Au réveil
Lyra lut la stèle avec un mélange de fascination et de perplexité. Abel, le bâtisseur de la cité d’Abel et du château de Regina, portait le titre de « premier de tous ». Les anciens récits racontaient qu’il avait érigé la ville il y a plus de mille ans et l’avait baptisée en son propre nom. Sa légende le décrivait comme un homme fort et visionnaire, capable de conquérir, mais aussi de trahir. Son frère, Caïn, jaloux de son succès, avait tenté de le tuer. Abel, lui, s’était vengé en emprisonnant Caïn dans une mystérieuse prison faite d’un matériau rare et étrange, quelque part en des lieux perdus et inconnus.
Les mythes disaient qu’Abel avait même conversé avec l’Arbre-Monde, un être sacré lié aux cycles du soleil et de la lune. Cet arbre lui aurait murmuré de prendre les armes pour unifier le pays sous un même royaume. Il avait attaqué village après village, rassemblant peu à peu les terres dispersées pour fonder la contrée de Regina. Il s’était ensuite tourné vers les Variants, ces êtres dotés de pouvoirs rares, et les avait asservis pour construire le château d’osmosite, un lieu imprégné de magie et où réside aujourd'hui le roi. Mais une fois le château achevé, les Variants avaient mystérieusement disparu, comme si la pierre elle-même les avait engloutis.
Lyra fronça les sourcils en lisant la fin de la stèle. Elle ne comprenait pas pourquoi cet hommage se trouvait ici, à Eastland, loin de Regina. Peut-être était-ce un acte symbolique, un fardeau imposé aux Eastlandais de vénérer leur ennemi, même après les ravages de la guerre qui avait éclaté dix-sept ans auparavant.
Fatiguée par ces réflexions, Lyra détourna le regard et se dirigea vers une petite échoppe où elle espérait trouver de quoi se réchauffer et se détendre. Le dragon, fidèle mais fatigué, resta à l’écart de l’entrée. Elle n’avait pas l’intention de se saouler, juste de noyer un peu l’angoisse qui bouillonnait en elle.
À peine entrée, ses sens furent en alerte. Dans le coin de la pièce, quatre silhouettes familières discutaient à voix basse. Deux de ses compagnons rebelles, Djibril et Paragus, étaient attablés avec les chevaliers Jorge et Nico, autrefois loyaux au roi mais aujourd’hui désillusionnés par le régime.
Lyra s’approcha sans attendre, attrapant le blouson de Djibril et le bras de Paragus pour les attirer hors de la salle. Ses gestes étaient déterminés, mais ses mains tremblaient, trahissant son malaise.
« Vous, venez ici. » Elle les tira tous les deux à l'écart.
Jorge, le chevalier blond, se leva, amusé par son air grave. Il observa Lyra, qui, arc bandé, pointait une flèche à quelques centimètres de son visage. Mais, contre toute attente, il leva calmement la main et attrapa la flèche entre ses doigts.
Lyra, incapable de maintenir la pression, baissa son arc, ses mains toujours tremblantes. Jorge, un peu ivre et le sourire enjôleur, la prit dans ses bras sans la prévenir et caressa ses oreilles, qui dépassaient de sa capuche, comme pour l’apaiser.
« Tu sens bon, » murmura-t-il, sa tête nichée dans son cou.
Lyra le repoussa d’un geste. « Et toi, tu pues l’alcool. »
Il rit doucement. « Bon, allez, on devrait y aller. Tu veux revoir ton père, n’est-ce pas ? »
Elle soupira. « Oui… mais ça va être compliqué. Il n’est pas vraiment le genre d’homme à recevoir avec des fleurs. »
Djibril, toujours à moitié hilare, leva son verre pour une dernière gorgée. « Très bien, mesdames et messieurs, je m'en moque ! Allons boire encore un peu ! »
La soirée continua ainsi, mêlant rires et discussions animées, jusqu’à ce qu’ils finissent par louer une chambre pour la nuit dans la petite auberge attenante.
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Le lendemain matin, Lyra se réveilla, la lumière du jour frappant son visage. Encore un peu engourdie par la soirée, elle se retourna et aperçut Jorge, allongé à côté d’elle, dissimulé sous une couverture blanche. Elle s’étira, les événements de la veille encore flous dans sa mémoire.
Jorge ouvrit lentement les yeux et lui lança un regard tendre. « Qu’est-ce qu’il y a, mon amour ? » dit-il en baillant.
Lyra fronça les sourcils, prise par surprise. « Mon amour ? Mon amour ? Tu plaisantes ? Entre nous, il n’y a rien. »
Il sourit, vaguement amusé. « Vraiment ? Pourtant, hier soir, tu n’avais pas l’air d’avoir cette même opinion quand tu m’as embrassé. »
Elle croisa les bras, ses joues prenant une teinte rosée. « J’étais saoule. Ça ne compte pas. »
Jorge se redressa et posa une main sur la sienne, son regard devenu sérieux. « Ce qui est fait est fait, Lyra. Mais maintenant, dis-moi… parle-moi de toi. Raconte-moi un peu ton histoire. »
Elle hésita, puis se lança, sa voix empreinte d’amertume. « Mon père m’a abandonnée quand j’étais petite, dans le creux d’un arbre. »
Jorge se rapprocha, son expression bouleversée. « Sérieusement ? »
Elle posa une main sur son visage pour l’empêcher de s’approcher davantage. « Oui, mais laisse-moi finir. Les villageois m’ont toujours vue comme une malédiction. Peu de temps après ma naissance, les machines de la République ont attaqué notre village. C’est comme si ma présence attirait les malheurs. »
Elle fit une pause, sa gorge nouée par l’émotion. « Le seul qui ait eu un peu de pitié pour moi, c’était le prêtre. Il m’apportait de la nourriture en cachette, me permettant de survivre dans une petite cellule froide et oubliée de tous. Un jour, un garçon m’a défiée en duel. Je n’avais même pas d’arme pour me défendre. Ils m’ont jeté cet arc de bois, un truc usé qu’ils n’utilisaient plus. »
« Et ensuite ? » demanda Jorge, pendu à ses lèvres.
Lyra détourna le regard. « Je me suis fait tabasser jusqu’à perdre connaissance. »
D’un geste brusque, elle se leva du lit et enfila ses vêtements, ajustant sa cape verte avec détermination. Elle ne souhaitait pas s’attarder davantage sur son passé, surtout en face de Jorge, un ancien chevalier loyal au roi.
« Attends ! » Jorge se redressa à son tour, tendant une main pour la retenir. « Je sais que tu veux revoir ton père, mais je comprends maintenant ce que tu ressens. Je n'ai plus aucune loyauté envers le roi Luther. Si tu m’acceptes, je viens avec toi. Parce que… parce que je t’aime, Lyra. Pour toi, je suis prêt à abandonner tout ce en quoi je croyais. »
Elle resta silencieuse un instant, le regardant droit dans les yeux. « D’accord, » répondit-elle enfin, sa voix marquée d’une résolution nouvelle.
Ainsi, Jorge rejoignit le groupe composé de Lyra, Djibril et Paragus. Ensemble, ils mirent le cap vers le Mont Caster, où un plan mystérieux les attendait. C’était un point de rendez-vous marqué sur une vieille carte abandonnée par Lionel, l’un des rebelles. Nico , avait mis en garde contre les dangers de cette montagne, surtout à cause de la garde royale qui traquait les dragons.
Mais pour Lyra, cet endroit n’était pas seulement dangereux – il représentait une épreuve, un test qui la rapprocherait de la vérité et, peut-être, d’une confrontation inévitable avec elle-même et ceux qu’elle tenait pour ennemis.
Le groupe gravit lentement le Mont Caster, jusqu'à ce que l'entrée d’une grotte surgisse dans leur champ de vision. L’atmosphère était lourde, chargée d’une énergie obscure. Dans l’ombre de cette entrée, Merilla les attendait.
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