Chapitre 53 : No man's land

Un plan complexe monté pour contourner l'incontournable pendant à peine une semaine. Un véritable exploit, dont Adrian n'était pourtant pas sûr de l'issue. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il aurait fait tout ce qui était en son pouvoir, et même au-delà, pour sauver Uméïra. Et ça avait marché.

L'aube imposait lentement son éclatante souveraineté et les grillons cessaient progressivement leur concert nocturne. Rhisp et Mate, les deux chevaux, galopaient avec assurance, comme s'ils s'étaient jurés d'apporter leur soutien au sauvetage de la reine. Laissant son esprit dériver vers ces ironiques pensées, Adrian fend ses lèvres en un demi-sourire amusé qui n'échappe pas à Heldra. Celle-ci sourit à son tour en regardant son frère.

- Tu es l'homme le plus heureux du monde en ce moment, n'est-ce pas grand-frère ?

Il baisse les yeux et s'attarde sur les traits fins et délicats de la reine, qu'ils ont réussi plus ou moins à installer confortablement à l'avant de l'étalon d'Adrian.

- Ça se voit tant que ça ? répond avec engouement Adrian.

Les deux jeunes filles se mettent à rire aux éclats sur le dos de Mate, amusées par l'état d'âme romantique que ne se gêne pas pour leur montrer Adrian.

- Je ne t'ai pas connu aussi romantique Adrian, se moque Nikita.

- Les choses changent ma chère, moi non plus je ne me croyais pas comme ça, rétorque-t-il sur le même ton enjoué. Sauf qu'il faut qu'elle survive. C'est la dernière ligne droite.

Son visage se rembrunit aussitôt et il garde un silence sérieux. Consciente que son frère est secrètement très inquiet à cause de l'état mourant d'Uméïra, Heldra essaye tant bien que mal d'établir un contact visuel. Mais il garde une expression livide, plongé dans ses plus profondes pensées.

La remarque jette un froid sévère sur l'ambiance bon enfant qui accompagnait la délégation, froid qui semble aussi gagner les animaux qui ralentissent peu à peu.

- On est arrivé à la grotte, dit Heldra.

Toute la petite délégation lève les yeux vers le couloir de branches enchevêtrées à travers lesquelles un mistral frais traduit la présence du fleuve non loin, donc d'un passage. Adrian ralentit progressivement le mouvement de son cheval et avance prudemment vers le passage, où il s'engouffre en plissant les yeux. Le reste de la cavalerie le suit singulièrement et en à peine quelques minutes, tous sont aperçoivent l'imposante grotte qui va les abriter pour un temps encore indéfini.

- Il faut qu'on s'active, Uméïra est beaucoup trop faible, et le voyage n'a pas été des plus confortables, dit Adrian.

- D'accord, on descend préparer sa couchette.

Avec précipitation, les deux filles se hâtent de quitter le dos légèrement creux de l'étalon gris foncé de la reine et pénètrent à l'intérieur de la grotte.

Elles dépoussièrent sommairement le lit déjà apprêté plus tôt pour la reine, et aère le conciliabule. En véritable connaisseuse, Nikita récupère dans ses affaires des bougies parfumées aux senteurs immaculées de fleurs orientales et les entrepose dans un coin de la cellule. De là, elles diffusent leur agréable parfum qui rend délicieux l'ambiance de la chambre royale. À l'extérieur, Adrian, lui, descend de la selle de Rhisp en faisant bien attention de ne pas bousculer Uméïra. Il atterri sur le sol et, lui prenant le milieu du dos et le creux sous les genoux, la fait descendre avec douceur et expertise du pur-sang. Elle est <<légère et délicate comme une plume, le genre de femme agréable à tenir entre ses mains>> se dit-il pendant qu'il la porte.

Là, seul, dans la nuit calme, à l'abri du regard assassin de son mari, Adrian laisse libre cours à ses fantasmes étouffés : Respirer au même rythme que sa dulcinée, contempler le retroussement timide de ses lèvres légèrement entrouvertes comme pour séduire continuellement celui qui s'y attarderai, avec toujours sur le visage une petite moue qui lui donne un sérieux amusant.

Pour Adrian, bien qu'elle soit au plus mal de son état, rien n'a réussi à entacher son envoutante beauté.

Uméïra. Sa beauté était prêchée à qui voulait l'entendre dans l'empire d'Enceladia. Et pourtant, elle n'avait rien d'exceptionnel. En fait, c'était l'agencement parfait de toutes ses petites imperfections qui la rendait unique, et belle. Avant les malheureux incidents qui l'ont conduit à l'état dans lequel elle était, Uméïra avait la peau claire. Elle avait hérité de sa famille paternelle de long membres inférieurs et supérieurs qui lui donnait son allure très élancée. Chaque jour, Adrian louait secrètement le ciel de lui avoir donnée un taille plus grande que celle de la femme qu'il aimait, parce qu'il aurait entendu dire qu'elle avait une certaine préférence pour les mâles grands et élancés, comme elle. De sa mère, elle avait pris une opulente et maternelle poitrine, à laquelle elle avait su concilier un fessier rebondi qui lui assurait une taille assez marquée que la plupart de ses tenues royales rehaussaient en mettant en valeur le charme de sa chute de reins. Mais si elle remerciait chaque jour sa mamie pour lui avoir légué ses yeux marrons clair, elle maudissait son grand-père maternel de qui elle avait hérité sa chevelure brune et rêche et des taches de rousseur presque invisibles qu'elle suppliait Deva de masquer sous d'opaques couches de maquillage. Ces derniers la complexaient. Tâches pourtant sublimes qui plaisaient tant à Adrian.

En résumé, elle était belle, mais refusait de l'entendre. Et cette naïveté, cette ignorance là, en faisait craquer plus d'un.

- Adrian, dépêche-toi, on doit lui donner la potion bordel !

Tiré de ses rêveries par la voix aigüe de sa petite sœur, il marche à pas rapide jusqu'à l'intérieur de la pièce réservée à la reine et l'allonge sur le tas de larges feuilles qui font office de matelas traditionnel et confortable. Nikita court chercher une petite serviette imbibée d'eau et revient la passer tout délicatement sur le visage de la reine avant de la poser sur son front.

- Vas-y doucement Nikita, tu pourrais l'étouffer, s'inquiète Heldra.

- C'est ce que je fais.

- Heldra, va chercher les flacons de la potion, elle doit en boire le plus vite possible pour contrer le poison, ordonne Adrian sans quitter Uméïra des yeux, toujours inquiet.

Dubitative, Heldra s'exécute et part chercher le dernier flacon qui se trouve dans le premier compartiment de la grotte. Adrian n'est pas encore au courant, et elle ne sait pas comment lui annoncer que leur chance de sauver la reine est très effilé. Cette fiole est leur dernier espoir. Elle revient quelques instants plus tard, la seule fiole en main. Son cœur ne fait qu'un bond dans sa poitrine quand Adrian l'accueille dans la pièce avec un regard interrogateur.

- Pourquoi une seule fiole ? Apporte les deux, il ne nous reste plus beaucoup de temps.

- Heu...Adrian...

Elle se tourne vers Nikita, qui se mord la lèvre inférieure, toute aussi nerveuse que sa consœur.

-Ne me dis pas que tu n'as pas eu le temps de la préparer Heldra, tu m'avais dit que tout était prêt, enchaine Adrian, loin de la vérité.

- J'ai fini de préparer les deux fioles, mais...la deuxième s'est brisée.

- Quoi ? s'exclame-t-il en chancelant sur ses appuis.

Elle évite de le faire poireauter encore longtemps et s'explique.

- C'était pendant le voyage dans le carrosse. Le poids du garde presque mort a brisé la fiole et toute la potion s'est répandue au sol. On a rien pu sauver Adrian, désolée.

- Est-ce que ça veut dire que...c'est fini pour Uméïra ?

- Non, si elle boit l'entier contenu de cette fiole sans aucun gaspillage, cela peut suffire. Mais on a plus droit à l'erreur sinon, ce sera bel et bien terminé.

Perturbé, Adrian reste calme, les émotions hybrides d'espoir et peur, caressant son menton envahi d'une barbe non entretenue depuis plusieurs jours.

- Alors il faut trouver un moyen de lui administrer cette mixture.

- Au palais, c'était presque impossible de la nourrir sans qu'il n'y ait de nourriture gaspillée. Or la fiole doit être bu cul sec.

- Il n'y a pas de seringue ou quelque chose du genre ?

- Si, mais au palais.

- Et par inhalation ?

- Je ne suis pas experte, je risque de perdre beaucoup si je m'y prends mal.

- Excusez-moi, interrompt Nikita. Je ne m'y connais pas trop mais je pense que c'est la meilleure solution, surtout qu'en tant que soldat, Adrian peut sûrement le faire aisément.

- On t'écoute Nikita.

- L'objectif c'est d'introduire la potion dans le corps de la reine n'est-ce pas ?

- C'est ça.

- Donc on lui donnera cette potion par la bouche directement, conclut-elle.

- C'est-à-dire ? Explique un peu.

- Par le bouche à bouche quoi.

Adrian et Heldra lui adresse un regard ébahi, auquel elle réagit en haussant les épaules, les yeux grands ouverts.

- Qu'est-ce que vous en pensez ? Ça pourrait marcher non ? demande-t-elle, faussement innocente.


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