Chapitre 42 : La sœur d'Adrian
Narration circonstancielle :
Revenons au moment où Adrian aperçoit Uméïra attachée.
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Le soleil se réveille timidement de sa longue nuit de repos. Face à Adrian, un magnifique tapis de nuages orangés. Il ne peut s'empêcher d'esquisser un faible sourire, charmé par ce miracle de la nature. Depuis plusieurs jours, c'est l'une des seules choses qui le fait sourire. Uméïra n'a pas fait signe de vie dans le palais depuis un moment. La dernière fois qu'ils se sont vus, s'était quand Arthus avait osé poser la main sur elle. Et ce jour-là, Adrian avait secrètement regretté de l'avoir laissé en vie. Heureusement qu'il avait pensé à rôder au bon moment, juste devant la porte de la chambre de la reine par mesure de prudence, sans quoi, le pire se serait produit.
Pendant sa ronde matinale des alentours du palais, le visage d'Uméïra blessée au plus profond de son âme ne se détache pas de l'esprit d'Adrian. Elle souffre, il le sait. Mais il se sent si impuissant, lui qui n'est pourtant pas un étranger dans ce palais. Dans le regard blafard de sa reine, il pouvait voir une Uméïra anéantie, détruite, loin de la fille solaire au service de qui il était depuis plusieurs années déjà.
Il n'avait que dix-huit ans quand il est devenu membre de la garde royale d'Heldor, avant d'être promu au rang de garde rapproché d'Uméïra quatre ans plus tard. Elle n'avait que quinze ans à cette époque. Elle lui avait tapé dans l'œil, mais il s'était dit que c'était normal, puisque que c'était la princesse d'Heldor, l'une des princesses les plus belles de tout Enceladia. Uméïra avait la peau d'un blanc crémeux, les yeux marron clair, les lèvres d'un rose assez fort parce qu'à quinze ans, elle les suçait toujours comme une enfant. Son sourire était sincère, éclatant, et laissait apparaître des fossettes profondes comme une citerne de campagne. Et cette beauté n'avait fait que se bonifier d'année en année. Elle était encore plus belle que la description qu'il avait eue d'elle avant de la rencontrer. Au début, persuadé qu'il n'était qu'aveuglé par sa grande beauté, il a bien vite compris qu'il était vraiment tombé amoureux de cette fille. Mais elle était si jeune, et de plus, sa mission était d'être son garde personnel. Il se contentait donc de la savourer des yeux à chaque fois qu'il le pouvait, frôler sa main avec la sienne, et surtout ravaler sa jalousie dès qu'il l'apercevait avec Ron, qu'il savait pourtant plus âgé qu'elle. De son mariage avec Marek, il n'en voulait pas, mais c'était sa voix contre deux peuples entiers, y compris le cœur même de sa dulcinée, qui semblait n'avoir d'yeux que pour Marek, un pur inconnu. Et cette insouciance le faisait étrangement craquer davantage. Elle reflétait la pureté de l'âme de cette fille. Innocence, ou plutôt naïveté qu'elle payait cher dans ce palais.
Noyé dans ce flot de pensée, il avait parcouru sans s'en rendre compte plus de la moitié de son trajet. Il n'avait plus qu'un tour à faire avant de rentrer au palais, s'assurer que la reine allait un peu mieux que la veille.
Sauf que l'ombre qu'il voyait là-bas, près de l'arbre souverain du jardin royal, lui paraissait familière.
Elle était fine comme une baguette et semblait attachée. Il s'avança prudemment avec son cheval, à qui il assénait de temps en temps de petits coups pour lui demander de la discrétion. Plus il s'avançait, plus il refusait l'évidence. Cette ombre ne pouvait pas être Uméïra. Non, ce n'était pas possible. Elle ne pouvait pas être attachée comme un vulgaire gigot d'agneau, visiblement en train d'agoniser. Dubitatif, il ne peut s'empêcher de se dire que c'est bel et bien elle, tout en priant pour ne pas que ce soit le cas. La mâchoire crispée, il crie sans hésiter son nom, pour être situé une bonne fois pour toute.
— Reine ?
Il n'entend rien, mais voit la personne réagir, bouger du mieux qu'elle peut malgré la corde. Sans aucune hésitation, horrifié par ce qu'il voit, il saute de son cheval qui brait d'incompréhension, et se met à courir vers elle. Il arrive à son niveau, choqué de la voir dans cet état, ayant peur même de simplement la toucher.
— Putain, mais que vous ont-ils fait !?
Sans même s'en rendre compte, son cœur brûle d'injures, qu'il sait pourtant interdites dans ce palais. Il reprend rapidement ses esprits et se met à défaire la reine déchue de ses liens mortels. Elle ne tient même plus sur ses jambes et peine à le regarder, les yeux hagards, implorant du secours. Il s'empresse de défaire le nœud, s'énervant devant la résistance qu'il affiche à un certain moment. Comment ont-ils pu être capable d'une telle horreur ? Désormais, plus de temps à perdre. S'il ne faisait rien, elle mourrait dans ce palais, c'était clair. La question n'était plus de savoir si oui ou non il allait la sortir de ce palais, mais quand.
Elle s'écroule dans ses bras, à peine détachée, même plus capable de se lever, le corps non seulement faible, mais blessé de partout. Sur celui-ci, Adrian voit des bleus assez sombres, signe qu'elle a sûrement été battue. Quand ? Depuis suffisamment longtemps pour qu'ils aient cette apparence.
— C'est de ma faute Uméïra, je les ai laissés vous faire du mal, dit-il la souffrance dans la voix.
Il avait même appelé par son prénom, traumatisé de la voir dans cet état.
— Je vous emmène au château, vous êtes mal en point, décide-t-il finalement.
Où aurait-il pu l'emmener sinon ? Ce palais est surveillé comme un diamant, et sortir secrètement serait impossible sur un coup de tête et en plus en plein jour.
— Non..., réussit-elle à articuler avec ses dernières forces.
— Je ne me pardonnerais pas qu'il vous arrive...
— Juste à manger, c'est ce que je veux.
Il n'arrive pas à croire qu'elle soit affamée au point de quémander du pain à un simple garde. Pourtant, tout ce qu'il y a comme nourriture au château pourrait nourrir toute la terre entière pendant des mois. Affamer une reine malade, ce n'est ni plus ni moins vouloir la tuer. Heureusement, Adrian a sur lui de quoi la sauver : Un vieux morceau de son pain du matin, enfoui négligemment dans son sac. Il hésite, puis finalement le sort.
— Je n'ai qu'un bout de mon petit déjeuner. Tenez. Faites un dernier petit effort.
Il lui fait manger un bout, comme on le ferait à un enfant, prenant soin de déposer sa tête sur ses cuisses pour qu'elle puisse avaler correctement sans fournir trop d'efforts. Une fois terminé, elle cherche Adrian des yeux, pour lui faire passer un message capital : Personne ne doit le découvrir ici.
— Écoutez-moi Adrian, commence-t-elle. Allez-y, pour votre vie. Si quelque chose m'arrive, vous pourrez témoigner. Si par contre quelque chose vous arrive, tout est fini. Partez, prévenez Heldra et Nikita, c'est tout ce que je vous demande, par pitié...
Il dépose un baiser délicat sur ses tempes et grimpe sur son cheval.
— Bien ma reine. Yaaa !
Il s'élance à la vitesse de l'éclair, déterminé à agir le plus vite possible. La situation ne lui donne plus le temps de réfléchir. Uméïra est en danger. Il faut la faire sortir de ce palais même si cela va certainement lui coûter cher. Et pour ça, il ne connait qu'une seule personne qui l'aiderait à mettre en place son plan : Heldra.
*
— Heldra, j'ai besoin de toi, dit-il à peine arrivé dans les appartements de celle-ci.
Elle le rejoint dans le patio de la cour des servantes, encore en train de s'apprêter pour son travail du matin.
— Adrian ? Qu'est-ce que tu fais ici, un homme ne doit pas venir ici à une heure pareille, on n'en a pas le droit !
— Chuut Heldra, ils pourraient nous entendre, dit-il en chuchotant. Jusque-là personne ne m'a vu, cache-moi dans ta chambre s'il te plait, on doit parler, c'est une question de vie ou de mort.
Ayant plus ou moins deviné la gravité de la situation, Heldra souffle et se résigne à laisser Adrian entrer dans sa chambre.
— Fais le moins de bruit possible, je ferai en sorte de te faire sortir sans que personne ne te remarque, dit-elle en s'asseyant. Je t'écoute.
— Il faut qu'on fasse sortir la reine Uméïra de ce palais, sa vie est en danger ici.
— Je le sais Adrian, mais c'est impossible, tranche-t-elle.
— Je le sais aussi, mais...
— Crois-tu qu'il vont la laisser sans surveillance après tout ce qu'elle a subi ici ? Ils la garderont sous leur coupe jusqu'à sa mort Adrian, et tu le sais ça aussi.
— Je ne le savais pas quand je venais à Heldor pour servir Athéna. Je ne pouvais pas m'imaginer que ça irait jusque-là. Et maintenant, si quelque chose arrive ce sera entièrement de ma faute, dit-il, abattu, le visage entre les mains.
Heldra vient s'asseoir à côté d'Adrian et pose une main attendrissante sur son large dos.
— Tu l'aimes, n'est-ce pas ? lui souffle-t-elle.
Adrian soupire, soupir qui en dit long sur ses sentiments, beaucoup trop forts pour être contenus.
— Je dois faire quelque chose, Heldra, il faut que je la sorte de cet enfer.
— Et comment tu comptes t'y prendre ?
Il reste pensif un bon moment, le menton entre l'index et le pouce.
— On lui dit toute la vérité, et on s'enfuit tous d'ici.
— Tu sembles oublier qu'elle risque d'être trop faible pour le faire, fait remarquer Heldra.
— Alors on n'aura pas d'autre choix que de la kidnapper.
— Tu deviens fou Adrian !
— Non Heldra, je suis très sérieux même. Je n'ai jamais été aussi sérieux.
Heldra croise le regard assuré et ferme d'Adrian, au fond desquels elle lit une crainte, celle de tout perdre. Mais il ne démord pas à son idée, qui n'est peut-être pas si folle après tout.
— Tu es...sûr que c'est ce que tu veux Adrian ? Parce que si c'est le cas, je te soutiendrai toujours. Tu es quand même mon frère.
Elle vient se loger dans les bras rassurants de son frère, qui la serre contre lui.
— Je suis désolé Heldra, c'est de ma faute tout ça, j'aurais dû écouter papa. Il voulait que je reprenne les bijouteries familiales, mais j'ai toujours rêvé d'intégrer l'armée au lieu d'avoir une vie tranquille ici à Athéna.
— Ne regrette rien, tu as fait un choix, tu dois l'assumer et donner le meilleur.
— Oui, et ce si grand rêve est devenu un cauchemar. D'abord, il y a toi qui est maintenant en danger. J'ai même dû cacher ton existence, toi, ma propre petite sœur, pour te protéger si quelqu'un veut s'en prendre à toi pour me faire du mal. Et comme si ça ne suffisait pas de t'avoir entrainée dans cette vie instable, il y a maintenant Uméïra...
Pour empêcher les larmes de couler, Adrian n'arrêtait pas de jouer avec sa mâchoire nerveusement. Pourquoi il n'avait pas écouté son père qui est aujourd'hui le plus grand joaillier d'Athéna ? Pourquoi a-t-il dû mêler sa sœur à tout cela ? Pourquoi avoir accepté un rôle dans la descente aux enfers d'Uméïra ? Une foule de pourquoi se mélangeait dans sa tête, sans qu'il puisse trouver une réponse. Heldra avait raison, faire sortir Uméïra d'ici était une mission quasi impossible. Et s'il échouait, non seulement Uméïra, mais eux aussi, ils mourraient, ça c'était certain.
— Si tu y tiens, j'en informe Nikita et on va voir ce qu'on peut faire pour aider la reine Uméïra. Tu as raison. Ce cauchemar a beaucoup trop duré, et...
Elle marque une pause pour renifler la morve qui commence à lui couler.
— Ce qu'ils lui font subir Adrian, tu n'as pas idée à quel point c'est cruel, et je me sens si impuissante...
Elle craque et fond en larme. Adrian tente de la consoler et prend les joues de sa petite sœur entre ses paumes.
— Tu veux l'aider aussi n'est-ce pas ?
— C'est ma reine, et je me suis tellement attachée à son adorable personnalité que je ne veux pas qu'il lui arrive quoi que ce soit, dit-elle en secouant la tête pour symboliser son oui.
— Alors, c'est maintenant ou jamais, dit Adrian, déterminé.
Il se lève, arrangeant son épée, lissant ses vêtements.
— Aide-moi à sortir et préviens discrètement Nikita, on va en parler ce soir.
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