Chapitre 59 : Retour à la case départ

Adrian est parti en espion à Athéna depuis ce matin. Et depuis, toujours pas de nouvelles de lui. Il n'est pourtant pas censé durer, vu qu'il n'est plus le bienvenu à Athéna. Je m'inquiète vraiment de son absence, et répète dans ma tête des vers de prières que m'avait apprises ma mère.

- Vous avez l'air soucieuse reine.

La réflexion d'Heldra me fait sursauter, tellement j'étais perdue dans mes pensées.

- Pourquoi tu dis ça Heldra ?

- Ça fait bientôt cinq minutes que votre seau est rempli mais vous continuez de puisez l'eau du fleuve. Voyez, tout est en train de verser.

Je constate effectivement que je répète machinalement le même geste depuis une quinzaine de minutes sans même m'en rendre compte. Je suis grillée.

- Je suis inquiète de ne pas voir Adrian. La nuit est sur le point de tomber.

Heldra soupire aussi, et continue de puiser.

- Je suis aussi inquiète, mais je connais mon frère. Il va réussir et sera là d'un moment à l'autre. C'est certain.

Elle admire tellement son grand frère que ça en est touchant. J'entoure les manches du seau rempli d'eau de mes doigts et chemine avec elle jusqu'à la grotte.

- Quoi que vous, vous avez particulièrement envie de le revoir n'est-ce pas ? ajoute-t-elle, moqueuse.

Elle me le dit avec un clin d'œil, avant d'éclater de rire. Gênée par sa remarque si juste, je la lorgne, amusée, et lève les yeux en l'air.

- Je ne te le permets pas Heldra, ça non.

Toute confuse, son rire disparait immédiatement.

- Je suis désolée, je...

- Mais non, je m'amuse ! Tu as raison, j'ai vraiment envie de le voir.

On se met à rire toutes les deux, égayées par la situation, tout en revenant avec d'autres seaux à remplir avec l'eau du fleuve. Mais soudainement un bruit de pas précipités se fait entendre juste à quelques pas de nous. On voit Adrian, tout essoufflé, sortir du tunnel qui permet de traverser le fleuve. Il a l'air épuisé et il respire fortement.

- Tu as tellement duré ! Qu'est-ce qui se passe là-bas ? dis-je, paniquée.

- On doit agir et vite ! La traque va bientôt commencer.

- Ils t'ont démasqué ? questionne Heldra.

- Presque. Le corps du garde la reine-mère a été retrouvé cet après-midi, et ils ne vont pas tarder à comprendre que je suis dans le coup, et à nous retrouver. Nos têtes seront bientôt mises à prix dans tout l'empire.

Loin d'être déstabilisée, je suis heureuse. J'ai suffisamment de force pour les combattre maintenant.

- Je me sens prête à passer à l'action. On ne doit laisser paraitre notre peur devant ces connards.

- Je le pense aussi. C'est le moment, approuve Adrian.

On s'échange tous les deux un regard empreint de détermination, complices.

- Je vais prévenir Nikita que ce soir, il y aura une réunion d'urgence.

Heldra s'éclipse comme une fourmi et nous laisse seuls Adrian et moi.

- Dès demain, je me rends à Heldor, dis-je. Il faut que je découvre la raison pour laquelle la royauté d'Athéna souhaite détruire Heldor.

- Tu penses que la réponse est dans les archives ?

- Il y a de fortes chances.

- Dans ce cas je t'accompagne, décide-t-il.

- Non, j'irai seule. Je connais bien Heldor et ce sera plus discret. Personne ne devra être au courant de ma venue.

- Tu te mets en danger, tu auras besoin de protection. Et puis question discrétion, je pense faire l'affaire.

- Je sais me battre Adrian. Ron me l'a appris. Donc ne t'inquiète pas pour moi.

- Tu pourrais aller avec l'une des filles. Nikita est une excellente guerrière, insiste Adrian.

- Je ferai un aller-retour en deux jours. La seule chose dont j'ai besoin, c'est de l'eau et de la nourriture.

- Tu ne pourras pas m'empêcher de te suivre de toute façon.

Il le dit sans esquisser le moindre sourire.

- Tu n'es pas sérieux ?

- Si, je ferai n'importe quoi pour ta sécurité, me répond-t-il. Tu dois remonter sur le trône, vivante.

Je m'approche de lui et enroule mon bras autour du sien, lui parlant avec douceur et assurance.

- Je te promets qu'à mon retour, je me plierai aux moindres de tes ordres. Mais pour le moment, laisse-moi retourner seule à mes sources. J'en ai besoin.

Il pivote lentement la tête sur le côté et croise mon regard déterminé. Après avoir brièvement réfléchi, il finit par me parler à nouveau.

- Tu es sûre que c'est ce que tu souhaites ?

- Sûre et certaine.

- Dans ce cas, fais bien attention à toi. À ton retour, je t'exposerai le plan auquel j'ai pensé pour donner une bonne leçon à ces meurtriers.

Je hoche gentiment la tête et il se dirige vers la grotte pour y retrouver les filles après m'avoir déposé un baiser tendre sur le front.

*

Ma terre natale n'est plus qu'à quelques enjambées. J'ai hâte de la fouler à nouveau avec mes pieds, qui, partis innocents, sont revenus pleins de meurtrissures. Elle m'a tellement manquée. Je n'ai que de merveilleux souvenirs ici. Sauf quand il a fallu enterrer mon père et mamie Rhoda.

J'ai quitté la grotte très tôt la veille. J'étais prête bien avant le lever du soleil, mais entre Nikita qui ne finissait pas de me revêtir de toute son artillerie de guerrière, Heldra qui n'arrêtait pas de vérifier mes flèches et Adrian qui me susurrait constamment : <<Fais attention à toi>>, le départ n'a été possible qu'après 7h du matin. Malgré tout, il est presque 20h et je suis arrivée. Mate a galopé si vite que j'en ai le tournis. Mon cheval est le meilleur.

De la forêt au palais, il y a un petit endroit grâce auquel il est facile d'y accéder : Ma petite fontaine où j'aimais méditer. J'escalade la pente qui surplombe le jardin de rose et m'engage sur la centaine de petits escaliers. Mais plus loin, au bout du chemin, je constate qu'il y a quelques gardes.

Je m'en doutais : cet endroit a été constamment mis sous surveillance après mon départ pour éviter d'accueillir aussi bêtement des espions. J'aurai besoin d'aide, et je pense heureusement savoir de qui. J'aperçois Soria, l'Ilknur royale, cueillir des fleurs médicinales jonchant les allées de la roseraie qui se trouve sous la pente.

- Pssst, Soria !

Elle esquisse un mouvement dubitatif, ignorant qui essaie de l'appeler. D'où elle se trouve, elle ne peut pas me voir. J'attends donc qu'elle ait terminé sa cueillette et lui fais de grands signes pour qu'elle me voit. Après quelques secondes de nage aérienne, j'atteints mon objectif : elle écarquille les yeux en me voyant et ramène ses deux mains à sa bouche, lâchant son panier de plantes. Profitant de ce court moment de stupéfaction, je lui assène de se taire pour ne pas attirer l'attention sur nous. Coup de bol ou extrême perspicacité, elle me comprend et se dirige discrètement vers moi.

- Que faites-vous ici ma reine, cachée dans votre propre royaume ? Et vous avez tellement maigrie, vous êtes malades ? Vous...

- J'ai besoin que tu me rendes un petit service Soria, il n'y a que sur toi que je peux compter. Pour le reste je t'expliquerai plus tard.

- Dites-moi juste de quoi vous avez besoin.

En entendant ces mots, je me sens énormément soulagée. Je craignais devoir la supplier de ne pas me dénoncer et de clamer sans cesse mon innocence, mais je me rends compte que mes serviteurs sont tellement loyaux qu'ils me font entièrement confiance. C'est indescriptiblement rassurant.

- J'ai besoin que tu me conduises à la salle des archives sans me faire repérer.

- Même par votre mère ? s'étonne-t-elle. Parce que le palais est truffé de gardes, et la seule personne qui puisse vous faire entrer en les chassant, c'est elle.

- Personne à part vous ne doit savoir que je suis venue ici Soria. Je vous en supplie. Heldor a besoin de moi. Je dois sauver le royaume.

- J'ignore pourquoi vous faites cela ma reine, mais je sais que c'est quelque chose de bien. Je vous fais entièrement confiance et je vais vous aider.

Je hoche la tête en lui souriant, et elle court vers le palais. Les minutes me semblent longues et interminables, surtout que je dois retourner à la grotte dès le lendemain à l'aube. Et si elle était allée me dénoncer ? Où qu'elle s'était fait prendre ?

- Votre Majesté, je suis là.

Je me retourne et la voit, essoufflée et couverte de sueur, avec dans les mains le manche d'un chariot à jardin.

- Je dois monter là-dedans ?

- Oui, ils croiront que je transporte des plantes, et ils ne vérifieront rien.

- Je suis lourde ma chère, tu en est consciente j'espère, lui fis-je remarquer, sourire aux lèvres.

- Oui ma reine, mais je n'ai pas tellement le choix, me répond-t-elle sur le même ton enjoué.

Elle se met à rire timidement, et ouvre le chariot.

- Si seulement Damian était là, j'aurai pu lui faire confiance et lui demander de nous aider.

- Il est en voyage ?

Elle me regarde avec incompréhension, les yeux perlés.

- La reine-mère l'avait envoyé vers vous il y a quelques temps et il n'est jamais revenu. Je pensais que vous souhaitiez le garder près de vous.

- Il est parti depuis...merde, Ellen...soufflé-je imprudemment.

- Quelqu'un lui a fait du mal ?

Je comprends tout. Je n'arrive même pas à répondre à Soria, tellement je suis sidérée. Ellen a sûrement dû s'arranger pour l'éliminer. Ou peut-être il est en prison...Ellen s'est arrangé pour le faire disparaitre, parce que mamie Rhoda l'avait envoyé me prévenir. Quelle sorcière cette femme.

- Il est en danger Soria, à Athéna.

Je mets les mains sur ses épaules, la regardant gravement.

- Écoute-moi Soria, si je suis venue ici en cachette, c'est pour me rassurer de certaines choses. Une fois que j'aurai fini, je rentrerai à Athéna pour laver l'honneur de notre royaume. Mais je n'y arriverai pas sans toi. Allons à la salle des archives.

Pétrifiée par le ton grave que j'avais, elle se hâte de m'aider à monter dans le chariot, dans lequel je me glisse de justesse. Elle me pousse jusqu'à la porte principale, où elle je l'entend passer le plus naturellement possible, faisant même du gringue à quelques gardes. Avec Soria, tout est toujours atypique ou amusant.

En à peine quelques minutes, elle arrête de pousser le chariot.

- Nous sommes arrivées ma reine, je vous fais entrer avant que vous ne sortiez.

Elle ouvre la salle des archives, et nous y pénétrons. Elle ouvre le chariot et m'aide à m'extirper de cette prison qui commençait à me donner de sérieux problèmes de dos.

- Merci Soria.

- Vous souhaitez que je reste avec vous ?

- Oui, ce ne sera pas long. À moins que tu n'aies beaucoup de travail et qu'on pourrait remarquer ton absence.

- À cette heure, je m'enferme normalement dans mon antre et je n'en sors que très rarement. Donc c'est bon pour moi.

J'acquiesce à la suite de ses propos plus que réjouissants. La tâche est rude. Il me faut trouver dans cette masse de livres un indice qui contiendrait les réponses à mes questions. J'explore la pièce défraichie, qui semble avoir été jetée à l'abandon : Une épaisse couche de poussière fait office de tapis gris, des toiles d'araignée servant désormais de rideaux, la peinture sur les murs est effritée, etc...

Je lève finalement la tête pendant mon exploration, et remarque un livre posé sur une étagère, légèrement penché comme si une personne avait essayé de le prendre. Et je pense avoir raison, puisqu'au pied de l'étagère, se trouve une chaise cassée peu poussiéreuse, où quelqu'un a dû peut-être monter pour atteindre ce livre récemment. Je dois donc être sur la bonne piste.

M'accrochant à la table d'étude posé au centre, je grimpe sur celle-ci et saute pour m'accrocher à une étagère plus grande à côté, à partir de laquelle j'atteints sans aucune difficulté le livre, puis redescend.

- GRIMOIRE DE L'ALLIANCE SACREE DES ROYAUMES D'HELDOR ET D'ATHENA, lis-je sur le livre.

Bingo, je l'ai trouvé. Je souffle, heureuse.

Ouvrant précautionneusement le grimoire, je frémis d'impatience, le regard brillant d'excitation. Personne, à part le roi ou la reine et l'intendant en fonction, n'est autorisé à pénétrer cette pièce. Même la reine-mère ne l'est pas. Je prends donc de gros risques, et en fait prendre aussi à Soria. Mais il me faut des réponses. Ce trou noir a assez duré.

Seulement j'étais très loin d'imaginer quel secret sur le lourd complot qui pesait sur mon royaume contenait ce livre. Autrement, je ne pense pas que j'aurai eu le courage de l'ouvrir.

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