3 - cours ombrageux - 3
★★★
Comme ils l'avaient prédit, la rentrée fut fort douloureuse pour les Cinquième Année.
Susan avait eu les plus grandes peines de la galaxie à conserver ses yeux ouverts lors des enseignements toujours aussi soporifiques du fantôme qui lui servait de professeur d'Histoire de la Magie, et la jeune fille était certaine d'avoir manqué une bonne partie de la leçon du jour dans les notes qu'elle avait mollement griffonné. Du coin de l'œil, Susan avait pu constater qu'elle n'était guère la seule à avoir lutté contre l'ennui et le sommeil. Harry Potter et Ron Weasley, assis juste devant elle, avaient dédié le plus clair de leur temps à jouer au pendu sur un morceau de parchemin, Hannah s'était à moitié assoupie sur son poing gauche tandis que sa main droite peinait à tenir convenablement sa plume, Lavande Brown et Parvati Patil bayaient aux corneilles, Zacharias marmonnait pour lui-même au sujet du Quidditch et Dean Thomas dessinait. Seuls Hermione Granger et Ernie, pour une raison que Susan n'arrivait toujours pas à déceler, étaient parvenus à demeurer suffisamment attentifs. Vraiment, c'était à se demander si quelqu'un allait un jour se dévouer pour tenter de convaincre le professeur Binns de prendre enfin sa retraite, et c'était sans compter le peu d'attention qu'il accordait à son entourage à l'ordinaire.
La Métamorphose avait été pire encore. Le professeur McGonagall avait dédié les vingt premières minutes à les angoisser au sujet des BUSEs puis ils s'étaient employés durant le reste de l'heure et demi à tenter sans le moindre succès d'exécuter le sortilège de disparition, qu'ils devraient maîtriser à la perfection à la fin de l'année lors de leurs examens. Lorsque la cloche du déjeuner avait sonné, Susan n'était parvenue qu'à faire légèrement pâlir la pauvre souris sur laquelle elle s'entraînait.
La journée s'était enchaînée sur un petit-déjeuner avalé du bout des lèvres dans la morosité ambiante et le spectre de la mort de Cédric, lorsque Maxine O'Flaherty, sa remplaçante au poste de capitaine, était venue voir Zacharias pour choisir l'horaire des essais au poste d'attrapeur. Ce sentiment de tourner la page sur ce jeune homme si bon et généreux qui avait été comme un grand-frère bienveillant pour tant de Poufsouffle et fait la fierté de leur Maison, leur déchirait le cœur sans pitié.
Sans surprise, Susan était ressortie des Runes Anciennes le cerveau épuisé et les bras chargés de rouleaux de parchemins à traduire pour le prochain cours. Accompagnée d'Hannah, d'Ernie et de Sally-Anne, les trois dirigèrent leurs pas vers leur dernier cours, lequel pouvait aussi être le pire si Susan se fiait aux récits peu élogieux de sa famille sur Dolores Ombrage.
- Ah, vous voilà ! les héla Megan, encerclée d'une mare de Gryffondor avec qui ils avaient cours en commun. Bon sang, j'ai si hâte que la journée se termine. J'ai crû que la Divination allait m'achever, gémit-elle, les yeux fermés. Déjà que la chaleur ambiante et les frasques de Trelawney c'est beaucoup mais maintenant elle veut qu'on tienne un journal de rêves. C'est déjà pas suffisant pour elle qu'on essaie de décortiquer tout ça en classe au nez de tout le monde...
- Vous avez affaire à la Sigmund Freud des sorciers, quoi ! rit Sally-Anne. En vrai, tu sais, c'est super intéressant l'étude des rêves, ça peut t'en apprendre beaucoup sur ton existence...
- J'en sais rien de ce qu'il en pensait ton Freud machin-chose mais je vois pas comment ça va m'apprendre des choses sur mon avenir de rêver de manger des patacitrouilles sur un boursouf géant ou que ne sais-je. Après, si ça t'intéresse, on peut échanger.
- Sans façon. J'ai dit que le sujet du cours était intéressant, pas la prof qui le donne.
- De toute façon, je crois qu'il n'y a que ces deux filles de Gryffondor, là, Parvati et Lavande, et ce type de Serdaigle, je crois qu'il s'appelle Terry ou un truc du genre, qui boivent les paroles de Trelawney. Je me demande bien comment ils font... Tu sais, je devrais faire comme Potter et Weasley et juste raconter des bobards vu que Trelawney gobe tout tant que tu lui parles de malheurs.
- C'est pas très sérieux, tout ça...
- À la guerre comme à la guerre, répliqua Megan. Si tu étais dans ce cours, tu comprendrais...
Megan ne poursuivit pas sur sa tirade, car la porte menant à la salle du cours de Défense venait de pivoter.
- Alea jacta est, marmonna Sally-Anne. Les dés sont jetés.
Le troupeau de lions et de blaireaux s'engouffra dans la salle sans entrain. Aucun ne semblait être tombé sous le charme d'Ombrage lors du festin de la veille. En parlant du loup, leur nouvelle enseignante était déjà installée à son bureau, une fois de plus revêtue de rose des pieds à la tête, à l'exception d'un noeud en velours noir perché sur ses boucles brunes. Son sourire donnait froid au dos de Susan tant il paraissait faux.
- Eh bien, bonjour, les salua Ombrage tandis qu'ils s'installaient.
- B'jour professeur Ombrage, marmonnèrent-ils en guise de réponse.
Ombrage ne parut pas charmée par leur démonstration de politesse et arbora un regard réprobateur qui correspondait mieux à la froideur de son regard.
- Voyons, voyons, ça ne va pas du tout. J'aimerais bien, s'il vous plaît, que vous répondiez : « Bonjour, professeur Ombrage. » Recommençons depuis le début, si vous le voulez bien. Bonjour, tout le monde !
- Bonjour, professeur Ombrage !
- Voilà qui est beaucoup mieux. Ce n'était pas si difficile, n'est-ce pas ? Rangez vos baguettes et sortez vos plumes, s'il vous plaît.
Susan lâcha sa baguette qu'elle venait de saisir et plongea le bras dans son sac pour en ressortir une plume, de l'encre et un rouleau de parchemin. Ainsi donc, ils allaient prendre des notes plutôt que de faire de la magie pendant un cours, de Défense Contre les Forces du Mal qui plus est. Susan pouvait comprendre qu'une baguette soit absolument inutile en Potions ou en Runes Anciennes, mais, même en comptant les rumeurs, elle avait du mal à cerner les directives d'Ombrage. Voilà un cours qui s'annonçait très instructif.
Le temps que les élèves sortent leurs affaires, Ombrage venait d'inscrire l'intitulé du cours au tableau.
- Retour aux principes de base ? murmura Megan, assise à ses côtés, une expression interloquée sur son visage. Ça veut dire quoi, ça ?
- Bien, reprit Ombrage, ne laissant pas à Susan le temps de répondre. Il apparaît que votre enseignement dans cette matière a été passablement perturbé et plutôt fragmentaire, n'est-ce pas ?
C'était peu dire. Bien malgré elle, Susan devait reconnaître que ça, c'était juste. Le professeur Quirrell avait bafouillé durant toute sa première année et sursauté devant tout et n'importe quoi, puis était mort dans des circonstances suspectes. L'année suivante, ce charlatan de Lockhart lui avait succédé et avait dédié tous ses cours à ne parler que de lui-même et des exploits qu'il avait arraché aux méritants. Lupin avait été un très bon professeur, de l'avis de Susan, mais lui aussi était reparti quand la nouvelle avait fusé sur son statut de loup-garou. Susan avait été peinée pour lui mais personne n'aurait pu donner tort aux parents d'élèves angoissés. Et l'année précédente, l'année précédente... Merlin, comment ils ont pu laisser passer ça... Un Mangemort. Mille gargouilles galopantes, un Mangemort ! Un Mangemort avait enlevé et volé l'apparence de l'un des plus grands Aurors de tous les temps, et personne ne l'avait vu venir. Ni Rufus Scrimgeour, qui dirigeait les célèbres chasseurs de Mages Noirs, ni Madame Maxime, la directrice de Beauxbâtons, ni même Dumbledore lui-même. Et il est censé être le plus grand sorcier de notre siècle. Susan se prenait de plus en plus à croire que le retour de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom était une forte possibilité. Les éléments se concordaient avec bien trop de logique pour qu'il s'agisse de simples coïncidences. Un Mangemort infiltré, Cédric mort, Harry qui revenait du labyrinthe traumatisé... Quelle serait la suite ?
- Commencez par copier sur vos parchemins les phrases suivantes.
Le son de la voix d'Ombrage la fit sursauter. Perdue dans ses sinistres pensées, elle avait plus ou moins perdu le fil. Susan inscrivit à la hâte les nouveaux mots qui venaient d'apparaître au tableau.
1) Comprendre les principes qui fondent la défense magique.
2) Apprendre à reconnaître les situations dans lesquelles la défense magique se trouve légalement justifiée.
3) Replacer la défense magique dans un contexte ouvrant sur la pratique.
Retour aux principes de base, en effet. Est-ce qu'elle va au moins nous laisser utiliser la magie pendant ses cours ?
- Avez-vous tous votre exemplaire de Théorie des stratégies de défense magique par Wilbert Eskivdur ?
Un vague oui collectif se fit entendre. Comme il fallait s'y attendre, cette réponse évasée ne fit guère plaisir à leur professeure.
- Avez-vous tous votre exemplaire de Théories des stratégies de défense magique par Wilbert Eskivdur ? reprit-elle sans ciller.
- Oui, professeur Ombrage.
Même Rogue, dont le niveau de froideur était incomparable, n'aurait eu que faire de ces formalités qui faisait ressembler Ombrage à une dresseuse d'animaux.
- Bien, je voudrais maintenant que vous ouvriez ce livre à la page 5 et que vous lisiez le premier chapitre : « Principes de base à l'usage des débutants ».
- Des débutants ?
- Retour aux principes de base au sens propre !
- On va quand-même pas passer toute l'heure à lire... ce truc !
- Je préfèrerai encore avoir Rogue comme prof...
- Et je vous signale qu'il est inutile de bavarder.
La voix d'Ombrage, à la fois glaciale et doucereuse, coupa net le flot de murmures consternés. Le regard dardé sur la classe, elle s'installa sur le fauteuil professoral tandis que ses élèves attrapaient sans enthousiasme leurs manuels au fond de leurs sacs puis entamaient leur lecture.
Susan décrocha au bout d'une poignée de secondes. Elle ne comprenait un traître mot de ce qu'elle était censée lire. Il y avait beaucoup trop de syntaxe pour ne rien dire au final. Les pensées à mille années lumières du texte, elle tenta d'occuper son temps en enroulant inlassablement l'une de ses mèches auburn autour de son index.
Même les cours de Binns avaient plus d'utilité. Le pire, c'est que ça risque d'être la même chose toute l'année...
Le coup de coude de Megan dans ses côtes l'arracha à son ennui par un signal douloureux.
- Aïe ! C'était quoi, ça ?
- Regarde ! Hermione !
- Quoi, Hermione ? Qu'est-ce qu'elle... Oh...
En tournant son regard vers leur condisciple de Gryffondor, Susan eut en effet une surprise de taille. Et pour cause, Hermione Granger agissait pour le moins hermonien. Susan lui parlait peu, mais il était de notoriété que la jeune fille aux cheveux ébouriffés qui pouvait se targuer d'être la meilleure élève de leur année et passer des journées entières cloisonnée dans la bibliothèque ne dirait jamais non à un peu de lecture. L'on aurait pu penser qu'elle aurait été la première à se jeter avec avidité sur la Théorie des stratégies de défense magique, mais l'ouvrage demeurait immobile sur son bureau. Hermione ne l'avait même pas ouvert. En revanche, d'un geste plus fidèle à elle-même, sa main était relevée en l'air au-dessus de sa tête tandis que son regard était fixé sur Ombrage. Cette dernière semblait résolument obstinée à ignorer la requête silencieuse d'Hermione, mais ce n'était pas le cas des autres élèves qui se détournaient les uns après les autres de leur lecture pour observer la Gryffondor à la place.
Au bout du compte, lorsque les trois quarts de la classe s'étaient désintéressés des propos d'Eskivdur, Ombrage dut se douter qu'elle ne pouvait pas ignorer la demande d'Hermione plus longtemps et lui demanda d'une voix fausse, comme si elle venait à peine de remarquer son geste :
- Souhaitiez-vous poser une question au sujet de ce chapitre ?
- Non, pas au sujet du chapitre.
- Pour l'instant, nous sommes en train de le lire. Si vous avez d'autres questions, nous attendrons la fin du cours pour nous en occuper.
Susan doutait qu'Hermione veuille attendre jusque là, et cette dernière lui donna raison.
- J'ai une question à propos de vos objectifs d'apprentissage.
Susan crût savoir où Hermione voulait en venir. Elle voulait savoir où Ombrage plaçait la pratique dans tout cela.
- Et vous vous appelez ?
- Hermione Granger.
- Eh bien, Miss Granger, il me semble que ces objectifs sont parfaitement clairs si vous prenez la peine de les lire attentivement.
Ombrage donnait plutôt l'impression d'esquiver le sujet, en faisant mine de ne pas comprendre, de l'avis de Susan. Sa camarade de Gryffondor semblait penser la même chose car elle répliqua aussitôt.
- Je ne le pense pas. Rien n'est indiqué au sujet de l'utilisation des sortilèges de défense.
Plusieurs sourcils se froncèrent dans la classe tandis qu'ils réfléchissaient visiblement aux paroles de Hermione. Susan pouvait en venir aux mêmes conclusions qu'eux. Ils n'apprendraient pas de sorts dans cette classe.
- L'utilisation des sortilèges de défense ? répliquait au même moment Ombrage avec un rire froid. Je ne vois pas ce qui pourrait arriver dans ma classe qui nécessite de recourir à un tel sortilège, Miss Granger. Vous ne craignez quand-même pas de subir une attaque pendant mes cours ?
Elle détournait les mots de Hermione. Chacun de ses gestes semblait concrétiser les pré-supposés de Susan à son égard. Quelle plaie, avait dit sa tante, il faut toujours tourne la situation à son avantage sans se soucier un minimum des autres. Ombrage tournait une préoccupation sincère, le fait qu'ils doivent logiquement pratiquer des sorts, dans ce cours en particulier, en une protestation hystérique, l'idée d'être brutalement attaqués au sein même de la classe. Mais une fois hors des portes du château...
- Alors, on ne fera pas de magie ?
Cette fois-ci, il s'agissait de Ron Weasley.
- Lorsqu'on veut s'exprimer dans ma classe, on lève la main, Mr...
- Weasley.
Trois mains se dressèrent en l'air, celles de Ron, Hermione et Harry Potter. Ombrage ignora Ron, un large sourire aux lèvres, contempla longuement Harry, puis se tourna vers Hermione.
- Miss Granger ? Vous vouliez demander autre chose ?
- Oui. La raison d'être des cours de Défense Contre les Forces du Mal, c'est bien de pratiquer des sortilèges de défense, non ?
- Seriez-vous une experte formée par le ministère, Miss Granger ? demanda Ombrage avec condescendance.
- Non, mais...
- Dans ce cas, j'ai bien peur que vous ne soyez pas qualifiée pour définir la raison d'être d'une matière, quelle qu'elle soit. Notre nouveau programme d'études a été établi par des sorciers beaucoup plus âgés et intelligents que vous, Miss Granger. Vous apprendrez ainsi les sortilèges de défense dans des conditions qui garantissent la sécurité et l'absence de risques...
- À quoi ça peut bien servir ? l'interrompit Harry. Si nous sommes attaqués, ce ne sera pas avec...
- Votre main, Mr Potter !
Il l'a brandit aussitôt en l'air, en même temps que Parvati Patil, Ernie, Hannah et Dean Thomas, lequel fut désigné par Ombrage.
- Je vous écoute, Mr Thomas.
- Harry a raison, non ? Si on se fait attaquer, les risques ne seront pas du tout absents.
Ombrage détourna ses propos de la même manière qu'elle l'avait fait avec Hermione et Dean en resta pantois tandis qu'un sourire froid élargissait les lèvres de leur professeur.
- Je ne souhaite pas critiquer la façon dont cette école a été dirigée, mais vous vous êtes trouvés exposés dans cette classe à des sorciers irresponsables, totalement irresponsables même, sans parler de certains hybrides particulièrement dangereux.
Le rire féroce qui parcourut Ombrage fit frissonner Susan des pieds à la tête. Elle devinait très bien de qui le professeur voulait parler, et la distinction entre la peur de se faire mordre par un loup-garou et le mépris de leur existence même sautait aux yeux. Plusieurs autres élèves échangèrent des regards indignés, et Dean proclama tout haut ce que beaucoup d'entre eux pensaient, le fait indiscutable que Remus Lupin avait été le meilleur professeur de Défense qu'ils aient jamais eu.
Sans s'émouvoir de la réaction de sa classe, Ombrage poursuivit sur sa lancée.
- Comme je vous le disais, vous avez été initiés à des sortilèges complexes, inadaptés à votre âge et potentiellement mortels. On vous a fait peur en vous laissant croire que vous risquiez d'être attaqués tous les deux jours par des forces maléfiques...
- Pas du tout, nous avons simplement...
- Vous n'avez pas levé la main, Miss Granger ! Si j'ai bien compris, mon prédécesseur ne s'est pas contenté de pratiquer des sortilèges illégaux devant vous, il les a pratiqués sur vous.
Susan sentit son estomac se nouer douloureusement. Elle détestait donner raison à Ombrage, mais force était de reconnaître qu'il y avait une part de vérité dans cette constatation. Susan n'avait pas oublié la souffrance visible dans les yeux de Neville Londubat tandis que l'araignée se tordait de douleur devant lui, ni ce qu'ils avaient été forcés de faire sous l'Imperium. Inconscients du danger, ils en avaient d'abord ri aux éclats, mais maintenant un goût atroce de bile remontait à la gorge de Susan à chaque fois qu'elle y repensait.
C'était à cause de Mangemorts comme le faux Maugrey qui pouvaient se dissimuler aux yeux des sorciers les plus vigilants de la Communauté Magique qu'ils devaient apprendre à se défendre, et pas seulement en perdant leur temps en lisant la théorie pour débutants d'Eskivdur.
Comme le faisait au même moment remarquer Parvati à Ombrage, il était indispensable qu'ils apprennent à maîtriser des sortilèges de défense, d'autant plus que les BUSEs se profilaient à l'horizon.
Susan ne fut pas vraiment étonnée d'entendre Ombrage détourner une fois de plus le sujet en prétendant qu'étudier uniquement la théorie suffirait à les préparer.
- Et à quoi nous servira la théorie dans le monde réel ?
C'était Harry. Cette fois-ci il avait levé sa main en l'air à l'avance afin qu'Ombrage ne puisse trouver une excuse pour l'ignorer à nouveau. Les lèvres pincées, cette dernière consentit à répondre d'une voix faussement douce :
- Ici, nous sommes dans une école, Mr Potter, pas dans le monde réel.
- Alors, nous n'allons pas nous préparer à ce qui nous attend dehors ?
- Rien ne vous attend dehors, Mr Potter.
- Ah vraiment ?
Susan ne fut pas frappée par le ton sarcastique de sa voix. En l'examinant furtivement depuis l'endroit où elle était assise, la jeune fille pouvait constater que son corps semblait tendu comme un arc et que ses poings étaient crispés à en faire blanchir ses phalanges. À ce moment-là, peu importait qu'il mente ou non car Susan ne pouvait que ressentir de l'empathie pour lui. Après toute la campagne de diffamation qu'il avait subi de la part du Ministère, suivit de l'histoire avec les Détraqueurs, les méthodes d'enseignement d'Ombrage devaient avoir achevé d'épuiser toutes ses forces.
Une lueur froide dansa dans les yeux d'Ombrage. À ce moment précis, elle ressemblait à un chat guettant le faux pas qui serait fatal pour sa proie.
- À votre avis, qui aurait l'idée d'attaquer des enfants comme vous ?
- Mmm, voyons... Peut-être...
Susan sentit de nouveau son ventre se tordre désagréablement. Elle aurait voulu ramener Harry sur sa chaise, lui plaquer une main sur la bouche, n'importe quoi pour l'empêcher de faire le geste de trop.
Elle savait exactement ce qu'il allait dire.
- Disons... Lord Voldemort ?
Le nom ecorcha les oreilles de Susan, par toute l'obscurité et la souffrance qu'il apportait. Certains disaient que ce n'était qu'un nom, mais pour Susan Bones c'était un rappel constant de la déchirure éternelle que Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom avait infligé aux Bones lorsque lui et ses hommes de main avaient arraché aux siens des parents, des grands-parents, un frère, un oncle, un parrain, une tante, des neveux, des cousins, des âmes innocentes victimes de la mégalomanie hors du commun d'un seul homme. Ma famille ! Susan ne connaissait leurs traits que par les innombrables photographies, les évocations par tous ceux qui relevaient son nom et les souvenirs doux-amer de ses parents et de sa tante.
Non, certaines choses ne méritaient pas d'être prononcées par l'horreur qu'elles réveillaient. Elle espérait seulement que les gens s'en rendraient un jour compte.
- Dix points de moins pour Gryffondor, Mr Potter.
La voix désormais dure d'Ombrage sortit Susan de ses sombres pensées et la ramena à l'ordre du jour. Sans surprise, le professeur n'avait pas apprécié la déclaration d'Harry car après tout, elle était l'une des têtes dirigeantes de la campagne contre la déclaration du retour apparent de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom.
- Et maintenant, je vais éclaircir certaines petites choses, poursuivit Ombrage sans accorder un regard à tous les élèves qui les observaient tour à tour, elle et Harry. On vous a raconté qu'un certain Mage noir était revenu d'entre les morts...
- Il n'était pas mort, l'interrompit Harry d'une voix forte, et c'est vrai, il est revenu !
- Mr Potter, vous avez déjà fait perdre dix points à votre maison, n'aggravez pas votre cas. Comme je vous le disais, on vous a raconté qu'un certain Mage noir est à nouveau en liberté. Il s'agit d'un mensonge.
- Ce n'est pas un mensonge ! Je l'ai vu, je me suis battu contre lui !
Susan se mordit les lèvres avec nervosité. Elle ne savait toujours pas quoi en penser, mais Harry semblait réellement excédé, sur la limite de l'explosion, et Ombrage semblait s'en délecter.
- Vous aurez une retenue, Mr Potter ! Demain soir. Cinq heures. Dans mon bureau. Je le répète, il s'agit d'un mensonge. Le Ministère de la Magie peut vous garantir qu'aucun Mage noir ne vous menace. Si vous continuez à éprouver des inquiétudes, n'hésitez pas à venir m'en parler en dehors des heures de classe. Si quelqu'un vous fait peur en vous racontant des mensonges sur le retour des Mages noirs, j'aimerais bien être mise au courant. Je suis ici pour vous aider. Je suis votre amie. Et maintenant, veuillez reprendre votre lecture. Page 5, « Principes de base à l'usage des débutants ».
Si Ombrage, en s'asseyant derrière son bureau, semblait penser que le sujet était clôt, c'était visiblement mal connaître Harry qui se leva d'un bond.
- Alors, selon vous, Cedric Diggory est mort de son plein gré ?
Cédric... Susan sentit l'air fuir son corps. Allaient-ils vraiment savoir... Allaient-ils enfin connaître la vraie raison...
- La mort de Cedric Diggory a été un tragique accident.
- C'était un meurtre.
Et Susan le croyait. Le labyrinthe avait été rempli à ras bord de créatures toutes plus vicieuses les unes que les autres, d'un sphinx aux énigmes redoutables aux scroutts à pétard en passant par des épouvantards et des acromentules. Même Viktor Krum, qui avait étudié à Durmstrang de tous les endroits au monde, était revenu bredouille. Mais Cedric, Cedric était revenu le visage impassible, les yeux grands ouverts, le corps lisse de tout affrontement fatal avec l'un des dangers du labyrinthe, Harry, en larmes, cramponné sur son cadavre.
Il s'était bel et bien passé quelque chose que le Ministère avait refusé d'admettre au sujet du meurtre de Cedric, et une force malfaisante se dissimulait derrière.
- Voldemort l'a tué et vous le savez très bien, poursuivit au même moment Harry d'une voix tremblante.
Peut-être était-ce en effet Voldemort, si tant est qu'il était bel et bien de retour, ou l'un de ses Mangemorts, peut-être est-ce le faux Maugrey frissonna Susan. En refusant de se pencher sur la question, ils bafouaient la mémoire de son ami, l'une des personnes les plus intègres que Susan ait jamais côtoyé à Poudlard, un sorcier débordant de courage, d'humilité et d'intelligence.
Et ils mettaient tous en danger.
- Venez ici, mon cher Mr Potter, fit alors Ombrage d'une voix douce et le visage dénué de toute expression.
Sans prêter une visible attention aux regards avides tournés vers elle, Ombrage sortit un rouleau de parchemin sur lequel elle inscrivit une note après quoi elle l'enroula de nouveau sur lui-même à l'aide de sa baguette et le tendit à Harry qui s'était posté devant son bureau.
- Allez donc porter ceci au professeur McGonagall, cher Mr Potter.
Harry s'empara du parchemin et repartit sans dire un mot, claquant au passage la porte derrière lui.
Le départ de Harry laissa place à un lourd silence de plusieurs poignées de secondes. On aurait pu entendre une mouche voler tant personne n'osait produire le moindre son.
Puis les chuchotements reprirent.
- Il a vraiment vu Cedric mourir ? murmura Megan, une expression choquée sur le visage.
- Tué par Tu-Sais-Qui ?
- Il fait juste son intéressant...
- C'est quand-même bizarre...
- C'est peut-être Karkaroff qui l'a éliminé...
- Karkaroff ?!
- Il a complètement disparu depuis la fin du Tournoi ! Si tu veux mon avis, il a cherché à se débarrasser de Cedric par dépit quand Krum a été éliminé puis il a paniqué en réalisant ce qu'il a fait...
- Mais comment tu veux qu'il se soit rendu jusqu'à Cedric sans que personne ne s'en rende compte ?
- C'était le directeur de Durmstrang, il doit connaître une masse de sorts dont Dumbledore lui-même ignore l'existence, et puis mes parents m'ont raconté qu'il était un ancien...
- SILENCE !
La classe entière sursauta et recentra son attention sur Ombrage dont les yeux brillaient d'intensité, peut-être de rage.
- Je pensais avoir été très claire, reprit-elle d'une voix glaciale, sur le fait que je ne tolérerai aucun bavardage dans cette classe.
Plus personne n'osa rétorquer, cela ne servirait visiblement qu'à les enfoncer la tête jusqu'au cou dans les ennuis.
- Bien, reprenez votre lecture à l'endroit où vous en étiez avant l'interruption de Mr Potter.
Ombrage passait bien entendu en silence le fait que Harry n'avait guère était le seul à la questionner, bien qu'il ait été le premier à perdre son sang-froid, mais aucun des élèves ne pipa mot, et ils se replongèrent tous avec désintéressement dans leur lecture assommante.
L'année s'annonce en beauté, dites donc !
Susan n'en avait jamais vraiment douté, mais voir les mises en garde de sa famille au sujet d'Ombrage se justifier les unes après les autres tandis que l'enseignante les infantilisaient, minimisait avec exagération le climat actuel et entreprenait visiblement de saboter une année entière de cours de Défense balayait impitoyablement toutes ses tentatives pour conserver le maigre optimisme qui lui restait.
★★★
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top