Je n'ai pas oublié

Quand je passe devant ce trophée, je ressens toujours un pincement au cœur que je préfère cacher.

Qu'est-ce que je l'ai aimé.

Le savait-il ?

S'en fichait-il ?

Jamais je ne saurai.

Sauf si...

Non.

Ce n'est pas le but.

Ce n'était pas leur but.

Mon but à moi...

Je n'en ai plus.

Ou en ai-je à nouveau un ?

Celui de le prendre sous mon aile ?

Mais pour quoi faire...

Le ramener à moi pour devoir le protéger ensuite ?

Tout a changé dans mon monde.

Dans notre monde.

Deux camps s'affrontent.

Je passe devant lui chaque jour.

Quand je pars en chasse.

Quand j'en reviens.

Quand je monte la garde.

Quand j'ai envie de me souvenir du passé.

Chaque fois, ce pincement dans ma poitrine.

C'est bien la preuve que je ressens encore quelque chose !

Ils ne peuvent pas tous être devenus insensibles !

Je ne peux pas être unique.

Je ne veux pas être unique.

Et si lui était comme moi ?

Si je l'éveille avant sa fin, peut-être voudra-t-il rester près de moi ?

Mais s'il voulait la retrouver, elle ?

Non.

Elle prendrait la fuite.

Elle ne pourrait pas.

Elle ne pourrait plus.

Alors que moi, je pourrai toujours.

Pour l'éternité.

La vie éternelle est à portée de main.

Pas encore parfaite, mais c'est comme tout, ça évoluera.

On évoluera.

Je suis bien évoluée.

Enfin, je crois.

Et si je n'étais pas la seule ?

Quand je passe devant ce trophée, je me souviens.

Je me souviens de la mélodie de son rire qui retentissait aussi fort que sa joie de vivre.

Résonnera-t-il encore ?

Je me souviens de la couleur de ses iris, profonde, intense, perçante.

Auront-ils la même teinte ?

Je ne ris plus.

Mon regard s'est terni.

Mais si je l'éveille, je pourrai revivre.

Enfin, revivre...

Fichu pincement à l'intérieur de moi.

Seulement, il me rappelle que je suis encore...

Encore quoi ?

Vivante ?

J'ai envie de pleurer de tristesse.

J'ai envie de me noyer dans mon chagrin.

Je veux mourir d'une douleur que je ne ressens plus.

Je me sens vide.

Je suis vide.

Alors, c'est quoi ce pincement ?

Si je suis censée ne rien ressentir, comment peut-il se manifester ?

Est-ce vraiment la fin du début ou un présage d'avenir moins sombre ?

Dois-je l'intégrer à mon avenir ?

À cet avenir de désolation ?

A-t-on un avenir ?

Quand je passe devant lui, notre trophée, je ressens encore et toujours ce fichu pincement au cœur qu'il faut que je leur cache.

Ne pas faire de vague.

Rester dans l'ombre.

Ne rien dire.

Ne rien montrer.

Obéir.

Finalement, je me rapproche plus de l'ectoplasme que de ce simple amas de chair qui bouge.

Trois jours.

Trois jours qu'il est là.

Notre trophée.

En croix contre le mur.

Empalé sur cette pique.

À l'agonie.

Ses paupières ont fini par se fermer.

Son torse se soulève à peine.

Il respire encore.

Mais son souffle se tarit.

Son sang le recouvre.

Dans quelques heures, ce sera fini.

Les plus faibles n'ont pas pu monter la garde.

Peu d'entre eux ont la force de résister.

L'odeur est entêtante.

Mais ils veulent sa mort.

Enfin, sa mort définitive.

Et il est là, érigé en trophée.

Symbole de dissuasion.

Emblème de notre réussite.

Tu parles d'une réussite.

La horde était si fière de s'emparer de lui et de l'accrocher à la vue de tous.

J'aurais préféré qu'ils ne l'attrapent pas.

J'adorais entendre le son du sang pulser dans ses veines quand j'allais l'observer pendant mes rondes, même s'il me donnait l'eau à la bouche.

J'ai toujours aimé son parfum. Il était enivrant.

Il me fait toujours autant tourner la tête, mais d'une façon différente.

Mon cœur a tant battu pour lui.

C'était une autre époque.

Pas si lointaine.

Mon ancienne vie résiste dans ma mémoire.

Je n'ai pas oublié.

Je ne l'ai pas oublié.

Quand je passe devant ce trophée, je ressens toujours un pincement au cœur que je préfère cacher.

Encore faudrait-il qu'il batte encore.

En revanche, cacher ma peine reste un vrai défi.

Je ne dois pas montrer que je ressens encore quelque chose.

Parce qu'eux ne ressentent plus rien.

Ils sont vides.

Ce qui faisait d'eux des êtres humains s'est envolé quand leur organe vital s'est éteint.

J'aurais préféré que ce ne soit pas lui, qu'il reste en vie.

Mais il est déjà presque mort.

Sauf que... ce n'est pas définitif.

Il y a une solution.

Nous sommes la solution.

Je passe encore devant lui.

Mes allers et retours n'en finissent plus.

Les survivants oseront-ils approcher ?

Ou fuiront-ils le plus loin possible ?

Ils devraient.

Cependant, rien ne garantit que l'ailleurs est meilleur.

Ce qui nous est arrivé n'est peut-être pas isolé.

Seulement, nos chefs proclamés nous cantonnent ici.

Ont-ils peur de découvrir ce qu'est devenue l'humanité ?

Non.

Ils n'ont pas peur.

Mais moi, j'ai peur.

Avec lui à mes côtés, serais-je moins terrorisée ?

Je suis seule face à lui.

La volontaire pour cette ultime garde, avant son ultime respiration.

Sa fin.

Notre gloire.

Je laisse mes pas me rapprocher.

Sa fragrance s'infiltre par tous les pores de ma peau tel un raz-de-marée.

Ma mâchoire se contracte.

Il ne faudrait pas que je m'emporte.

Il est censé rester mort.

C'est ce qui a été décidé.

Ou s'enfuir.

Ensemble.

Et s'il réagissait mal ?

Les débuts sont compliqués.

On est affamé.

Incontrôlable.

Je serai là.

Je ne l'abandonnerai pas.

Mon bras se tend.

Ma paume l'effleure.

Mon visage s'approche.

Je l'entends. Son palpitant. Faible.

Je le sens. Presque mort. Presque putride.

Pourtant, alléchant.

Ma langue sèche glisse sur mes lèvres craquelées.

Lèche sa peau luisante.

Son sang collé.

Un léger gémissement retentit.

Sa bouche entrouverte remue.

Un mouvement que seuls mes yeux morts perçoivent.

Un détail qui échappe à ceux des humains.

Vivante.

Mais morte.

Un corps.

Des pensées.

Des envies.

Il émet un son.

À peine audible.

Je l'entends comme s'il hurlait à mon oreille.

« Ai... Ai... de... »

Son effort me submerge.

Chaque cellule de mon cerveau éclate.

Chaque veine aride menace d'imploser.

Mes dents trouvent un morceau de chair sous son t-shirt imbibé d'hémoglobine.

Un voile s'abat sur mes pupilles.

Mon être entre en ébullition.

« Ai... de... moi »

Est-ce t'aider que de t'entraîner dans ce nouveau monde ?

Peut-être que t'aider serait de te laisser mourir.

Que tu ne puisses plus voir le malheur s'abattre sur l'humanité.

Que ton âme repose en paix.

Même si tes dernières heures se sont écoulées dans d'atroces souffrances.

Et je t'ai regardé t'éteindre.

J'ai regardé ta vie s'envoler.

J'ai ressenti.

Ce besoin de te garder.

Ce besoin de t'avoir à mes côtés.

Cette étincelle qui fait que je ne suis pas juste un corps sans sentiments.

Dans un instant, tu vas te transformer et te réveiller.

Tu auras une nouvelle vie, celle d'un mort qui renaît.

Seulement si je ne te dévore pas tout entier.

Quand je passais devant ce trophée, je ressentais toujours un pincement au cœur que je préférais cacher.

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