Chapitre 57 : Douce Chaleur

Derrière les yeux d'Uméïra


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Je m'extirpe avec lourdeur de mon lit de fortune, prête à enfin voir le ciel. J'ignore depuis combien de temps je suis couché dans cette grotte. Tout m'a l'air si lointain, si vague. Mes souvenirs précédant mon long sommeil sont nets, et tout le reste est flou. Être vivante après tout ce que j'ai vécu relève du miracle, et si tout ne me semblait pas si réel, si vrai, j'aurai facilement pu croire être tout juste arrivée au paradis.
Pour être tout bonnement honnête, j'aurais dû mourir depuis longtemps, et si je suis toujours là, c'est grâce aux trois personnes qui ont sans cesse été à mon chevet ces derniers temps.

La lumière solaire est blafarde. On doit être en fin de journée. J'ai tellement hâte de leur montrer que je vais mieux et que j'ai enfina force de courir sur mes deux jambes. Ou au moins marcher, dans un premier temps.

- Bonjour...oh non, bonsoir, soufflé-je timidement en sortant de la grotte.

Heldra et Nikita, en pleine lessive, écarquille leurs yeux en me voyant, un large sourire habillant leur visage.

- Vous êtes debout reine ! s'exclame Heldra.

- Mais ne restez pas là, venez ma reine !

Heldra se dépêche de venir me tenir la main et m'escorte jusqu'à un tronc d'arbre coupé, épousseté par Nikita, où elle me fait délicatement asseoir.

- C'est bon, vous allez bien ?

- Oui, je me sens mieux que les autres jours. Où est Adrian ?

- Il s'est rendu au palais ce matin.

- Le pauvre, il est en danger en ce moment !

- Ne vous inquiétez pas reine, pour l'instant, personne ne se doute de quoi que ce soit, il est en sécurité.

- Mais comment je suis arrivée ici ?

- Ça, vous le devez à Adrian, me dit Heldra.

Heldra me fait un petit sourire espiègle, qui me laisse perplexe. Adrian aurait réussi à me faire sortir de là sans laisser aucune trace ? Ce n'est pas possible, Marek et Ellen doivent être en train de me chercher dans tous les recoins de l'empire. Et il ne faudra pas longtemps avant qu'ils ne trouvent cette grotte et ne nous tuent. Je me mets à trembler, en proie à de violents spasmes. Je ne sais pas ce qui m'arrive. J'ai peur, peur de tout.

- Je ne veux pas y retourner, pas là-bas, non...

Je me tiens la tête entre les mains, les tympans protégés par mes paumes, fuyant le moindre bruit.

Les deux filles me serrent contre elles, essayant de me calmer du mieux qu'elles peuvent, mais je les rejette brutalement, me lève d'un coup et vais m'arrêter plus loin. Mes yeux sont fixés vers le soleil couchant et seule la douce brise qui me caresse le corps sans bruit réussi à faire fuir la sensation effrayante des griffures de Marek sur mon corps.

Petit à petit, je me sens mieux. Mon esprit est plus posé. Je ne comprends même pas pourquoi j'ai réagi avec autant de violence alors qu'elles étaient si douces avec moi. Je dois tellement avoir l'air idiote, ou folle...

- Ma reine ? Ça va ? me demande Heldra.

Le timbre de sa voix est délicat mais inquiet, et aucune des deux n'osent me toucher pour l'instant.

- Oui. J'avais juste besoin d'air. Pardonnez-moi les filles. Cela ne se reproduira plus.

Je ne me retourne toujours pas, hypnotisée par les vagues orangées dont s'était habillé le ciel.

- Ne vous en voulez pas, me rassure Nikita. Sachez juste qu'Adrian est en sécurité. Nous sommes tous en sécurité pour un bon moment. Mais après...

- Je devrai me venger de ces monstres, laché-je sans réfléchir.

J'avais lâché ces mots avec haine. Mes poils s'hérissaient pendant que je pensait à tout le chemin qu'il me faudrait parcourir avant d'être complètement libéré de l'emprise de ces sauvages qui m'avaient torturé. Pourquoi me torturer ? Pourquoi viser Heldor ? Pourquoi de cette manière ? Si Athéna en voulait à notre royaume, ils auraient tout simplement pu briser l'accord de paix signé par tous les royaumes de l'empire d'Enceladia. L'empereur lui-même aurait autorisé la guerre. Toutes ces préoccupations me donnent le tournis, et ne font qu'attiser ma soif de vengeance.

- Vous devriez-vous reposer ma reine. Vous en avez besoin.

- Non Heldra, j'ai vraiment envie de bouger un peu plus. La nourriture est déjà faite ?

Elles se regardent peinées, comme si elles redoutaient ma réaction.

- Nous ignorions que vous vous seriez levée avant le diner, excusez-nous. Rien n'est prêt.

- Mais c'est parfait ! dis-je. Comme ça, je vais pouvoir le faire avec vous. Adrian sera là ?

- Oui, il viendra. Laissez-nous nous occuper du repas, ne vous épuisez pas.

- J'ai vraiment envie de le faire. Je vous aiderai comme ça, et on sera comme une famille. D'ailleurs, ne me vouvoyez plus. Appelez-moi juste Uméïra.

- Bien, reine Uméïra.

- Juste Uméïra, Heldra. C'est valable pour toi aussi Nikita. Vous me montrez comment se passe la cuisine ici ?

Elles esquissent un sourire gêné, hésitantes. Moi au contraire, j'ai hâte de commencer une nouvelle vie, entourée de personnes qui m'aiment vraiment et réciproquement, et qui ont le même objectif que moi, se venger.

Les filles me montrent les ustensiles de cuisines, ainsi que les ingrédients du plat du soir, toutes contentes. Elles se détendent petit à petit et se montrent douces, naturelles et fraternelles avec moi. On finit même le repas en chantant un air traditionnel d'Heldor.

- J'adorais ce chant quand j'étais toute petite. Je le chantais sans arrêt.

- Moi aussi ma reine, cette chanson est si douce ! me répond Nikita.

Je fusille Nikita du regard et elle se rattrape immédiatement.

- Désolé Uméïra. C'est si dur de ne pas vous attribuer de titre. Je ne m'y ferai pas de sitôt.

- J'avoue, moi aussi, j'avais oublié ! ajoute Heldra.

Leur mignonne sincérité m'arrache un rire bruyant, qui les contamine.

- On s'amuse sans moi ?

D'abord effrayée par la voix masculine qui nous interrompt, je suis automatiquement soulagée lorsque que je comprends qu'il s'agit d'Adrian. Dès qu'il me voit, il reste bouche-bée un petit moment, avant d'esquisser une révérence des plus nobles.

- Pas de ça ici Adrian, je ne suis plus une reine.

Ma propre phrase me rend triste, et je baisse la tête pour faire remonter les quelques larmes qui veulent m'échapper.

- Vous restez toujours notre reine.

Je lui réponds par un simple sourire plein de gratitude, apaisée par ces mots. Quoique la réalité reste inchangée, je ne suis plus reine. Ou du moins, je suis une reine déchue.

- Tu sais quoi Adrian ? Le repas est prêt, vient !

- Et même que c'est Uméïra qu'il l'a cuisiné, dit Heldra.

- Reine Uméïra, Heldra, n'oublie pas.

- Je lui en ai donné la permission Adrian, ne t'en fait pas, lui dis-je. C'est aussi valable pour toi.

- Jamais je ne pourrai le faire ma reine.

Je me contente de secouer la tête, sans rien ajouter de plus. Je sais comment je vais le faire changer d'avis, mais ce sera pour plus tard. Il est tellement têtu.

Le repas se passe parfaitement. Je mange avec un énorme appétit, qui leur fait tous bien rire. Quand tout le monde fini de manger, je tape l'un contre l'autre le gobelet dans lequel je buvais ainsi que ma cuillère, prête à leur dire quelque chose qui me tient à cœur.

- À tous les trois, je voudrais dire un énorme merci pour tout ce que vous avez fait pour moi. J'ai les larmes aux yeux d'avoir trois formidables personnes autour de moi.

- Nous n'avons même pas pu vous offrir un toit convenable, mais une vulgaire grotte, se reproche Adrian.

- Elle a l'air banale, mais elle représente tellement pour moi. Sans vous, je serais morte en ce moment. Mais vous avez risqué votre vie pour me donner tout ce que j'avais perdu : Un toit, la santé, la dignité, de la nourriture, et surtout, une famille...

Je lâche ces derniers mots en pleurant cette fois à chaudes larmes.

- Je vous aime tellement, je vous serai éternellement reconnaissante pour tout cela...

Je fais un énorme câlin aux deux filles à la fois, et on pleure toutes ensembles, pendant qu'elles me serrent fort dans leur bras. Puis vient le tour d'Adrian, à qui, avant de lui tomber dans les bras, je dis :

- À toi, je dois bien plus Adrian.

Il secoue négativement la tête, et me recouvre de ses bras chauds et robustes. Je me sens bien, en sécurité, en paix au creux de ses bras, nichée dans son cou.

- On réussira, tu verras ma reine. Tout est bientôt fini.

J'avais tant besoin d'entendre cette phrase. Tellement de sentiments s'éveillent en moi en même temps, que je suis recouverte d'une chair de poule qui trahit une pulsion coupable que je n'arrive à repousser. Je sens son cœur taper fort contre le mien, pour lui transmettre un message que je connais pertinemment, et auquel, en toute ignorance des deux filles encore en pleurs près de nous, j'y répond par ma chair de poule. Adrian m'aime depuis toujours. Et je me rends compte petit à petit que mon attachement à lui était bien plus que ça : un amour caché, que j'avais peut-être jusque-là orienté vers la mauvaise personne.

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