Chapitre 58 : Sous l'œil d'Aphrodite🔶

Toujours retirés dans la petite grotte, tout va pour le mieux au sein de la petite famille qu'on forme. Ça fait déjà deux semaines que je suis en leur compagnie, et je m'y plais énormément. J'ai l'impression de revivre après des années de ténèbres et de mort morale.

À vrai dire, depuis mon mariage, plus rien n'a été comme avant. Au fond de moi, je sentais que quelque chose clochait avec ma belle-famille. Mais ce doute que je n'ai pas voulu nourrir a bien failli me coûter la vie.

Pendant ces deux dernières semaines, je ne confiai à personne tout ce qui s'était passé dans les tréfonds du palais, ni de ce que je ressentais. Mais il m'était de plus en plus difficile de cacher le profond mal être qui rongeait mon âme, surtout ce soir-là, face au petit feu de camp autour duquel on s'asseyait tous ensemble chaque soir.

- Ça va Uméïra ? me demande Nikita, la tête penchée vers moi. Tu n'as pas l'air dans ton assiette.

- Oui, dis-je, lointaine. Veuillez m'excuser, il faut que je me lève un peu.

Toute époumonée, je me lève et vais m'asseoir au bord de l'eau. Tout est si calme dans cette partie de la forêt un peu éloignée de la grotte. Je m'y sens plus apaisée, avec le concert a capela que font si joyeusement les grillons. Même les crapauds font l'effort de me tirer de mes songes avec leur cri péniblement harmonieux. Toutefois, la sensation d'avoir naïvement raté ma vie ne cesse de me hanter, et je fourre mon visage entre mes mains, anxieuse.

- Reine ?

- C'est Uméïra, répondis-je sèchement à Adrian.

J'ai n'ai absolument aucune envie de me faire appeler reine alors que mon soi-disant mari et roi me cherche pour me tuer, et je tiens à ce qu'Adrian le comprenne.

- Uméïra, Uméïra d'Heldor.

Le fait qu'il s'en réfère au nom de mon royaume de naissance me fait chaud au cœur, et m'arrache un rire triste. Il s'assoit silencieusement dans l'herbe près de moi et chasse du revers de la main les quelques moustiques qui volettent bruyamment dans l'air humide. Je sens son regard me couver et déchiffrer tendrement chaque trait de mon visage.

- Je pensais que tu serais déjà parti, Adrian.

- Je ne peux plus retourner à Athéna.

- Pourquoi ?

Il se gratte la tête, confus.

- En essayant de te faire sortir du royaume, j'ai tué un homme de confiance de Marek. Ils risquent de le retrouver très bientôt quelque part dans la forêt et je pourrai me faire coincer à tout moment. C'est bien trop dangereux.

- Tuer un homme ? fis-je, abasourdie. Mais tu n'avais pas à le faire Adrian !

- C'était lui ou toi. Et je n'allais pas te laisser avec ces ordures. Je ne regretterai jamais de t'avoir choisie, déclare-t-il sereinement.

- Oh, Adrian...

Touchée par ses propos, je détourne le regard vers l'étendue d'eau qu'il fixe avec sérénité. Ses reflets sont clairs et étincelants, et de fines vaguelettes poussées par le vent lui donne une magnifique surface fripée. Durant ces quelques minutes de silence, je reporte mon attention sur Adrian qui ne bouge pas d'un pouce.

Il a le torse en avant, et les deux mains posées au sol à l'arrière de son dos. Il est simplement vêtu d'un haut épousant parfaitement son patrimoine masculin et porte une simple braie gris-pâle. Il a à la commissure de ses lèvres des traces cicatricielles de coups violents et d'autres stigmates qui paraissent plus vieux sur la tempe droite. Ses sourcils profondément arqués lui donnent les traits d'une personne dure et tellement marquée par la vie qu'elle n'a plus vraiment peur de rien. Mais pour avoir eu le privilège de le connaitre intérieurement, je sais qu'Adrian n'est qu'une brebis déguisée en loup, un cœur d'or emprisonné dans le corps d'un guerrier rongé par la culpabilité.

- Nous sommes en danger Adrian, repris-je, sortie de ma contemplation. Ils ne tarderont pas à nous retrouver. Il faut agir vite. Fuir ou attaquer.

- Quand je t'ai fait sortir de ce palais maudit, je fuyais. On ne fuira pas une deuxième fois.

- Comment m'as-tu fait sortir de cette prison ? lui demandé-je soudainement.

Il rit légèrement, laissant ses cheveux bruns chocolat virevolter dans le vent.

- Ce serait trop long à expliquer. Le plus important, c'est que tu sois là aujourd'hui. Pleine de vie, et heureuse.

Il pose sur moi un regard fiévreux, que je peine à soutenir pour la première fois. Ce qu'il se passe à ce moment-là est quelque chose qui échappe complètement à mon contrôle et ne répond qu'à mes pulsions.

-Je peux te poser une question ? me dit-il.

- Oui, bien sûr.

- Qu'est-ce que tu as sur le cœur ? Qu'est-ce que tu veux faire à ces monstres ? Dis-moi et je le ferai pour toi.

Je tique, les yeux écarquillés. Je ne m'attendais pas à ce qu'il soit si direct. Mais je suis aussi consciente que c'est le moment de parler, et de partager avec quelqu'un ce que je ressens au plus profond de moi. J'ouvre la bouche pour commencer à parler, mais me ravise aussitôt : rien que prononcer leur prénom m'est extrêmement difficile.

- Pardon Adrian, je n'y arrive pas, m'excusé-je.

Il pose sa main sur mon épaule pour m'aider à me calmer et continue de me regarder avec douceur. Je replie mes genoux contre moi, le coeur battant à tout rompre.

- Je ne peux pas t'obliger à me dire, mais tu en as besoin pour guérir. Juste un peu d'effort, je suis là, avec toi.

Je renifle un bon coup, espérant avoir plus de courage, et me lance.

- J'ai épousé un homme qui voulait ma mort. Je ne saurais expliquer pourquoi, ou qu'est-ce que je leur ai fait...ils m'ont poussé à commettre les pires bassesses qui soient, m'ont torturée, m'ont humiliée, m'ont arrachée les gens que j'aimais le plus au monde...

Il continue de passer une main affectueuse sur mon épaule couverte de chair de poule.

- Tout ce que je veux, c'est savoir...pourquoi. Pourquoi il veulent ma mort. Sans quoi, je ne serai jamais en paix.

Je renifle un bon coup, et laisse l'air me fouetter le visage. Je ne suis peut-être pas rentrée dans les détails, mais je me sens déjà mieux d'avoir parlé à la personne qui a toute ma confiance.

- J'ai l'intention de faire des recherches dans les archives d'Heldor, avec le mince espoir de trouver une explication rationnelle. Mais par-dessus tout, je veux les confronter.

- Il faut être fou pour te détester Uméïra. Et eux, c'est clair qu'ils sont fous.

Je ris à sa remarque qu'il tente difficilement de rendre sérieux.

- Pour être honnête, continue-t-il, je pense qu'ils sont loin d'être fous. Ils ont un plan très intelligent : Détruire Heldor. Et le problème doit être inclusif.

- Non seulement je découvrirai l'origine de la haine qui les anime, mais en plus de cela, je les détruirai de mes propres mains. Tout comme ils ont détruit ma famille. Je sais qu'ils sont derrière la mort de mon père, soi-disant empoisonné. Et derrière celle de mamie Rhoda.

- As-tu des preuves ?

- Pas besoin de preuves quand tu connais le coeur d'une personne diabolique. C'est moi qui ait été trop naïve durant toutes ces années.

Fier de ma détermination, Adrian m'adresse un sourire satisfait.

- On les détruira Uméïra. Je te le promets

- La seule chose qui me préoccupe, c'est de ne pas savoir par où commencer.

- On ne te laissera pas mener cette bataille seule. On le fera ensemble.

Rassurée, je fermai les yeux pour mieux me délecter de l'agréable sensation de sécurité dans laquelle je me trouve à chaque fois qu'Adrian et les filles sont près de moi.

- Tu ne m'as jamais trahi Adrian. Tu es la seule personne en qui j'ai entière confiance.

Il baisse immédiatement les yeux et refuse de me rendre le regard si rassuré que je lui adresse.

- Uméïra, je...

- J'ai l'impression que quelque chose te tracasse.

Il hésite longuement, peinant à aligner une suite sémantique de syllabes. Je me rapproche de lui, et remonte son menton avec le bout de mes doigts. Est-ce si grave pour que je le sente aussi tendu ?

- Vas-y, tu peux tout me dire, dis-je pour l'encourager. Je me suis confiée à toi, à ton tour maintenant.

Son regard est toujours fuyant, il semble chercher ses mots.

- Non, rien. Ce serait mieux de laisser tomber.

- Ah non, tu ne m'as quand pas fait languir pour me lâcher ça, m'offusqué-je.

- On a beaucoup trop attendu tous les deux, Uméïra.

Sans que je ne me rende compte, il possédait déjà mes lèvres frémissantes avec gourmandises. Je ne fis rien pour le repousser, parce que je n'espérais que ça. Il avait su le lire dans mon cœur, et s'était hâté d'exaucer ma prière. Tel une divinité.

- Je n'en avais jamais assez de te regarder sortir à ton balcon chaque matin pour prendre l'air quand tu étais à Heldor. Et même à Athéna, devoir te croiser m'emplissait de bonheur chaque jour, me confie-t-il entre deux baisers.

Il parle contre mes lèvres, et chaque contact qu'on celles-ci avec les siennes me font frémir et me traversent l'échine. Mais il s'arrête net, et colle son front au mien, tremblant de désir. Je l'interroge des yeux, moi aussi toute tremblante.

- Pardon Uméïra. Je ne devais pas te surprendre de la sorte. Ce n'était pas correct de ma part.

- Adrian, si je ne l'avais pas voulu, je t'aurai repoussé aussi loin que j'en aurais eu la force.

- Ressens-tu quelque chose pour moi, le simplet que je suis, ou m'acceptes-tu juste par reconnaissance ?

Sa question ne me surpris pas. C'était normal qu'il s'interroge, parce que jamais je n'avais laissé entendre qu'il me faisait de l'effet. Et pourtant, ô combien de fois mon esprit avait imaginé cet instant en tête à tête !

- Tu n'auras peut-être plus aucune estime de moi, quand je te le dirai, mais oui, j'ai toujours ressenti quelque chose pour toi. Quand j'ai cru avoir trouvé l'homme idéal pour mon royaume et ma famille, j'ai décidé de noyer mes sentiments pour toujours. Et ça été un enfer.

Je prend sa main, la place dans le creux de mon cou, et lui caresse la pointe du nez avec la mienne.

- Seul ton amour inconditionnel m'a comblé Adrian. Et le mien pour toi m'a sauvé la vie. L'un sans l'autre, nous ne sommes rien, terminé-je, les yeux embués de larmes.

- Je le sentais au plus profond de moi, Uméïra. Je sentais que nous étions liés tous les deux.

Il m'embrasse encore, resserrant davantage son étreinte autour de mon frêle corps. Je ne réponds plus de rien, n'obéis qu'aux gestes que mon dicte mon cerveau en alerte : l'embrasser, savourer le toucher de sa peau robuste, me délecter de ses caresses avides sur mes hanches.

Il cueille ma joue gauche au creux de sa paume durcie par la vie de soldat mais pourtant si précautionneuse. Sa main est chaude, et la chaleur qu'elle dégage sur ma peau s'y infiltre et se répand un peu plus bas.

- Laisse-moi être ton homme, puisque je lis déjà ce désir dans les prunelles de tes yeux. Je ne suis pas digne de ton rang, mais...

Je lui fais un léger sourire pour ne rien gâcher de ce moment, heureuse de le voir prendre les devants avec moi. Je pose mon index sur ses lèvres pour l'empêcher de dire des choses insensées qui le dévalorisent.

- Les rênes de mon cœur, tu les tires déjà Adrian. Je me fiche du rang.

Je me tire un peu plus vers lui, et il capture mes lèvres gonflées de bonheur, m'embrasse avec passion. Là, je me sens bien. Je me sens aimée, vraiment aimée. Nos vagues de chair dansent à l'unisson, faisant naitre en moi un maelström de désirs que je même Marek n'éveillait pas en moi. Contrairement à ce que je pensais, je n'ai pas peur de m'avouer que j'étais tombée sous son charme depuis longtemps, même si je disais qu'il était mon ami. Il était bien plus, et je ne m'en rends compte que maintenant, la proximité faisant loi.

Adrian m'avait donné tellement de preuves de son amour. En ce moment-même, il était prêt à risquer sa vie pour moi, alors qu'il l'avait déjà fait à maintes reprises. Pourtant Marek, qu'avait-il fait à part apparaitre dans ma vie comme l'inconnu parfait d'un soir pour ensuite faire de ma vie un cauchemar ?

Sept petites années me séparaient de ce bel homme aux cheveux bouclés bruns : Adrian Diar.

Ce soir était un beau soir. Et dans ce silence si parfait et sous cette lune gibeuse si généreuse , il était loin d'avoir terminé de me déclarer son amour si longtemps dissimulé, dont la braise défiait l'univers tout entier...

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