Chapitre 43 : Le Don du Mal
Laissée à sa propre demande par Adrian au pied du grand fromager de la cour royale, Uméïra est retrouvée au petit matin par les gardes du corps envoyés par Ellen. La reine-mère, satisfaite de sa souveraine punition, regarde allègrement Uméïra, inconsciente, se faire escorter d'urgence au palais. Elle joue avec le zirconium surmontant sa bague en or, toutefois tourmentée par une question : Qui as bien pu la détacher de l'arbre ? Et depuis combien de temps est-elle allongée là ? À sa demande, les gardes la laissent s'approcher du corps inerte de sa belle-fille. Elle regarde son cou, particulièrement intriguée par les lignes bleues qui s'y trouvent de manière assez visible, puis la pâleur de ses mains se rapprochant à celle d'un mort. Un sourire en coin, elle ordonne à nouveau que Uméïra soit conduite dans sa chambre pour s'y allonger.
— Son état est assez alarmant votre majesté, s'inquiète l'un des gardes. Ne doit-elle pas être immédiatement conduite chez l'Ilknur ?
— Vous êtes payé pour faire ce que je dis, pas pour donner votre avis, rétorque-t-elle.
Comme remit à l'heure, le garde nommé Tychann se tait et continue de fixer les cernes rougeâtres qui ornent le visage de sa reine, secrètement inquiet pour elle. Il savait qu'il y avait des non-dits dans ce palais, et la reine-mère lui faisait peur. À l'extérieur du palais, il n'existe pas de femme aussi douce sur terre, mais en réalité, mieux vaut être avec elle que contre elle, et pas de position neutre possible. Plongé dans ses pensées, il ne remarqua même pas qu'ils étaient déjà arrivés au palais. Plusieurs servantes s'activèrent pour transporter la reine inconsciente, et l'allongèrent sur sa couchette. Ellen ordonna à tous de sortir, et fit appeler son fils Marek.
— Mère ? demande-t-il en arrivant dans la chambre.
— Approche fils, regarde. Elle est enfin inconsciente, dit-elle, jouissant de sa propre méchanceté.
Marek s'approche d'Uméïra et s'assoit près d'elle.
— Elle est à bout. Vous avez un peu forcé la donne mère, regardez les marques de cordes affreuses qu'elle a sur la peau.
— Je ne suis pas la seule coupable Marek, rappelle-toi pourquoi on fait tout ça. Et tu as fait bien pire. Mais ce n'est pas pour ça que je t'ai fait venir.
— Pourquoi donc ?
— Maintenant que nous sommes si proches du but, rien ni personne ne doit nous empêcher de terminer ce qu'on a commencé. Est-ce que tu vois quelqu'un qui pourrait présenter un potentiel danger ?
Marek affiche un air pensif pendant quelques temps, éliminant mentalement certains noms qui lui viennent à l'esprit.
— Dans ce palais, elle n'a que trois personnes dignes de confiance, le reste du personnel est à notre service, dit-il.
— À qui tu penses ?
— Adrian serait trop faible pour faire quoi se soit, il n'oserait pas. Mais Heldra et Nikita, ses deux servantes, il faut s'en méfier.
— J'avais aussi pensé à Heldra, mais pas à Nikita, renchérit Ellen. Mais si elle non plus ne t'inspire pas confiance, alors autant les écarter du périmètre dès que possible. Elles quitteront le palais demain. Qu'elles aillent à Heldor si ça leur chante, de toute façon, elles ne seront plus un danger en dehors de ces murs.
— Excellent.
— Et Adrian, tu n'as pas peur de lui ? demande-t-elle à son fils.
— Non, pas pour l'instant. S'il fait la moindre erreur, je le tue de mes propres mains. Il n'aura que ce qu'il mérite ce bâtard.
Fière du charisme de son fils, Ellen sourit et sort de la pièce, suivie de près par Marek, qui lui, marque une petite pause à l'embrasure de la porte, pour regarder sa femme étendue, l'air morte. Il s'en veut en partie, mais serre les dents, refusant de nourrir ne serait-ce que le moindre remord. Y arrivera-t-il ? Il l'espère, et se le jure même, pourtant persuadé au fond de son âme, que cette fille, cette Uméïra, a réussi à toucher son cœur.
Elle n'a pas fait que de la figuration dans sa vie, mais il a fini par l'aimer, elle et l'enfant qu'elle portait. D'où son émotion lorsqu'elle et lui avait senti son bébé bouger dans le ventre de celle-ci. Son instinct de père l'avait poussé ce jour-là, à prendre toute sa petite famille dans les bras, tout en sachant que ce serait la dernière fois. Repenser à tout cela le fait secouer la tête de dépit, et il n'arrive pas à quitter le pas de la porte. Il a envie de s'arrêter près d'elle, de lui toucher le front, la rassurer pour l'aider à sortir de son coma, mais ce serait une trahison trop grande envers Athéna.
— Marek ? Qu'est-ce que tu fais ? crie sa mère depuis l'étage du dessous.
Furtivement, il se glisse rapidement dans la chambre d'Uméïra qu'il prend le soin de fermer derrière lui. Il vient jusqu'à elle et l'embrasse tendrement, baiser rendu salé par les quelques larmes qui lui échappent des yeux.
— Pardon Uméïra, pardonne-moi. Je dois choisir. Et je ne peux pas te choisir toi, c'est trop tard. Il fallait que je te fasse du mal.
À sa grande surprise, elle remue faiblement, et entrouvre légèrement la bouche.
— Adrian...
Surpris, il se redresse subitement, pendant qu'elle arque un sourcil, toujours inconsciente. Elle a les doigts qui tremblent, mais ne fais pas de mouvements supplémentaires et s'enferme un peu plus dans son coma. Tout ce qu'elle sait, c'est que quelqu'un est près d'elle. Et à en juger par la délicatesse de la personne et la violence que l'homme qu'elle qualifiait de mari jusque-là a manifesté envers elle, elle en a conclu à la présence d'Adrian, ce qui eut pour effet de tracer sur le visage de Marek les nerfs de la colère. Comment a-t-elle pu dire le nom de cet abruti ? N'aimait-elle plus Marek ? Cela fouetta violemment son égo, et il recula du lit, vexé.
— Elle le préfère à moi, chuchote-t-il. J'avais raison de me choisir, moi et mon peuple, elle n'est qu'une ingrate !
Bouillonnant de colère, il sort de la chambre en claquant la porte. Tous ceux qui étaient aux alentours se retournent pour le regarder, perplexes.
— Qu'est-ce que vous regardez ? Circulez, il n'y a rien à voir ! lâche-t-il brutalement.
Il ne veut pas se l'avouer, mais il est blessé. Blessé qu'elle ait une autre personne dans son coeur. Décidé à lui faire regretter la trahison qu'elle vient de lui faire en terminant le travail que lui et sa mère ont commencé, il part rejoindre cette dernière, le poing serré mais le cœur brisé.
*
Le soir est vite arrivé. Comme convenu, Adrian se faufile dans les couloirs du palais jusqu'à atteindre la cour des servantes. Une personne lui fait dos, et se dirige à pas feutrés dans l'une des chambres. Il la reconnait, c'est Nikita.
— Nikita, chuchote-t-il.
Elle marque un arrêt et se retourne, l'air triste.
— Adrian ? Tu es déjà là ? Viens...
Elle lui fait signe de la main et changeant de trajectoire, se dirige désormais vers la chambre d'Heldra. Il entre avec prudence, et voit que tout est sens dessus dessous dans la chambre de sa petite sœur. Sans rien dire, Nikita aide Heldra, qui s'affaire à plier des vêtements. Consterné, Adrian les regarde un bon moment, sans arriver à trouver les mots justes pour leur parler.
— Pourquoi vous faites tout cela ?
Heldra sursaute en entendant la voix grave de son grand frère qu'elle n'avait pas vu arriver. Mais elle hésite à lui faire face, les yeux rouges de tristesse.
— Heldra ? Je te parle, répète-t-il.
— Adrian ! S'il te plaît ne fait pas de bruit, dit Nikita.
— Toi au moins Nikita, dis-moi quelque chose, pourquoi vous faites tout ça ? souffle-t-il, perdu.
— Nous somme bannies.
— Quoi ? Comment ça, bannies ?
— On ne veut plus de nous à Athéna, la reine-mère vient de nous informer qu'on a jusqu'à demain pour disparaître du royaume, se décide à dire Heldra.
— Mais pourquoi, que s'est-il passé ? coupe-t-il, chagriné.
— Ils nous accusent de vol, un collier très précieux de la reine-mère a disparu et ils disent qu'on est sorties toutes les deux de sa chambre de manière suspecte, et il y a même des témoins...dit Nikita.
— Tu sais que je n'ai jamais rien volé de ma vie Adrian, tu me crois non ? ajoute Heldra, les larmes aux yeux.
— Oui, bien sûr petite sœur.
Il la prend affectivement dans ses bras et la laisse pleurer sur son épaule, révolté. De quel droit osaient-ils accuser sa sœur d'une telle chose ? C'est injuste ! Mais la vérité était pourtant évidente à ses yeux, et ça ne pouvait être que ça.
— Ils font ça juste pour vous faire partir et disposer d'Uméïra à leur guise.
— Maintenant que nous ne sommes plus là, tout est fini, se résout Nikita, dépitée.
— Non, tout n'est pas encore fini, on ne va pas se laisser faire, dit Heldra en se détachant de son frère et en essuyant ses larmes.
Heldra. Grande, élancée, fine, le visage fin mais sévère qui donne l'impression qu'elle est une personne dure. Mais ce n'est qu'une carapace sous laquelle se cache une âme certes sensible, mais déterminée. Ce qui la trahit ? Sa peau blanche comme du lait, qui laisse très vite apercevoir ses joues rougies lorsque quelque chose la touche au plus profond de son être. Ce qu'Uméïra, sa maitresse, préfère chez elle, c'est sa niaque. Elle ne laisse pas facilement ébranler et trouve toujours une solution à tout souci, tout comme son frère. Et cette situation ne ferait pas l'exception.
— Heldra a raison Nikita, j'aurais besoin de vous pour faire sortir Uméïra d'ici. On doit monter un plan le plus vite possible. Où comptez-vous aller ?
— On ne sait pas encore, mais Heldor semble être la seule destination, dit Heldra.
— Si vous y êtes, ce sera impossible de m'aider ici, dit Adrian.
— Si on pouvait rester dans la forêt à quelques kilomètres d'ici, ce serait l'idéal, dit Nikita.
— Oui, mais on ne peut pas rester à la belle étoile, on n'a pas de tente, et on va mourir de froid, surenchérit Heldra.
Un mutisme suit les mots d'Heldra, si décourageants mais pourtant si vrais. Adrian sait qu'il doit trouver une solution. Il connaissait très bien cette forêt avant d'aller à Heldor. Il sait qu'il y a une grotte quelque part, qui pourrait abriter non seulement sa sœur et Nikita, mais aussi Uméïra s'ils réussissent à la faire sortir. Mais le lieu est encore un peu flou dans sa tête.
— Je vois ! dit-il subitement, les idées plus claires. Je me souviens, Heldra, tu te rappelles de la grotte où papa nous interdisait d'aller quand on était petits à cause du fleuve qui était à côté ?
— Oui, je vois un peu. Tu te souviens d'où elle était ?
— Il suffit de chercher non loin du fleuve Alkebulan. Je vous y accompagnerai en douce ce soir.
— D'accord, on va s'occuper des sacs. On se dit à 1h du matin près du fleuve ? demande Nikita.
— Oui, c'est parfait. Évitons au maximum d'attirer l'attention. Heldra ? dit-il à sa sœur qui a l'air dans ses pensées.
— Oui, c'est bon pour moi, on fera comme tu as dit Adrian. Va-t-en avant que quelqu'un ne commence à se douter de quelque chose et soit prudent grand frère.
— Toi aussi petite sœur, et toi aussi Nikita. On se retrouve cette nuit.
Il disparait rapidement comme une chauve-souris dans la nuit, et laisse les deux filles continuer leurs bagages. N'ayant pas de grandes choses à transporter, elles les terminent assez vite et s'apprêtent au départ. Un peu nostalgiques de quitter ce magnifique palais et de laisser dans un état incertain leur reine adoré entre les mains de filles inconnues et pas le moins du monde, dignes de confiance, elles ne pressent pas vraiment les pas, observant chaque détail du palais.
— Attend un peu Nikita, je dois prendre une petite quantité du thé aux myrtilles, souffle Heldra.
— Fais attention. Tu ne dois pas te faire remarquer.
Heldra se glisse dans la cuisine royale et prélève un peu du contenu de la mystérieuse théière dans une bouteille qu'elle fourre rapidement dans sa valise.
Elle sort rejoindre Nikita, mais elles tombent toutes les deux nez à nez avec Ellen.
— Vous êtes encore là ? Je croyais avoir été claire pourtant, fustige Ellen.
— Nous sommes sur le point de nous en aller votre Majesté, dirent-elles en chœur.
Sous l'œil courroucé d'Ellen, elles se hâtent de descendre les quelques escaliers de la grande terrasse du palais avant de se fondre dans la brume de l'extérieur.
— Enfin débarrassés de ces mégères, tout ira plus vite maintenant avec les nouvelles servantes, se dit Ellen, soulagées du départ des deux filles.
À peine Heldra et Nikita sorties, deux autres filles se présentent à Ellen, dans la tenue traditionnelle athénienne composée d'une longue robe multicolore en mosaïque et d'un collier de coquillage fait main, les mains croisées sagement devant elles. Elles esquissent une révérence à la reine-mère qui sourit, flattée de l'adoration qui lui est destinée.
— Nous sommes les nouvelles servantes votre Majesté. Nous sommes à votre entière disposition.
— Bien, vous allez m'être très utiles mesdemoiselles. Montez et attendez-moi dans la cuisine du haut. La reine est au 1er étage.
Elles se dépêchent d'entrer comme des abeilles, émerveillées par la beauté du palais. Mais ce qu'elles ne savent pas, c'est qu'il se cache de bien lourds secrets dans ce palais, et leur sordide mission, ne sera ni plus ni moins que de tuer à petit feu la reine d'Athéna, sans même qu'elles en aient conscience.
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