Chapitre 14 : Adieux
Je prends une bonne fois mon souffle pour essayer de masquer ma gêne. Je me tourne et croise les yeux sombres du garde arrêté à ma droite. Aucune expression ne se lit sur son visage, sauf quelques plis sur son front indiquant qu'il cherche à comprendre le but de ma présence.
Réfléchit...réfléchit...une idée pour te sauver, vite ...
— J'apporte les médicaments de sa majesté Michaël. Auriez-vous l'obligeance de m'aider ? Déclaré-je avec quelques notes tremblantes dans la voix que je suis la seule à percevoir.
— Oh, oui, bien sûr. Excusez-moi votre majesté, donnez-moi le plateau.
Il se dépêche de me prendre le plateau des mains et je toque pour entrer. Il me suit dans la pièce, pendant que je m'évertue à marcher avec suffisamment de grâce pour éviter des soupçons. À ma vue, Michaël et Ellen se fixent un court instant. Ellen se penche sur lui et lui chuchote quelque chose à l'oreille. Je me demande bien quoi. Puis elle se redresse, guide le garde jusqu'à la commode qui se trouve près du lit du roi et me rejoint.
— Il a besoin de repos Uméïra, retournons dans la salle à manger, ton mari doit déjà nous attendre pour le repas, me dit Ellen.
J'opine du chef sans faire d'histoire, mais j'ai l'étrange sensation depuis quelques temps qu'Ellen fait tout pour ne pas que je dure avec mon beau-père, alors qu'elle m'a demandé de m'occuper de lui. C'est complètement paradoxal. Mais s'il y a une chose que je ne veux absolument pas, c'est me crêper le chignon avec ma elle. Alors j'obéi aveuglément.
— Bien belle-maman. Bonne nuit beau-papa.
Michaël me fait un oui de la tête en souriant et je sors en compagnie d'Ellen.
Depuis presque dix minutes, les couverts jouent un orchestre monotone en s'entrechoquant dans les assiettes. Nous sommes assis tous les trois autour de la grande table rectangulaire pour dîner, Ellen, Marek, et moi. Tous les deuxont l'air plongé dans leurs pensées, vu le mutisme pesant qui règne. Apperemment, je suis la seule à avoir envie de parler. Je jette de temps à autre des regards furtifs vers Marek, mais il ne remarque rien. Ellen aussi n'a rien dit depuis qu'elle s'est assise et se contente de tourner sa fourchette dans tous les sens sans rien avaler. Ce serait vraiment bien que quelqu'un se décide à parler, l'ambiance est trop pesante.
— Marek ? dit enfin Ellen.
— Mère ?
— La santé de ton père me préoccupe beaucoup, et je ne te cache pas que j'ai un mauvais pressentiment.
Marek lève enfin les yeux de son plat et interroge gravement sa mère du regard.
— Il refuse ?
— Il refuse catégoriquement d'avaler ses médicaments, sous prétexte qu'il n'est plus un enfant. Je ne le comprends plus, il réussit à être de plus en plus insupportable à chaque fois, dit-elle en agrémentant ses propos de gestes significatifs.
— Uméïra, reprend-t-elle, je préfère que tu ne t'occupes plus de lui pour l'instant, jusqu'à ce que son état se stabilise un peu.
— C'est vrai Uméïra, laissons ma mère s'en occuper. Après tout, elle le connait dans les moindres détails.
— D'accord, acquiescé-je avec peine, mais est-ce que je peux avoir d'autres choses à faire en attendant d'occuper pleinement mes fonctions de reine ?
— D'ici deux jours, ce sera ton premier procès, m'informe-t-elle.
— Déjà ? M'exclamé-je, les yeux brillants.
— Oui, c'est l'heure pour toi d'être vraiment reine d'Athéna et de te faire connaitre au peuple.
— Je suis sûr qu'ils seront ravis de connaitre leur charmante reine. Ils ne t'ont vue que pendant les festivités et n'arrêtent pas de te demander.
Flattée, je souris à Marek qui fait de même.
— Je serai seule ? demandé-je à Ellen.
— Normalement je dois être là pour le premier procès mais je vais d'abord m'occuper de mon mari et je viendrais après. Marek ? Toi, moi, et ton père, devons avoir une discussion le plus tôt possible.
Il finit d'avaler sa gorgée de vin et se nettoie la bouche avec le torchon en satin qui est près de lui.
— J'y serai ce soir avant de me coucher, répond-t-il.
— Bien.
Un peu perdue au milieu de ces cachoteries familiales, je me précipite dans ma chambre après le repas, afin d'être en pleine forme pour les jours suivants, où je prendrai pleinement fonction. Fini les flâneries à longueur de journées, qui au passage m'ont fait prendre quelques agréables formes. Je ressemble de plus en plus à une petite mère.
Mais une fois couchée, je ne peux m'empêcher de cogiter en repensant à Michaël. Je souhaite tellement qu'il guérisse, mais j'ai un mauvais pressentiment qui me retourne l'estomac. La petite discussion entre lui et Ellen que j'ai surprise plutôt dans la soirée me turlupine. Ils avaient vraiment l'air en désaccord, et j'ai du mal à admettre que ce soit pour une simple histoire de médicaments.
— Chérie ?
Je sursaute en entendant la voix de Marek à l'entrée de ma chambre.
— Marek ? Je pensais que tu serais tellement épuisé ce soir que tu ne viendrais pas.
Il ne dit rien et retire ses vêtements pour venir s'allonger à côté de moi. Il se colle contre mon dos et pose son bras sur mes hanches.
— C'est vrai mais tu m'as manquée, et j'avais envie d'être là, à côté de toi.
Lui aussi m'avais tellement manqué que je me colle davantage à lui pour qu'on soit encore plus proche tous les deux.
— Toi aussi tu m'as manqué Marek.
Sa paume chaude parcourt mon bras, et vient finalement se réfugier dans ma main, avant qu'il me dépose un bisou tout léger dans le cou. Je me retourne pour lui faire face, nos narines collées l'une contre l'autre.
— Tu sais, je suis vraiment soucieux pour mon père.
Il me le dit en murmurant et pose son front comme un gamin sur ma poitrine. Son geste est tellement agréable que mes seins pointent pendant qu'il me parle, mais je me reprends vite et creuse davantage sur la santé inquiétante de mon beau-père.
— Il ne prend pas ses médicaments ?
— Quelques fois, mais son état est beaucoup plus grave cette fois et il refuse d'en prendre conscience. Ma mère ne sait plus quoi faire.
— Qu'est-ce que vous lui avez dit ce soir ?
Il garde le silence pendant un moment, et glisse contre moi pour remonter jusqu'à mon visage.
— Nous lui avons dit nos quatre vérités. Qu'il risquait de mourir s'il ne nous écoutait pas.
— Vous y êtes allés un peu fort quand même. Un malade n'a pas besoin d'entendre ce genre de choses.
— C'est ce genre de choc qui fait réagir mon père. Mais cette fois, ça ne l'a pas ébranlé une seule seconde. La reine-mère est à bout. Moi, je crains pour lui ma reine.
Je prends son menton et lui fais relever la tête pour que nos regards se croisent.
— Moi aussi Marek, mais la seule chose que nous puissions faire, c'est continuer d'être là pour lui, et tout finira par s'arranger. J'en suis sûre.
— Cela ne doit pas m'empêcher de me préparer à la pire éventualité.
— Et moi je préfère ne même pas y penser.
Il promène son nez dans mon cou et laisse plusieurs petits suçons qui me font frémir, puis m'embrasse amoureusement.
— Bonne nuit Uméïra. Je me sens tellement mieux quand je parle avec toi.
— Bonne nuit Marek.
Revenus à notre position de départ, lui collé à moi par le dos, je ferme progressivement les yeux, heureuse de dormir dans les bras de mon homme, mon roi. Pour se confier ainsi à moi, il doit m'aimer réellement. Et j'en suis de plus en plus sûre chaque jour.
*
Si j'avais appréhendé mon premier procès en tant que reine quand il m'a été annoncé, je ne pouvais pas en espérer mieux. Et même si je me sens fière d'y être arrivée sans qu'Ellen ne soit là pour m'assister, son absence m'a énormément inquiété. Elle aurait dû venir me rejoindre, mais ça fait deux jours que je ne la vois nulle part. Je me lève de mon trône et me dirige vers les quartiers de mon beau-père. Marek lui aussi est introuvable. À croire que je suis la seule dans cet énorme palais. Sur le chemin qui mène à la chambre de Michaël, les gardes baissent la tête et me fuient du regard. Au bout du couloir qui conduit à l'escalier secondaire, je croise Adrian et Heldra en pleine discussion animée, l'air grave. Je m'approche d'eux et ils se calment presqu'instantanément.
— Bonjour Adrian. Bonjour Heldra.
— Bonjour Votre Majesté, me répondent-ils timidement.
Je fronce les sourcils, suspicieuse. Il se passe quelque chose. Et visiblement, ils sont au courant. Ils ont l'air inquiets et fuient mon regard.
— Qu'est-ce qui se passe ? Adrian ?
Ils se regardent sans rien dire, et Adrian baisse la tête, avec un soupir d'hésitation.
— Mais parlez bon sang !
— Le...roi Michaël est mort ce matin ma reine. Nous venons tout juste de l'entendre. Mais personne ne nous l'a clairement dit.
Adrian n'est pas du genre à tourner autour du pot, ni encore à mentir. S'il n'en savait effectivement rien, il n'aurait jamais parlé. Alors ça doit être vrai. Le roi, est parti.
— Non...ce n'est pas vrai...murmuré-je avant de me faire secouer par un violent vertige.
Je perds pied, et sens une nausée désagréable m'envahir. Tout devient flou, et inexplicablement, je m'écroule.
*******
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top