Chapitre 51 : Le stratagème

Avançant à pas feutrés pour éviter de faire craquer la moindre branche à l'entrée de la forêt, Nikita avance, courbée au maximum, suivie d'Adrian qui lui sert de guide parfait.

   — Au prochain buisson, lui murmure-t-il, tu prends à gauche et va comme convenu vers le carrosse. On se retrouve plus tard.

   — Bien Adrian.

Elle fait comme il le lui a ordonné et disparait du côté gauche de la forêt. Maintenant seul, il est plus facile pour Adrian d'assurer sa propre couverture, son uniforme lui servant d'alibi. Il se relève et marche à pas décidés vers le palais. Sur le chemin, il croise certains de ses collègues à qui il adresse une salutation d'usage, avant de s'engouffrer dans le palais, dans lequel il n'avait pas mis les pieds depuis quelques jours.

Il avance singulièrement vers les escaliers du premier palier, quand une voix inopportune l'interpelle.

   — Adrian ? Qu'est-ce que tu fais ici à cette heure ? lui demande l'un des gardes de palais.

Se doutant qu'il ne peut faire confiance à personne d'autre que Tychann, il s'efforce de rester impassible. Heureusement pour lui, car ce garde est celui à qui Marek a demandé de surveiller constamment Adrian.

   — Je monte garder le palier du haut, comme il est inscrit dans mon programme.

   — Tu te fais rare ces jours-ci dis-donc, lui fait-il remarquer avec mépris.

   — Oui, ce sont des urgences familiales qui m'obligent à m'absenter, répond Adrian sur un ton monocorde. L'interrogatoire est terminé ou tu as encore d'autres questions stupides à me poser ?

   — Ce n'est pas...

   — Maintenant j'aimerais que tu me laisses travailler, je n'ai pas que ça à faire, lui assène-t-il de bout en bout avec une nervosité qu'il réussit à cacher de justesse.

   — Désolé, je ne voulais pas te déranger, lui répond le garde, secrètement suspicieux.

Sans même lui adresser un regard, Adrian emprunte l'escalier qui le mène au premier palier et se dirige vers le couloir qui l'intéresse : celui de la reine. Si personne ne l'y voit pendant une vingtaine de minutes, il n'y aura aucun problème majeur vu la grandeur du palais. Mais au bout de trente minutes, quelqu'un pourrait se douter qu'il manigance quelque chose. Il devra alors installer la reine à bord du carrosse, revenir donner l'alerte, avant de retourner dans la forêt sous prétexte qu'il est aussi à sa recherche. D'où le timing qui est réglé avec une parfaite précision.

Arrivé au palier de la reine, il constate qu'il est vide. Seuls deux gardes doivent sillonner régulièrement le couloir pour veiller sur la chambre de la reine-mère et celle de la reine au premier palier, dont Adrian.

Les deux servantes qui ont été assignées à Uméïra passent chaque une heure pendant la nuit pour vérifier que tout va bien. Il n'y a donc pas de problème à ce niveau. Adrian jette un coup d'œil vers l'horloge : Il est une minuit cinquante-cinq. L'une des servantes sort de la chambre de la reine, son tour de garde recommençant dans deux heures. La seconde sera là dans une heure pile.

Aris aperçoit Adrian, et fend automatiquement ses lèvres en un sourire fin et glousse avec sensualité :

   — Adrian ? Qu'est-ce que tu fais ici tard ce soir ?

   — Bonsoir Aris. Tu as fini ta garde j'imagine, dit-il froidement, agacé des techniques de drague lamentables d'Aris.

Cette dernière, nullement découragée, s'avance vers Adrian en se suçant la lèvre inférieure, le regard fiévreusement fixé vers ses pectoraux.

   — Ça tombe si bien qu'on soit tous les deux, seuls dans ce couloir...

   — Recule Aris.

Elle se hisse sur la pointe des pieds et tente d'embrasser Adrian, qui la rejette sans la moindre douceur.

   — Pourquoi les beaux hommes sont les plus compliqués...tu sais très bien qu'il y a quelque chose entre toi et moi Adrian, et tu me repousses d'une aussi vulgaire manière, continue-t-elle sur un ton mielleux.

   — Recule Aris, je ne vais pas me répéter.

   — À moins que tu préfères que je t'attende sagement dans ma chambre pour qu'on puisse passer de délicieux moment...je te la situe : Tu entres discrètement dans la cour des servantes, tu prends sur ta droite, et...

   — Ferme-là Aris ! Tu devrais me remercier de ne pas t'avoir encore collée une gifle ou plantée contre le mur avec mon épée. Pour qui tu te prend à la fin ?

   — Mais Adrian, je veux juste qu'on...

   — Couche ensemble ? Non merci, ça ne m'intéresse pas. Je suis là uniquement pour protéger la reine, et non pour céder aux avances d'une prostituée qui ouvre les jambes à tous les gardes de ce palais. Hors de ma vue ! lui hurle-t-il.

Humiliée par des révélations aussi vraies qu'outrageantes, Aris se précipite vers la cour des servantes, recroquevillée au sein de son large voile. Énervé mais aussi soulagée de s'être enfin débarrassé de cette encombrante servante, Adrian regarde encore une fois l'horloge. Cinq minutes sont déjà passées. Il retourne vers la grande terrasse se faire remarquer par les gardes qui sont à l'extérieur puis il revient sur le palier. Son collègue de palier passe en coup de vent et le salue, pressé de passer inspecter l'arrière des pièces.

Adrian jette une bref regard de droite à gauche et en profite pour se faufiler rapidement dans la chambre de la reine. Il referme avec soin la porte derrière lui et s'approche d'elle, le cœur serré. Un fin voile délicat de couleur or entoure son lit, et masque les traits de son visage.

Il hésite, puis s'accroupit au chevet de son lit, et commencer tout doucement à écarter le voile. Petit à petit, il aperçoit chaque détail de son visage, pâle à mort. Ses mains tremblent d'effroi, au fur et à mesure qu'il découvre l'état dans lequel elle se trouve : les lignes bleues dans son cou jadis fantomatiques, sont désormais plus foncées, ses lèvres fines et légèrement rosées ne sont plus qu'une superposition de graisse sans couleur. Sa respiration est faible, haletante, et son pouls donne l'impression qu'il peut s'arrêter à tout moment.

Attristé jusqu'au plus profond de son être de ne pas avoir pu intervenir plus tôt, Adrian caresse la joue, le cou, la bouche d'Uméïra, conscient que c'est aujourd'hui que se joue la survie de la reine.

   — Pardonne-moi Uméïra, je suis désolé de t'avoir laissé dans un tel état tout ce temps, se lamente-t-il sur son corps.

Il colle son front contre le sien, ses larmes s'échouant sur les pommettes d'Uméïra, puis il ramène un peu son visage en arrière pour mieux la contempler.

   — Tu es si belle, qu'est-ce qu'ils t'ont fait...

Il s'oublie le temps, d'un instant, et s'attardent sur ses lèvres, qu'il convoite et désire comme il ne lui ait pas permis de le faire, tout le corps chaud d'amour.

   — Je sais que je n'en ai pas le droit Uméïra, mais je ne te reverrai peut-être jamais, alors il faut que je le fasse.

Il dépose un bisou délicat et simple sur les lèvres de la reine couchée, inerte, qui de son vivant souhaitait secrètement une telle initiative de sa part, sans obtenir gain de cause d'un Adrian pieux jusqu'aux ongles.

   — Oui, j'ai vu Adrian passer ici, il a dû faire un tour de l'autre côté, ce n'est plus la peine de le chercher, crie une voix féminine dans le couloir à un garde, celle Aris.

Que vient elle chercher ici alors que son tour de garde est censé être terminé ? Adrian sursaute et cherche des yeux un endroit où se cacher. Aris ouvre la porte de la chambre et récupère un objet qu'elle avait oublié sur l'étagère et reste arrêtée au milieu de la chambre, suspicieuse. Elle reste immobile pendant quelques minutes, puis haussant les épaules, dit :

   — J'ai dû rêver à ce bruit, j'y retourne.

Elle sort et referme la porte derrière elle.

Adrian souffle, soulagé qu'elle n'est pas cherchée à vérifier dans la salle de bain, lieu où il avait finalement trouvé refuge. Il se penche discrètement vers la porte, vérifier qu'il n'y a bien personne. Il vérifie ses poches, et se rassure qu'il y a un bâillon, ainsi qu'un petit couteau qui pourrait garder un curieux tranquille jusqu'à ce que sa besogne soit terminée. Il marche soigneusement jusqu'à la porte de la chambre et tend l'oreille. Plus personne ne s'approche. Il lève rapidement les yeux vers l'horloge. Il est une heure dix du matin. Comme remis à l'heure, Adrian se rend compte qu'il ne lui reste plus beaucoup de temps pour faire sortir la reine. Il est rentré à une heure et quelques poussières, donc il lui reste à peu près vingt-cinq minutes et pas une de plus.

Il se dirige vers un placard vertical de la salle de bain, où il avait caché une longue corde quelques jours avant. Il en examine brièvement l'état, puis se précipite vers le balcon qu'il ouvre avec la plus grande discrétion. C'est l'heure morte, pile le bon moment. Il prend un bout de contreplaqué qu'il avait dans sa poche et le laisse tomber dans l'arrière-cour, ce qui laisse échapper un petit bruit presque imperceptible, duquel s'en suit un silence qui le laisse perplexe. Quelques minutes après, un bruit de pas se fait entendre dans la cour, mais il n'ose pas regarder de qui il s'agit.

   — Adrian ? Chuchote une voix grave.

   — Oui, c'est moi, chuchote-t-il à son tour.

   — Tu es pile à l'heure. C'est bon, vous pouvez descendre.

Soulagé d'entendre la voix de Tychann, Adrian souffle un bon coup et retourne au chevet de la reine.

   — C'est le moment Uméïra, tu dois t'accrocher, lui souffle-t-il.

Il la soulève du lit et la pose tout doucement sur le divan tout proche, puis lisse rapidement le lit et met plusieurs coussins sous le drap pour donner l'illusion de la présence d'un corps. Puis il prend un drap en coton léger dans lequel il pose la reine et attache une des extrémités du drap à son cou et l'autre dans son dos comme il est de coutume de porter les enfants. Elle est couchée sur son torse, respirant faiblement, comme si elle lui murmurait : <<Tu es mon dernier espoir Adrian>>, ce qui a pour effet de le déstabiliser.

   — Dépêche-toi Adrian, tu ne dois pas perdre de temps, mais en gagner plutôt ! L'interpelle en chuchotant toujours Tychann.

Il revient à lui, inspecte cette fois-ci la montre gladiateur qu'il a autour du poignet qui indique qu'il lui reste 18 minutes dans l'heure morte. Il prend la corde et rabat soigneusement les portes du balcon après lui, juste assez pour faire croire qu'ils sont fermés mais aussi pour pouvoir y repasser à son retour, les portes ne s'ouvrant que de l'intérieur. Il fait passer la corde autour d'une barre de ciment de la balustrade du balcon, et s'y appuyant quelques secondes, respire un bon coup et passe de l'autre côté du balcon.

   — Tu peux le faire Adrian, tu peux, se répète-t-il incessamment, avant de finalement se laisser tomber sur la corde, sur laquelle il descend prudemment.

   — Vas-y, il ne te reste plus beaucoup de temps ! Le presse Tychann, plus stressé que celui même qui descend une corde qui le sépare de quinze mètres du sol avec contre lui une personne toute entière qui n'a plus aucune force.

Des nerfs lui sortent des tempes et des bras, tant le poids lui est infernal. La corde n'est heureusement pas rugueuse, mais n'empêche qu'il y a douloureusement mal pendant qu'il descend. Il est dans le vide, les pieds entrecroisés autour de la corde, les genoux agacés par la pression qu'il exerce sur eux pour ne pas faire une chute fatale.

   — Ahh...

Il pousse de temps à autre de petits gémissements de douleur, bientôt à bout de force.

   — Tu y es presque Adrian, plus que quelques mètres.

Priant de toutes ses forces, sollicitant auprès de son corps des ressources physiques et morales de secours, il serre son cœur et grinçant des dents, se glisse un peu plus rapidement le long de la corde.

   — C'est bon, tu peux étendre les jambes maintenant, tu es arrivé, l'informe Tychann désormais à quelques mètres de lui.

Il vient auprès de son ami et l'aide à atterrir sur le sol dur, un peu sonné par quelques vertiges.

   — Ça va, tu te retrouves ? S'enquiert-il, inquiet.

   — Oui, lui répond faiblement Adrian. C'est juste que...je n'avais pas imaginé que ce serait aussi dur de descendre cette corde, mais, on a enfin réussi, lâche-t-il, satisfait.

   — Vas-y, tu dois faire la partie finale maintenant, on se retrouve tout à l'heure, mon frère.

Adrian hoche la tête pour toute réponse et longe au pas de course le couloir transversal. Il lui reste moins de dix minutes. Il court et arrive finalement à bout de souffle par la porte de derrière, au petit entrepôt d'où sont stockées toutes les lettres que doit apporter et expédier le coursier. La pièce est un peu sombre, et il doit utiliser sa petite torche pour éclairer l'endroit. Il découvre près de la sortie principale le carrosse du coursier, duquel il s'approche prudemment avant d'ouvrir, couteau en main, la porte de l'arrière.

   — Adrian ! Sursaute Nikita. Tu m'as fait peur !

   — C'est moi. Uméïra est avec moi, vous pouvez partir. Maintenant.

   — Oui, j'ai endormi le coursier avec le mouchoir que m'a donné Heldra, dit-elle en indiquant un corps immobile dépouillé de vêtements dans un coin de l'entrepôt.

   — J'imagine qu'un nouveau coursier a besoin d'être appelé, dit-il ironiquement, sourire aux lèvres.

   — Exactement, lui répond une voix féminine dans la pénombre, avant d'apparaitre sous l'éclat de la torche d'Adrian. Comment vous me trouvez ? Demande Heldra, emmitouflée dans l'uniforme du coursier.

   — Méconnaissable, parfait petite sœur. Maintenant, vous devez y aller, et moi aussi. Vous avez la fiole ?

   — Oui Adrian, juste à côté de Nikita.

   — Bien.

Il détache Uméïra du drap et la pose délicatement à l'arrière, sur les jambes de Nikita, et fait un bisou sur son index et son majeur qu'il applique sur le front de la reine déchue en signe de protection.

   — Je vous retrouve là-bas, dit-il en tournant les talons.

   — Personne ne va nulle part, beugle une voix familière à Adrian.

Il lève la tête, et à la sortie de derrière de l'entrepôt, aperçoit un homme, qui n'est nul autre que l'homme envoyé par Marek pour le surveiller...

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