Chapitre 54 : Médecin après la mort

- Tu es en train de me dire que je dois donner cette potion à la reine en lui faisant du bouche-à-bouche ? redemande Adrian.

- C'est ça, dit Nikita.

- Mais c'est une idée complètement folle ! Comment oses-tu dire une chose pareille ? s'enflamme-t-il en se redressant, des éclairs dans les yeux.

- Mais c'est la seule solution possible Adrian. Et puis je n'y vois aucun problème.

- Ce serait un manque de respect énorme envers la reine, tu te rends compte !

- Je le sais, mais...

- Mais si tu ne le fais pas, elle mourra, tranche Heldra, jusque-là silencieuse. C'est une idée merveilleuse Nikita.

- Qu'est-ce que tu viens de dire Heldra ?

- Adrian, l'heure n'est pas à la piété, mais il faut coûte que coûte sauver la reine, quitte à faire des concessions. Tu l'as dit toi-même.

- Vous vous rendez compte de ce que vous me demandez de faire ?

- Oui, du bouche-à-bouche. Pas de l'embrasser Adrian, ne va pas t'imaginer autre chose.

Irrité, il sort de la pièce et laisse les deux filles cogiter sur le corps de la reine. Elles l'entendent bouger quelques affaires, sûrement des casseroles de thé préchauffé d'eucalyptus. Heldra le suit à l'extérieur et trouve son frère assis sur un tapis d'herbe plus bas, plongé dans ses pensées avec une tasse en main.

- Adrian...tu vas attraper froid tu sais.

- Je ne suis pas un enfant Heldra. Et c'est à moi de prendre soin de toi.

Heldra s'assoit à la gauche d'Adrian qui garde les yeux fixés sur un buisson d'épines touffus plus bas dans le petit ravin. Tout autour est calme. La nuit bat son plein et tout à l'air endormi, même les habituels petits animaux sauvages qui gambadent non loin de la grotte.

- Tu vas bientôt retourner au palais ? lui demande-t-elle.

- Oui, avant qu'ils ne se doutent de quelque chose sur moi.

- Comment croies-tu que le roi Marek va interpréter tout ça ?

- Je pense que je serai le suspect principal dans un premier temps. Mais ils ne vont pas chercher longtemps, elle sera considérée comme morte avec tout le poison qu'elle a avalé.

Il ingurgite solennellement une gorgée de thé qu'il laisse glisser le long de sa gorge.

- Uméïra doit se réveiller. Sinon ça ira mal. Grand frère, nous sommes sur la dernière ligne droite, on ne peut pas laisser tomber.

- Je ne veux pas laisser tomber, mais ce qu'on s''apprête à faire est une insulte, et tu le sais.

- Oui, mais le plus important ici, ce n'est pas les règles, mais la vie d'Uméïra. Je sais ce que ça représente pour toi, mais garde à l'esprit ce que je dis Adrian, s'il te plait.

Ce n'était ni plus ni moins qu'être un médecin après la mort. Des règles, ils en avaient brisé tellement. Et s'il s'obstinait à refuser, ce n'était ni plus ni moins que par honte, une raison absolument pas valable vu la situation à laquelle ils étaient confrontés.

- Je vais le faire ce soir, avant de partir, dit-il.

Heldra fend ses lèvres en un sourire hésitant, et passe une main attendrissante sur l'épaule de son frère avant de se lever. Comme il l'avait promis, à peine son thé complètement bu, Adrian se rince la bouche pour éviter de mélanger la mixture à autre chose, prend la fiole des mains de Nikita et pénètre dans la cavité qui sert de chambre à la reine. Il s'assoit près d'elle, glisse le bout de ses ongles sur l'épiderme de cette dernière en savourant la finesse de sa peau. Puis sans tarder, il lève tout haut la fiole en disant :

- Je bois à toi ma reine.

Il verse sous sa langue l'entier contenu de la fiole et, pressant les joues d'Uméïra pour lui faire ouvrir la bouche, colle sa bouche à la sienne et y transvase le remède qui descend doucement dans l'œsophage de la reine. Il se redresse, heureux que pas une seule goutte ne soit versée, et contemple allègrement le visage d'Uméïra.

« C'est tout ? Il me suffisait juste de faire ça ? Quel idiot je suis ! » se gronde-t-il.

Il s'attarde sur l'onctuosité de ses lèvres mouillées par la potion. L'envie est forte. Beaucoup trop forte. C'était ce qu'il redoutait. Il n'arrive plus à se contrôler.

Si seulement elle était consciente et consentante. Il ne pouvait se permettre de l'embrasser par simple désir égoïste. Il se le refusait. Il pose simplement ses lèvres sur front et y laisse un baiser simple mais plein de promesse. Il est immédiatement secoué par des spasmes dû à l'intense bonheur mêlé à de la culpabilité que cet acte lui fait ressentir.

- Je te promet Uméïra. Tu vivras, et tu te vengeras de ses assassins. Et...qui sait si tu verras enfin à quel point je t'aime...conclue-t-il avec amertume.

*

Le carrosse doré de la délégation royale d'Athéna partie à Utopia vient d'arriver au palais. Marek ne cesse de soupirer de soulagement depuis leur entrée sur le territoire d'Athéna. Il a hâte de la voir, sa femme. Et même s'il fait croire le contraire à sa chère maman, il espère la trouver vivante, et pourquoi pas réveillée. Il n'est peut-être pas trop tard. Mais d'un penchant bipolaire, et le souvenir du jour où elle a prononcé le nom d'Adrian en tête, il souhaite tout à coup qu'elle s'étouffe avec la nourriture que les servantes lui apportent. Turlupiné par des pensées sans têtes ni queues, Marek fonce dans les escaliers et se hâte vers les appartements de la reine.

- Mon seigneur ! l'interpelle un garde.

- Quoi ?

- Vous ne devez pas monter, la reine...

- Ce que je monte faire n'est pas votre problème.

Froissé dans son égo, le garde s'abstient de lui faire barrage, effrayé par la tournure que risque de prendre les événements.

- Où est-ce que tu vas de ce pas Marek ? Ne me dis pas qu'elle t'a manqué, glousse Ellen en remarquant l'empressement de son fils.

- Je vais m'assurer que tout va bien mère, rectifie-t-il.

- Eh bien salue-la de ma part, se moque-t-elle.

Aucun garde n'ose dire quoi que ce soit. La nouvelle de la disparition de la reine n'a pas encore été révélé. Seuls ceux qui sont au palais le savent, et se devait de garder le silence. Était-ce une bonne idée ? Ils ne tarderaient pas à le savoir.

- Uméïra ?

Marek s'approche de la couchette de la reine, intrigué. Tout est sens-dessus-dessous. Le lit est défait, les rideaux sont tirés. Personne.

- Garde ! cria-t-il immédiatement.

- Sa majesté !

- Où se trouve la reine ?

- Elle est...mon roi, elle est...balbutie-t-il en transpirant à grosses gouttes.

- Tu as perdu ta langue ? s'empresse-t-il de cracher au visage effondré du pauvre serviteur à qui incombe finalement la lourde responsabilité d'annoncer la nouvelle.

Uméïra serait morte ? Marek a du mal à le croire. Et pourtant, c'est la seule raison qui pourrait expliquer son absence dans ce lit. Prochaine étape : empêcher sa mère d'esquisser des pas de danse pour fêter l'évènement. Enfin le bout du tunnel, mais malheureusement, la fin d'un amour que Marek aurait secrètement eu envie de perpétuer.

- Alors ?

- Mon roi, la reine a disparu depuis hier. On ne la retrouve nulle part, et on craint qu'elle ait été enlevé.

- Quoi ?

Marek fixe le serviteur, horrifié par ce qu'il vient d'entendre.

- Répète ce que tu viens de dire.

- Mon roi, je...

- Comment ça enlevée ? Mais parlez !

- Je n'ai pas beaucoup d'information sur ce sujet mon seigneur, juste un bout.

Le serviteur lui raconte tout ce qu'il sait qu'il s'est passé depuis la veille, y compris la soi-disant agression d'Adrian. Marek s'affaisse sur le siège juste derrière lui, sonné.

- Je le savais...je savais qu'il y avait quelque chose de grave, je le sentais !

- Qu'est-ce qui se passe ici, s'insurge Ellen en débarquant dans la pièce.

- Uméïra a été enlevée mère, enlevée !

Ellen marque une pause, et portant la main à la bouche, s'assoit sur le tabouret de velours qui se trouve juste derrière elle.

- Nous n'avons pas encore fait éclaté l'information mon seigneur, afin d'éviter un cafouillage ainsi que des représailles inutiles. Devrions-nous...

- Alertez le royaume bandes d'incapables ! rugit Marek. Qu'est-ce qu'il y avait de compliqué à surveiller la reine, hein ? Idiots !

Le garde abaisse la tête, et sort précipitamment de la pièce où sont assis Ellen et son fils.

- Qu'est-ce qu'on fait mère ? Tout est fichu.

- Je ne pense pas Marek, coupe Ellen. Uméïra a bu beaucoup trop de poison pour survivre. Si jamais c'était une tentative d'évasion, ses complices ne vont pas tarder à constater son décès.

- Oui, vous avez raison. En parlant de complice, où se trouve Adrian ? Garde !

- Oui mon seigneur, dit le premier garde qui s'est précipité pour répondre à l'appel du roi.

- Où se trouve Adrian ?

- Il est ici mon seigneur, dans la maison des gardes. L'un des criminels lui as porté un coup terrible à la tête, et il est en train de se faire soigner.

- Mais c'est l'un de nos meilleurs gardes, pourquoi il ne recherche pas Uméïra comme tous les autres ?

- Il a été l'un des premiers à faire des recherches, et il est rentré au petit matin, parce qu'il commençait à saigner de la tête.

Il tourne le regard vers sa mère qui esquisse un sourire victorieux.

- Faites-le venir ici, on tient à le recevoir en tant que témoin oculaire.

Quand le garde vint faire la commission, le sang d'Adrian ne fit qu'un tour dans ses vaisseaux sanguins. Il essuya le liquide qu'il avait fait passer pour du sang et partit rejoindre Marek. C'était maintenant qu'il devait leur sortir son artillerie lourde d'alibi pour éviter d'être le bouc émissaire des conséquences de ses propres péripéties. Et pour être blanchi, il avait une idée claire de ce qu'il devait dire pour s'en sortir, ainsi que le nom de la personne qu'il allait envoyer à l'échafaud à sa place...

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