Aurore au crépuscule
Je déambule avec mes amis dans les rues de ma commune, parées de ses plus horribles atours. Sacs poubelle renfermant de faux corps, squelettes pendus, araignées géantes, pierres tombales dans les jardins, chaudrons bouillonnants... Nous célébrons Halloween comme il se doit et faisons honneur à cette fête, déguisés en vampires, loups-garous, morts-vivants, clowns et autres démons. L'heure des enfants est terminée, les adolescents prennent le relai pour faire de cette ville un cauchemar, le temps d'une nuit.
Alors que nous sonnons à la porte d'une maison pour effrayer ses habitants, une ombre, qui file dans la ruelle, attire mon attention. J'abandonne mes compagnons pour la suivre, intriguée par la forme que je n'identifie pas. Serait-ce un enfant qui traîne encore dehors à une heure aussi tardive ? De plus, la nouvelle lune est là, et, s'il n'y avait pas quelques lampadaires pour nous éclairer, nous n'y verrions rien.
Je constate que l'énergumène tourne vers un chemin qui mène à l'arrière de l'église. J'attrape les pans de ma longue robe blanche faussement ensanglantée pour courir plus facilement et tenter de le rejoindre. Lorsque j'arrive près du lieu de culte, j'avise une porte se refermer.
Mais qu'est-il parti faire au sous-sol ?
J'allume la lampe torche de mon smartphone et décide de m'aventurer à sa suite. Alors que je descends l'escalier avec prudence, je me prends les pieds dans ma tenue et dévale les dernières marches, pour finir les quatre fers en l'air.
« Eh merde ! » crié-je, en constatant que mon téléphone, que j'ai lâché, n'a pas survécu à la chute. Je reprends mes esprits et me relève, alors que je n'y vois plus rien. Un semblant d'angoisse s'empare de moi, je n'aime pas la tournure qu'adopte cette filature. J'aperçois une faible lueur, éloignée de ma position, et m'en approche. Sur une petite table ronde se trouve une bougie, ainsi qu'un verre rempli d'un liquide rougeâtre et un papier avec une inscription : Buvez-moi et votre nuit s'embellira.
Perplexe, j'amène ce breuvage à mon nez pour le sentir. Le parfum n'ayant rien de suspect, j'avale le tout cul sec, non sans frémir de dégoût, la saveur n'ayant rien à voir avec l'odeur. La pièce se met à trembler – à moins que ce ne soit mon corps – et, alors que je tente de rejoindre la sortie, le sol se dérobe sous mes pieds.
Je dois avoir perdu connaissance, car, lorsque j'ouvre les yeux, je me retrouve dans la terre, allongée au bord d'un lac sombre. Je me redresse et constate avec effroi que l'eau est en fait du sang, qui recouvre ma robe mouillée.
Mais où ai-je atterri ?
Ma tête tourne lorsque je me relève. J'observe les alentours et ne reconnais pas cet endroit. La nuit n'est pas encore tombée ici, le soleil est en train de se coucher. Un peu plus loin, d'étranges ombres dansent autour d'un feu, et l'une d'elles m'aperçoit. Les deux billes rouges en guise de globes oculaires me font frissonner de peur et je m'empresse de fuir. Je m'enfonce alors dans la forêt adjacente où une brume opaque s'étend.
Aurore, réfléchis. Qu'est-ce qui se passe ? Où es-tu ?
J'arrête ma course pour m'asseoir sur un tronc et me raisonner. Seulement, un bruit près de moi me tire de mes pensées. J'avise deux fillettes, vêtues d'une robe noire, dos à moi en train de jouer.
— Les filles, pouvez-vous m'aider ?
Lorsqu'elles se retournent pour me faire face, je hurle de terreur. Leur visage, identique, est lacéré et couvert de sang séché, elles tiennent dans leurs mains des têtes de bébé décapitées.
— C'est pas moi, c'est ma sœur, énoncent-elles en cœur, répétant cette même phrase plusieurs fois.
Je me mets debout, tous mes membres tremblent face à ces gamines sorties tout droit des enfers. Je m'empresse de courir aussi vite que je le peux pour prendre de la distance avec elles.
Qu'est-ce que c'est que ce cauchemar ? Qu'y avait-il dans le verre que j'ai bu ?
Je débouche dans une clairière parsemée de fleurs. Je ralentis, cependant, je constate qu'elles n'ont rien de normal. Des vers recouvrent leurs pétales et elles se désagrègent en un tas de cendres. Un papillon se pose sur un lys et il part en fumée. Mon souffle s'accélère et mon pouls pulse si fort que je l'entends résonner dans mes tympans. Je redémarre ma course, pressée de m'enfuir de ce lieu maudit.
Je tente un regard en arrière, pour vérifier que je m'éloigne assez, et percute quelque chose. Me voilà de nouveau à terre.
— Qu'avons-nous là ?
Je lève les yeux vers l'émetteur de cette phrase et retiens ma respiration. Un corps d'homme, engoncé dans un long costume noir, soutient une tête terrifiante en forme de citrouille. Le visage qui lui a été fabriqué n'a rien d'avenant. À sa ceinture pendouille un flacon avec un tube qu'il tient dans la main. Il l'amène à sa bouche pour fumer l'espèce de liquide grisâtre qui repose dans le réceptacle.
— Tu m'as l'air perdu. Suis-moi, j'ai quelque chose pour toi.
Une bave noire et gluante lui coule au coin des lèvres et de la fumée sort de ses yeux, il n'en faut pas plus pour que je déguerpisse. Mon cœur bat à tout rompre, la panique m'envahit. Si c'est un mauvais rêve, j'aimerais me réveiller au plus vite.
Je cours aussi vite que je le peux et essaye d'éviter les arbres dans ce brouillard épais qui, j'ai l'impression, tentent de me faire tomber. En effet, je vois quelques racines surgir sur mon chemin sans crier gare. Je finis par en prendre une dans le pied et m'étale de tout mon long dans les feuilles collantes qui jonchent le sol.
Cette fois, je ne peux retenir mes larmes et éclate en sanglots. Je ne sais pas dans quel endroit bizarre j'ai atterri et, en prime, je suis perdue.
— Tss. Que faites-vous ici, jeune fille ?
Qu'est-ce encore ?
Je cherche partout d'où peut provenir cette voix mystérieuse, mais il n'y a personne.
— Je suis là-haut !
Je lève les yeux pour apercevoir une tête de mort flottante dans le vide. J'ouvre grandes mes mirettes et me redresse, chancelante.
— Vous semblez perdue ? Que cherchez-vous ?
— Je... heu... Je ne sais pas ce que je fais ici, j'aimerais rentrer chez moi.
Ma voix chevrote. Suis-je vraiment en train de converser avec un crâne volant ? Je m'égare, néanmoins, je n'ai rien à perdre.
— Oh, cela est très simple ! Tu dois seulement atteindre le crépuscule.
— Et... comment dois-je faire ça ? Le crépuscule ne s'attrape pas !
— Poursuis ta route, et tu verras...
Sous mes yeux ébahis, la tête disparaît. Me voilà bien avancée ! Cependant, la brouillasse ambiante de la forêt semble s'estomper sur un chemin, que je décide d'emprunter. Cette fois, je progresse prudemment, je me trouve déjà dans un état lamentable. Ma robe est déchirée et tachée par de la boue et une sorte de matière qui pourrait bien être du vrai sang. Je dois certainement apparaître comme un être terrifiant à l'heure qu'il est.
Mais, quelle heure est-il ? Il ne fait toujours pas nuit.
Soudain, j'entends de la musique. Je m'approche de l'endroit d'où ce son provient et j'assiste à une scène horrifique. Un monstre, les yeux orange, les dents blanches acérées et le corps fait de fumée noire, porte à sa bouche, ouverte jusqu'aux oreilles, ce que je pense être des doigts. À ses côtés, un corps nu, pâle comme la mort, sans attributs visibles et sans bouche, tourne la tête vers moi. Ses iris rouges me paralysent et j'entends une voix froide, qui ne semble émise par aucun d'eux.
Joins-toi à nous, cher enfant, viens fêter la nuit des morts.
Les deux êtres immondes se lèvent de la table, où reposent moult parties de corps dépecés, et marchent vers moi, ou, plutôt, lévitent vers moi. Mes jambes chancellent, mon sang se glace, pourtant, j'arrive à sortir de ma léthargie et à bouger pour rebrousser chemin, avant que ces monstres ne m'atteignent. Je reprends ma course, le cœur affolé, et mets le plus de distance possible entre ces créatures et moi. Hors de question de finir dans leur assiette !
Lorsque je comprends qu'ils ne me poursuivent pas, je m'arrête et m'effondre. La tête entre les mains, à genoux sur le sol crasseux, je déverse ma peur à travers le torrent de larmes qui me malmène. À ce moment-là, une horde d'animaux arrive près de moi. Tels des monstres de Frankestein, des morceaux de leur corps ont été découpés et cousus sur d'autres. Je me lève et recule, terrifiée, jusqu'à me cogner contre l'écorce d'un arbre. Ses branches m'enlacent alors et me serrent de plus en plus fort, je ne peux même pas pousser un cri, bien que mon âme hurle d'effroi.
L'arbre m'avale, littéralement, et je me retrouve éjectée dans un nouveau lieu. Le soleil n'a toujours pas disparu, mais l'obscurité est intense. Je discerne avec mal des personnes qui s'agitent autour de moi, sans voir à quoi ils ressemblent. L'un d'eux me percute et renverse ce qu'il portait sur moi en hurlant. Je me retrouve aspergée d'un liquide chaud et visqueux, un haut le cœur manque de me faire vomir.
— Elle est couverte du sang du maître ! Fuyez, son courroux sera épouvantable !
Les voilà qui se rentrent tous dedans et tombent tout autour de moi. Leur corps disparaît, comme aspiré par le sol. Je suis au bord de l'évanouissement, quand j'entends un grondement, suivi d'une exclamation terrible.
— Qu'on lui arrache le cœur !
J'écarquille les yeux face au démon qui s'approche de moi et ne respire plus. Il est immense et son squelette est apparent, avec quelques lambeaux de chair qui s'y accrochent. Les os de son visage sont visibles et quatre énormes cornes partent de son crâne. La terre tremble à chacun de ses pas. Des versions de lui miniatures se mettent à foncer sur moi.
C'est alors que je le vois, le crépuscule. Entourée par des flammes trône une toile, qui représente cette lumière incertaine entre le jour et la nuit. Je reprends une position verticale et tente le tout pour le tout. Je fuis vers cette peinture, les monstres à mes trousses hurlent vouloir manger mon cœur. L'adrénaline me transporte, je saute par-dessus le feu et me jette dans le décor.
— Aurore, réveille-toi !
Une gifle me sort de ma torpeur et j'ouvre les yeux, encore abasourdie par ce que je viens de vivre. Je suis allongée sur le bitume et avise mes amis autour de moi. Désorientée, je m'assois et constate que je suis près de la porte de l'église.
— Enfin ! Explique-nous ce que tu faisais dans le sous-sol ? Nous t'avons retrouvée en bas des escaliers, dans les vapes. Tu baragouinais des choses incompréhensibles.
Alors, tout cela n'était qu'un rêve ?
Alors que deux d'entre eux m'aident à me remettre sur pied, je jette un coup d'œil derrière moi. La porte est restée entrouverte, et deux billes rouges nous observent. Je hurle et détale à vive allure, abandonnant mon groupe à son triste sort.
𓆩*𓆪
Vous avez sûrement deviné de quelle histoire il s'agit à la base 😉
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