Chapitre 3 : Ultimatum

- Attendez votre altesse, vous avez le bras gauche tout engourdi et vous ne tirerez pas très bien comme ça.

Ron soulève mes bras un peu alourdis depuis ce matin et m'aide à ajuster.


- Je peux le faire toute seule Ron. Vous êtes mon maître depuis ma naissance voyons, pesté-je sans pour autant opposer à la moindre résistance à son aide.

- C'est vrai votre altesse, mais ce matin je vous trouve un peu distraite.

Je l'ignore et tire un peu plus la corde de mon arc. J'atteins ma cible à une dizaine de mètres de distance, avec une précision quasiment impéccable.

- Vous voyez que je ne perds pas la main, dis-je avec un sourire fier.

- En effet votre altesse. Vous êtes la meilleure tireuse à l'arc du royaume depuis vos quinze ans, et vous vous améliorez chaque jour.

- Ron, c'est la millième fois que je vous dis de ne pas ajouter votre altesse à chacune de vos phrases, vous m'avez vu grandir enfin !

- Bien votre altesse.

Il n'a rien compris en fait. Je finis par en oublier parfois mon véritable prénom, à force de manières.

- Ron, c'est probablement ma dernière année avant mon mariage. Je veux participer aux tournois organisés dans tout l'empire. Je suis sûre de les gagner.

- Avec tout le respect que je vous dois votre altesse, vous êtes une femme, appartenant de surcroît à la famille royale.

- Pourquoi seuls les hommes y ont droit ? me plains-je pourtant en toute connaissance de la raison.

- Parce que ce tournoi permet de sélectionner les meilleurs soldats du royaume pour la sécurité de la famille royale dont vous faites partie.

- C'est injuste.

- C'est très juste au contraire votre altesse, et c'est la loi. Et vous savez ce qui arrive quand on enfreint la loi d'Heldor.

- Le cachot, le bannissement, ou la mort, je sais.

Je vais m'asseoir sur la chaise qui se trouve près de mon fourreau à flèches et compte les munitions qu'il me reste. Je dois toutes les finir, mais je n'ai pas la tête à tirer aujourd'hui. L'inconnu de la veille hante sérieusement mes pensées et je suis beaucoup trop déconcentrée pour le faire correctement.

- Vous allez bien votre altesse ? s'inquiète Ron en m'approchant.

- Je préfère qu'on en reste là Ron, je me sens fatiguée.

- Vos désirs sont des ordres princesse, me concède-t-il avec un sourire compatissant.

Il s'incline, prend mes armes de mes mains et m'aide galamment à me lever. J'adore Ron. Je passe pratiquement tout mon temps avec lui. Il m'apprend à tirer à l'arc depuis mes cinq ans, et il avait seize ans à l'époque. C'est maintenant un trentenaire charmant, père d'un adorable petit garçon et marié. Il est toujours souriant et sympathique et grâce à lui, je suis la meilleure archère du royaume. Je l'aime beaucoup.

Je remonte au palais et enlève mes vêtements de cours pour revêtir une robe royale simple et dépose ma couronne sur mes cheveux bruns un peu abimés par l'entrainement du matin. Je n'ai pas le temps de me faire une mise en beauté correcte. Mon père m'attend déjà dans la salle du trône. Il est vêtu d'une énorme tunique en velour rouge, et ses cheveux noirs sont plaqués en arrière. Je le trouve tellement mignon quand il essaie des coupes de jeunes. Riant intérieurement de mon jugement, je m'approche et m'incline face à lui.

- Longue vie à vous père. J'implore votre grâce, lui dis-je.

- Je vous l'accorde princesse Uméïra. Vous êtes encore en retard.

-J'étais au cours de tir avec Ron.

- Ah oui, cela m'était sorti de la tête. C'est la dernière année, n'est-ce pas ?

- Oui père, répondis-je tristement.

Je m'assieds sur le trône à sa droite.

- Où se trouve sa majesté ? demandé-je.

- Votre mère est dans ses appartements. Tenez-vous prête, c'est l'heure.

Je vous explique.

Chaque mardi, la reine est chargée de juger les différents conflits du royaume. Elle s'occupe de tous les cas mineurs, mais passe certains procès trop difficiles à Rhoda, la sagesse incarnée et la reine-mère du royaume, ma grand-mère paternelle.

Quand la reine ne peut pas venir, le roi s'en charge. Et comme je suis appelée à devenir souveraine, je suis chaque procès, assise à côté, et si possible je juge certains cas. Ce que je préfère, c'est lorsque je mets des espions ou des criminels au cachot. Mais ça arrive une fois par an que papa ou maman me laisse faire ça. Et j'ai commencé il y a seulement deux ans. La confiance règne.

Si certains citoyens d'Heldor viennent pour des cas vraiment sérieux, d'autres sont tout simplement de parfaits imbéciles. Et papa ne se gêne pas pour les envoyer paître, pour mon plus grand bonheur. Même s'il est d'une rigidité parfois extrême, sa manière de gouverner est vraiment admirable.

- Uméïra ? m'appelle-t-il.

- Oui père ?

- Ce soir, il sera question de votre mariage au diner, soyez à l'heure.

Je reformule : J'admire mon père, jusqu'au moment où le mot "mariage" sors de sa bouche. Là, je le hais. Parce que je n'aurai qu'une chose à faire : La fermer et lui obéir.

- Entendu père.

Je sens que ce diner sera le plus long, le plus pénible, en gros le pire de ma vie. Je le sens, et cela me donne une terrible boule au ventre toute la journée.

*

Ma fourchette et mon assiette s'entrechoquent depuis un certain moment. Mon appétit a foutu le camp. Le moment fatidique approche. Jamais notre repas de famille n'a été aussi tendu, ni le silence si angoissant.

- Uméïra, quand souhaites-tu te marier ? me questionne mon père, le visage sérieux.

- Père je ne me sens pas prête pour l'instant.

- Et quand est-ce que tu le seras ?

- Dans...un...an...bafouillé-je.

- Dans quoi ? s'exclame-t-il.

Il a presque failli renverser tout ce qui se trouvait devant lui, et je sursaute, terrifiée par la réaction que j'ai provoquée. J'avais beau m'y attendre, je reste mortifiée de peur de le décevoir à ce point.

- Je n'aime pas quand tu joues avec des sujets aussi sérieux, me reproche-t-il.

- Est-ce vraiment aussi urgent père ?

Il secoue la tête et croise les mains, un regard assassin en ma direction. Je regarde ma mère pour puiser du courage, mais elle n'ose même pas croiser le regard de papa.

- Enfin, je veux dire que j'ai encore besoin d'un petit moment pour faire mon choix, expliqué-je pour diminuer sa colère. Je sais que je dois me marier.

- Tu as au maximum quatre mois pour te sentir prête.

- Père je veux juste être la reine d'Heldor, juste pour...

- Tu perds la tête ? me hurle-t-il, au bord de l'hystérie. Que dit la loi de tout l'empire d'Enceladia ?

Je sais très bien ce qu'elle dit cette fichue loi. Mais j'aimerais tellement gagner du temps pour retrouver l'inconnu. Malheureusement, je commence à être à court de moyens, et le temps presse de plus en plus.

- Aucune femme n'a droit au pouvoir, sauf si son mari et son père meurent. Question d'honneur et de respect, cité-je avec monotonie.

- Alors à toi de voir : Soit tu te maries selon la coutume avec l'homme que je choisirai pour toi, tu ramènes tes frêles jambes devant lui et tu lui fais des enfants. Soit tu considères que tu n'es plus ma fille et tu seras exilée sur le champ.

- Père...pitié !

- Point barre.

Pour mon père, un point est un point. Mais moi, je n'avais pas dit mon dernier mot. Ce n'est pas la première fois qu'on se dispute à ce sujet lui et moi. Et tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir.

Je l'espère de tout mon cœur.

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