Chapitre 2

Non. Je ne peux plus courir. Mon flanc me fait atrocement souffrir et de toutes manières, je ne le dépasserai pas. Je m'arrête, vacillante. Je ne le vois pas continuer sa course, loin de moi, loin vers l'arrivée que nous ne distinguons toujours pas au bout de plus de quatre heures à courir. Je me demande si elle existe vraiment au final et si tout cela n'est pas un coup monté. Mais peu importe, je suis fatiguée et je me laisse tomber sur le bitume, exténuée. Je regarde à l'horizon et je ne le vois pas. Tant pis. Je ne veux plus qu'une chose : finir ce jeu qui nous pourris l'existence à moi et à lui. Nous n'avons toujours pas quitté cet océan de gratte-ciel et la route paraît infinie : j'ai peur de devoir mourir seule ici et je ressens un petit pincement au cœur face à la vérité. Il m'a abandonnée.

-Déjà fatiguée ?

Je tourne la tête à toute allure et prends un air étonné quand je me rends compte qu'il est derrière moi, tout aussi fatigué, les mains sur les genoux en haletant. Je ne peux être que perplexe ; Pourquoi ne m'a-t-il pas encore laissée tomber ? Après tout je suis faible et je suis persuadée qu'il peut encore courir un kilomètre ou deux. Néanmoins ce n'est pas sa réaction. Au contraire, il s'avance jusqu'à moi et s'assoit à mes côtés, contemplant la continuité éternelle de la route menant à la victoire finale. Je le dévisage longtemps avant de reporter mon attention sur le lointain et de finir par plaquer mon dos contre le sol pour regarder un ciel bleuté et brûlant de la chaleur du soleil. Il doit être aux alentours de midi, car celui-ci est haut dans le ciel. Mais je ne m'attarde pas dessus pour ne pas perdre l'usage de ma rétine et je ferme lentement les paupières. Mon ventre se soulève et s'abaisse régulièrement et j'inspire une grande bouchée d'air comme si toute ma vie en dépendait. Je l'entends qui se positionne à ma droite et sa respiration, plus tardive, fait venir un calme plat entre nous avant qu'il ne déclare :

-Pas besoin de se presser. Je gagnerai cette course à la loyale avec un adversaire en parfaite forme.

Je ne retient pas le léger rictus qui s'échappe de mes lèvres et je l'entends se relever. Soudainement il appuie sur mon flanc et je me relève en hurlant, submergée par la douleur :

-Mais ça va pas non ?!

Contre toutes mes attentes il s'excuse d'un air pathétique.

-Désolé, je voulais bander la plaie.

Il me regarde avec le visage figé dans une moue confuse et je ne peux m'empêcher de rire malgré la brève souffrance que cela procure. Je retire le bandana bien trop grand à mon poignet, arrache les coutures avant de lui tendre et de m'allonger en souriant :

-Tiens, soigne-moi avec ça.

Il le prend sans hésiter cependant sans me rendre mon sourire et commence à éponger le sang avec un bout de son tee-shirt arraché, puis il enroule, en faisant deux tours, le foulard sur ma blessure. Légèrement soulagée je me redresse entièrement sur mes pieds avant de lui tendre une main pour l'aider qu'il attrape après une légère hésitation. D'après ses précédentes paroles, pour lui, mieux vaut s'entraider. Je grimace de douleur lorsqu'il se lève et avant que je ne tombe, il me rattrape dans ses bras pour me maintenir sur le sol. J'en conclus que nous sommes alliés et il doit faire la même déduction puisqu'il annonce :

-On devrait aller faire un tour pour trouver de quoi manger.

J'acquiesce et nous nous retournons tout deux vers les immeubles menaçants de s'effondrer. Je me demande réellement ce qu'il a put se passer ici pour qu'il y est autant de dégâts. Il s'engage en premier hors de la ligne délimitant la route et ne voyant aucuns dangers se profiler, je fais de même en scrutant tout de même aux alentours. Nous marchons dans la ville abandonnée et je ne peux m'empêcher de repenser à l'Hôtel : ce lieu où se déroulait les épreuves, si semblable aux tas d'habitations nous entourant. Je finis par distinguer un supermarché. ''Joe's Market 72'', drôle de nom. J'interpelle le garçon en poussant un ''Hey'' dans la direction où il se trouve. Il me rejoint en courant tandis que j'avance vers la porte de l'épicerie. Les vitres sont cassées et laissent entrevoir une grande ouverture qui laisse largement la place à deux adolescents de cinquante kilos de passer. J'y entre la première, passant un pied par dessus le morceau de verre brisé et le déposant à l'intérieur de la boutique avant de faire entrer mon corps entier au dedans de l'établissement. Il n'y a pas de lumière et il fait sombre. Ce sont les premiers mots que j'ai à l'esprit alors qu'un courant d'air venant des vitres brisées me procure un frisson un peu trop important dans la colonne vertébrale. J'ai peur du noir depuis toute petite. D'habitude je pourrais affronter cette phobie mais avec un décors si sinistre je n'ose pas. Il le sent bien ; il pose violemment ses mains sur mes épaules ce qui me fait sursauter.

-Aurais-tu la frousse, miss ?

Je me dégage, rouge.

-Sûrement pas !

Je suis peut-être affreusement terrifiée mais je ne suis pas une dégonflée. Je distingue le rictus amusé qui se dessine sur son visage et je ne peux m'empêcher de le trouver adorable en cet instant. Toutefois je n'ai pas la place, ni le temps pour ce genre de pensée et je me retourne face à l'ombre noire qui couvre le magasin. Je fais alors un premier pas en avant puis je marche jusqu'à m'enfoncer dans un noir complet. Je tente de discerner quelque chose et surtout pas quelqu'un quand sa voix me fait sursauter de nouveau :

-Ne t'inquiète pas je te suis.

Bien, bien. Je suis bien avancée moi avec cette information ! Maintenant j'ai peur qu'il ne se transforme en dangereux psychopathe ou en un monstre désarticulé. Pourtant je fais abstraction de toutes mes émotions personnelles pour me concentrer sur ma vision ; je commence à discerner les contours des étagères et des paquets de liquide vaisselle : nous ne sommes pas dans le bon rayon ça c'est sur ! Je contourne alors les rangements et passe dans une autre allée où cette fois je vois des chips et des tas d'autres apéritifs. Je m'avance jusqu'au milieu de la rangée et j'entends quelqu'un s'emparer d'un paquet.

-C'est que moi !

Me lance le garçon.

Bon, et bien tout va bien. Je pioche moi aussi au hasard l'un des sachets et examine minutieusement la présence d'une quelconque date de consommation : je n'en vois aucune. Tant pis, j'ai faim alors je garde le paquet dans ma main avant de continuer mon chemin pour tourner dans la prochaine ligne de produits quand quelque chose d'inconnu me bouscule. Je manque de tomber mais me rattrape et reste figée sur place. Était-ce lui ? Je l'espère de tout cœur mais j'ai été bousculé à l'avant...

-C'est toi ?!

Je murmure.

J'entends des pas derrière et devant moi qui se rapproche et toujours pas de réponse. Je commence à être gagnée par la panique et celle-ci ne fait que s'accentuer lorsque j'entends derrière moi sa voix et toujours le bruit à l'avant diminuer la distance entre lui et moi.

-J'ai pris deux paquets de cinq-cent grammes de chips ! Me dit-il tout fier. Et pourquoi tu murmures ?

Je commence à me reculer vers lui en entendant les pas s'approcher de plus en plus près et je me heurte à son corps en l'entendant grommeler lorsque je lui marche sur le pied. J'ai les yeux fixés sur le lointain en essayant de percevoir une forme et je ne prête pas attention à ses reproches. Puis, après deux ou trois minutes d'observations, tétanisée contre son corps, je le vois: dans l'ombre une forme à apparence inhumaine se profile et nous fixe tous deux. Sans en attendre plus je hurle et je saisis son bras que je ne lâche pas pour l'entraîner à ma suite.

-Qu'est-ce qui se passe ?!

J'entends le trouble dans sa voix mais je suis trop terrifiée pour lui répondre : on nous poursuit et je vois maintenant clairement la forme qui coure vers nous à une vitesse presque identique à la notre. Le garçon s'est sûrement retourné car je l'entends s'exclamer :

-Oh putain, faut qu'on s'en aille vite !

Il prend les devants et contre toute attente, cours beaucoup plus vite que moi en laissant ses doigts enlacés dans ma main et me forçant à tripler d'allure. Nous semons presque le monstre quand il en apparaît un autre sous nos yeux et le garçon bifurque alors dans une allée, m'entraînant avec lui alors que je frôle une masse visqueuse qui s'avère être le corps de cet être difforme. Je me concentre alors uniquement sur ma course et je parcoure les rayons à en perdre haleine. Puis, au bout de quelques minutes, je distingue la lumière de l'entrée et je redouble d'efforts pour l'atteindre et lorsque nous y sommes enfin je ne comprends plus : la vitre s'est réparée toute seule et il est désormais impossible de l'ouvrir. Le garçon y rentre dedans de toute ses forces mais il ne fait que s'assommer et tomber par terre avec un grand bruit, me laissant seule face aux identités effrayantes qui se montrent à la lumière. Elles ont l'apparence d'hominidés seulement pour la position du corps : sur deux pattes, les bras avancés près à passer à l'action. Plus maigres que les hommes, presque squelettiques, elles possèdent une peau aussi noire que l'ombre et trois grandes griffes à la place des doigts. Leurs membres sont hérissés de piquants et leurs coudes se finissent en lames. Cependant le plus effrayant reste sans aucun doute leurs visages : dépourvus d'yeux et de cheveux, seulement recouverts de quatre narines frémissantes et d'une bouche dont les crocs dépassent du menton, ils sont effrayants. Un filet de bave sort négligemment de leur cavité buccale et leur être semble noyé sous quelque chose ressemblant à de la gélatine. Tandis qu'ils s'approchent de plus en plus près, je m'agenouille pour tenter de réveiller le garçon en le secouant tout d'abord puis en hurlant de plus en plus fort. Je ne sais pas quoi faire quand je me souviens soudainement du jeu dans lequel je suis. C'est une épreuve de logique. J'aurais dû prévoir ce genre de coup de la part des administrateurs du jeu mais je n'y ai réellement pas pensé ! Maintenant tout semble se remettre en ordre et alors que mon cerveau se met en marche je repère des détails que jusqu'à présent je n'avais pas remarqué. Le panneau sur ma gauche est incliné de quatre centimètre en bas me désignant le chiffre six d'une des caisses du supermarché. De plus, l'extincteur à ma droite semble être disposé spécialement pour ma portée et les monstres qui marchent dans ma direction portent tous une lettre au dessus de leur troisième narine. A, R, U, L, N et F. Le chiffre ne peut pas correspondre à l'une des lettres ce serait trop simple alors je scrute de nouveau la pièce lorsque l'écriteau indiquant le nom du magasin à l'extérieur m'apparaît : soixante-douze. Un sept et un deux. Parfait. Commençons l'analyse du système :

A est la première lettre de l'alphabet, R est la dix-huitième lettre, U est la vingt-et-unième, L douzième, N la quatorzième et F est la sixième. Soit un total de soixante-douze si l'on ajoute ses chiffres ce qui signifie que le soixante-douze est bien lié à cette énigme. Si l'on ajoute les deux chiffres du nombre on tombe sur neuf qui est donc symbolique de I dans l'alphabet. Et si l'on rajoute six, soit le nombre total de lettres, on tombe sur O, qui est aussi le symbole presque identique au zéro. Il me manque un nombre pour trouver la réponse...

Je scrute un quelconque indice tandis que je saisis l'extincteur en me rabattant contre la porte, coincée par ses êtres et enfin je le vois : le moins avant le A au dessus de la narine de la bête au centre. Soit Z ! Soit la première lettre de zéro ! Sans hésiter je brandis l'extincteur et le déclenche violemment ce qui appuie mon dos contre la porte. Je ferme les yeux durant toute l'action et j'entends la longue plainte terrifiante du monstre. J'ouvre mes paupières, lâchant mon arme de fortune vide par l'occasion et le vois se tortiller au sol au milieu de ses camarades qui se sont déjà affalés et dont l'un des corps recouvre celui du garçon. Puis la bête finit par s'évanouir et ne bouge plus. Pendant plusieurs minutes je n'ose pas bouger d'un pouce puis reprenant conscience de la situation , je m'accroupis très vite auprès du garçon. Dégoûtée, je me sers d'un bout de son tee-shirt arraché pour repousser le monstre sur le côté. Les deux émettent un grognement et je ne sais pas de quoi je dois avoir le plus peur ; de la possibilité que cet agresseur se relève ou du fait que la lame de ce même individu est clairement planté dans la cuisse du garçon. Oh s'il vous plaît à l'aide ! Je me sens idiote d'appeler seule dans ma tête alors que le sens commence à se répandre sur son pantalon. Prenant mon courage à deux mains, je retire lentement la pointe du coude de cet être horripilant de sa jambe et je découpe cette fois-ci un bout de mon débardeur pour appuyer sur la plaie afin d'éviter l'hémorragie.

-Oh merde ça fait mal !

Je l'entends grommeler et y a pas à dire : ça me fait du bien de le savoir vivant à mes côtés. Je le déplace contre la porte, non sans recevoir un flot de protestation, en l'aidant à se redresser. Puis je m'adresse à lui, la voix encore tremblante de mon récent affrontement dont il semble pour l'instant se moquer vu son état.

-Tu peux maintenir ça sur ta jambe ? Je vais voir si je trouve des bandages.

Sans attendre de réponse, je me lève et j'affronte le noir une deuxième fois. Cependant cette fois je suis rassurée car je peux être sûre que les administrateurs ne sont pas assez fous pour nous envoyer une deuxième vague de ces animaux bizarre. Cette petite épreuve est résolue. Bien sûr, j'ai toujours la crainte de voir surgir je ne sais quoi du fond de l'ombre mais je me retiens de pousser des cris et trouve, non sans peine, le rayon de pharmacie où sont exposés des multitudes de pansements dont bien entendu je ne vois ni le nom, ni quoi que ce soit d'autre. Je saisis la première qui me semble contenir un gros rouleau de bande et sans vérifier ni attendre plus longtemps, je cours vers lui tout en piquant au passage quelques éléments de nourritures sur les étagères pour ne pas avoir à retourner dans ce décor inquiétant.

-T'en as mis du temps ! Me reproche celui qui est appuyé sans bouger contre l'entrée.

Je ne réplique rien, trop fatiguée par son comportement et ma bataille. Je m'agenouille vers lui et déballe la boite qui contient bien une longue bande de bandage. N'ayant aucun objet pour la couper et avec appréhension, je me sers du coude bien tranchant du monstre qui pousse un nouveau gémissement. J'ai peur qu'il reprenne conscience mais mon sens de logique m'indique que le jeu n'en a pas besoin pour complexifier l'ultime épreuve déjà éprouvante du Logical Game.

-Merci.

Je réponds machinalement :

-De rien.

-Non.

Je me tourne vers lui, confuse, en terminant son bandage avant de le prendre par le bras pour l'aider à se soulever me rappelant par la même occasion que j'ai atrocement mal au flan. Il se dégage de mon aide, sans doute gêné et me fixe sans réelle expression avant de reprendre.

-Merci pour eux. Dit-il en désignant de la tête les créatures allongées au sol, incapables de bouger.

J'acquiesce mais il n'a pas terminé :

-Merci aussi pour ma jambe, pour être retournée là-dedans pour moi et désolé de t'y avoir entraînée la première fois.

Je ne peux m'empêcher de lui servir un grand sourire qui, je le vois bien, le déstabilise autant que moi. Cette fois ci il me répond par une faible esquisse de sourire qui s'agrandit peu à peu et nous restons longtemps à nous contempler ainsi sans véritable but puis nous nous rendons enfin compte de nos regards et nous rougissons légèrement tous deux. Au bout d'un certain temps, il finit par me demander, légèrement gêné :

-Et si on sortait d'ici ?

Après avoir cherché longuement comme on le pouvait, une clé ou un indice qui nous permettrai d'ouvrir la porte, on a découvert la porte de service derrière la caisse vers le mur et nous sommes sortis dans une ruelle qui rejoignait la rue principale après être passé dans l'entrepôt. Je l'ai aidé à se déplacer, bien qu'il me montre ouvertement qu'il n'y tient pas tant que ça en repoussant mes gestes avec douceur. Une fois dans l'étroite rue, je l'observe alors tout en veillant à ne pas avoir mal moi aussi et je fais son portrait : les cheveux châtains tirant sur le brun plus que sur le blond, les yeux verts illuminés d'étincelles pleines de vies, le visage fin, la bouche ni trop rose ni trop couleur peau ; il est vraiment mignon en fait. Je n'ose pas dire ''beau'' parce que ça signifierai pas mal de choses que pour l'instant je ne peux pas me permettre d'avouer. Nous sortons sur la rue principale et j'observe attentivement les alentours : bien que l'on soit blessé cela n'empêchera pas l'association de nous concocter des épreuves plus que mortelles. Toutefois, il ne semble pas être de mon avis car il continue sa route comme si de rien n'était.

-Hey !

Je l'interpelle.

-Ne va pas trop vite sans prendre de précautions ! On ne sait pas ce qu'ils peuvent...

-Déstresse ! M'interrompt-il. Il ne sont pas si sadiques que ça !

Je fais la moue, peu convaincue.

-Et puis une épreuve par jour ça suffit non ?

Rajoute-t-il.

Je hausse les épaules, pas plus persuadée. On ne sait jamais vraiment avec eux et je le sais pertinemment car ils m'avaient réservé le même genre de surprise avec ma sœur. Elle était beaucoup trop jeune et je ne me suis pas encore complètement remise de sa perte. Elle était ma cadette de cinq ans et avait donc dix ans lorsqu'elle est décédée. C'est triste. Quant à mon frère... Je ne veux simplement plus entendre parler de lui. C'est un vrai c*n ! Il l'a laissé mourir et je lui en voudrait pour toute ma vie. Je replonge dans mes souvenirs.

-Flash-back-

-Maman ! Je veux pas y aller je te dis !

Je proteste tandis qu'elle me traîne à sa suite en me tirant par le bras. Elle se retourne brusquement vers moi, me faisant face et je sens son regard pesant sur le mien ainsi que celui de ma sœur qui me tient par le bras et de mon frère qui me fixe, compatissant, au devant de ma mère. Cette dernière me saisit par les bras avant de plonger ses pupilles dans les miennes, la tristesse imprimée sur ses prunelles.

-C'est un moyen de te soigner ma puce. Dit-elle doucement.

-Je ne suis pas malade. Je réplique.

Elle rit doucement et je ne peux m'empêcher de ressentir un affreux pincement au cœur. J'ai une logique supérieure aux autres qui me permet même parfois de développer le don de prévoir l'avenir par déductions très simples ou encore de faire de la télépathie mais ma mère, rejetant tout once d'anormalité, tombe dans la folie en me prenant pour malade. Mais je ne le suis pas ! Cependant elle semble aveugle et la démonstration de son amour pour moi se fait de plus en plus rare et la preuve en est de cet asile où elle compte m'enfermer et où je me rends malgré moi. Lorsque j'ai vu le bâtiment j'ai su qu'il n'envisageait rien de bon mais je ne me doutais pas à quel point. De dehors, il ressemble juste à un building comme les autres mais je sais qu'il sera la source de ma souffrance. Nous avançons jusqu'à nous trouver vers la porte tournante et je tire une fois de plus sur la poigne ferme de ma mère qui ne lâche pas pour autant. Kimmy, ma petite sœur, serre fort mon bras avec un regard inquiet : elle n'aime pas se trouver ici, elle sait très bien elle aussi que nous n'allons jamais nous revoir alors elle s'accroche autant qu'elle peut. Vraiment, cet asile d'enfants logiques ne me dit rien de bon.

-Phoebe... M'appelle-t-elle. J'aime pas cet endroit...

Elle resserre sa prise sur mon bras tandis que nous pénétrons dans le hall d'entrée et découvrons une pièce semblable à toutes les réceptions : le comptoir sur la gauche avec les clés accrochés dans des petits casiers au mur, une porte de service encastrée dans le mur à côté, un cercle de fauteuil en vieille mousse en face du comptoir où sont réunis une quarantaine d'adolescent discutant de tout et de rien. Des tableaux austères représentant des personnages sont accrochés à une tapisserie blanche à bandes verticales couleur crème coupée au centre par un panneau de bois qui s'étend sur toute la longueur jusqu'au sol. A côté de l'entrée, vers les vitres en verre donnant sur le dehors, d'autres canapés avec d'autres adolescents excités et... un garçon qui semble s'ennuyer seul sur un pouf. Il m'intrigue car il n'est pas aussi enjoué que les autres et son regard plane dans le vide jusqu'à ce qu'il vienne se poser sur mon frère, qui entre en premier, puis ma mère, puis ma sœur et enfin moi. Il soutient mon regard jusqu'au bout et je fais de même, intriguée. Il possède des iris tellement verts et pétillant de vie, -iris qui s'éteindront petit à petit- et des cheveux courts entre le brun et le châtain. J'observe les traits de son visage et j'en déduis qu'il est mignon, voir beau. Je détourne le regard. Peut-être lui arrivera à me faire oublier pourquoi je suis ici.

Quand je fais un pas vers l'accueil, le monsieur derrière me sourit et annonce avec force pour se faire entendre de tous :

-La dernière est arrivée, nous allons pouvoir commencer.

Tous les regards se tournent vers moi et je reçois une multitude de sourire qui m'étonnent tellement que j'oublie de leur répondre. Je sens Kimmy qui se glisse derrière moi, timide qu'elle est. Je scrute la pièce et à ce moment je sais que quelque chose ne va pas. Je distingue des fentes dans les murs et des objets brillants qui en sortent lentement. Je pressens le danger avant même qu'il n'arrive et je recule vers la porte mais je heurte une vitre en verre et c'est le signal : les tirs commencent. Je sens un projectile qui m'arrive dans l'épaule, mais trop impressionnée, je ne réagis pas à la douleur et j'abrite ma sœur de mon corps alors que les balles ricochent autour de nous. J'entends des cris terrifiés des adolescents qui s'effondrent devant les cadavres de leurs parents, tous morts sous les coups. Je ne sais combien de temps s'écoule cependant la fusillade cesse et j'ose lever les yeux : il n'y a que du sang partout et tous les proches des enfants ont été assassiné et prennent des positions bizarres sur le sol, les yeux grands ouverts. Je vois ma mère : étalée contre le carrelage immaculé du rouge de son sang. Ses yeux nous fixent et je cache ceux de ma sœur qui hurle de frayeur. C'est une erreur ; sous les prunelles des adolescents qui se font bâillonner par des agents, on m'arrache ma petite sœur des mains. J'essaie de la récupérer mais je n'y parviens pas car des poignes me retiennent en arrière et je n'entends que ses cris. Ils me déchirent l'âme. Je cherche une aide toutefois je ne croise que des personnes à l'air affolé et le regard du garçon qui se fait froid malgré les quelques larmes qui coulent sur ses joues. Je crie alors, essayant de me libérer à tout prix alors que mon frère s'approche de Kimmy. Mon frère ?!

-Arthur ! Sauve-toi et prend-la avec toi je t'en supplie ! Je lui hurle.

Mais il continue d'avancer d'un pas peu rassuré vers ma sœur et je remarque l'arme dans sa main droite. Non. Il ne peut pas ! Il ne doit pas !

-Arthur pose ce flingue !

Je n'obtiens pas de réaction et la peur monte en moi à une vitesse fulgurante alors qu'il dépose le canon sur la tempe de ma cadette. Il ne va pas le faire, il n'en est pas capable, c'est mon frère.

-Arthur Peterson a quoi tu joues ?!

Ma voix trahie ma panique et je ne peux que le regarder faire.

-Arthur ?! ARTHUR !

Ma sœur hurle, elle crie de toutes ses forces mon nom et se débat de ses petits bras frêles. J'en fais autant, la sentant en danger et autant paniquée que moi. Son regard et ses pleurs sont un coup en trop pour mon cœur qui rate un battement avant de reprendre un rythme beaucoup plus rapide. Mon frère ne lâche pas son arme et commence à appuyer sur la gâchette. Il me regarde droit dans les yeux, le bras tendu vers sa victime et murmure :

-Désolé Phoebe.

-KIMMY !

La détonation s'en suit et je sens le monde qui s'effondre autour de moi. Les gardes me lâchent et je m'effondre sur le sol tout en contemplant ma sœur qui tombe pathétiquement elle aussi. Le sang recouvre ses cheveux et je m'approche à genoux tandis que les autres en pleurs sont déjà transportés dans leurs chambres. Je prends sa tête entre mes mains. Si petite, si fragile. Et je caresse sa chevelure en murmurant ma détresse, les yeux fixés sur le liquide rouge qui s'échappe de son crâne. Je lui ferme les paupières dans un dernier geste et je sens qu'on me soulève. Je m'accroche à son corps :

-Non ! NON ! KIMMY !

Les larmes me brouillent la vue et j'ai juste le temps de croiser le regard de mon frère et l'expression de tristesse sur son visage qui s'imprime peu à peu. J'essuie les gouttes du revers de ma main et avec l'aide d'une poussée d'adrénaline je me dégage de la pression sur mes bras exercée par les gardes pour courir vers lui et lui sauter dessus. Je le frappe de toutes mes forces en l'injuriant et le maudissant par tous les noms alors qu'il ne cherche pas à riposter. Puis je sens une aiguille s'infiltrer sous ma peau, la présence vague d'un liquide qui se diffuse, puis le sol et plus rien.

Et voilà, ce fut pour moi la véritable première épreuve.

-Fin du Flash-back-

Je sens une larme solitaire qui trace lentement son chemin sur ma joue et je ne cherche pas à l'essuyer. Il n'y a pas de honte à pleurer pour ça et ce n'est pas la présence du garçon qui m'en empêchera. Cependant quand celui-ci pivote sa tête vers moi, je me détourne. Je ne veux pas qu'il commence à m'interroger sur quoi que ce soit, mais mon vœux n'est pas exaucé :

-C'est ta sœur ?

J'avais presque oublié à quel point il avait l'habitude de me voir ainsi. Je regarde de nouveau l'horizon et acquiesce. Entre notre escapade au supermarché et cette fin de flash-back il a du bien s'écouler deux heures où nous avons marché côte à côte, sans rien dire, sur la route. Après nous nous étions installés sur le bord et avions entamé un peu de nos provisions, forcés par la faim qui nous tenaillait le ventre depuis le midi. Assise en tailleur sur la bordure de notre long chemin goudronné, je fixe ce qui me semble infini et je songe à toute les épreuves avant qui elles aussi me paraissaient interminables. Je sens soudainement un bras qui m'entoure d'une chaleur confortable et je tourne brusquement la tête pour le voir assis à ma gauche, me souriant faiblement tout en m'attirant contre lui. Je ne résiste pas. J'ai besoin de ce confort et cela ne signifie absolument rien. J'appuie donc mon crâne sur son torse tandis qu'il resserre son étreinte et je clos mes paupières, laissant le vent me caresser le visage. Je ne me détends que cinq minutes avant que le bruit de klaxon ne me réveille violemment et j'ouvre les yeux en grand.

QG - Logical Game, 15h42, Samedi 25 Mars 2017.

La table autour de laquelle se regroupent les gérants et présidée par Kate Allow est agitée de murmures et de questions sur le bon déroulement du jeu. Le décor choisit par cette dernière est sobre et démontre une certaine autorité sur les membres présents dans cette assemblée qui sont tous ravagés par des interrogations sur l'avenir du garçon et de la fille. Peter Davis, grand organisateur des nombreuses épreuves, attend patiemment que la présidente du conseil rétablisse le silence sur la table tandis que Silla Williams, son voisin de gauche chargé de la surveillance des énigmes, les pieds sur cette dernière, se cure les ongles à l'aide d'un couteau suisse l'air absorbé. Andrew Patterns, chef des gardes, regarde l'heure de sa montre, stressé par le retard que prend la situation alors qu'il doit se rendre à un match de boxe important. Marina Da Costa, créatrice chargée des graphismes des monstres de la dernière épreuve et son collègue scientifique chargé de la réalisation des créatures, Phil Lockwood, discutent autour d'une feuille et d'un crayon du prochain modèle à intégrer. D'autres éminents du milieu du Logical Game, tous aussi importants, sont occupés à débattre sur plusieurs sujets concernant les futures manœuvres à aborder.

-Un peu de silence s'il vous plaît.

Impose enfin la présidente.

Aussitôt, l'on entend que les mouches voler dans la pièce et les toussotements impatients de Peter Davis. Kate, en bonne représentante du grand patron, débite une rapide présentation d'elle et des personnages présents dans la salle avant de commencer par un simple résumé de la situation actuelle.

-Bien. Comme nous pouvons tous le remarquer, à l'instant présent les deux candidats présentent des résultats semblables qui ne peuvent être départagés que part cette dernière épreuve bien que Matthew montre des aptitudes plus grandes que sa concurrente qui se...

-Phoebe n'est pas à sous-estimer.

Tous les regards se tournent vers Arthur Peterson. La présidente réplique d'un ton froid, agacé par les coupures qu'elle subit maintenant à toutes ses interventions sur le sujet de la jeune sœur de ce dernier :

-Ce n'est pas parce qu'elle est ta sœur que nous allons lui faire un quelconque cadeau et tu le sais pertinemment. Il n'y a aucun avantage à lui vanter des mérites que nous ne lui avons pas vu pour l'instant.

-Elle se camoufle Kate. Je suis bien placé pour savoir qu'elle est capable de beaucoup plus.

-Tu es prié de m'appeler Présidente Allow.

Un rictus méprisant apparaît sur le visage de Peterson.

-Elle est forte, Présidente Allow.

-Pourquoi cacherait-elle ses dons alors si tu es tant sûr qu'elle puisse remporter cette course haut la main, Peterson ? Ajoute Peter Davis, s'incrustant dans la conversation entre ses collègues et s'opposant fièrement à son rival de toujours qui vole la vedette à son frère cadet. Il commence à ressentir un certain agacement envers le jeune garçon qui est persuadé de la victoire de sa sœur et la soutient de tout son cœur alors qu'il n'a pas ressentit une énième once de pitié en tuant sa cadette sous les yeux de cette dernière.

Des chuchotements parcourent la salle et Kate Allow est obligé de redemander le silence sous l'air exaspéré de ceux qui attendent tranquillement la suite des explications du jeune homme.

-Arthur, tu as la parole.

S'adresse-t-elle au concerné qui la dévisage avant de se retourner vers ses semblables.

-La peur.

Un nouveau brouhaha s'empare de la pièce. Peter Davis se prend l'arrête du nez entre les doigts et fronce les sourcils, dérangé par l'attitude bavarde de ses collègues de travail tandis qu'Arthur reste les bras croisés sur son siège à attendre de pouvoir développer sa suite d'informations.

-Silence ! Crie la présidente du conseil. Développe Arthur, nous t'écoutons.

-Depuis la mort de Kimmy elle n'utilise plus ses capacités au maximum et s'enferme sur elle-même car elle n'a plus personne à protéger si ce n'est elle étant donné ma trahison.

-Certes, mais nous savions tous que tuer ta sœur éveillerai sa rage envers le jeu et donc la volonté de gagner.

-Elle ne fonctionne pas ainsi, Davis ! Renchérit Arthur. Elle peut bien ressentir ce qu'elle veut contre le jeu et ses dirigeants mais tant qu'elle n'a personne à chérir et à protéger elle se fiche bien de mourir malgré les quelques coups d'adrénaline que nous avons pu voir chez elle.

-Alors il n'y a plus qu'à faire en sorte qu'elle s'attache à Matthew.

Déclare Kate Allow tout en s'affalant sur son siège. Les visages se tournent vers elle alors que Peter Davis et Arthur Peterson se retiennent d'intervenir, bloqués tous deux par leurs voisins. Créer un couple avec son petit frère et sa sœur ?! Peter Davis a beau retourner cette hypothèse dans tous les sens, il ne voit pas de bon côté. Chez Arthur, on observe la même réflexion et tous deux se fixent d'un regard mauvais avant de capituler à la prochaine intervention.

-Des précisions, Présidente ? Comment devons-nous inclure ça dans le jeu ? Questionne Marina.

Kate soupire, exténuée par l'incapacité de ses employés, avant de déclarer en appuyant ses mains sur la table.

-Il faut repenser le jeu pour que les épreuves possèdent des solutions complexes qui les forceront à agir en duo. Le reste se fera tout seul.

Tous acquiescèrent d'un même mouvement, les uns complètements d'accord et les autres peu convaincus.

-Bien, alors la réunion sur ce sujet est close.

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