinait à le maitriser. Ce jour-là, il n'avait écouté que ma voix. Il avait soudain cessé de pousser des hennissements inquiets, et m'avait regardé longtemps, le souffle saccadé. De plus, il n'avait jamais accepté que Marek le monte.

Coïncidence ? Je ne pense pas.

Maintenant que je me souviens de tous ces détails, je me rends compte qu'il avait senti le malheur qui me guettait. Mais manque de discernement, je l'avais mis sur le compte d'un caprice inutile. Mate est un cheval extraordinaire, et si quelqu'un doit m'aider à combattre, ce sera lui.

J'approche de plus en plus du palais. Malgré tout ce que j'ai dû y vivre, j'avoue que ce palais est l'un des plus beau de l'empire d'Enceladia. Qui aurait pensé une seule seconde que j'y étais en tant que souffre-douleur ? Je fronce les sourcils, ralentissant petit à petit mon allure. J'entends des pas. Des soldats doivent être dans le coin. Je dois me préparer. Et cette fois, j'ai l'arme que je maitrise le mieux : mon arc.

   — Yaaa ! Fonce Mate ! ordonné-je à mon cheval, qui galope immédiatement à la vitesse de l'éclair.

   — Arrêtez-vous, vous êtes cernée ! Stop ! crie un soldat qui court en ma direction avec son épée.

Il est pitoyable. Il ferait mieux de dégager parce que s'il avance davantage, il est un homme mort.

   — Arrêtez-vous intrus !

Il ne m'a pas encore reconnue parce que depuis hier, je porte une burqa noire légère qui me voile tout le haut du corps, ne laissant apparaitre que mes yeux. Il ne sait pas à qui il a affaire ce dindon. D'une main qui n'a nullement perdue de son habileté, j'extirpe une flèche du fourreau qui se trouve à l'arrière de mon dos et la plaque contre mon arc. Je suis prête à tirer.

   — Posez votre arme, et nous serons cléments !

Mate galope à toute vitesse, donc ils n'arrivent pas à me suivre. Je tire sur tous les gardes que je vois, n'en manquant aucun. Tous tombent sous les blessures de mes flèches, les uns après les autres. Mais très vite, des cavaliers se mettent à me poursuivre. Eux aussi ont des flèches, des lances, des épées, en fait, tout ce qui sert à tuer. Plus de doute, je suis bel et bien arrivée à Athéna.

*

C'est encore plus ardu que je ne le croyais. Depuis mon arrivée à Athéna il n'y a que quelques minutes, je ne fais que courir, tirer, blesser. Je n'arrive même plus à bien respirer à l'intérieur de la burqa qui est censée protéger mon identité. J'ai soif. Tout mon corps est douloureux. Des soldats sont à mes trousses. Si je veux espérer atteindre Marek, je dois battre en retraite pour un moment. Mais juste au moment de descendre de Mate, je sens une flèche me transpercer la cuisse gauche.

Je m'écroule de douleur, serrant mon cœur pour crier le moins fort possible. J'ai si mal que j'ai l'impression d'avoir des convulsions. Un mal de chien.

J'hésite à regarder la blessure. Je crains qu'elle me traumatise. Je baisse les yeux, et constate avec amertume l'ampleur des dégâts.

   — Merde...je suis dans la merde...

Je suis grièvement blessée. La flèche a suffisamment pénétré ma chair pour que la retirer simplement me foute la trouille. Mais il le faut, sinon je ne pourrais pas marcher.

   — Ah...ah...AÏE !

Pendant que je la retire, j'ai l'impression d'être en train d'enfoncer une aiguille dans mon coeur. Un enfer qui dure une éternité. La douleur est moindre, quoique toujours intense. Je saigne abondamment. Mais il faut que je voie Marek aujourd'hui. Soit je l'affronte malgré mon handicap, soit les soldats me retrouvent et me tuent. Je n'ai qu'une option.

Je déchire un bout de mon foulard en burqa et attache la partie blessée de ma cuisse pour stopper l'hémorragie. Malgré la douleur, je me traine jusqu'à une roche en pierre et m'applique sur mon bandage de fortune. Il faut que je change de stratégie. Et le garde qui viendra vérifier si je suis morte me sera d'une très grande aide. Il est tout près.

- L'intrus doit être ici, je pense...

Avant qu'il ne termine sa phrase, je tire sur son côté gauche pour le blesser. Il est atteint lui aussi. Avec un bout de tissu, je ferme sa blessure, et le jette sur le dos de Mate, avant d'y monter moi-même. Puis je sors de ma cachette, mon arc bien en vue.

   — Je détiens votre petit camarade, crié-je aux soldats. Alors si vous tirez, je le tue !

Ma phrase les dissuade un tant soit peu, mais ils restent aux aguets. Il me reste mon arme ultime : mon identité. Je retire la burqa et baisse mon arme.

   — Je suis la reine Uméïra. Je veux juste voir sa majesté Marek, et lui dire que je suis en vie. Il faut que vous libériez mon chemin.

Sa majesté Marek, mon œil. J'ai tellement de dégout pour sa personne. Pourtant, tous restent calmes. Ils baissent les armes, et le chef de la troupe déployée dans le secteur me reconnait et s'approche de moi en tenant un drapeau blanc.

   — Bien reine. Nous vous laisserons passer. Mais rendez-nous le soldat blessé.

   — Je le garderai en guise de garantie jusqu'à ce que j'arrive à destination. Mais vous pouvez m'escorter, si tel est votre souhait.

Il fait signe à l'un de ses hommes à cheval, et celui-ci vient à moi.

   — Accompagne-là à l'arrière du château. C'est là qu'est le roi avec le prisonnier.

   — Bien chef.

Je suis religieusement le cavalier, les soldats se retirant respectueusement de mon chemin. Les pauvres, ils ont malheureusement été du mauvais côté, et à cause de cela, j'en ai tué beaucoup. Mais tout cela est bientôt fini. Je suis sur le dernière ligne droite.

   — Nous sommes arrivés votre majesté, me dit le cavalier.

Je ne m'étais même pas rendu compte qu'on était déjà arrivés. Je donne le soldat blessé à son compagnon à cheval, et continue tout droit sur le mien. Au loin, je vois une silhouette familière assise à même le sol, pieds et mains liés, amochée comme pas possible. En m'approchant, je reconnais avec horreur la personne.

   — Adrian !

Je descends de Mate et continue à pied sur le sentier battu, boitant très sévèrement, mais déterminée à marcher le plus vite possible. Un soldat apparait sur le côté, mais je le neutralise très vite avec une flèche rapide. Mon bandage est en train de dégouliner de sang, et j'ai une sensation désagréable de vertige, je dois me dépêcher.

J'arrive finalement au bout du sentier qui débouche sur le grand jardin royal à l'arrière du palais, l'arc tendu pour tirer dès que besoin, mais les yeux rivés vers Adrian.

   — Adrian, tu es vivant !

Il tourne ses yeux vers moi, et me sourit, l'air un peu sonné et faible, puis détourne le regard vers un autre point de l'espace. Et quand je suis des yeux l'endroit où il pose le regard, j'aperçois une personne que je saurai reconnaitre entre mille. Celle de mon ex-mari, Marek. En me voyant, ses yeux s'écarquillent, et sa bouche s'entrouvre de surprise.

   — Uméïra !?

   — Marek...

Nous gardons tous les deux le silence, immobiles. C'est l'heure de vérité. Dans les minutes qui suivront, l'un de nous deux ne sera plus en vie.

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