Chapitre 29 : À couteaux tirés
Dans le salon, maman et Ellen sont en pleine discussion. Mamie et moi sommes dans la véranda de mes quartiers, histoire de se retrouver un peu toutes les deux comme au bon vieux temps.
— Je peux lire sur ton visage que tu nages dans le bonheur Uméïra.
— Oui mémé, tu n'imagines pas à quel point j'attendais cet enfant. C'est la plus belle chose qui pouvait m'arriver en ce moment. Je me sens libérée d'un énorme poids.
— Tu vois qu'il te suffisait d'attendre, me répète-t-elle. Sinon, le désespoir risquait de te faire prendre une décision qui te marquerait à vie.
Me sentant coupable après ses propos, je baisse la tête, honteuse. Et dire que j'ai passé inutilement une nuit avec un garde de mon mari, pour au final n'avoir que du remord, de la honte. Si seulement j'avais résisté encore un peu...
De toute façon, ce qui est fait est fait. Pour le moment, ce qui importe, c'est de me garder de mentionner cet épisode de ma vie à ma mamie.
— Et avec ton mari ? relance-t-elle pour me sortir de mon mutisme.
— Oh, oui, ça va. Notre couple est plus solide que jamais.
— Quand tu parlais de poids, de quoi tu voulais parler ? Ils ne te maltraitaient pas j'espère ?
— Non, bien sûr que non. C'est juste que j'avais peur d'être stérile, c'est tout, mens-je.
Dans toute sa perspicacité, mamie Rhoda me regarde avec un air peu convaincu, auquel je réponds par un sourire. Je n'ai pas intérêt à révéler le cauchemar dans lequel me faisait vivre Ellen. Elle serait capable du pire, alors qu'on commence juste à s'apprécier.
— T'es sûre Uméïra ? Parce que moi non. Je sens qu'il y a autre chose. N'aie pas peur, dis-moi tout.
— Toc toc, je ne vous dérange pas ?
Sur le pas de la porte de la véranda, c'est Ellen. Son visage arbore un large sourire qu'elle distribue à qui veut bien la regarder. Mamie détourne le regard, faisant mine de s'intéresser au jardin extérieur.
— Rhoda, vous allez bien ? demande ma belle-mère.
— Oui, tout va bien.
L'attitude de mamie est étrange et froide, et j'avoue que ça me déconcerte beaucoup.
— Et toi Uméïra ?
— Ça va belle-maman.
— J'ai fait du thé aux myrtilles, et je sais que tu adores ça, alors je t'en ai apporté un peu. Tiens.
— Merci belle-maman, c'est gentil.
— Vous n'en voulez pas Rhoda ?
— Non, ça ira.
Ma belle-mère secoue la tête et retourne à ses activités. Ce thé sent tellement bon, que ça a embaumé toute la véranda.
— Et avec ta belle-mère, tout va bien ? me demande mamie une fois sûre qu'Ellen est vraiment partie.
J'hoche la tête en avalant le thé, afin d'éviter les détails.
— Dis-moi mamie, pourquoi tu deviens bizarre quand Ellen est présente ? demandé-je en posant ma tasse.
— Tu sais chérie, c'est un peu compliqué, et je suis sûre que tu vas me traiter de folle.
— Mais non Mamie, où tu vas chercher ça ?
— Votre majesté, je peux vous parler une minute ? m'interpelle un servant de la cour depuis l'entrée principale de mes quartiers.
Je rentre discuter avec le serviteur et reviens quelques minutes après. Je m'assois sur le siège en daim sur lequel j'étais initialement, et récupère ma tasse sur le bord de la table. Mais en y jetant un coup d'œil, je remarque que le niveau de mon thé a baissé. Je n'en suis pas très sûre, mais je pensais en avoir bu beaucoup moins.
— Whouah, j'en ai bu beaucoup pour que ça ait diminué autant ! A moins que mamie adore la myrtille en cachette, hum hum...
Face à mon air accusateur et drôle, mamie éclate de rire.
— Tu sais que je ne suis pas trop fan de myrtille ma tulipe. Mais, elle te fait régulièrement ce thé Ellen ?
— Oui, assez souvent. C'est vraiment gentil de sa part de le partager avec moi. C'est même un honneur. C'est son thé préféré, et c'est devenu le mien.
Mamie Rhoda opine de la tête, suspicieuse avant de me regarder plus sérieusement.
— Maintenant que tu es enceinte, fais attention à toi Uméïra. Tu es très vulnérable dans ce palais, et il se pourrait que des gens cherchent à te faire du mal.
— Du mal ? Mais pourquoi ?
Face à mon inquiétude, mamie prend ma main, et me souffle :
— Je ne sais pas, mais j'ai un mauvais pressentiment. Mais je veillerai sur toi depuis Heldor, et tu peux aussi compter sur Adrian et sur tes servantes.
Terrifiée par ses paroles, je tremble légèrement, et me loge dans ses bras.
— Pourquoi tu ne me dis pas tout ce que tu penses mamie ? Explique tes soupçons. Tu sais qui veut me faire du mal ? Ellen ? Ou Marek.
— Je ne suis encore sûre de rien, et tu n'as pas besoin d'en savoir trop pour le moment. Fais juste attention, et reste la reine merveilleuse que tu es. Tout ira bien.
— Oui, d'accord. Justement, le servant vient de m'informer que Marek est dans le salon, et il veut te voir mamie.
— Allons voir ton mari ma chérie, il doit nous attendre depuis un moment.
Je l'aide à se lever et on se dirige vers le grand salon. Je n'ai plus l'appétit, mais à la place une grosse boule au ventre. Que me cache mamie de si sérieux ? Suis-je en danger ici, à Athéna ? Non, Marek m'aime et me protégera s'il le faut de sa mère. Pourquoi mon propre mari voudrait me faire du mal ?
*
— Uméïra est une femme merveilleuse, j'ai beaucoup de chances de l'avoir, dit Marek.
— C'est une femme incroyable, comme vous Yanna, ajoute Ellen.
Depuis que le repas a commencé, Marek et Ellen regorge d'odes à mon honneur. Je me sens un peu mal à l'aise qu'ils me chouchoutent ainsi en public, alors que la réalité est un peu moins rose. Surtout après tout ce que mamie Rhoda m'a dit et qui me turlupine.
— Je suis contente d'avoir une belle-famille comme vous, dit ma mère, et je suis sûre que ça aurait été la même chose pour mon mari.
— Je ne vais pas vous cacher Yanna, que j'ai été désagréable avec Uméïra un moment donné. La pression qui pesait sur moi à cause du décès de mon mari m'a fait faire des choses affreuses, mais Uméïra a toujours été compréhensive avec moi.
Elle parle de choses affreuses, alors qu'elle m'a carrément traumatisé. Quelle belle manière de prendre les choses avec légèreté.
— Croyez-moi, je sais ce que c'est, la pression. Mais j'ai appris à ma fille à dépasser les apparences et à se concentrer sur la personne intérieure.
— Et c'est l'une de ses plus grandes qualités, renchérit Marek.
Il me regarde affectueusement, et je lui réponds par un sourire. Ellen fait de même, non sans m'indiquer avec subtilité que c'est à mon tour de parler pour faire bonne impression.
— Et c'est vraiment plus facile avec une belle-famille aussi gentille. Je suis comblée de bonheur ici, soufflé-je avec difficulté.
Tout le monde se réjouit de mon intervention, qui est une pure formalité. Je me sens obligée de faire bonne figure devant ma mère pour ne pas l'inquiéter. Mais mamie Rhoda, elle, sait qu'il y anguille sous roche.
— Jus de fruit Uméïra ? C'est très bon pour ta grossesse, me propose Ellen.
J'ai envie de refuser, mais une force incroyable veut me pousser à accepter, et cette force, c'est la peur d'Ellen.
— Non merci belle-maman, ça ira.
Son visage garde le même sourire mais son regard se fait plus menaçant.
— Tu es sûre que tu ne veux pas ce qu'il y a de mieux pour ton bébé ?
— Elle dit qu'elle n'en veut pas Ellen, ne l'obligez pas, répond sèchement mamie.
Elles s'affrontent clairement en paroles. Et après le départ de mamie, je risque d'en payer les frais. Je dois accepter.
— Finalement, je vais en prendre, mais juste un peu.
Sans plus de mots, Ellen me sert à demi-verre et retourne à sa place.
— Ça t'ira ? me demande-t-elle.
— Oui, mais vous auriez pu laisser les serviteurs s'en charger et me servir belle-maman, objecté-je.
— Je préfère m'occuper personnellement de ma belle-fille.
J'acquiesce et porte le verre à ma bouche en sirotant le jus, qui même si j'ai la gorge serrée, n'est finalement pas si mal. Et puis, peut-elle m'empoisonner devant autant de personnes ?
Ce serait absurde.
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