Chapitre 18 : Sous le fromager
J'ai arrêté de pleurer depuis quelques minutes. Mais les traces de larmes séchées trahissent le torrent qui vient de s'écouler de mes yeux. Mamie Rhoda n'a encore rien dit depuis son arrivée soudaine, et s'est contentée de me bercer tendrement sur ses genoux, me répétant de me calmer et de sécher mes larmes. Un peu plus calme, je me redresse, et la laisse me couvrir de son regard tendre.
— Ma tulipe, arrête de pleurer, j'ai si mal quand je te vois aussi triste...
— Je le voudrais mamie, mais je n'y arrive pas, j'ai trop mal.
— Qu'est ce qui te brise autant le cœur ?
Je détourne le regard vers un point inexistant de la pièce en baissant la tête. J'ai honte.
— Marek me déteste.
— Pourquoi ton mari te détesterait ?
— Parce que depuis un an qu'on s'est mariés, je ne suis toujours pas tombée enceinte. Je crois que je suis stérile, confessé-je avec amertume.
— Ma tulipe...
Elle me prend à nouveau dans ses bras en me caressant le dos, et encore une fois, je me couche sur ses cuisses pendant qu'elle ramène des mèches rebelles derrière mes oreilles, trop honteuse pour soutenir son regard de pitié.
— Tu sais ma chérie, me dit-elle, je comprends ta douleur. J'ai dû attendre six mois avant d'avoir ton père et deux ans plus tard pour avoir son frère. Ta mère, elle, a fait une fausse couche juste avant toi et a perdu son premier fils.
— Vraiment ? m'exclamé-je.
Maman ne m'avait jamais dit tout cela, et c'était ma première fois d'entendre parler de la probable origine de mes problèmes d'enfantement.
— Oui, et elle n'a jamais jugé nécessaire de t'en parler. Tu es née dans la deuxième année de ton père.
— C'est donc une affaire de famille...
— Plus ou moins. En fait, ce que je veux que tu retiennes, c'est que tu as encore du temps devant toi. Tu es jeune, ne désespère pas si vite.
— Mais quand ça s'est passé, est-ce que mon père détestait maman ?
— Ça entraine forcément des tensions dans le couple. Mais sache que Marek ne te déteste pas, mais il a besoin de toi, parce que actuellement, tout le royaume repose entièrement sur lui, et il est forcément déçu. Ne t'arrête pas sur ces détails, et tu verras que ce n'est qu'une question de temps.
Elle me fait me redresser et me dépose un bisou sur le front, prenant mon visage en coupe.
— Sèche-moi ces larmes, j'ai horreur de voir ma tulipe pleurer !
Je ris timidement après ces mots, réconfortée par les confidences qu'elle venait de me faire.
— Merci mamie, j'avais vraiment besoin d'entendre ça maintenant.
Remise un tant soit peu en forme grâce à mamie Rhoda, je me décide à marcher dans les jardins du palais, le temps qu'il soit l'heure du repas. Je chemine jusqu'à mon coin secret : le long escalier qui mène jusqu'à la fontaine. Rien n'a changé depuis mon départ. L'eau continue d'y couler, toujours aussi claire et limpide, régulière. C'est tellement apaisant que je ne sens même pas l'heure défiler et reste assise sur le bord de la fontaine, plongée dans mes pensées.
— Votre majesté ?
Je sursaute en entendant la voix tonique d'Adrian depuis le milieu des escaliers.
— Toute la famille royale vous attend pour déjeuner, et ils m'ont demandé de venir vous chercher.
Plutôt surprise de sa présence, je fronce légèrement les sourcils, de peur que mon petit coin secret ne le soit plus.
— J'espère que vous êtes venu seul, je n'aimerais pas que cet endroit soit connu de tous.
— Vous n'étiez nulle part d'autre, et je suis le seul à connaitre votre espace secret. Soyez rassurée.
Adrian me connait vraiment bien. Il lit en moi comme dans un livre ouvert, et j'avoue que j'en arrive souvent à flipper. Je me lève, mais me sens soudainement prise d'un vertige. Je perds complètement mes appuis, et m'écrase sur le rebord de la fontaine.
— Uméïra !
Un mal de crâne terrible commence à m'envahir, ma tête ayant cogné le bord en pierre de la fontaine. Mais je suis toujours consciente et sens Adrian passer mes bras sous mes genoux et derrière mon dos, pour me porter jusqu'à un tapis d'herbes, relativement mou, semblable à un matelas.
— Votre majesté, vous allez bien ? Vous voulez que j'aille chercher votre carrosse ?
— Non ça ira, je vais retourner avec Mate. Je ne veux pas ramener de foule ici, dis-je, catégorique.
— D'accord, je vous apporte votre pur-sang immédiatement.
Avant même que je puisse assimiler ses paroles, il avait déjà sauté sur son cheval. Juste quelques minutes après, il était déjà de retour. Je le sens quelque peu agité, sûrement inquiet de mon état, alors que je me sens assez bien. Je suis juste sonnée par le choc que j'ai eu à la tête et mes yeux sont plissés pour éviter de me faire agresser par la lumière, ce qui me rend la vue un peu difficile.
Adrian tient Mate tranquille, l'attache au tronc du fromager qui gouverne la verdure à l'arrière de la fontaine et revient vers moi.
— Je vous aide à monter ?
J'hoche la tête et saisit la main rassurante qu'il me tend. En me levant, le vertige revient et je m'échoue contre lui, pendant qu'il m'entoure de ses bras robustes pour m'empêcher de tomber. Je me sens étrangement bien, en sécurité, protégée. Retrouvant peu à peu mon équilibre, je me redresse un peu et on se retrouve face à face, juste à quelques millimètres l'un de l'autre. Je le sens approcher, sans trouver la force de le repousser. Mon cœur bat tellement vite que je me sens incapable de tout mouvement. Pourquoi j'ai plus de mal à le repousser ces derniers temps ? Pourquoi je me permets de jouer avec le feu de cette façon ? Il ne faut pas que je fasse une bêtise pareille, trop de choses sont en jeu. Juste au moment où nos lèvres se seraient croisées, je le repousse doucement en essayant de me tenir correctement debout.
— Je dois retourner au palais Adrian, merci pour tout, murmuré-je sèchement.
Je me détache de lui, impassible à l'extérieur, chamboulée à l'intérieur. Son visage vire au rose, visiblement gêné d'avoir ouvertement fantasmé sur celle qui se trouve être sa reine.
— Désolé votre majesté, veuillez me pardonner mon écart de conduite.
Il me fait une révérence et monte sur son cheval en m'attendant.
— Je vous suivrai sur la route du palais pour pouvoir intervenir en cas de problème.
J'opine de la tête et monte à mon tout sur Mate, le cœur tambourinant contre ma poitrine, le visage blême, rongée par la culpabilité d'avoir songé un seul instant à désirer Adrian.
*
Déjà la fin de mon séjour à Heldor. Le jour de mon départ, mon père semblait aller tellement mieux, que c'est le cœur léger que je mets en route pour Athéna. Je voulais rester encore un peu, mais mes parents m'obligeaient à retourner auprès de mon mari. Je suis tellement folle de joie à l'idée de revoir Ellen. Notez l'ironie.
On peut dire que l'ambiance qui règne actuellement à Athéna, n'est pas une ambiance de rêve. Le seul point positif c'est de retrouver Nikita et Heldra, qui sont peut-être les seules à m'adresser encore la parole. Tous mes doutes se fondent d'ailleurs, puisque à mon arrivée, seules Nikita et Heldra, en plus des gardes et des autres serviteurs me souhaitent la bienvenue. Marek ne me fait même pas l'honneur de sa présence. Sa mère, Ellen, descend les escaliers royaux, le visage tout sourire. Surprise de la voir ainsi, je lui rends maladroitement son sourire. Mais en m'apercevant, celui-ci disparait aussitôt, et se fait remplacer par une œillade. Visiblement, elle n'est pas très contente de ma venue.
— Bonjour belle-maman. Je suis revenue.
— Ah. Je pensais que vous nous offririez le luxe de votre absence un peu plus longtemps.
Frustrée, je baisse la tête pour essayer de contenir la rage qui monte en moi. Mes doigts se crispent, et l'envie de commettre un meurtre me démange fortement. Mais je souffle pour me calmer, et éviter une quelconque scène devant toute la cour. Même ceux qui m'accompagnait se sentent humiliés pour moi, et s'éclipsent les uns après les autres.
— Toute la famille royale d'Heldor vous passe le bonjour, et vous offre ces nombreux présents.
— Merci à eux, et bienvenue Uméïra.
Elle vient jusqu'à moi et me touche la joue, le regard malicieux.
— Ma chère Uméïra, j'espère que mes propos ne vous ont pas vexé, c'était juste une blague.
Je fais mine de comprendre, terrifiée par l'accueil déjà acide qu'elle m'avait réservé.
— Si tu ne veux pas que ça devienne vrai, tâche de m'obéir rigoureusement et de garder le silence sur tout ce qui se passe ici, sinon, je risque de me mettre en colère, et crois-moi, je te ferai vivre un enfer.
Sur ces mots, elle s'éloigne et disparait dans le château. Ce n'est pas comme si elle ne me faisait pas déjà vivre un enfer. Mais qu'est-ce qu'elle voulait dire par obéir rigoureusement ? Obéir à quoi ? Je l'ignore.
*
Mes dernières forces utilisées pour prendre une douche, ranger mes affaires personnelles et autre, je me retrouve seule à manger dans la grande salle à manger du palais, palotte à cause de la fatigue du voyage. Mais Marek apparait enfin et me plante un bisou sur la joue avant de s'asseoir.
— Pourquoi tu es aussi calme mon amour ?
— Tu n'es pas venu m'accueillir ce matin. Une raison ? Rétorqué-je sans siller.
— J'étais occupé. Mais j'ai demandé à ma mère de s'en charger.
— Et elle l'a très bien fait, tellement bien.
Sur mon visage, je fais en sorte qu'il puisse lire tout le mépris que j'éprouve pour ses soi-disantes occupations.
— Pourquoi ce ton sarcastique Uméïra ?
— Non seulement parce que ça ne justifie pas le fait que ce ne soit que maintenant que tu ais trouvé du temps pour moi, mais aussi parce qu'elle ne loupe pas une occasion de me rappeler que je suis de trop dans ce palais !
— Et tu sais pourquoi. Je ne sais même pas pourquoi tu joues à l'étonnée.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Rien de tout ça n'arriverait si tu étais fichu de faire un enfant.
— Comment tu peux oser me dire un truc pareil Marek ? C'est de ma faute peut-être ? demandé-je, la voix tremblante de colère.
— De la faute de quoi tu veux que ce soit ?
Blessée par ses propos, je me lève sans même terminer mon repas, le cœur déchiré, noyé de chagrin, et m'enferme dans mes quartiers. J'espère de tout cœur qu'il revienne s'excuser et me consoler, mais j'attends jusqu'au matin, en vain.
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