Chapitre 6 : Pour l'honneur de la famille
Nous sommes enfin rentrés d'Athéna. Je suis si épuisée par ce voyage retour, que je ne rêve que d'une chose : dormir. Je grimpe les escaliers à toute hâte, pressée de retrouver ma chambre.
— Uméïra ?
— Oui père ? réponds-je depuis l'escalier.
— Viens me voir.
Je souffle, exaspéré par la simple idée d'avoir à remonter ces fichus escaliers. Mais je n'ai pas vraiment le choix, alors je m'exécute.
—Me voilà père.
Il m'indique une place et je m'y installe religieusement. Son regard fermé m'inquiéte, mais je n'ose pas lui demander ouvertement l'objet de son appel.
— Tu es ma fille unique, et tout ce que je veux c'est ton bonheur. Tu le sais ? commence-t-il.
— Oui je sais père.
S'il le dit lui-même, qui suis-je pour infirmer ses propos ?
— Normalement, tu aurais dû être la seconde épouse du roi Maor, m'annonça-t-il sans détour.
Je manque de m'étouffer en avalant de travers.
— Ce vieux roi !? m'exclamé-je.
— Oui. Mais j'ai changé d'avis à la dernière minute.
Ma respiration haletante devient un peu plus normale, la main pressée sur le cœur pour calmer ses battements violents. Le roi Maor a au moins 80 ans (sa vraie date de naissance étant encore inconnue), et il a perdu sa femme il y a deux ans. Il est carrément hors de question que je me marie à un squelette au bord de la tombe. Je l'ai vraiment échappé belle. Je suis désormais promise à un prince qui est au moins de ma promotion. C'est déjà ça.
— Mais maintenant que tu es promise à Marek, dis-moi franchement ce que tu penses de lui.
— Je ne sais pas quoi dire père, dis-je, retournée par sa question. Je ne peux dire grand-chose sans même l'avoir rencontré.
— Ma question est en fait : Est-ce que tu te marierais avec lui si jamais tu ne trouves personne qui te plaise parmi tes prétendants ?
Sa question me fait tiquer. Tel que je connais mon père, il veut que je dise oui puisqu'il se moque de mon refus. Alors que ma réponse est non.
— Si tel est votre souhait, alors oui, mens-je en croisant secrètement mes doigts cachés par les plis de ma robe.
— C'est exactement ce que je voulais entendre. Dès demain, un décret sera lancé et nous allons recevoir les princes, ducs et comtes qui pourraient te plaire. Ensuite ce sera au tour des hommes du royaume. Et enfin Marek viendra.
— D'accord père.
Si je ne pouvais pas expressément manifester mon refus à mon père, je ne suis pas le genre de personne qui dissimule son ressenti derrière un voile d'heureux contentement. Sur mon visage, mon penchant rétif dominait, ce qui avait le don d'exaspérer mon père. Il se défilait alors en m'ignorant tout simplement. À partir de demain, tout sera mouvementé. Parce que j'ai un inconnu aux yeux bleus, aux cheveux bruns et à la voix suave à retrouver dans la foule d'hommes qui me sera présentée.
*
Jour J.
Deva étouffe d'excitation pendant qu'elle malmène mes cheveux pour en faire un chignon haut à l'Heldorienne que je trouve personnellement vieux jeu. Tout le monde est à la tâche. J'entends un remue-ménage pas possible à l'extérieur, ce qui amplifie le stress de l'évènement.
— Votre altesse, il parait que les princes qui doivent venir aujourd'hui sont d'une beauté envoûtante à en avoir l'embarras du choix. J'aurai tellement aimé être à votre place ! S'esclaffe-t-elle.
— Moi aussi Deva, j'aurais aimé être à votre place...murmuré-je lointainement.
— Vous disiez ?
— Ce ne sont que des ragots, dis-je en élevant la voix. J'attends de voir moi-même.
— Je suis persuadée que vous aurez fait votre choix avant la fin de cette semaine, je vous le garantis !
— Merci pour votre optimisme Deva, ça me remonte le moral.
— Par pudeur, amenez Uméïra dans la grande salle, son père l'y attend, déclare ma mère en pénétrant brusquement dans la pièce. Oh ma chérie, tu es si belle dans cette coiffure traditionnelle !
— Merci mère, dis-je avec un timbre de voix atone.
Mes adorables servantes règlent chaque détail de mon apparence sous le regard brillant d'excitation de ma mère et s'assurent que tout est parfait. Je descends finalement dans la salle, et retrouve mon père, assis toujours impassiblement sur le trône.
— Es-tu prête ?
— Oui.
Enfin...pas vraiment, songé-je secrètement. Tu peux le faire ma vieille !
*
— Faites entrer le suivant, ordonne mon père.
— Bien votre Majesté.
J'ai du mal à trouver une position confortable sur le trône. J'ai mal aux fesses. Ça fait six jours qu'on ne fait que recevoir des potentiels prétendants et chaque nouveau visage ne fait qu'accentuer mon mal de crâne.
— Je serais franchement déçu Uméïra, lâche soudainement mon père en me lançant un regard circonspect.
— Pourquoi père ?
— Je serais déçu si vous osez me dire que l'un d'entre eux vous a plu.
— Ça ne risque pas d'arriver père, je ne veux me marier à aucun d'entre eux.
— Voilà qui est réjouissant. Ils sont tous aussi laids les uns que les autres. Seul le comte Emris aurait pu faire la différence. Mais...
— Mais ? demandé-je, curieuse.
— Il est tout sauf élégant.
Je me tords de rire sous les regards figés d'incompréhension des gardes, qui ne comprennent pas pourquoi ce souverain intransigeant et sévère est en train de rire aux éclats avec sa fille l'un des jours les plus importants de sa vie.
Fin de la journée. Et toujours rien ni personne. C'est le dernier jour.
J'ai espéré jusqu'à la dernière minute reconnaître l'inconnu. Mais rien. Certains avaient les cheveux bruns mais pas les yeux bleus, d'autres avaient les yeux bleus mais étaient blonds ou roux. Aucun d'entre eux n'avait un profil qui aurait pu me faire douter un seul instant, ni même faire chavirer mon cœur.
— Père ?
— Je t'écoute Uméïra.
— C'est déjà terminé ? demandé-je en connaissant pourtant la réponse.
— Tous les princes, ducs et comtes des royaumes étrangers, ainsi que les hommes de tout Heldor.
— Pourrais-je avoir une dernière chance de rencontrer certains d'entre eux demain ?
— Si tu veux. Mais c'est avec la reine-mère que tu les recevras. J'ai un long voyage à faire demain.
Une fois le dîner terminé, je monte directement dans ma chambre et la boucle derrière moi. Je passe par la fenêtre et vais me promener dans Heldor. C'est dangereux mais ça me procure un bien fou. De toute façon, ce n'est pas ma première fois, vous l'aurez compris.
Le vent frais et familier de ma ville natale souffle sur mon visage hâlé. Juste à quelques mètres de moi, la fontaine coule régulièrement, et je reçois des gouttelettes sur mes mollets dénudés. C'est une sensation tellement agréable que je m'assois au bord de cette fontaine qui m'a vu grandir, nostalgique. Mon cœur qui bat un peu trop vite, à cause de la peur, et une sueur froide commence à perler sur mon front.
Je ne m'imaginais pas que j'allais un jour tomber sous le charme d'un homme aussi facilement. Je croyais être une Jeanne d'Arc accomplie, que je faisais partie des guerrières qui révolutionnerait le monde de par leur perception idéaliste des choses. Mais non, j'étais une princesse parmi des milliers. Une princesse condamnée à plier les genoux devant les coutumes archaïques de son royaume. L'amour est un luxe, voire un mythe, que tout l'or d'Heldor ne peut m'offrir.
Comment appelleriez-vous le sentiment qui vous fait penser à un visage masqué ? Ou encore ce sentiment qui vous fait vivre encore et encore un baiser interdit ? Si ce n'est l'amour ?
Vous vous demandez peut-être où se situe la peur dans tout ça. J'ai peur de me marier si je ne le retrouve pas. Maya a beau être inssuportable, je dois reconnaître qu'elle a eu une chance que très peu de princesse ont : Se marier avec l'homme qu'elle aime et qui l'aime en retour.
Essayer d'imaginer un peu cette peur...
Celle d'épouser un inconnu. Celle de dormir dans le même lit que ce dernier. Celle de découvrir un nouveau royaume, loin de la protection de vos parents, loin de l'amour d'une mamie comme Rhoda. Celle de n'avoir que pour connaissance vos servantes et votre garde personnel.
Imaginez un peu celle de se dévêtir complètement devant celui qui est votre mari, votre seigneur, votre...demi-dieu !
Celle de vous donner à lui sans rechigner. Celle de vous faire aimer par sa famille et par son peuple en lui donnant une descendance, de préférence masculine... A la fin de ce monologue personnel dans lequel je me cite intérieurement mes peurs et mes doutes, j'éclate en sanglots. Je reste assise une bonne partie de la nuit près de ma fontaine, à lui ajouter des centimètres d'eau avec mes larmes. Tout serait tellement plus simple si je retrouvais l'inconnu.
Pourquoi diable fallait-il que ce soit une soirée masquée ?
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