Chapitre 65 : Fantôme

   — Tu ne peux pas me faire de mal Uméïra, rétorque Ellen.

   — Et pourquoi ça ? demande Uméïra en la toisant.

   — Je suis une femme d'âge. Et la tradition l'interdit.

D'abord surprise par la justification d'Ellen, Uméïra éclate de rire avec véhémence.

   — C'est vrai Ellen. Mais la tradition dit aussi que c'est au seigneur d'un peuple de le protéger de ses ennemis, n'est-ce pas ? Avec tout le mal que tu as fait à mon royaume, c'est le moins que je doive à Heldéna.

   — Et qu'est-ce qui te fait croire que c'est toi qui dirigera tout le royaume ?

   — Ma bonne fée me l'a dit ce matin belle-mère, répond ironiquement Uméïra.

Elle prend une large pierre plate qui trône au fond de la grotte, et face à Ellen, y aligne plusieurs objets : une dague aiguisée à point, une longue corde tressée, une longue aiguille en étain, et enfin une bassine pleine d'eau.

   — Je te laisse choisir Ellen. À toi de décider quelle sera la dernière chose que tu connaitras avant de mourir.

La vieille femme décide de rester silencieuse, glissant son regard plein de mépris sur Uméïra.

   — Quand je serai libre, tu vivras l'enfer, je te le jure sur mes ancêtres.

   — Autant le jurer sur ta vie, parce qu'avec l'âge que tu as, tu es déjà une ancêtre, se moque Uméïra. Tu as intérêt à te décider, sinon je choisirai moi-même. Tu n'as plus beaucoup de temps.

   — Espèce de...grogne Ellen entre ses dents.

   — Uméïra ? l'interpelle Adrian à l'extérieur. Viens vite, c'est urgent.

Elle part le rejoindre sans tarder s'enquérir de la situation.

   — Qu'est-ce qui se passe, tu as l'air soucieux, remarque-t-elle.

Effectivement, ses paupières marquent une certaine inquiétude, et il balaie tous les alentours de la grotte d'un regard circonspect. À côté, les filles ont toutes aussi l'air paniquées.

   — Je viens de voir un petit bateau à l'autre bout du fleuve, explique-t-il en chuchotant. J'ai cru comprendre qu'il va traverser le fleuve d'ici après-demain. Les soldats fouillent tout et n'épargnent personne. On doit lever le camp dès demain.

   — Comment ils ont pu deviner ?

   — Ils ne savent pas qu'on est là, mais ils fouilleront sans exception tout le secteur, jusqu'à Heldor. Marek a mis nos têtes à prix, lâche-t-il, confus.

   — C'est très embêtant avec Ellen...on doit se débarrasser d'elle dès demain alors.

   — Exactement. Qu'est-ce que tu comptes faire d'elle ?

L'air un peu évasif, Uméïra lève la tête en direction de la grotte avant de répondre.

   — On doit s'expliquer encore elle et moi. Mais demain ce sera bon pour moi.

Elle contourne tranquillement ses interlocuteurs pour retrouver Ellen, mais Adrian lui alpague juste à temps le bras, et la prend en aparté.

   — Dis-moi Uméïra, tu comptes la tuer ?

Elle détourne le regard, dubitative.

   — C'est dans mon programme en tout cas. Mais elle va d'abord en baver.

Il l'entoure de son bras, étouffant un sourire de satisfaction.

   — J'avoue que tu m'étonnes beaucoup ces derniers temps.

   — Tu crois que j'y vais trop fort ?

   — Tu m'étonnes, mais positivement, rectifie-t-il. Je te trouve incroyablement forte.

Elle vire au rouge cramoisi, flattée par le compliment d'Adrian.

   — Je te laisse faire d'elle ce que tu souhaites. Mais tu as jusqu'à demain. Soit on l'utilise comme otage, soit on jette son corps en plein milieu de la forêt. Son sort est entre tes mains.

   — Je tacherai de m'en souvenir, lui dit-elle en s'éloignant vers l'entrée de la grotte, plus que jamais décidée à régler une bonne fois pour toutes ses comptes avec Ellen.

*

Pendant ce temps, Marek remue ciel et terre pour retrouver Adrian. Chaque foyer d'Athéna est fouillé depuis la veille. Il lui tarde tellement de mettre la main sur celui qu'il qualifie d'avorton, qu'il en a les mains qui tremblent. Finalement, Adrian n'est nulle part dans la partie vivante d'Athéna. Il ne reste plus qu'une seule option : Ratisser au peigne fin la forêt, et même jusqu'à Heldor. Des gardes ayant déjà investi le côté Ouest, ils ne leur restent plus qu'à franchir le fleuve pour continuer leurs recherches. Un peu dubitatifs, ils ignorent encore tout du tunnel souterrain qui permet de traverser le fleuve, mais tiennent quand même à s'assurer qu'Adrian n'est pas de l'autre côté. Ensuite, s'il ne sort toujours pas de sa cachette, son père leur sera très utile pour le faire chanter.

   — Pourquoi le bateau a encore son ancre dans l'eau ? demande furieusement Marek, pressé de continuer la battue.

   — Il y a un problème au niveau des amarres, répond le capitaine. Dès que ce sera réglé, on traversera le fleuve.

   — Après combien de temps ?

   — D'ici demain soir ou au plus tard après-demain, on sera de l'autre côté du fleuve.

   — Eh bien dépêchez-vous, bande de feignants ! grogne Marek en retournant à son carrosse, toujours en boitant.

Remontant dans celui-ci, il lève la tête vers l'autre côté de la rive sans aucune raison valable, et aperçoit à travers les buissons, Uméïra, arrêtée sereinement, un rictus aux lèvres. Il chancelle et tombe face contre terre, traumatisé par ce qu'il pense être une vision.

   — Là, là...bas, marmonne-t-il à son garde personnel en lui indiquant du bout de l'index ce qu'il avait vu, tremblant.

   — Qu'est-ce qui se passe votre Majesté ? s'alarme-t-il.

Sans attendre plus d'explication, l'Ethunerr garde tire dans la direction indiquée par Marek, attendant néanmoins plus d'explication de la part de son maître.

   — Qu'avez-vous vu votre Majesté ?

   — Je...non laissez tomber.

Se sentant tout à coup bête, Marek se ravisa et monta à bord du carrosse en se tenant la tête. Uméïra remplissait tant ses pensées qu'il en avait un horrible mal de crâne.

   — Pardon Uméïra...tu as raison de me hanter, j'ai été horrible. Si seulement tu vivais encore mon amour...ne cessait-il de se murmurer. Serviteur ! Au palais ! ordonna-t-il à celui qui devait le conduire à travers cette forêt pleine de secrets.

*

   — *glouglou glouglou, ahhh, glouglou glouglou...*

   — C'est bon ou tu veux que je continue ? demande vicieusement Uméïra à sa captive.

   — Je suis déso...*glouglou glouglou*

   — Je n'ai rien entendu.

   — Je suis désolée Uméïra, pardonne moi tout ce que je t'ai fait subir à toi et à ta famille, je t'en supplie, arrête ! supplie à gorge nouée Ellen.

Attachée contre un poteau de presque deux mètres de haut, Ellen a pieds et mains liés contre celui-ci avec la corde douloureuse soigneusement tressée par Uméïra. Cette dernière, depuis l'aube, ne cessait de persécuter sa vieille captive sans une once de pitié dans le regard. Elle lui maintenait la tête plongée dans l'eau d'une bassine pendant un moment, et la relevait pour la laisser respirer un peu, et cela depuis plus d'une quinzaine de minutes, alternant de temps à autre questions et tortures. Ellen n'en pouvait plus. Elle était à bout. Pour une femme de son âge, ce traitement n'était ni plus ni moins qu'un arrêt de mort. Mais elle était d'une résistance sans pareil, qui étonnait Uméïra au plus haut point.

   — Pour une femme de ton âge, c'est surprenant d'être encore capable de parler, remarque Uméïra.

   — Et tu n'as pas la moindre pitié pour une femme qui aurait pu être ta mère.

   — Je voulais juste que tu saches ce que ça fait d'être attachée aussi cruellement toute une nuit. Mais je ne suis pas aussi méchante que toi. Je vais te détacher. Puis te tuer de mes propres mains.

   — Tu n'en serais pas capable. Et puis, je préfère me tuer que de mourir entre les mains d'une incapable comme t...

Uméïra lui replongea la tête dans la bassine pour la faire taire, puis la fit remonter de l'eau en lui empoignant les cheveux.

   — Tu peux répéter ?

   — Je suis désolée Uméïra, abdique Ellen, à bout.

Ellen souffle un peu, et entrouvre la bouche pour faire une déclaration.

   — Tu sais, tu devrais te méfier d'Adrian. Il n'est pas celui que tu crois...

   — La ferme.

   — Marek par contre, t'aime vraiment. Il n'a toujours aimé que toi. C'est moi qui l'ait forcé à te détester. Pardonne-lui, je suis sûre qu'il fera de même, et vous dirigerez Heldéna ensemble, Uméïra. C'est justement parce que tu feras une excellente reine que je voulais t'écarter, crois-moi.

Uméïra déglutit, attendrie par les paroles d'Ellen. Elle garde un visage dur, mais a le cœur en émoi.

   — Je me fiche de son soi-disant amour, qu'il se le foute où il pense, répond-t-elle finalement.

Choquée par les grossièretés d'Uméïra, Ellen garde la bouche entrouverte.

   — Uméïra ? l'interpelle Adrian à l'extérieur.

Personne n'avait dormi de la nuit, les uns occupés à faire les bagages, et Uméïra, à torturer Ellen.

   — Adrian est un traitre Uméïra, tu peux me croire !

   — La relation que j'entretiens avec lui n'est pas à ton niveau Ellen, je lui fais entièrement confiance, dit-elle en détachant Ellen qui s'écroule sur le sol, sonnée. Toi par contre, fais tes prières, parce que à mon retour, tu es une femme morte, conclut Uméïra avec un regard assassin.

   — Vous comptez me tuez et partir ? Uméïra ! Je t'en supplie, ne me tue pas ! Uméïra ! crie Ellen depuis la grotte.

Sans s'intéresser à ses cris, Uméïra sort rejoindre Adrian, et constate qu'il porte sa tenue de combat, son épée, ainsi qu'une besace contenant quelques vivres.

   — C'est l'heure de partir ? s'enquit-elle.

   — Pour moi Uméïra. Vous me suivrez quand le jour sera complètement levé. Je vais en éclaireur.

   — Mais Adrian, on devait partir ensemble non ? dit-elle avec une petite voix, inquiète.

   — Je sais Umi, je sais, répond-t-il en prenant délicatement son visage entre ses paumes. Mais il faut que quelqu'un y aille en premier pour voir où est-ce qu'on peut s'enfuir le temps de tout régler. On se retrouvera vite, je te le promets.

Son visage exprimant toute son inquiétude, Uméïra s'attarde un peu plus sur les traits d'Adrian, qu'elle contemple avidement.

   — Tu as pu voir Marek hier ? lui demande Adrian.

   — Oui, ils vont bientôt traverser le fleuve. Il est traumatisé le pauvre, finit-elle en riant. C'est la deuxième fois qu'il me voit apparaitre.

   — Eh bien il le mérite, dit Adrian en acquiesçant joyeusement. Allez, il faut que j'y aille. À très vite Uméïra.

Il lui pose un bisou délicat sur le front, et ils se perdent dans un long câlin empreint de toutes sortes d'émotions. Leur amour est pur, fort, trop intense pour être dissimulé. Adrian a aimé Uméïra dès qu'il l'a vu. Uméïra, elle, pendant ce contact Oh combien vibrant, avait désormais l'impression que c'était lui qu'elle aimait depuis toujours.

   — Tu feras attention j'espère, et n'oublie rien ici, tu dois prendre deux épées au cas-où...

   — Tout y est, Umi, répond-t-il en souriant, ses beaux cheveux bruns virevoltant dans l'air léger. Au revoir Nikita, prends soin de toi, dit-il en la prenant dans ses bras. Et toi, Heldra, on fait comme on a dit, d'accord ?

   — Oui grand-frère, j'ai compris, acquiesce-t-elle.

Il serre doucement sa petite sœur dans les bras et s'éloigne de la petite troupe, agitant tout doucement la main en guise d'au revoir.

   — Uméïra ? crie une dernière fois Adrian.

   — Oui ?

   — Ne la tue pas, tu vaux mieux qu'elle.

Uméïra acquiesce légèrement et ravale sa salive pour se donner du courage.

   — Je ne la tuerai pas Adrian.

Satisfait, Adrian leur dit au revoir et s'efface dans le brouillard du matin.

Uméïra, cachant difficilement sa tristesse, lui fait un bisou volant et retourne à la grotte. C'est bientôt l'heure de partir. Elle ne compte plus tuer Ellen. Cette vieille chouette ne le mérite même pas. Elle se contentera de la laisser dans la forêt jusqu'à ce que les gardes d'Athéna la retrouvent.

Mais c'est sans compter sur l'énorme surprise qui l'attend à l'intérieur de la grotte. Par terre, Ellen est étendue sur le dos, les yeux fermés, un couteau planté dans le ventre. Elle a perdu beaucoup trop de sang, et il est trop tard.

   — Elle l'avait dit. Elle préférait se tuer que me laisser la vaincre. Et elle l'a fait...pourquoi diable j'ai laissé ma dague dans la grotte !? s'exclame Umeïra.

   — Tout va bien Uméïra ? s'inquiète Heldra en s'approchant d'elle, sans d'abord voir Ellen.

   — Ellen s'est tuée Heldra. Elle est morte.

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