Chapitre 44 : Le tunnel de la liberté
— Il devrait être arrivé depuis plus d'une heure maintenant, rouspète Heldra assise sur les rochers tout près du fleuve.
Remontée contre l'inhabituel manque de ponctualité de son grand frère, Heldra ne cesse de tourner en rond sur elle-même, faisant un nombre incalculable de fois le tour de ses valises et chutant de temps à autre un caillou dans le fleuve Alkebulan, d'un calme déconcertant ce soir-là. D'aussi loin qu'elle se rappelle, ce fleuve est connu pour son effrayante agitation, raison qui poussait tous les parents des territoires qu'il séparait, à savoir Heldor et Athéna, à y interdire l'accès à leurs enfants.
— Arrête de tourner en rond Heldra, tu me donnes le vertige, fustige Nikita.
Finalement épuisée, Heldra s'assoit, les mains aux joues, l'attente étant insoutenable. Mais un bruit se fait entendre dans la broussaille et oblige les deux filles à se dresser immédiatement sur leurs jambes, cherchant déjà une excuse s'il s'avérait que l'auteur de ce bruit était un garde envoyé par Ellen pour s'assurer qu'elles avaient effectivement quitté le territoire d'Athéna.
— Ce n'est que moi, ne vous inquiétez pas, rassure la voix dans le buisson.
Adrian sort de la pénombre et éclaire le lieu avec sa petite torche, essoufflé.
— Mais pourquoi tu as mis autant de temps, c'est risqué pour nous de rester ici, s'empressa de lâcher Heldra, toujours aussi impulsive.
— Je sais, désolé. Il fallait que je parte sans laisser aucun soupçon, j'ai dû prendre la route avec plus d'une heure de retard. Maintenant, assez trainé, ils enverront sûrement quelqu'un à vos trousses, et moi, je dois y retourner avant le petit matin. Suivez-moi.
Adrian prit quelques valises de leurs mains, et se dirigea vers un côté assez sombre du bord du fleuve.
— Heu, Adrian ? Comment nous allons traverser le fleuve avec toutes ces affaires ? Ou traverser même tout court ? demande Nikita.
— Il y a un tunnel.
— Un tunnel ? s'exclament les deux filles.
Sans plus de détails, Adrian continue de marcher et s'arrête 10 mètres plus loin, braquant sa torche sur un coin d'herbe.
— Il y a un tunnel souterrain ici, à l'autre bout, c'est l'autre rive du fleuve.
Il s'abaisse et soulève l'ouverture recouverte d'herbe de la trappe qui dévoile un escalier menant à un couloir assez sombre et exigüe.
— Je n'y crois pas ! lance Heldra, se voilant la bouche de sa main gauche.
— Venez vite, il nous reste beaucoup de choses à faire, ordonne Adrian.
Elles se regardent toutes les deux, se demandant qui aurait assez de niaque pour suivre Adrian, qui lui, était déjà descendu dans le trou sombre. Et la réponse était assez évidente.
— Vas-y Heldra, tu es la plus courageuse de nous deux, dit Nikita, peureuse comme pas deux.
— Oui, mais si j'y vais après toi, je pourrais refermer la trappe.
Convaincue du bon sens de Heldra, Nikita acquiesce et descend à son tour. Son apparent courage ainsi exhibé, Heldra peut maintenant souffler. Beaucoup trop fière pour admettre être terrifiée par l'idée de circuler sous le fleuve, Heldra se retrouve désormais avec une responsabilité de plus : Fermer l'accès au tunnel pour ne pas que leur ennemi le découvre.
La jadis revêche Heldra Diar tremble de tous ses membres pendant qu'elle descend étape par étape les marches escarpées qui la font inexorablement descendre dans le tunnel. Elle galère tant bien que mal, mais réussit finalement à refermer la trappe.
— Heldra ? Crie Adrian déjà à une bonne distance.
— Je suis là, répond-t-elle timidement, après avoir sursauté par l'écho que la voix de son frère à fait dans le tunnel.
Sur les murs encore faiblement éclairés par la torche allumée par Adrian, Heldra examine chaque détail, la boule au ventre, prêtant attention à la moindre goutte qui pourrait traduire une fuite dans le tunnel. Les doigts croisés, elle prie de toutes ses forces pour que le fleuve qu'elle entend au-dessus de sa tête ne leur tombe pas dessus. Cette fille intrépide avait une grande phobie : Celle de l'eau. Et rien ne la mettait plus à l'épreuve que ce qu'elle était en train de faire. Mais petit à petit, un vent lui balayait les pieds, et plus elle avançait, plus elle sentait une brise apaisante l'envelopper de partout.
— Vous pouvez monter à l'escalier, on est arrivé, crie Adrian depuis l'extérieur du tunnel, étant déjà monté.
Soupirant de joie, Heldra se précipite et emboîte même le pas à Nikita, puis toutes les deux remontent du tunnel, saines et sauves.
— Enfin arrivées, déclare doucement Heldra, soulagée.
— Tu n'aurais pas un peu peur toi ? la charrie Nikita.
— Non, bien sûr que non.
— Heldra, on sait tous que tu as une peur bleue de l'eau. Je suis désolé de t'avoir fait traverser ce tunnel, mais ils ne vous chercheront pas trop par ici, dit Adrian. La plupart des fugitifs s'enfuient toujours par le côté Est d'Athéna, parce que lui il conduit sans obstacle à Heldor. Mais ici à l'Ouest, personne n'a encore jamais su qu'il existait un moyen de traverser ce fleuve sans bateau. Venez, la grotte ne doit plus très loin.
Un peu honteuse, Heldra suit son frère, qui les mène dans le fin fond de la forêt.
— C'est ici, dit-il en leur indiquant une grotte.
— Whouah...susurrent-elles en pénétrant dans celle-ci.
Resté à l'entrée de la grotte, Adrian regarde sa sœur et Nikita entrer à pas prudents dans la grotte sombre. Il donne sa torche à Heldra qui a comme par magie oublié la définition même du mot « angoisse », plus courageuse que jamais. Elle éclaire chaque partie de la grotte qui lui rappelle son enfance avec Adrian, quand il sortait chasser avec leur père pour venir y jouer jusqu'au soir. Cette grotte était parfaite pour abriter confortablement la vie humaine. Tout au fond, une ligne de pierre cachait l'autre partie de la grotte, où se trouvait un espace assez vaste, qui ferait une chambre idéale. Mais la première partie de la grotte elle-même est suffisamment grande pour y dormir et y circuler. Seul point négatif : Le froid de canard qu'il y fera sûrement la nuit.
— Alors, c'est bon ici ? s'enquiert Adrian.
— Parfait. Et on mettra la reine à l'intérieur, dit Heldra en indiquant la seconde partie de la grotte. La cuisine sera à l'extérieur, la lessive aussi, et le fleuve n'est pas loin, c'est...exceptionnel. Merci Adrian, t'es le meilleur.
— Oh petite sœur, tu sais très bien que je ferai n'importe quoi pour toi.
— Et pour Uméïra aussi, elle sera ravie d'être ici. Surtout après la déco qu'en fera Nikita, dit-elle en faisant un petit clin d'œil à cette dernière qui sourit légèrement de gêne, masquant son incroyable talent pour tout ce qui concerne l'aménagement du cadre de vie.
Très maternel, Nikita savait faire tout son possible pour rendre agréable et apaisant n'importe quel lieu de vie, ce qui donnait un résultat presque toujours parfait.
— Encore faut-il qu'elle soit en vie, murmure soudainement Adrian.
Heldra s'approche de son frère et lui passe la main dans le dos d'une manière rassurante, un sourire optimiste plaqué sur le visage.
— Elle sera vivante, ne t'inquiète pas Adrian, dit-elle. On ne laissera rien de mal lui arriver.
— J'aurais tellement aimé faire mieux, lâche Adrian. Bon, je dois y retourner, avant qu'ils ne se doutent de quelque chose.
— Adrian, prend soin d'elle, nous sommes son dernier espoir, souffle sagement Nikita.
— Oui, ramène-nous la vivante, on s'occupera du reste, ajoute Heldra.
Adrian hoche la tête et disparaît dans la broussaille. À peine qu'il soit parti, Nikita allume la lampe qu'elles ont dans leurs affaires et commence l'aménagement en balayant le sol couvert de cailloux de la grotte. Elle la nettoie de fond en comble, et commence à dresser les différentes couchettes. Elle accroche quelques décorations de leurs anciennes chambres à Athéna et une fois la décoration terminée, se met à réfléchir à ce qu'elles pourraient manger pour survivre le maximum de temps. Remarquant l'absence prolongée d'Heldra, Nikita se poste en bordure de la partie dense de la forêt, tétanisée de se savoir seule dans cet endroit.
— Heldra ? crie-t-elle. Heldra, j'espère que tu n'as pas fui pour me laisser faire tout le boulot ! Heldra ?
— J'arrive Nikita, j'arrive, lance l'interpellée depuis la lisière de la forêt.
Heldra sort finalement de la pénombre quelques minutes plus tard, et revient le visage grave, bouquet de menthe à la main. Nikita l'attend de pied ferme.
— Je me demandais où tu étais passée Heldra, tu aurais quand même pu m'aider, je fais tout toute seule ! l'attaque Nikita à son retour.
— Désolée Niki, il me fallait ces plantes. On pourra aider la reine grâce à elles.
— Et comment ?
— Je pense qu'elle est empoisonnée par Ellen, mais je ne suis pas sûre du poison, et si je me trompe, on ne saura jamais quel antidote utiliser.
— Et quel est le rapport avec ces plantes ? interroge Nikita. Tu n'es pas Ilknur pour avoir ce genre de connaissances.
— Certes, mais notre mère l'était. Et comme je l'assistais souvent, elle m'a confié que chaque poison a un identifiant unique. Celui de l'Orchidiaque, c'est la menthe.
— De l'Orchidiaque tu dis ?!
— Oui, c'est lui seul qui peut provoquer les lignes bleues qui sont sur le corps de la reine. J'aimerais tellement me tromper tu sais, parce que...
Heldra marque une pause, humant le doux parfum du cours d'eau non loin pour se calmer, elle-même touchée par les propos qu'elle s'apprête à dévoiler.
— Ça signifierait que le bébé de la reine a été tué, et que la prochaine cible, c'est la reine même.
Nikita porte la main à sa bouche, les yeux écarquillés, la torpeur se lisant dans son regard.
— Ce n'est pas vrai Heldra, arrête de dire de telles inepties.
— J'espère me tromper aussi.
Toujours animée par la peur de découvrir la vérité, Heldra met en place son arsenal de chimiste en herbe et verse dans la casserole le thé aux myrtilles et émiette sur celui-ci des feuilles de menthe.
— Allume un feu Nikita, ordonne-t-elle doucement.
Nikita s'exécute et fait vite crépiter un foyer doré qui réchauffe les alentours jusque-là glacials de la grotte. Sans ajouter un mot, Heldra pose solennellement la casserole sur les braises.
— Si c'est bien ce que je pense, le contenu virera au rose pâle d'une minute à l'autre.
À peine sa phrase terminée, le contenu de la casserole change de couleur, conformément à ce qu'avait dit Heldra. Le contenu est en pleine ébullition, l'odeur de la menthe flottant dans l'air. Horrifiées, les deux filles s'asseyent à même le sol, histoire de se remettre de la découverte qu'elles viennent de faire.
— Qu'est-ce qu'on va faire maintenant Heldra ? murmure une Nikita toute désorientée. La reine mourra, elle a ingurgité trop de poison, on ne peut plus rien...
Heldra ne lui répond pas et se contente de soupirer, abattue aussi. Tout semblait être un puzzle incapable à résoudre. Adrian s'apprêtait à risquer sa vie pour une personne à qui on ne pouvait même pas donner des semaines à vivre. Faut-il abandonner ? La laisser aux mains de ces meurtriers ? Dire la vérité et risquer de se faire exécuter ou avoir pour toujours la conscience troublée en sachant qui a tué la reine Uméïra ?
Tant de questions qui défilaient dans l'esprit émoustillé de ces deux femmes. Heldra avait la main sous le menton, et Nikita, le visage entre les mains, les yeux humectés de larmes. Elles restèrent là, incapable d'échanger un mot, les yeux rivés vers les flammes qui s'élevaient gracieusement vers le ciel, comme pour leur donner un vain espoir. Mais une dizaine de minutes plus tard, Heldra déglutit soudainement, une idée la traversant tel un éclair.
— Adrian ! Il peut nous aider !
— Oui, mais comment ?
— Maman a l'antidote à la maison familiale. Il doit aller le chercher, c'est notre dernier espoir ! Il faut l'avertir dès demain !
À nouveau confiantes, Heldra et Nikita s'échangent un regard en secouant la tête, le sentiment qu'un mince espoir étant envisageable renforçant leur détermination à se battre pour sauver la reine.
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