Chapitre 38 : Le fond du gouffre

Quand j'ouvre une fois de plus les yeux, je tombe directement sur les gravures antiques du plafond de la chambre.

Je maudis le ciel de ne pas m'avoir fait mourir pour de bon. Levant les yeux vers l'horloge qui trône sur ma table de chevet, je me rends compte que j'ai dormi plus d'une demi-journée. J'aurais voulu continuer parce que de toute manière, je n'ai envie de rien d'autre.

Je reste immobile sur mon lit devenu chaud, repensant à tous les moments merveilleux que j'avais passé enceinte. Je doute que je pourrais revivre ces moments de bonheur aussi intense. Marek ne voudra plus jamais de moi. Il me reniera en tant que reine, et je serai banni d'Athéna. Il en a le droit, il est le souverain. Et moi, je suis maudite.

Et si toutes les douleurs que j'avais avaient été un signe auquel je n'ai pas prêté attention ? Était-ce normal de sentir autant de contractions ? C'était trop tard pour me poser ce genre de question, les dés étaient jetés. C'était ma faute, je devais m'y résigner. Et je devrais vivre avec ce sentiment toute ma vie.

Toute...ma minable vie.

Quelqu'un toque à ma porte. Je ne dis rien. La personne y entre tout doucement, mais je ne fais toujours aucun geste et reste étendue, las. C'est Heldra.

   — Votre majesté, est-ce moi qui vous ai réveillée ? Veuillez me pardonner, je sors.

   — Vous pouvez rester, dit-je simplement.

Elle entre timidement, un plateau à la main.

   — Vous n'avez rien mangé depuis plus de trois jours votre majesté, je vous ai apporté de la soupe pour vous remonter.

   — Je n'en veux pas, merci.

Je ne mérite pas de manger quoi que ce soit. Et en plus, je n'ai même pas faim.

   — Tout le royaume a besoin de vous votre Majesté, je vous en supplie, vous devez reprendre des forces.

   — J'ai tué mon bébé Heldra, déclaré-je avec une voix atone. Et vous voulez que tout redevienne comme avant ? À quoi est-ce que je sers dans ce palais désormais ?

Le ton de ma voix est plat et lourd, mais ne dévoile pas tout de la peine que je ressens au fond de moi. Le visage compatissant, Heldra s'approche, et se penche sur moi pour me prendre dans ses bras.

   — Ça été un accident ma reine, ne vous punissez pas, punissez-moi à votre place, pour ne pas avoir bien pris soin de vous.

Je craque et pleure sur son épaule, incapable d'ajouter un mot de plus.

   — Moi, Nikita, Adrian, nous serons toujours là pour vous. Vous ne serez jamais seule votre Majesté, ajoute-elle.

   — Mon père n'est plus, Heldra.

   — Je sais ma reine.

   — Ma mère est seule et en souffre.

Je dis tout cela entre deux sanglots, ne m'arrêtant de parler que pour faire remonter la morve qui obstrue mes narines.

   — J'ai accepté un marché ignoble pensant que j'aurais la paix. Mamie Rhoda est morte Heldra.

Quelqu'un d'autre pousse la porte de ma chambre et s'approche de nous. Je sens Heldra lui faire signe et elle se joint au câlin. Je reconnais ce parfum. C'est Nikita.

   — Et en plus de tout ça, j'ai perdu mon bébé, mon fils...Je suis maudite ! m'écrié-je dans un cri hystérique, le cœur déchiré.

Cette fois-ci, je ne plus m'arrêter de pleurer et hurle de douleur. Elles me serrent toutes les deux dans leurs bras, pour me rappeler qu'elles sont là.

   — Nous sommes là ma reine, tout va s'arranger, vous verrez. Avec le temps.

Je me calme un peu, essayant d'arrêter les larmes de couler et reniflant sans cesse pour avoir de l'air, mais rien n'y fait.

   — Mer...ci..., réussi-je à peine à balbutier.

   — Merci de votre compassion, mais sortez et laissez-nous seules, Uméïra et moi, coupe une voix étrangère.

Ellen impose sa présence de son timbre de voix guttural qui me fait tressaillir. Je ne l'avais même pas entendu entrer. Heldra et Nikita s'exécutent sur le champ, mais je laisse discrètement un message à Heldra pour qu'elle me rende un petit service. Elle opine de la tête et sort la dernière.

Ellen et moi restons seules dans ma chambre comme elle l'avait souhaité, moi assise sur le lit et elle, sur le divan proche de ma couchette. C'est la première fois qu'on se voit depuis cette nuit où je l'avais appelé en urgence quand j'ai vu le sang entre mes jambes. Elle est entièrement vêtue de noir, fort élégante, le visage mystérieux, arborant un mine grave et effrayante. Inutile de cacher que je suis terrifié par ce qu'elle s'apprête à dire.

   — Ces derniers mois, j'ai cru que vous étiez enfin la belle-fille que j'espérais Uméïra. Mais vous me décevez fortement, commence-t-elle sur un ton posé.

Elle parle lentement, laissant chaque syllabe pénétrer au plus profond de moi-même et enfoncer encore plus profondément le couteau que j'ai dans le cœur.

   — Je suis désolée belle-maman, je m'en veux tellement, tout est de ma faute...admis-je en reniflant.

   — Mais bien sûr que c'est de ta faute, ce n'est pas à discuter, m'interrompt-elle. J'admet m'être trompée en te choisissant pour mon fils. Tu ne mérites même pas de te faire appeler reine. Marek songe à changer de reine, tu n'es plus digne de ce rang.

   — Non, pitié belle-maman, ma mère ne supporterait pas ce déshonneur, je vous en supplie !

Je m'agenouille à ses pieds, le regard suppliant. Cette honte de perdre mon statut de reine pourrait tuer ma mère, la seule personne qui me reste, et ça, se serait la goutte de trop.

   — Enlève tes sales mains de meurtrière sur mes jambes, tonne Ellen.

Je m'exécute, le moral plus bas que terre. Je ne suis pas en position de force dans ce royaume, donc vaut mieux pour moi de me faire toute petite afin d'éviter des représailles. Tout ce que je demande, c'est la paix. Et le pardon.

   — À partir de maintenant, ne m'appelle plus belle-maman, mais votre Majesté, est-ce clair ?

   — Oui, votre Majesté...

Elle s'éloigne de moi en me repoussant avec ses pieds et me regarde de haut.

   — Quand je pense que mon fils a accepté de t'épouser...tu me dégoutes. Ne compte plus sur moi pour avoir des faveurs dans ce palais, mais plutôt pour te faire vivre un cauchemar, prostituée.

Elle me crache dessus avant de me tourner le dos et de sortir. À partir de cet instant, je me sens complètement vide. Le flot d'émotions négatives que je ressentais jusque-là a laisser la place à un vide émotionnel total. Je fais l'ultime effort de me lever et vais machinalement me rincer dans la salle de bain, enlever le crachat que j'ai sur le front. Je laisse l'eau froide couler sur mon visage un long moment et viens encore m'étendre sur mon lit. J'ai tellement pleuré que j'en ai tant les paupières que la tête lourdes et douloureuses. Dans ma chambre, tout est calme, et l'odeur de la mort plane.

Ce calme plat si accusateur est soudainement interrompu par le bruit du grincement d'une porte, bruit qui m'indique qu'une autre personne est en train d'entrer. Je ne fais même pas l'effort de demander de qui il s'agit. Certainement Heldra.

   — Ma reine ?

Surprise, je lève la tête et voit Adrian, arrêté singulièrement près de la porte.

   — Adrian ?

   — Oui ma reine. Ne faites pas d'effort je vais m'approcher.

Il regarde à l'extérieur, vérifie qu'il ne s'est pas fait suivre et vient s'asseoir à côté de moi. Il a l'air inquiet et ne cesse de me dévisager.

   — Vous avez l'air tellement mal ma reine...dites-moi que vous tenez le coup.

À court de mots, je lui réponds sèchement.

   — Non.

Il soupire, très accablé et prend ma main qu'il serre entre ses deux paumes.

   — Je suis désolé pour vous ma reine, j'aurais dû vous protéger, c'est de ma faute tout ce qui vous arrive.

   — Rien n'est de votre faute, personne ne me protège aussi bien que vous.

   — Vous ne pouvez pas comprendre ma reine, je ne suis pas celui que vous pensez, j'ai fait...trop d'erreurs.

   — On fait tous des erreurs Adrian, j'en suis une moi-même. Alors arrêtez de vous en vouloir.

   — Ne dites pas ça ma reine, vous êtes la chose la plus fabuleuse qui soit arrivé à ce monde !

   — Chose fabuleuse qui n'est même pas capable de garder un enfant. Absurdité, ajouté-je amèrement.

   —Excusez mes propos, mais vous vous trompez ma reine. Vous valez bien plus que tout ceux qui sont dans ce palais, et même au-delà, je vous l'assure. Ce ne sont que des hypocrites. Pardonnez mon language si cru.

   — Vous...le pensez vraiment ? fis-je, les larmes au balcon.

   — Je l'ai toujours pensé. Je vous soutiendrai toujours, ma reine. Même s'ils vous tournent le dos.

Il le dit en dégageant mon front d'une mèche rebelle, et plonge ses iris bleues dans les miennes. Ses mots n'enlèvent pas toute ma douleur, mais me posent un incroyable baume sur le cœur. Le ton de sa voix est doux, rassurant, familier, apaisant, onirique. Il pose la main sur mon front, puis mon cou, et mes bras.

   — Vous faites de la fièvre, et j'ai l'impression que vous avez des lignes bleues dans le cou. Vous devriez voir l'Ilknur ma reine.

   — Oui, mais je vais d'abord me reposer. Je n'ai plus de forces.

   — Bien ma reine. Sans oubliez qu'il vous faut vous alimenter.

Je souris et baisse les yeux, amusée par son gentil reproche. Sa main continue de me caresser chastement le cou, propageant une agréable chair de poule sur tous mes bras. Adrian prend d'énormes risques à être là. Il ne devait même pas rentrer sans permission exceptionnelle.

   — Vous ne devriez pas être là, s'ils vous trouvent, vous serez sanctionné.

   — Je le sais, mais je me devais de vous témoigner mon soutient indéfectible, ma reine.

Finalement, je me redresse et il me recueille dans ses bras robustes. Je me vide encore une fois sur son épaule, mouillant son uniforme de garde. Il murmure des mots doux pour me calmer à l'oreille, mon esprit hanté par le visage que j'ai gardé de mon bébé quand je l'ai pris dans mes bras, sans savoir que ce serait la première et la dernière fois, ignorant que l'absence de pleurs m'annonçait en réalité sa tragique disparition. Cette image me hante, et me brise quand elle me revient en tête.

   — Ma reine... me souffle Adrian. J'ai mal de vous abandonner ainsi, mais je dois m'en aller.

Brusquement, Heldra entre dans la chambre, et s'adresse à Adrian, paniquée :

   — Adrian ! Il y a quelqu'un qui arrive, cache toi vite ! Je te couvre !

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