Chapitre 50 : L'incontournable pion
Adrian longe le bord du fleuve, main sur les hanches et le torse bien droit. Il est préoccupé. C'était bien beau de faire des allégations mielleuses devant sa sœur et Nikita. Mais franchement, c'était plus facile à dire qu'à faire.
Soudainement, une idée lui traverse l'esprit : Uméïra est censée mourir bientôt de toute façon, donc ses persécuteurs n'éterniseront pas leurs recherches si jamais elle disparaissait. Quoi qu'il en soit, il ne leur faudra pas longtemps avant qu'ils ne se fassent retrouver, même caché à l'intérieur de la grotte ; ce sera une course contre la montre, une lutte pour la survie. Heldra et Nikita sont déjà en train de préparer le remède. Il ne reste plus que celle à qui il est destiné : la reine d'Athéna.
Toujours pas sûr de la réussite de ce qu'il compte faire, Adrian retourne au palais et se rend directement à la porte qui conduit au long couloir qui est juste au-dessous des quartiers de la reine. Le crépuscule pointe son nez. Adrian est conscient que tout doit de se peaufiner et être prêt dans exactement 30h. Et le garde qui sera en service dans ce couloir à ce moment-là est le pilier d'un château de cartes déjà branlant.
Adrian frappe de deux timides coups la face en bois poncé de la porte qui sépare les deux compartiments du couloir et la pousse légèrement. Presqu'immédiatement, le garde brandit son épée en fer sous le nez d'Adrian, qui agilement, réussit à l'éviter, et saisissant d'une main ferme la manche crochetée de celle-ci, la retourne contre son propriétaire. Le garde, resté coincé entre le tranchant de son épée et le torse d'Adrian, suffoque de surprise.
— Je ne savais pas que c'était toi Adrian, tu peux me libérer maintenant ? dit-il ironiquement.
— Ne t'inquiète pas Tychann, je ne te ferai pas de mal, je me protégeais, c'est tout.
— Je sais que tu es le garde personnel de la reine et que tu es mon supérieur, mais sauf ton respect, tu es plus fort que moi donc évite de me faire ce genre de frayeur en rentrant à l'improviste.
— C'est compris mon ami, répond Adrian, enjoué. Ici doit être bien calme depuis que la reine est malade.
— Quand elle était bien portante, elle s'assurait toujours que j'allais bien et que je n'avais besoin de rien avant qu'elle n'aille dormir. Sa gentillesse, je n'en ai jamais vu pareil dans le monde, une vraie perle cette reine.
Adrian réprime une injure à l'endroit de ce garde pour qui il semble être mielleux de parler d'Uméïra. Mais il fait un effort et garde son calme, la main droite caressant le pommeau de l'épée qu'il a aux reins.
— Ce qu'elle vit est un supplice Tychann, reprend-t-il, beaucoup plus calme.
— Si tu savais à quel point rester ici me torture. J'ai l'impression de ne rien pouvoir faire. La dernière fois où j'ai été en contact direct avec la reine, elle était allongée sur une couchette, les yeux mi-clos et suppliant de la sortir de là.
— C'était quand ? demande Adrian, inquiet.
— Il y a plusieurs jours, plusieurs gardes et moi l'avons trouvée étendue sous le grand arbre du palais. Si tu avais pu voir les marques qu'elle avait sur le corps, elle semblait avoir souffert toute la nuit, avant que quelqu'un ne puisse la libérer...
À l'évocation de ce douloureux souvenir, Adrian crispe la mâchoire, révolté contre tous les commanditaires de ces horreurs. Son pouls s'accélère et ses phalanges libèrent un bruit craquant, tant il serre fort les poings.
— J'ai tellement envie de la sortir d'ici, parce que j'ai l'impression que tout le monde ici est contre elle, surtout la reine-mère, qui me fait sérieusement peur, avoue Tychann, avant de remarquer la rougeur des poings d'Adrian, qui a la tête baissée, ses cheveux bruns foncés masquant les traits de son visage. Adrian, tu es sûr que ça va, tu m'écoutes ?
— Je peux la faire sortir d'ici Tychann, lâche-t-il brusquement.
Tychann déglutit après les propos d'Adrian, stupéfait.
— Qu'est-ce que tu viens de dire Adrian ?
— Que j'ai un plan, pour faire sortir la reine d'ici, reprend-t-il en chuchotant.
— Mais tu es complètement malade !
Adrian se précipite de lui fermer la bouche de sa paume, et l'immobilise, le temps qu'il arrête de se débattre et se taise.
— Il faut qu'elle sorte d'ici sinon ils la tueront, et tu le sais Tychann. Mais je ne pourrai pas y arriver sans toi mon frère.
Tychann cesse de s'agiter et Adrian le libère finalement, avant de s'asseoir avec lui à même le sol.
— D'où tu sors une idée pareille Adrian ? Tu sais aussi bien que moi que ce château est une vraie forteresse. La sécurité a été renforcée encore plus avec le départ du roi et de sa mère. Si jamais tu te fais prendre, vous mourrez tous.
— Je sais Tychann, mais c'est la seule option que nous avons.
— Déjà que je sais ce que vous comptez faire, tu devrais te méfier de moi. Mais je ne dirai rien, sauf que je refuse d'être mêlé à tout ça. J'ai une fiancée je te signale.
— Tu ne peux rien dire de toute façon, déclare sur un ton grave Adrian.
— Pourquoi ? Tu vas me supprimer c'est ça ? répond Tychann sur un ton ironique en désignant l'épée d'Adrian. Après tout, tu es l'un des soldats les plus forts de l'empire n'est-ce pas ?
— Ce n'est pas ça. Tu ne diras rien, parce que tu sais qu'on fait ce qui est juste, dit Adrian sur un ton léger et rassurant. Tychann, on en a connu des moments toi et moi. Avant que je ne parte pour Heldor, on était tous les deux jeunes, et on a fait énormément de choses ensemble. Et tu sais que je ne prends jamais de décisions sur un coup de tête. Tychann, il ne nous reste plus beaucoup de temps, et si tu refuses alors que tu es notre seul moyen de partir d'ici, tu auras sa mort à elle sur la conscience et la mienne aussi. Réfléchis-y s'il te plait mon frère.
Adrian se lève de son inconfortable place et se tapote l'arrière de la cuisse. Il fixe Tychann droit dans les yeux, ce dernier encore assis par terre, en plein désarroi, en proie à une étouffante incertitude : Doit-il les aider, au péril de sa vie, ou sacrifier la vie de deux personnes pour rester dans les bonnes grâces de ces assassins de monarques ?
Adrian pousse la porte qui conduit à la sortie et pose un pied à l'extérieur.
— Adrian ? Qu'est-ce que je peux faire pour vous aider ? articule distinctement Tychann, le timbre de voix plus clair et déterminé.
Adrian esquisse un sourire soulagé et se retourne vers son ami, qui lui rend son sourire.
— Exactement ce que je voulais entendre Tychann. Je vais tout t'expliquer.
*
Adrian est déjà revenu à la grotte depuis un moment. Il a l'esprit occupé à régler les petits détails.
— Tu es sûr que ça va Adrian ? demande tendrement Heldra à son frère, assis sur une pierre près de la grotte
Il hoche doucement la tête, les yeux rivés vers la petite fiole posée à côté de la couchette apprêtée pour la reine.
— Oui, ça va. Tout est prêt, n'est-ce pas ? Son lit, sa chambre, le remède, quelques vêtements chauds...
— Oui, tout y est, grand frère.
— Une couverture aussi ? Le chemin a été déblayé, tout est propre, vous êtes sûres ?
— Oui Adrian, tout est prêt, fais-nous confiance, ne t'inquiète pas d'accord ?
Heldra pose une main rassurante sur l'épaule de son grand frère qu'elle sent soumis à une dévastatrice inquiétude.
— Est-ce que toi ça va ? Dis-moi grand-frère, ne me cache rien.
Il marque une pause et croise les doigts au-dessus de sa nuque.
— Tu trembles Adrian, tu as peur ?
— J'ai peur d'échouer Heldra. Il est presque minuit. C'est maintenant ou jamais. Si j'échoue, je meurs, mais aussi la reine. Donc oui, j'ai peur de ne pas réussir.
Elle fourre son nez dans le creux de l'épaule de son grand frère et y libère un souffle chaud qui trahit une peur similaire. C'est le grand soir. Ils vont risquer leur vie pour sauver la reine dont le nombre de jours ne tient plus qu'à un cruel compte à rebours. Adrian répète silencieusement chaque étape de son périlleux parcours : Du moment où lui et Nikita vont se séparer à la sortie de la forêt au moment où elles seront toutes à bord du carrosse qui va discrètement les faire sortir du royaume.
Il jette un coup d'œil circonspect vers le sablier tout proche qui indique que c'est l'heure.
— Il faut qu'on y aille maintenant, c'est le moment, dit-il. Nikita ?
— Je suis prête, on peut y aller Adrian.
Elle lui enjambe le pas, prête à prendre la route qui les fera sortir de la forêt.
— Nikita ? la rappelle Adrian. Tu te sens prête ?
La douce Heldorienne lui fait un sourire timide qui ne cache nullement l'angoisse qu'elle ressent à cet instant décisif.
— Crois moi, on a tous peur ma belle, la rassure Heldra qui s'est elle aussi levée.
— Tout ce qu'on peut faire en ce moment, c'est de savoir quoi faire et précisément quand. Il ne doit avoir aucun retard, c'est compris ?
— Oui Adrian.
— Chacune de vous sait ce qu'elle doit faire n'est-ce pas ?
— Moi je dois te suivre et aller attendre à l'arrière du carrosse du coursier, l'immobiliser le temps qu'Heldra m'y rejoigne, commence Nikita.
— Une fois que tu seras là-bas, je viendrais quinze minute après pour prendre les vêtements du coursier, prendre les rênes du carrosse et démarrer dès qu'Adrian amènera la reine, continue Heldra.
— N'oublie pas que tu dois remettre une fiole à Nikita pour qu'elle puisse commencer à faire boire la reine, lui fait remarquer Adrian.
— Oui, c'est compris. L'autre fiole attend ici, pour que la reine puisse la boire à son arrivée. Il lui faut nécessairement les deux doses dans les deux jours sinon, ça risque de ne pas marcher.
— Donc protège bien la fiole. Je vous rejoindrais près des chevaux en prenant un raccourci dans la forêt. Comme je suis du service royal, personne ne me surveillera.
Il arrête de parler, tous conscients que c'est maintenant l'heure de vérité.
— On y va maintenant, ne perdons plus de temps, déclare-t-il enfin.
Nikita et Heldra hochent toutes les deux la tête, Nikita empruntant déjà le chemin à pas hésitants. Adrian s'apprête à la suivre quand il est alpagué par sa petite sœur qui se réfugie contre torse malmené par les tambourinements incessants et rythmés de son cœur.
— Tout va bien se passer grand frère, tu verras. J'ai confiance en ton plan, lui murmure-t-elle calmement mais en proie à une panique intérieure.
— Je t'aime petite sœur, lui répond-t-il. Si ça ne marche pas...
— Ne dit pas ça Adrian.
— Écoute moi Heldra, lui ordonne-t-il en lui saisissant les deux épaules. Si jamais ça ne marche pas, fuyez, toi et Nikita, cachez-vous du mieux que vous pourrez, et promets-moi de prendre soin de toi, de papa, de Nikita, et si c'est encore possible, d'Uméïra, d'accord ? Je vous aime tous très fort, vous êtes ma famille, conclue-t-il en la serrant dans ses bras.
Elle trempe son uniforme de larmes chaudes, et se détache de lui en reniflant.
— Tu reviendras grand frère. Avec la femme que tu aimes.
Elle agite la main en guise d'au revoir, geste qu'il lui rend avec un regard plein de tendresse avant de s'enfoncer dans la pénombre de la forêt.
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