Chapitre 37 : Deux pour le prix d'un

Une foule de femmes gravitent autour de moi. Les unes cherchent une serviette humide pour me réanimer, et d'autres m'examinent pour savoir si oui ou non j'ai encore une vie en moi. La vision floue, l'esprit agité, le corps tout entier lourd, j'ai perdu la notion du temps. Je ne sais même pas où je suis. Je n'entends ni Ellen ni Marek.

   — Vous êtes réveillée ma reine ?

Pour toute réponse, j'entrouvre un peu plus mes yeux et bouge l'annulaire droit. C'est tout ce dont je suis capable en ce moment. Je ne comprends pas ce qui se passe. Je ne sais même pas qui m'a parlé.

   — Vous devez utiliser toutes vos dernières forces pour pousser ma reine, on pourra peut-être sauver l'enfant.

Après ses mots qui me réveillèrent un tant soit peu, je sentis une douleur atroce dans mes entrailles. Le travail avait sûrement dû commencer. Je vais accoucher.

   — Un, deux, trois, allez-y, poussez !

Mon corps voulant se débarrasser de l'étranger qu'il hébergeait depuis un moment, se mit à pousser l'enfant, poussée que j'intensifiaient du mieux que je pouvais. Le tout s'accompagnant d'une horrible douleur et de hurlements de souffrance.

   — Ahhh !

Je crie et transpire de toutes mes forces. Un enfer. Insupportable et infini. Ma voix ne sort presque plus. Et j'ai peur.

   — C'est bien, on voit déjà sa tête, continuez ! m'encourage la femme floue qui se tient entre mes jambes. C'est bientôt fini.

J'obéis à l'Ilknur, qui a sûrement dû voir des milliers d'accouchement similaires, mais qui pourtant se montrait si bonne avec moi. La douleur est à son paroxysme pendant que je sens mon bébé sortir de moi, deux Ilknurs me tenant les cuisses au cas où il me viendrait à l'esprit d'agiter mes jambes dans tous les sens.

   — Ça y est, plus qu'un dernier effort !

Je crie à m'en rompre les cordes vocales, mon intimité endolorie à mort. Et je pousse une dernière fois. Puis plus rien.

   — Ça y est, il est sorti.

J'aperçois, toujours la vue floutée, l'Ilknur tenir mon bébé entre les mains. J'ouvre les bras, où elle vient loger mon enfant. Il ne pleure pas. Le moindre bruit ne sort de son petit corps, et je souris, apaisée de le sentir contre moi même s'il dort. L'Ilknur ne dit rien de plus et garde son air triste et silencieux en nous regardant mon bébé et moi. Je le serre du mieux que je peux et lui fait un bisou délicat sur la tempe.

Mon bébé.

   — Mars, tu t'appelleras Mars mon petit ange, murmuré-je avec douceur.

Dès que je finis de parler, je perds le contrôle, et les Ilknurs se dépêchent de me prendre Mars des mains. Je sombre dans un profond étourdissement, sonnée.

*

Cette fois, je suis bien réveillée. Je suis allongée dans ma chambre, et tout est calme autour de moi. Ce calme est apaisant, surtout avec l'énorme fatigue que je ressens. Comme d'habitude, je caresse mon ventre pour me rassurer que mon bébé va bien. Mais je sursaute brusquement, quand je me rends compte qu'il est loin du ventre gonflé que j'avais il y a quelques jours. Je me redresse, paniquée et aperçoit Marek, assis dans un coin, le visage blême, les mains croisées sous le menton. Ma respiration est saccadée, une angoisse indescriptible m'oppresse le cœur.

   — Marek, notre enfant ! Qu'est-ce qu'il se passe ?

Il pivote nonchalamment sa tête vers moi et me scrute avec un regard impersonnel.

   — Tu l'as déjà mis au monde Uméïra, avant de t'évanouir avant-hier.

La mémoire me revient timidement, et je soupire, soulagée, puis je me recouche. Je me sens tellement stupide de m'être alarmée pour un fait aussi évident. Je me mets à sourire, mon cœur se gonflant d'amour pour mon petit prince. J'ai tellement envie de le sentir près de moi.

   — Je veux voir Mars, mon fils, je veux qu'on le prenne ensemble Marek, où est-il ? Il est avec belle-maman ?

   — Il est mort-né Uméïra, me lance Marek sans ménagement.

J'ai arrêté de l'écouter net. Comme si le temps s'était figé à la seconde où j'ai entendu...mort. Je reste immobile sur le lit et ferme les yeux, incapable d'assimiler les mots qu'il venait de prononcer. Un seul mot était écrit sur le tableau sombre de mes pensées : mort-né.

Non, c'est un cauchemar, je vais me réveiller.

   — Je veux voir Mars, tout de suite, lui ordonné-je, la voix basse.

   — Je te dis qu'il est mort Uméïra, mort, tu m'entends ou tu as du cérumen plein les oreilles ?

Je secoue la tête, perdue. Non, pas mon bébé, pas mon fils, pas Mars, non, non, ce n'est pas vrai.

   — Non, pas Mars, non...non, j'étais au 8ième mois, non, il est peut-être prématuré mais pas mort. Mars n'est pas, non...

Je récite ces mots comme une prière, essayant de m'en convaincre moi-même. Mais une larme traitresse commence à perler mes yeux, et se met à couler seule le long de mon visage. Inconsciemment, je me mets à m'agiter et lance furieusement tout ce qui se trouve autour de moi.

   — Non ! Mars ! Je veux voir mon fils ! Mars !

Je hurle de toute mon âme le nom de mon fils en me tenant la tête, réalisant la cruauté du présent. Mon fils est mort. Pendant qu'il était dans mon ventre. Dans mon ventre.

Je l'ai donc tué...

   — J'ai tué mon fils...Non, Mars, non, viens mon cœur, dites-moi qu'il vit, je veux l'entendre pleurer, pitié.

Je me lève à la hâte et marche en tanguant jusqu'à la porte, le regard traumatisé, larmoyant. Mes hurlements continuent, mais personne ne réagit dans le palais. Tout le monde savait, sauf moi. Brusquement, Marek se lève et viens jusqu'à moi, furieux.

   — Je t'avais dit que c'était dangereux Uméïra, mais tu ne m'as pas écoutée, comme d'habitude, tu n'en fais qu'à ta tête ! Tu as tué notre enfant Uméïra !

Il me secoue violemment, et me jette en arrière sur le sol.

   — Tu l'as tuée, trainée !

   — Marek...ne dis pas ça, j'ai besoin de toi, je t'en prie...

   — Que je me calme ? beugle-t-il en me menaçant de son poing.

Il écarte ses doigts et m'assène une gifle retentissante. Son geste m'arrache un cri strident, qui traduit ma douleur et mon choc. Ce n'est plus Marek. Il me dévisage avec haine dans les yeux.

   — Plus jamais tu ne m'appelles ''chéri'', ordure ! Femme inutile, sans valeur, stupide ! Pourquoi diable, tu t'es entêtée à faire ce périlleux voyage!?

   — Pardonne-moi Marek, mamie Rhoda avait besoin de moi, je devais aller la voir, je te jure que j'ai fait attention...

Horrifiée, je me replie sur moi-même en disant ces mots, terrifiée par son regard assassin, torturée par l'absence cruelle du cri de mon bébé à mes côtés.

Le sort s'acharne sur moi, comme une maudite reine.

   — Désormais, je suis ton seigneur, rien d'autre.

Je me tiens la tête entre les mains, abattue par ce qui se déroule sous mes yeux. Mon bébé n'est plus de ce monde. Mon mari me déteste, et ce sera bientôt le cas de tout le monde. Ma vie n'a plus de sens. Je ne mérite plus de vivre. 

Très vite, l'agitation dans la chambre fait place à un silence insupportable. Les larmes coulent silencieusement, toujours repliée contre moi-même, perdue, coupable.

   — J'attendais ton réveil depuis hier, me dit Marek en se tournant vers moi. Il fallait que tu comprennes ta stupidité.

Il marque une nouvelle pause et me gratifie d'un coup d'œil méprisant, insensible à mon chagrin.

   — Je t'avais prévenue Uméïra. Ne perd pas cet enfant, sinon...

Il sort sans rien ajouter de plus, me laissant entrevoir le cauchemar que seront les jours suivants. N'ayant plus aucune énergie pour faire quoi que ce soit, je me recouche et croise les doigts pour faire une prière. Je pleure, j'ai mal. Je veux juste qu'on me réveille de cet affreux cauchemar.

J'avais un seul passeport pour la paix, un seul : mon bébé. Et je l'ai perdu.

Je viens de signer mon arrêt de mort.

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