Chapitre 60 : Secrets mortels
Au fur et à mesure que je feuillette les pages, j'ai une impression de déjà-vu.
Ce grimoire est un recueil d'activités de chaque roi en fonction. Plusieurs photos y figurent, et à la suite de chacune, le roi rédige un petit texte expliquant la photographie. Je regarde attentivement les dates, et constate qu'il remonte à l'époque de mon arrière-grand-père. Quelques photos montrent un homme qui semble être le roi. C'est sûrement mon arrière-grand-père, Adécarthie. Sur l'une des photos, se tient une très grande cérémonie, au cours de laquelle mon arrière-grand-père tient un bébé et le présente au peuple.
Mon grand-père paternel : le mari de Mamie Rhoda.
Malgré la pâleur des photos, j'arrive à retrouver certains très particuliers de notre famille. Et voir cette photo me rend un peu nostalgique. En effet, j'aurai organisé la même cérémonie pour la naissance de mon fils, Mars. Mais il n'a même pas survécu jusque-là. Mon cœur se serre davantage, et mes yeux se remplissent rapidement de larmes. La douleur refait surface comme le premier jour où j'ai appris la mort de mon fils. Quand je pense que Marek a versé des larmes de crocodiles pendant ma grossesse, soi-disant par émotion, par amour...Il me dégoute.
- Vous êtes sûre de tenir le coup ?
Je reviens sur terre, et remarque que les gouttelettes de mes larmes ont mouillé la page sur laquelle était la photo.
- Ne t'inquiète pas Soria, ça va.
Je continue de paginer, toujours embrumée par la tristesse. Les évènements se succèdent sous mes yeux, l'un n'ayant pas plus grand intérêt que l'autre. Mais arrivée à la moitié du grimoire, tout est vide. La dernière page montre mon grand-père en train de mettre la couronne sur la tête de mon père Armin.
Je tique, déconcertée.
- Mon père n'a pas rempli le grimoire ? Étrange...
- Pas forcément ma reine, il a peut-être souhaité changer de grimoire. Enfin, je pense.
- Mais oui, c'est vrai !
Face à moi se trouve une grande bibliothèque, où sont classés les grimoires par nomenclature et dates. Pendant qu'elle continue de monter la garde à la porte légèrement entrouverte, je me hâte vers la bibliothèque à la recherche du grimoire de mon père. Je fonde tellement d'espoir sur celui-ci. Et sans grande difficulté, je le trouve. Je tourne les pages les unes contre les autres, mais ne trouve toujours rien. La seule chose qui retient un tant soit peu mon attention, ce sont deux photos en particulier.
Sur la première, c'est la présentation officielle de l'héritier du trône d'Athéna : Marek. Qui aurait cru que sous les visages innocents de Marek et de sa mère ce jour-là, se cachait des cœurs pleins de noirceur. Puis ensuite, à une cérémonie similaire, c'est cette fois-ci moi qui suis présentée au peuple. Mes parents semblent si fiers, si heureux de m'avoir. Mon papa Armin, me tient aux creux de ses bras, et maman se tient à ses côtés, ses yeux me caressant d'amour. Cette époque était la plus belle de ma vie. J'ai tellement de regrets.
Mis à part ces quelques photos pleines de bons souvenirs, rien ne m'éclaire sur ce que je suis venue chercher dans ces archives. Dans cette pièce, il doit y avoir des centaines de grimoires. Comment savoir lequel est le bon ? Je reste pensive un bon moment, me creusant la tête pour trouver la moindre piste.
Ils étaient tous dans cette bibliothèque. Donc la réponse est forcément dans cette bibliothèque.
Non, pas tous. Il y a un grimoire qui n'y était pas.
Le premier grimoire que j'ai eu à feuilleter était loin des autres. Que cachait-il pour être dissimulé au-dessus d'une grande armoire ? Je n'y ai pourtant rien trouvé de spécial.
- Vite, cachons-nous, quelqu'un vient par ici !
Soria se précipite au fond de la pièce, derrière un grand et vieux meuble en forme de coiffeuse, en fermant rapidement la porte. Je la suis et m'abaisse, et m'adosse contre l'un des murs à l'arrière du même meuble. Une vague de poussière me chatouille les narines, et une violente envie d'éternuer me saisit. Je me retiens, et endure avec peine la douleur qui me serre le rhinopharynx, me frottant le nez pour faire passer l'inflammation. Cachées dans la pénombre, nous voyons un garde ouvrir la porte, la parcourir rapidement des yeux, et disparaitre aussi vite qu'il est venu. Il n'y a plus aucun bruit à l'extérieur.
- Je pense qu'il est parti.
J'éternue de toute mon énergie, larmes et morves affluant conjointement. Soria me donne un mouchoir dans lequel je vide l'entier contenu de mes narines. Après quelques minutes, les crises d'éternuement passent, et je suis à nouveau d'attaque pour continuer les recherches. Je m'empare du grimoire mystère et commence à examiner chaque page l'une après l'autre. Parmi toutes, l'une me semblait particulièrement bizarre. Elle était un peu plus épaisse que les autres.
- J'ai une torche, évitons d'allumer la lumière ici, dis-je à Soria.
- Oui, c'est une bonne...
- Je savais que quelqu'un était entré dans cette pièce !
Un garde surgit du noir, tenant avec un œil menaçant une épée dans la main droite.
- Calme-toi, c'est la reine Uméïra, lui explique Soria. Elle est ici en mission secrète.
Il se ravise, un peu perdu, et tourne la tête vers moi.
- Est-ce vrai votre Majesté ? Et pourquoi n'avez-vous rien dit ?
- Je ne le voulais pas, tout simplement. Retournez-vous garde. Il ne vous est pas permis de me voir pendant que je suis en vêtement de combat, lui ordonné-je.
Il s'exécute, et j'en profite pour lui administrer un coup violent à la nuque. Il se raidit et tombe, mais n'est pas mort.
- Quand j'aurai fini, assurez-vous de lui piquer une décoction qui pourra lui faire oublier les détails de cette rencontre. Il sera debout d'ici une trentaine de minutes.
Sans m'inquiétez davantage de la frayeur que mon acte avait provoquée chez Soria, et me munissant de la torche, j'ouvre le grimoire à la page qui me semblait étrange. Deux feuilles semblent avoir été collées ensembles. Me servant de l'épée, je coupe l'une des bordures et utilise mes ongles pour décoller les pages avec précaution. Heureusement, que seules les bordures avaient été collées, le reste est intact. Ces pages contiennent exactement ce que je cherchais...
*
Je lis avidement tout ce qui se trouve sous mes yeux. Je tombe des nues, le corps entier secoué par des soubresauts.
Tout s'explique maintenant.
« 6 septembre-8 Novembre de l'AN 6 lunaire, Heldéna. »
Heldéna ? C'est quoi Heldéna ? Aucun royaume ne s'appelle comme ça dans tout l'empire.
« Adécarthie, Bras droit de l'empereur, renverse le roi d'Heldéna, Sa Majesté Arconi. La guerre est déclarée entre les deux parties du Royaume. Les uns pour Adécarthie, les autres pour Arconi. L'un des deux camps sera exterminé à l'issue de cette guerre. »
« 9 Décembre-11 Décembre
Arconi tente désespérément d'agiter un drapeau blanc pour calmer les hostilités, mais Adécarthie refuse. »
« 11 Décembre ANNEE 6 lunaire-13 janvier ANNEE 8 lunaire
La guerre bat son plein. C'est malheureux : Plus de 40000 Citoyens tous confondus sont tombés lors des affrontements. Quant aux soldats, le nombre de morts reste encore flou, tant le massacre est grand. Les dégâts de cette guerre sont effroyables. »
« 6 Mai Année 12 lunaire.
La guerre est presque terminée. Adécarthie a gagné. Arconi est tué. Le bilan est lourd : 158000 morts parmi les civils, 280000 morts confirmés parmi les soldats. Heldéna est divisé en deux : Heldor, la partie la plus prospère appartient désormais à Adécarthie, et Athéna, en ruine, est remise à la descendance d'Arconi. Quelques troubles demeurent au sein d'Athéna, des rebelles s'affrontant entre eux et faisant encore des morts. Première victime civile de ces rebelles : Emalaïl Diar, une Athénienne »
.....12 ans plus tard.....
« 2 Juillet Année 24 lunaire
Un traité de paix est signé entre Athéna et Heldor. À la tête d'Heldor, se trouve Sa Majesté Armin et son épouse Yanna, et à la tête d'Athéna, se trouve Sa Majesté Mickaël et sa femme Ellen. La paix est désormais définitive entre ces deux royaumes. Cette histoire doit être rayée des archives et oubliée à jamais pour éviter toute vengeance de la famille D'Arconi. »
*
J'ai l'impression que le ciel me tombe sur la tête. Je chancelle, éberluée par le récit sanglant qui vient de se dérouler sous mes yeux. Je suis née durant l'année 7 lunaire, et cette histoire n'a jamais été relatée pendant les cours de royauté. Tout le monde s'est entendu pour effacer cette partie de l'histoire, même aux enfants qui sont nés dans les dernières années de la guerre. J'ignore pourquoi.
Mais tout est plus clair. Ellen se venge d'Heldor. Elle veut venger la mémoire d'Arconi, son grand-père. Et elle ne le réussira que si elle détruit Heldor, et aide son fils à régner sur Heldéna. Tout est clair...
Ce traité de paix n'a en fait été qu'un trompe l'oeil qui a fait baissé la garde de mes parents.
- Vous avez trouvé ? me demande Soria.
- Hum, oui, je crois avoir enfin mes réponses.
Il faut que je protège mon peuple de l'extermination imminente qui nous guette tous. Mon cousin Nehal, qui doit prendre le trône, est en danger. La famille royale d'Heldor est presque vaincue. Le temps se fait court, il faut agir !
- Soria, je dois immédiatement retourner à Athéna. Je reviendrai vite vous sauver !
- Mais qu'est-ce qui se passe ?
- Moins tu en sauras, mieux ce sera. Aide-moi à sortir d'ici, et n'oublie pas le garde.
Toujours aguerrie, Soria s'exécute, et m'aide à nouveau à monter dans le chariot. Elle sort en toute discrétion et roule jusqu'à son antre, où elle me laisse et prend la potion avec laquelle elle doit piquer le garde. Puis elle revient.
- On peut y aller. La voie est libre, dit Soria.
Trop choquée par la découverte que je viens de faire, je monte à nouveau dans le chariot sans me soucier du mal de dos que je pourrai avoir. Mais en chemin, Soria freine brusquement et salue respectueusement la personne qui se trouve en face d'elle.
- Où allez-vous comme ça Soria ?
Cette douce voix, n'est d'autre que celle de la reine, ma mère. J'écarte légèrement le voile qui entoure le chariot pour la voir. Ça fait si longtemps, et elle ne sait même pas par quoi j'ai dû passer.
- Au jardin votre Majesté. J'y ai oublié des plantes, répond Soria.
- Ah, d'accord.
Elle a le regard éteint, elle est pâle comme un mort. Pauvre maman. Elle fait une dépression, et personne n'est là pour l'aider.
Ne t'inquiète pas maman, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour sauver notre royaume. J'aimerais tellement pouvoir sortir et te prendre dans mes bras...
Nous sommes arrivés au même endroit d'où Soria m'avait prise à bord de son chariot. Elle m'aide à mettre un pied après l'autre hors du chariot et me regarde ajuster mes vêtements.
- Vous repartez...directement ?
- Oui Soria. Il n'y a pas une seule minute à perdre. Au moment opportun, je vous dirai toute la vérité.
- Je peux vous demander quelque chose ?
- Vas-y.
- Ramenez Damian vivant...vous vous rappelez quand vous m'avez posé des questions sur ma vie privée ? Eh bien...c'est lui, l'homme que j'aime. Et qui m'aime. On veut se marier. Mais, pour cela...
Elle se met à verser des larmes qui me font un pincement au cœur.
- Il faut qu'il soit vivant. Je vous en supplie ma reine.
Émue, je la prends dans mes bras. Elle est si émouvante Soria, que je me sens obligé de lui donner espoir.
- Je ferai tout pour te le ramener Soria. Je te le promets.
Elle acquiesce, me fait une révérence et s'éloigne en me faisant au revoir.
- Au revoir reine. Bonne chance.
- Merci Soria.
Je retourne à dos de Mate et galope à toute vitesse vers la grotte. Pour que mon peuple vive, je dois gagner cette guerre froide qu'a entamée Ellen.
En voulant venger cupidement sa famille, elle a su toucher là où il ne fallait pas : Elle a trahi notre peuple, m'a détruit moi et ma famille. Il faut qu'elle paye. Marek aussi, pour l'avoir soutenu. Je les éliminerai de mes propres mains. Et je deviendrai la reine sans partage d'Heldor.
Non, d'Heldéna.
Je me le jure, sur ma vie.
***********
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top