Les 3 reines
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Dans les profondeurs suffocantes des mines descendantes, des cristaux de Pietz jaillissaient de chaque côté, projetant leur lueur bleuâtre sur les parois rocailleuses. La chaleur y était accablante, s'infiltrant dans chaque pore de la peau et laissant des traînées de sueur ruisseler sur le visage et le décolleté de Merilla. Elle s'essuya machinalement le front, consciente des regards insistants de certains hommes de l’équipe. Sa peau mate, révélée par la sueur, semblait les captiver, et ils se mirent à échanger des sourires entendus, se léchant même les babines. Un sourire rusé aux lèvres, Merilla décida de les rappeler à l’ordre à sa manière.
Paf ! Paf ! Paf !
Elle distribua une claque à chacun, excepté à Nico, qu’elle jugeait encore trop jeune pour mériter un tel traitement, et à Ogöl, pour qui elle ressentait un profond respect. Ogöl n’était pas un vieux lubrique comme les autres ; depuis quarante ans, il consacrait sa vie à maintenir des relations diplomatiques, peu importe les régimes et les alliances. Plus qu'un simple conseiller, il était un véritable pilier dans les intrigues du royaume, toujours fidèle au roi Luther. On disait que c'était lui, en bon « chien de garde », qui avait trouvé et ramené les femmes du roi, chacune avec sa propre histoire singulière.
La première d’entre elles, Camille, avait été repérée lors d’une fête marchande, où elle vendait des plantes médicinales au plus offrant. Elle attirait les clients non seulement par son savoir en herboristerie, mais aussi par ses charmes. À l’époque, elle avait vingt-sept ans, l’âge où elle éclatait comme une fleur au printemps, pleine de naïveté et de fraîcheur. Lorsque Ogöl lui avait proposé de devenir l’une des femmes du roi, elle avait crié si fort que ses clients s’étaient bouché les oreilles, et ses plantes, sensibles à sa voix puissante, avaient commencé à croître de façon spectaculaire.
"C’est vrai ? Pour de vrai ?" s’était-elle écriée, les yeux pétillants. Ogöl, amusé par son innocence, avait su lui faire miroiter un avenir prospère. Camille avait accepté, et le roi Luther, charmé par sa douceur et son amour de la nature, en était tombé éperdument amoureux. Elle devint alors responsable de l’écologie du royaume, usant de ses dons pour entretenir les forêts et les cultures. Mais les alliances et les politiques complexes du royaume nécessitaient plus qu'une simple histoire d’amour.
Le roi Luther se tourna donc vers la redoutable Astrid, que l’on surnommait "la sorcière de la Côte". Au nord de Regina, dans la petite bourgade d’Ubizar, vivait cette jeune femme au tempérament de feu, connue pour ses colères monumentales. Il suffisait qu’on lui adresse un mot de travers pour qu’elle jette de l’eau glacée sur son interlocuteur, et lors de ses crises, il n’était pas rare que des vagues submergent les rues. À vingt ans seulement, Astrid était redoutée de tous, y compris de ses propres parents, qui avaient fini par la vendre à Ogöl pour la somme faramineuse de cinquante mille Ribel, de quoi mener une vie plus que confortable.
Le trajet jusqu’au palais se révéla tumultueux. Astrid, furieuse d’être emmenée, tapa du pied dans la calèche et exigea, en criant, d’être nommée trésorière du royaume. Elle menaça de ne jamais épouser le roi si cette requête n’était pas exaucée. Face à son pouvoir démesuré et son tempérament imprévisible, le roi céda, conscient que la moindre de ses colères pourrait faire trembler les fondations du château. Avec elle, il tenta de déployer des trésors d'inventivité pour apaiser ses sautes d’humeur, ce qui donna lieu à des rumeurs dans tout le royaume sur les "choses originales" qu'il lui réservait au lit pour la calmer.
La dernière conquête du roi, Tsizine, fut la plus sombre de toutes. Surnommée "le Sang Glaçant", cette femme mystérieuse et impassible régnait sur une tribu de Kraiin, nichée dans les montagnes d’Eastland. Avec ses longs cheveux noirs, ses yeux rouges perçants et ses lèvres encore plus sombres, elle incarnait une beauté à la fois glaciale et envoûtante. Sa réputation de reine des ténèbres l'avait précédée, et même Ogöl, pourtant aguerri, s’était senti nerveux à l’idée de l’approcher. Son pouvoir intimidait ceux qui la croisaient, et ses attaques furtives sur ses ennemis faisaient trembler même les plus courageux.
Malgré ses réticences, Ogöl accepta de la placer sous une contrainte stricte : elle ne devait jamais attaquer un sujet du roi. Tsizine accepta l’accord du bout des lèvres, mais sa nature rebelle ne tarda pas à se manifester. Lorsqu'elle fit une incursion contre les rebelles de Rigade, elle dépassa les limites imposées et disparut mystérieusement peu de temps après.
C’était il y a cinq ans, et depuis, bien des choses avaient changé dans le royaume.
Astrid, de son côté, montrait des signes d’impatience. La mauvaise gestion de la crise avec Lyra la mettait dans une colère noire, et ses accès de rage devenaient de plus en plus fréquents. Ses exigences financières et son rôle de trésorière rendaient les conseils tumultueux, et il n’était pas rare de voir des éclaboussures d’eau glacée dans la salle des réunions lorsque quelque chose lui déplaisait.
Camille, quant à elle, restait fidèle et dévouée. Elle se battait pour le bien-être du royaume, désireuse de résoudre les tensions entre le roi et ses sujets. Toujours prête à tempérer les colères d’Astrid et à soutenir les projets royaux, elle représentait un modèle de loyauté. Le contraste entre les trois femmes, chacune avec son propre passé et ses propres aspirations, avait fini par créer un équilibre fragile autour du roi.
Ogöl, observant la scène dans la mine avec un air pensif, se remémorait ces souvenirs. Ces alliances, forgées au fil du temps et des intérêts politiques, n’étaient pas sans leurs défis. Il savait que ces trois femmes, chacune à sa manière, avaient marqué le règne de Luther et qu'elles continuaient à influencer le destin du royaume, que ce soit par leur force, leur sagesse, ou leur colère.
Dans cette chaleur oppressante, au cœur des profondeurs de la terre, l’ombre de ces histoires résonnait comme une mise en garde. Ogöl se tourna vers Merilla, ses yeux brillants d’une lueur de détermination.
"Chaque aventure porte son lot de péripéties et de sacrifices," murmura-t-il. "Mais c'est ainsi que se forge la légende d'un royaume."
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