Chapitre 1 : Bleus sont ses yeux...

Vingt-deux ans plus tôt...

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Silencieusement assise sur ma chaise royale, j'observe les deux mariés du jour : Anthony et Maya. Elle m'énerve tellement cette Maya.

Depuis le début de la cérémonie, elle me lance des regards enflammés qui m'auraient tuée s'ils le pouvaient. Dans tous les cas, il y aurait eu deux morts, parce que moi non plus je ne lui adresse pas un regard des plus tendres.

Le mariage est terminé. C'est maintenant le rituel d'intronisation. Maya se lève, et s'incline devant son mari, le prince Anthony. Elle prend l'étincelant sceptre ancestral de la main de son père et le donne à son mari, toujours tête baissée. Son mari le prend, et se fait mettre la couronne par la reine mère. Dès cet instant, le prince Anthony est désormais le roi.

- Jurez-vous, désormais en tant que roi d'Utopia, d'être le défenseur, le protecteur, et le seigneur de tout le vaillant peuple d'Utopia ? demande son père, le précédent roi.

- Oui, je le jure, répond Anthony.

- Par les pouvoirs qui me sont conférés, tonne le roi, je vous déclare roi et seigneur d'Utopia. Longue vie au roi et à la reine d'Utopia !

- Longue vie au roi et à la reine d'Utopia ! répète tout le monde en chœur.

- Longue vie au roi d'Utopia seulement, soufflé-je.

L'ancien roi fait mettre la couronne royale sur la tête du roi Anthony, puis de sa reine, Maya, et il leur accorde sa bénédiction.

J'esquisse ma révérence la plus appuyée, et ajuste ma volumineuse robe. Après les femmes, les hommes s'inclinent à leur tour, et tout le monde se rassoit les serviteurs slaloment entre les tables pour servir le repas.

Le palais d'Utopia est époustouflant. Des lustres de toute beauté ornent le plafond de la grande salle de réception, disposés en un magnifique puzzle qui donne des étoiles pleins les yeux. Tous les objets sont couverts d'or, des chaussures de la reine aux couverts que je tiens entre mes doigts. Mis à part la haine sans frein que je voue à Maya, son mariage est une vraie réussite. Mais je pense que je vais garder ces bonnes critiques pour moi.

- Maya est vraiment magnifique dans sa robe, me signifie maman. Je dois demander à sa mère le nom de son couturier pour ton mariage ma chérie.

- Mère, je préfère que ma robe soit faite ailleurs. Et puis je ne suis pas si pressée que ça de me marier.

- Uméïra, je t'ai déjà dit que ce n'est pas à discuter, me coupe mon père.

C'est reparti pour le grand sujet de conversation préféré de mes parents : Mon mariage imminent.

- J'ai repéré dans la salle du château de nobles princes et ducs qui seraient ravis de faire de toi leur femme, continue mon père.

- Ils ne m'intéressent pas le moins du monde père. Pas pour le moment.

- De toute façon, tu pourras aussi choisir parmi les quelques hommes beaux, charmants et pleins de bonnes manières de notre royaume, renchérit ma mère comme si mon père n'en avait pas déjà assez dit.

Je soupire et continue de manger parce que c'est inutile d'essayer d'argumenter plus longtemps : ils auront toujours le dernier mot.

- Chers Nobles, Comtes et Comtesses, Rois et Reines, Ducs et Duchesses, ainsi que Princes et Princesses, il est maintenant l'heure de présenter vos vœux à Sa Majesté Anthony d'Utopia II, avant le grand bal, annonce le maitre de cérémonie.

En tant que famille royale alliée d'Utopia, l'intendant nous demande à nous, famille royale d'Heldor, de nous lever. Le simple fait de penser qu'il faille sourire jusque devant les mariés et faire encore une révérence, j'en ai franchement la paresse, et la nausée. Mais loin de moi l'envie de décevoir ma famille et de me faire renier pas mon père. Je préfère donc fermer mon clapet. Plus je m'avance vers Maya l'abeille piqueuse, plus ma nausée monte. Je ne digère pas cette fille. Pourtant nous étions les meilleures amies d'enfance.

Mais j'ai fini par me rendre compte qu'elle était une "amie" hypocrite et foncièrement méchante. Et comme madame n'a pas supporté de perdre son docile petit mouton que j'étais, nous sommes à couteaux tirés depuis lors. Des enfantillages, vous dites vous sans doute. Des enfantillages qui durent depuis bientôt dix ans.

Quand je m'arrête à son niveau, elle me dévisage de la tête aux pieds et me lance un sourire narquois.

- La maquilleuse a enfin réussi à te donner un visage, ma chère, commence-t-elle avec infinie amabilité.

Comme à son habitude, il faut toujours qu'elle lance des piques comme une gamine. Aucun changement dix ans plus tard. Décidément.

- Elle a dû fournir plus d'efforts sur ton visage que sur le mien pour te rendre regardable Maya, répliqué-je presqu'immédiatement.

- Moi au moins, je suis mariée à mes vingt-deux ans. Pas comme toi.

Les gens de cet Empire n'ont pas encore compris que le mariage ne fait pas partie de mes priorités. Tant que je ne trouve pas une personne qui me convient, hors de question de quitter mon royaume, ni le trône qui m'est pourtant interdit en tant que femme. Lassée du comportement irresponsable de Maya, je quitte devant elle sans lui souhaiter mes vœux, et la laisse bêtement croire qu'elle m'a vaincue. Le temps que tout le monde passe les voir, je pénètre dans la fameuse pièce des dames d'honneuroù toutes les princesses se refont une beauté avant le bal de réception. Deva, ma maquilleuse, m'y attend tout sourire.

- Votre Altesse ! s'exclame-t-elle en me voyant.

Elle me salue d'une révérence et me fait m'asseoir face à l'un des miroirs. Heureusement, je suis la première, donc pas d'idiotes dans mon dos qui vont passer leur temps à jacasser sur les derniers scandales de leur royaume.

- Vous n'avez pas l'air bien votre Altesse.

- Je ne me sens pas d'humeur à danser, lui dis-je.

- Même au bras d'un charmant prince ?

- Encore moins.

- Vous avez de la chance alors, cette réception est une soirée masquée. Vous pourrez vous faire discrète.

Elle me montre un masque plutôt joli de couleur rose pâle, les contours saupoudrés de paillettes aux teintes satinées.

- Il vous plaît ?

- Oui, je l'aime bien. Mais c'est loin d'être discret, apprécié-je en riant.

Elle sourit et se met au travail. Elle saupoudre mon visage gras d'une poudre matifiante et le rend moins brillant, ajuste mon diadème parsemé de diamants, me fais changer de robe, et me met le masque. Je suis pratiquement méconnaissable.

- Merci Deva, vous m'avez sublimée.

- Vous avez des cœurs à briser votre altesse, j'ai fait mon devoir avec plaisir !

Je sors, un peu plus enjouée que tout à l'heure, et me promène dans le jardin royal d'Utopia. Tout le monde finit par porter un masque, et j'entends la musique du slow dans la salle. Les rayons de lumière en provenance de celle-ci ont carrément changé mon teint, et la couleur de mes cheveux. Je me sens complètement différente, mais agréablement bien, seule dans ma bulle, à jouer avec la pointe de mes cheveux.

J'espère que personne ne remarquera mon absence, ni ne viendra troubler la béatitude dans laquelle je suis en ce moment.

- Votre Altesse ? m'interpelle soudainement une voix dans mon dos.

Ce n'est pas possible d'avoir la paix cinq minutes ? ai-je envie de crier.

Sans pour autant me retourner, j'essaie de continuer la conversation, cherchant les mots les plus courtois pour y mettre fin le plus vite possible.

- Mon seigneur ? réponds-je par respect.

- M'accorderez-vous cette danse ?

Bien décidée à refuser, je pivote légèrement sur la gauche pour voir qui peut bien être venu jusque-là pour me demander une danse. Et c'est là que je le vois.

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